Petite, elle dévorait les contes de fées et les romans au point de s’imaginer en Robinson Crusoé, vivant seule sur une île au milieu de l’océan. Mais dans la vraie vie, elle habitait Szczecin en Pologne, une ville sinistre, un immeuble sinistre à côté d’une église sinistre. Tout y était sinistre. Même les gens. Elle y passa 11 ans de sa vie, une enfance « catholique, patriarcale et polonocommuniste, donc dépressive, oppressive et répressive » confie-t-elle aujourd’hui dans ce roman graphique publié chez Steinkis…
Elle, c’est Wandzia, alias Wanda Hagedorn. Aujourd’hui, elle vit en Australie mais a passé toute sa jeunesse en Pologne dans un appartement partagé. D’un côté, une vieille femme allemande, de l’autre sa famille. Entre un père communiste jusqu’au bout de l’ennui et une mère bigote, le quotidien de Wanda n’avait rien de très sexy.
C’est avec sa grand-mère Helena, une femme pétillante, qu’elle s’ouvrit au monde, à la littérature d’abord, à l’amour ensuite. « Comme la lecture, elle était pour moi un refuge et une force. Elle me donnait tout ce que j’essayais d’obtenir de maman : un enthousiasme absolu, un amour inconditionnel, de la tendresse et des encouragements ». Cette grand-mère connut une grande histoire d’amour avec une femme. Pour Wanda, ce ne fut certainement pas la seule. « Grand mère cachait son orientation sexuelle, plus complexe que ne le laissaient croire les apparences ».
Au fil des pages, Wanda nous ouvre sa boîte à secrets. Elle nous parle de cette grand-mère tant aimée qui mourut de la maladie d’Alzheimer, mais aussi de ses soeurs et de son père, un « pervers narcissique » colérique et violent avec qui elle eut des rapports plus que conflictuels jusqu’au bout. Elle évoque aussi son homosexualité naissante. Une homosexualité difficile à vivre on imagine dans ce contexte.
Malgré tout, malgré cette sinistrose ambiante, malgré son père, Wanda Hagedorn s’est réalisée. Bien sûr, il n’y aura aucun retour en Ostalgie pour elle, pas de regrets pour cette époque grise que le dessinateur, polonais lui-aussi, Jacek Fras, a parfaitement su restituer à travers les 220 pages de ce très beau roman graphique.
Eric Guillaud
Pas de retour en Ostalgie, de Wanda Hagedorn et Jacek Fras. Editions Steinkis. 20 €