Ah, voilà, là où on est tout de suite mieux… Il y a quelques semaines, nous faisions part de nos quelques réserves vis-à-vis de la nouvelle série autour de l’univers BATMAN centrée sur certains lieux emblématiques de la mythologie. Or, malgré la présence de quelques stars au casting, le premier volume sur la Batcave manquait de vraie matière pour vraiment incarner son concept. Mais sa série sœur ARKHAM, elle, fait tout de suite mieux avec un premier tome consacré à DOUBLE-FACE.
Cela dit, la cause était entendue d’avance : en choisissant de consacrer un volume à chacun des ennemis récurrents du Chevalier Noir, DC ne prend aucun risque, tant la majorité d’entre eux (le Joker en premier lieu, le Pingouin, L’Epouvantail, Mr Freeze etc.) sont devenus presque autant de icônes eux-mêmes de la pop culture. Sauf que cette première entrée frappe très fort en jetant son dévolu sur le plus ambivalent de ces ‘grands méchants’ : Double-Face.
Un peu comme le Joker, tout l’intérêt ici de cet ancien procureur vertueux devenu criminel est qu’il apparaît comme une sorte de reflet négatif de BATMAN. Un peu comme lui (même si ce n’est qu’à partir des années 80 et la réappropriation du personnage par Frank Miller que cette thématique sera vraiment creusée) Harvey Dent est constamment écartelé entre Bien et Mal. Une dualité parfaitement illustrée par ce visage digne de Dr Jekyll et Mister Hyde, à moitié beau et à moitié hideux, après qu’un mafiosi ne lui jette par vengeance de l’acide dessus. Comme pour se dédouaner du mal qu’il s’apprête à commettre, il joue à pile ou face avec sa pièce fétiche pour déterminer ses choix, laissant soi-disant le hasard décider à sa place.
© Urban Comics/DC Comics – collectif
Double-Face est donc un méchant atypique, limite schizophrène et graphiquement très contrasté. Une double facette exploitée dès sa première apparition dans un épisode de 1942, reproduit ici en ouverture et dessiné, forcément, par le grand Bob Kane et bien plus subtile que les habituels très manichéennes BD de l’époque.
Mais ce qui frappe peut-être autant ici dans ces quatorze apparitions compilées et parues à la base entre 1942 et 2013, c’est l’incroyable brochette de dessinateurs qui se sont penchés sur son berceau et à qui d’imprimer, à chaque fois, leur patte bien à eux. Il y a bien sûr tout d’abord Kane, le tout premier dont le style presque ‘pop’ tranchait considérablement avec les autres comics de l’époque, encore bloqué sur le style très figé d’un FLASH GORDON par exemple. Mais aussi Neal Adam qui, presque trente ans plus tard (‘La Face Du Mal’) prenait un contrepied quasi-total, ancrant d’un seul coup la série dans un style très réaliste et presque roman noir très proche de celui de Gene Colan du concurrent MARVEL (TOMB OF DRACULA). Ou aussi Matt Wagner (‘Visages’) sous forte influence Richard Corben, qui au début des années 90 l’emmena ensuite vers un style presque gothique et grotesque à la fois, comme un écho de la première adaptation ciné de Tim Burton.
© Urban Comics/DC Comics – collectif
Chaque auteur successif s’est donc visiblement beaucoup amusé à croquer ce monstre à double visage, quitte à reléguer souvent BATMAN au second plan. Surtout, à part peut-être Adams, tous jouent à fonds la carte de l’ambivalence, n’hésitant pas à montrer un ‘méchant’ qui souffre dans ses rares éclairs de lucidité. Méchant qui est réhabilité ici et qui entame donc cette nouvelle série avec brio.
Olivier Badin
Batman Arkham : Double-Face, collectif. Urban Comics/DC Comics. 29 €