Si il y a un album qu’on attendait avec une certaine impatience voire une fébrilité certaine, c’est bien celui-ci. Le deuxième volet de La Déconfiture de Pascal Rabaté vient de rejoindre les rayons de nos librairies préférées. Et très franchement, sa lecture a de quoi nous faire oublier en quelques minutes les 18 mois d’attente…
Le génie se cache parfois dans les détails. Avec Pascal Rabaté, il s’affiche dès la couverture. Un décor identique pour les deux tomes, celui d’une France en pleine déconfiture, fuyant ou tentant de fuir avec enfants et matelas l’avancée des troupes nazies. Mêmes carcasses de voitures abandonnées, mêmes cadavres de chevaux sur la route. Mais une différence tout de même, comme un avant et un après : le ciel bleu et l’atmosphère printanière du premier volet exprimant l’espoir d’une victoire rapide sur les Allemands, le ciel rouge du deuxième qui annonce les années difficiles. Et comme un fil rouge entre les deux, le personnage central du diptyque, Amédée Videgrain, montant au front sur le premier tome, nonchalant, la veste sur l’épaule, repartant du front sur le deuxième, encadré par des soldats allemands, prisonnier comme ses camarades après une défaite pour le moins éclair et pas franchement glorieuse de l’armée française. Fini de rire !
Neuf mois de guerre et je n’aurai pas tiré un seul coup de feu
C’est sur ce constat, ce regret presque, exprimé par un des milliers de soldats français faits prisonniers dès les premières heures du conflit que se refermait le premier volet de La Déconfiture. Après la drôle de guerre, c’était la drôle de défaite, les fusils, chars et autres armes de notre fière armée sabotés afin qu’ils ne tombent pas entre de mauvaises mains, la fin des illusions, le début des années noirs.
Pendant la guerre, tous les hommes sont gris. C’est ce qui se dégage de La Déconfiture. Pas franchement des lâches, pas vraiment des héros, des gars ordinaires qui préfèreraient être au milieu des leurs plutôt qu’entre les mains des boches. « Je suis juste un petit comptable », dit un prisonnier. « Je ne sais même pas si ma gosse a eu son certificat d’études », s’inquiète un autre. « il n’y a pas de métro à Vierzon et c’est pas plus mal », lance un troisième. Les pensées sont ailleurs !
On n’est pas près de reboire du pinard
Anti-héros parmi les anti-héros, Amédée Videgrain se retrouve dans la colonne de prisonniers, supportant tout, la pluie, la chaleur, le manque de nourriture et de sommeil, la violence aussi des Allemands notamment envers les noirs, insultés, violentés, humiliés, non pas parce qu’ils sont des ennemis mais parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau. Un d’entre-eux est exécuté sans sommation. Pour Amédée Videgrain, qui partage des idées plus humanistes, la scène est insupportable. Mais c’est la guerre et lui aussi apprend à enfouir ses convictions…
On pourrait le croire cynique mais le regard posé par Pascal Rabaté est en fait plein de compassion pour tous ces hommes qui sont allés à la mort mal préparés physiquement et psychologiquement, déroutés de se retrouver aussi loin de chez eux, de leurs petites habitudes, de leurs proches. De la compassion mais aussi pas mal d’interrogations avec un épisode de la deuxième guerre mondiale, période troublée s’il en est, qui entre en résonance avec la nôtre, dira l’auteur. Une oeuvre magistrale aux dialogues savoureux, à la narration d’une très grande fluidité et au trait léger, épuré et élégant !
Eric Guillaud
La Déconfiture (tome 2), de Pascal Rabaté. Editions Futuropolis. 20€