07 Nov

Cahiers de la mer de Chine : Christian Cailleaux nous embarque sur la goélette scientifique Tara

Christian Caillaux est de la trempe des écrivains voyageurs, le genre d’homme à ne pas rester en place, à toujours désirer voir plus loin, de l’autre côté de l’horizon. Lui qui a vécu et crapahuté un peu partout sur la planète, depuis le Congo-Brazzaville jusqu’à Montréal, nous offre régulièrement son regard à travers des romans graphiques. Le dernier en date, Cahiers de la mer de Chine, est un carnet de voyage qui nous embarque à bord de la goélette scientifique Tara…

Connaissez-vous Tara ? Tara est une goélette française qui sillonne les océans avec pour double mission la recherche scientifique et la défense de l’environnement.

Durant deux ans, de 2016 à 2018, la goélette navigue sur les eaux de l’océan Pacifique. 100 000 km, 70 escales avec l’objectif « d’ausculter de manière inédite la biodiversité des récifs coralliens et leur évolution face au changement climatique et aux pressions anthropiques ».

A son bord, des marins bien sûr, des scientifiques et des artistes, huit en tout, invités à donner leur vision de l’expédition. Chistian Cailleaux est l’un d’eux. Avant d’embarquer, il expliquait à Mathieu Poulhalec des éditions Dupuis : « Je sais déjà que ce sera une expérience extraordinaire avec véritablement du sens et de l’engagement (…) Il y a 20 ans,  je voyageais le coeur léger et surtout bercé d’insouciance et d’illusions. Aujourd’hui, ce n’est plus possible ! Les bouleversements du globe sont tels qu’il faut forcément donneur sens à son usage du monde. Ceci dit, je compte bien également réaliser des images pour le seul plaisir du geste et de la création ».

Ces images, les voici aujourd’hui rassemblées dans ce cahier avec quelques lignes de l’auteur pour en expliquer le contexte. Paysages, vie à bord, marins et scientifiques au travail… Christian Cailleaux nous dévoile un peu de son expérience à bord de Tara, avec cette subtilité graphique qui caractérise son travail et nous embarque toujours très loin. Un très bel ouvrage au format cahier graphique de 64 pages, accompagné d’une sérigraphie originale signée et numérotée. Sublime !

Eric Guillaud

Cahiers de la mer de Chine, de Cailleaux. Dupuis. 28€.

05 Nov

Le coin des mangas : Signal 100, Blue Giant, Battle Royale, This is not love thank you, Hana Nochi Hare, La Fille du temple aux chats, Fruits Basket Another et Ranma 1/2

On commence avec du neuf, une série dont le premier tome est sorti en septembre et le deuxième est annoncé pour la fin du mois de novembre. Il s’agit de Signal 100, un récit à suspense d’Arata Miyatsuki et Shigure Kondo prévu en quatre volumes. Et que raconte Signal 100 ? L’histoire d’un professeur, M. Shimobe, malmené par ses élèves, sermonné par sa direction. À bout de nerf, il met en place une terrible vengeance en hypnotisant ses élèves et les soumettant à un jeu sinistre. Pour chacun d’eux, un geste anodin, aussi anodin que de se laver les dents, rire ou manger peut signer leur arrêt de mort. C’est le signal. Il en existe 100, 100 actions à ne surtout pas réaliser. À eux, les élèves, de tout faire pour les éviter… (Signal 100, de Arata Miyatsuki et Shigure Kondo. Delcourt. 7,99€)

Musique à présent avec Blue Giant dont le troisième des dix volets prévus, vient de sortir. Blue Giant nous embarque dans l’univers du jazz en compagnie de Dai Miyamoto, jeune lycéen membre de l’équipe de basket, travailleur à mi-temps dans une station service et surtout fou de jazz depuis des années. « je serai le meilleur jazzman au monde », se dit-il. Et pour cela, Dai Miyamoto bosse énormément, des heures et des heures à souffler dans son saxo, à en oublier la météo, à en oublier l’école, à en oublier les contraintes. Peu à peu, il se fait remarquer, par son professeur de musique et bientôt par ses camarades de lycée pour lesquels il prépare un concert. Après Vertical qui traitait de la haute montagne, l’auteur Shinichi Ishizuka offre à ses lecteurs un somptueux voyage au pays du jazz. (Blue Giant 3, de Shinichi Ishizuka. Glénat. 7,60€)

Battle Royale revient dans une nouvelle édition prévue en huit volumes, chacun d’entre eux réunissant deux tomes de l’ancienne édition. Ajoutez à cela de nouveaux scans des pages et un nouveau lettrage et vous aurez là – peut-être – toutes le bonnes raisons de vous jeter sur cette Ultimate Edition. Pour le reste, rien ne change, l’histoire est bien évidemment la même, celle d’un jeu de massacre organisé par une nation totalitaire d’Aise, 42 élèves de 3e isolés sur une île, 1 seul doit survivre, c’est l’heure des alliances, des trahisons… bref ça bastonne sec. Pour public averti ! (Battle Royale 1, de Koushun Takami et Masayuki Taguchi. Soleil Manga. 15€)

Beaucoup plus « love love », voici le premier volet de This is not love, thank you réalisé par une nouvelle auteure du catalogue Soleil Manga, Yuki Nojin. Prévue en trois volets, cette histoire raconte les aventures de Sara Izumi, 16 ans, une gamine comme les autres qui rêve depuis toute petite de vivre le grand amour, comme dans les films. Sauf que la vie n’a pas grand chose à voir avec le cinéma. Et que parfois, l’amour n’est pas réciproque. Sara en vivra l’amère expérience avec un beau garçon prénommé Tsubasa qui se moquera d’elle. Mais la jeune Sara n’a pas dit son dernier mot… (This is not love, thank you, de Yuki Nojin. Soleil Manga. 6,99€)

L’amour encore, l’amour toujours avec cette série de Yoko Kamio, Hana Nochi Hare, dont le 4e volet vient tout juste de sortir et nous embarque une nouvelle fois pour le lycée d’élite Eitoku, un lycée réservé aux plus riches dans lequel un groupe d’élèves, les Correct 5, s’évertue à débusquer et faire expulser les lycéens pauvres simplement pour préserver la réputation de l’établissement. La jeune Oto Edogawa pourrait être la nouvelle victime. Elle fait tout pour cacher les origines modestes de sa famille, jusqu’au jour où Haruto Kaguragi, leader des Correct 5, découvre que la jeune fille travaille dans une supérette. Ce qui ne les empêche pas de tomber amoureux… (Hana Nochi Hare tome 4, de Yoko Kamio. Glénat. 6,90€)

Premier volet d’une série en six volumes, La Fille du temple aux chats raconte l’histoire de Gen, un jeune garçon qui visiblement ne supporte plus ses parents. « Du moment que c’était loin de mes vieux, j’étais prêt à vivre n’importe où », clame-t-il. Même dans la cambrousse la plus reculée, même dans un endroit vétuste. Et le voilà débarquant dans le temple où vit sa grand-mère mais aussi… surprise… une jeune-femme d’une vingtaine d’années, Chion, qu’il a connue enfant. De quoi rendre la campagne agréable à ce pur citadin… (La Fille du temple aux chats, de Makoto Ojiro. Soleil Manga. 7,99€)

Vous êtes de ceux qui avaient aimé à la folie et dévoré les 23 volumes de Fruits Basket de Natsuki Takaya ? Alors voici Fruits Basket Another, à la fois spin-off et suite de la série culte vendue à plusieurs millions d’exemplaires à travers la planète Manga. Prévue en trois volumes, cette nouvelle série très proche finalement de l’originale, trop pour certains, raconte l’histoire de Sawa Mitoma, lycéenne maladivement timide qui va se retrouver bien malgré elle au conseil des élèves où elle se fait finalement de nouveaux amis… (Fruits Basket Another tome 2, de Natsuki Takaya. Delcourt Tonkam. 7,99€)

On termine avec Ranma 1/2 sixième volet, un manga signé Rumiko Takahashi publié chez Glénat dont les jeunes garçons raffolent. Au menu, une bonne dose d’histoires d’amour, des personnages qui se transforment en animaux au contact de l’eau et des arts martiaux à gogo. (Ranma 1/2 tome 6, de Rumiko Takahashi. Glénat. 10,75€)

Eric Guillaud

04 Nov

Les Grands espaces : Quand Catherine Meurisse rêvait de Versailles

C’est un petit coin de paradis, un Versailles en mode familial, avec son potager à la française et en son milieu la statue d’un nain de jardin en guise de Roi-Soleil. C’est un petit coin de paradis à l’abri du temps qui passe trop vite, à l’abri de la cupidité des hommes, un petit coin de paradis qui doit tout à la nature, à la littérature et à la peinture…

Mais à qui appartient ce petit coin de paradis ? À l’auteure du livre elle-même, Catherine Meurisse, ou du moins à ses souvenirs de jeunesse. Catherine n’est alors qu’une toute jeune-fille lorsque ses parents décident de s’installer à la campagne. « Les filles, la campagne sera votre chance », avaient-ils décrété comme une nouvelle évidence. Et voilà toute la petite famille partie s’installer dans une ferme en ruine, au milieu de nulle part, à proximité de pas grand chose.

L’imagination au pouvoir

Il fallait avoir de l’imagination pour espérer redonner fière allure à ce lieu. Les parents n’en manquèrent pas, le père dessinant dans sa tête le plan de la future habitation, « là, ce sera la salle à manger. Ici, je vois bien la cuisine… », la mère plantant tout ce qu’elle pouvait, ici un rosier provenant du jardin de Marcel Proust, un autre du jardin de Montaigne, là un figuier venant de chez Rabelais, des ancolies de la grand-mère, des hêtres, des prunus, des cognassiers, des acacias et autres merisiers. Bref, de quoi remettre la nature en ordre de marche.

© Dargaud/Rita Scaglia

Et lorsque la pollution agricole s’invite aux portes du jardin, sous la forme d’un épandage de sang d’abattoir, la mère ne jardine plus, elle entre en résistance, plante une haie pour freiner les vents et les odeurs. Comme un pied de nez au remembrement. « Patience! Dans quelques années, on aura un parc superbe comme au château de Versailles ».

Catherine réclame sa part de château. Elle gagne un petit lopin de terre divisé en carré, comme à Versailles, à la Le Nôtre. À elle d’y faire pousser ce qu’elle veut. Des campanules, des acanthes, des benoîtes écarlates, des rhodantes, des clarkias… ? Pourquoi pas un parterre à la Zola, le fameux paradou de La Faute de l’abbé Mouret. « Tu crois que Zola a mis de l’engrais? », demande-t-elle à sa mère.

Peu à peu, à grand coup de boutures et de littérature, le paradis prend forme. Mais pendant ce temps, tout autour, c’est l’enfer qui se dessine ! Les arbres disparaissent, les lotissements grignotent l’espace, les agriculteurs carburent au roundup, les lignes à haute tension poussent comme des champignons, les forêts de panneaux publicitaires barrent l’horizon…

Le Louvre comme refuge

La famille de Catherine a envie de voyager. Mais pas de quitter le paradis pour l’enfer. C’est une nouvelle fois la littérature et plus précisément Marcel Proust qui indique la bonne direction : le Louvre. C’est là que Catherine découvre le beau, c’est là aussi que naît sa vocation pour le dessin. « En arrivant au Louvre, j’ai eu l’impression que j’arrivais dans une seconde maison… », confie-t-elle sur France Culture, « J’étais attirée par les peintures qui représentaient de la verdure, des prés, des arbres, tout ce que j’avais autour de moi mais il fallait que je vois ça à travers les yeux des artistes ». Lorsqu’elle retrouve son jardin, c’est dorénavant pour le dessiner, le peindre.

Après La Légèreté, qui s’apparentait à « un cheminement, une tentative de refaire surface » , un retour à la vie après l’attentat de Charlie auquel elle a miraculeusement échappé, Catherine Meurisse nous raconte dans ce nouvel album d’où elle vient, ce qui l’a nourri dans sa jeunesse, la nature bien sûr mais aussi la littérature et la peinture avec pour horizon commun la liberté, la beauté et les grands espaces, réels ou imaginaires. Une chronique de l’enfance tendre, poétique érudite et pleine d’humour emmenée par un trait au crayon sensuel. Pour voir le monde autrement !

Eric Guillaud

Les Grands espaces, de Catherine Meurisse. Dargaud. 19,99€

L’Info en + Catherine Meurisse sera en dédicace à Nantes, à la librairie Les Bien-Aimés, le samedi 10 novembre

© Dargaud/Meurisse

02 Nov

Il est l’un des dessinateurs de Spawn, rencontre avec Brian Haberlin à l’occasion de la sortie du tome 16 de la saga en France

À la base, nous voulions profiter de la dernière édition française du Comic Con qui s’est tenue à Paris fin octobre pour parler avec Brian Haberlin de son travail sur Spawn. Le tome 16 des aventures de la créature horrifique de Todd McFarlane Révélations ayant été enfin traduit en français au début de l’année, l’occasion était trop belle. Sauf que cet Américain n’est pas du genre à tenir en place deux secondes, ce qui explique aussi qu’en vingt-cinq ans de carrière dans le milieu des comics il a occupé tous les postes imaginables : scénariste, dessinateur, coloriste, producteur et on en passe.

© Tous droits réservés

Donc bien qu’il parle avec plaisir du passé avec son interlocuteur (Monsieur est un professionnel, ne l’oublions pas), Brian pense, déjà, au futur. Et en deux temps trois mouvements, après avoir dégainé sa tablette et avant même qu’on ait posé la moindre question, il est déjà debout et exulte comme un gamin devant sa dernière trouvaille en montrant en avant-première sa prochaine production pour enfants qui devrait sortir en avril prochain aux États-Unis.

Une œuvre ultra-connectée qui ne se contente pas d’être simplement lue mais qui permet d’interagir avec elle et d’offrir bien plus, allant des secrets de fabrication à de véritables jeux…

En même temps, c’est cette vision, littéralement, en trois dimensions qui lui a ouvert les portes alors très fermées de ce petit milieu après plusieurs tentatives infructueuses. Pourtant, ce passionné de longue date aurait pu démarrer sa carrière dès l’âge de dix-huit ans après que le mastodonte Marvel lui ait proposé un poste de coloriste. Mais de son propre aveu, l’obligation de déménager à New-York, alors qu’il reste ancré sur la côte ouest, et « le salaire ridicule qu’ils m’ont alors proposé ont pas mal refroidi mon ardeur. J’ai préféré aller à l’université à la place pour y étudier la production et le story-boarding ».

Des études qui au milieu des années 80 lui ont permis de commencer à travailler à la télévision, « sans que jamais le virus des comics ne me lâche, jamais ». À ses heures perdues, il continue de dessiner tout en se passionnant pour l’ébauche en 3D alors naissante et se rend régulièrement à des conventions pour essayer de se vendre, sans succès.

Le déclic se produit finalement en 1993 lorsqu’un ami lui propose de partager sa table au Comic Con à San Diego. « J’ai alors décidé de faire les choses en grand ! J’avais notamment modélisé en trois dimensions une représentation de Green Lantern avec un gigantesque panneau. J’avais aussi installé des écrans télé qui diffusaient en boucle une animation aussi en 3D de Spawn en mouvement… Et là, d’un seul coup, tous les gens qui avaient jusqu’à maintenant refusé ne serait-ce que de me recevoir se sont intéressés à ce que je faisais».

À partir de là, les choses vont assez vite : il devient le coloriste que l’on s’arrache grâce à sa connaissance des nouveaux outils informatiques et crée son propre studio. Il croise assez rapidement la route de Todd McFarlane qui, impressionné par son travail sur le personnage de Witchblade, lui propose de bosser sur lui, offre qu’il refuse « plusieurs fois » avant de finalement l’accepter en 2006. En plus de devenir le rédacteur-en-chef de la série, il se charge aussi de sa colorisation avant d’en devenir le dessinateur attitré en 2008, donnant à la série une impulsion très différente, moins cartoonesque et encore plus horrifique.

© Delcourt / McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke, Noora

À l’écouter, tout ceci est la faute en quelque sorte du scénariste attitré de la série David Hine, présent aussi au Comic Con et qui viendra d’ailleurs lui dire au revoir pendant notre entrevue. Il faut dire que le britannique était déjà allé assez loin : dans les épisodes réunis en France dans le tome 15 (sorti en 2017) au titre révélateur Armageddon, il proposait rien de moins que la bataille finale tant attendue entre le Bien et le Mal, aboutissant à la destruction de notre monde (tout en douceur, on vous l’a dit !) avant de le voir récréé de toutes pièces par Spawn, devenu démiurge suprême.

« David voulait aller jusqu’au bout, être extravagant pour faire mieux table rase du passé. Ce reboot (technique très en vogue dans le comics qui permet de reprendre les choses à zéro sur de nouvelles bases) nous a permis de donner naissance à une nouvelle version de Spawn, plus terre-à-terre mais aussi encore plus sombre. David lisait beaucoup de manga japonais d’horreur à ce moment-là et avait été assez marqué par leur approche plus adulte mais encore plus dérangeante».

Une influence surtout ressentie dans le premier des douze épisodes que l’on retrouve aujourd’hui dans Révélations, récit tournant d’un immeuble ‘maudit’ où ses habitants sont tous affectés d’une façon particulièrement traumatisantes pour le lecteur…

© Delcourt / McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke, Noora

Haberlin quitte la série après deux années, tout simplement parce qu’il était titillé comme il l’avoue aujourd’hui d’être à nouveau « en charge de mes propres créations et pas de celles des autres », et ce même si ses relations avec McFarlane n’en n’ont pas souffert. D’ailleurs, en partant, il nous laisse un exemplaire du crossover Witchblade/Spawn qu’il a réalisé et qui vient de sortir aux Etats-Unis, tout en nous donnant rendez-vous en 2019 avec, entre autres, une adaptation visiblement très rétro-futuriste du Phare du Bout du Monde de Jules Verne. On vous avait bien dit que ce type là ne s’arrêtait jamais…

Olivier Badin

Spawn Tome 16 : Révélations, de McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke et Noora. Delcourt, 27,95€

30 Oct

Les Mauvaises herbes : le témoignage poignant d’une esclave sexuelle de l’armée japonaise recueilli par Keum Suk Gendry-Kim

Oksun ne rêve que d’une chose : aller à l’école. Comme son petit frère. Mais la jeune Coréenne n’ira jamais. Pire encore, à 16 ans, elle sera vendue par ses parents à une famille de restaurateurs comme bonne à tout faire. C’est le début d’une descente aux enfers qui la conduira jusqu’en Chine où elle deviendra une « femme de réconfort » pour les soldats japonais…

Si le terme « femmes de réconfort » est encore aujourd’hui d’usage au sein de certaines organisations gouvernementales et associations sud-coréennes, « esclaves sexuelles » serait pourtant plus adapté à la situation et le plus répandu sur le plan international. L’auteure Keum Suk Gendry-Kim utilise quant à elle une très jolie métaphore pour les désigner, les mauvaises herbes, car, comme l’explique en postface l’historienne Sun Myungsuk, « tout comme elles, elles se redressent après que le vent les a fait plier ou malgré le fait qu’on les a piétinées ».

200 000. Elles furent environ 200 000 femmes, des Coréennes bien sûr, mais aussi des Taïwanaises, des Indonésiennes…, à s’être retrouvées esclaves sexuelles de l’armée japonaise dans les années 30 et 40, pendant la guerre sino-japonaise. Oksun Lee est l’une d’entre elles, une « mauvaise herbe » parmi tant d’autres.

Son histoire commence dans les années 30 du côté de Busan. Très jeune, Oksun aide ses parents. Son frère a la chance d’aller à l’école, elle, elle n’ira pas. La misère impose des choix ! Comme celui de la vendre un peu plus tard à un couple de restaurateurs, avec la promesse qu’elle aura à manger et peut-être même accédera à son rêve: l’école. Mais là non plus elle n’ira pas. Elle servira tout simplement de bonne à tout faire avant d’être à nouveau vendue pour travailler dans un bistrot. Mais durant l’été 1942, Oksun est enlevée et emmenée en Chine pour devenir une esclave sexuelle de l’armée japonaise.

Avec beaucoup de pudeur, les scènes violentes sont intelligemment suggérées, Keum Suk Gendry-Kim raconte les années d’horreur vécues par Oksun Lee. La mauvaise herbe s’est pliée, a été piétinée, mais a survécu et témoigne aujourd’hui de son tragique parcours. Et l’intérêt du livre de Keum Suk Gendry-Kim est de ne pas s’arrêter à cette période d’esclavage. Le témoignage d’Oksun va bien au-delà, relatant sa vie après, son mariage, et surtout son retour en Corée du Sud plus de 60 ans après, espérant retrouver ses proches et enfin le bonheur. Ce ne sera pas vraiment le cas ! Un récit très fort, parfois très noir mais aussi, parfois, éclairé à le lueur de l’espoir.

Eric Guillaud

Les Mauvaises herbes, de Keum Suk Gendry-Kim. Delcourt. 29,95€

Providence : quand Alan Moore fait du Alan Moore et réécrit Lovecraft

Le créateur des Watchmen s’attaque à Cthulhu, les Yuggoth et tous les bestioles verdâtres et baveuses sorties de l’imagination de l’un des maîtres de la littérature fantastique de la première moitié du XXème siècle, Howard Philips Lovecraft. Et le résultat est à l’image du bonhomme : très personnel, très fouillé, parfois génial, parfois bien trop bavard mais jamais commun.

 

Alan Moore est un ogre. L’un des rares scénaristes de BD moderne ‘star’ dont tout le monde connaît au moins l’oeuvre majeure – Watchmen pour ne pas la nommer – même s’il ne l’a pas lu. Son physique d’ermite (ou d’homme des cavernes, au choix) très particulier, son égo disons gentiment quelque peu surdimensionné mais aussi et surtout son écriture ultra-dense et tortueuse lui ont donné cette image de personnage XXXL qu’il entretient savamment. D’ailleurs, histoire de ne surtout pas se méprendre sur ce pavé réunissant pour la première fois en français les douze volumes de la série Providence publiée initialement en 2010, c’est bien écrit en gros sur le revers : ‘la réinterprétation du monde Lovecraft par Alan Moore’. Même pas un mot sur le dessinateur Jacen Burrows, pratiquement relégué au rang de simple exécutant et que l’on sent d’ailleurs tout le long du récit comme presque figé, écrasé même pourrait-on dire, par son imposant patron…

© Panini Comics / Alan Moore & Jacen Burrows

Car il ne faut pas se tromper : ici, Alan Moore fait du Alan Moore. C’est-à-dire qu’il se réapproprie à sa façon l’univers de l’auteur fantastique, bien connu notamment des fans de jeux de rôles Howard Philips Lovecraft (1890-1937). Le titre fait d’ailleurs référence à la ville de naissance de Lovecraft… Ici, Moore s’est transformé en démiurge, refaçonnant le mythe de Cthulhu qui est au centre du travail de Lovecraft tout en y glissant ses obsessions personnelles, à commencer par cette idée récurrente dans son corpus que l’on n’est jamais mettre de son destin mais juste le pion de forces qui nous dépassent mais qui finissent toujours par amener là où elles veulent.

Si le tout commence presque de façon assez classique à travers la quête de Robert Black, jeune journaliste juif new-yorkais et homosexuel sur les vieilles croyances de la Nouvelle-Angleterre dans les années 20, très rapidement Moore s’amuse à déconstruire le récit comme pour mieux perdre le lecteur dans des dédales où, de toutes façons, tout est plus suggéré que montré. En ça, le scénariste est resté fidèle à l’esprit de Lovecraft, personnage d’ailleurs à part entière du récit dans sa seconde moitié !

© Panini Comics / Alan Moore & Jacen Burrows

Mais l’abondance de mots, sans parler de ses nombreuses insertions de textes pures censées être tirées du journal intime de Black et de digressions quasi-philosophiques rend le tout particulièrement ardu. Cela transforme ce que peut-être certains attendaient avant tout comme un ‘simple’ hommage (pas le genre de la maison, pourtant) en une sorte de réflexion métaphysique et très cosmique sur le monde du réel, celui des rêves et une autre dimension voisine de la nôtre attendant son heure pour dévorer notre monde. Les fans de la série TV Stranger Things apprécieront peut-être d’ailleurs la thématique mais ce côté hermétique en font un monstre exigeant qui est sûrement la marque des grandes œuvres mais qui, aussi, risque d’en laisser pas mal sur le palier de cet univers grandiloquent. Mais en même temps, n’est-ce pas le cas de tous les livres d’Alan Moore ?

Olivier Badin

Providence – L’Intégrale, Alan Moore & Jacen Burrows, Panini Comics, 36,95€

Utopiales 2018. Rencontre avec les auteurs de la nouvelle série de science-fiction Renaissance

Ils ont été nourris à la science-fiction dès le plus jeune âge et ça se sent. Les Rouennais Fred Duval, Emem et le Nantais Fred Blanchard débarquent aux Utopiales, le festival international de science-fiction de Nantes, avec une nouvelle série sous le bras et plein d’aliens dans la poche…

Plein d’aliens dans la poche. Et gentils comme des Bisounours ou presque. Impossible ? Dans la science-fiction, tout est possible, tous les futurs sont imaginables. Les auteurs de Renaissance, nouvelle série dont le premier volet vient de paraître aux éditions Dargaud, le mettent une nouvelle fois en évidence. Non seulement, les aliens sont ici des gentils mais ils ont décidé d’envahir la Terre pour le bien de l’humanité, le bien des hommes et des femmes qui l’habitent mais n’ont pratiquement rien fait jusque-là pour la sauvegarder et protéger ses ressources naturelles.

La suite ici

27 Oct

Artbook Chabouté : bricoles, gribouillis, fonds de tiroirs… et autres trésors graphiques

Des bricoles, des gribouillis, des fonds de tiroirs… un artbook fait de petits riens en somme, des petits rien qui ont pourtant tout du grand génie. Considéré comme l’un des maîtres du noir et blanc en France, Christophe Chabouté nous ouvre ici les coulisses de son imaginaire avec une très belle compilation de croquis, recherches graphiques, illustrations de couvertures et autres pièces d’expositions…

Quand il dessine des musiciens, on entendrait presque des notes de musique. Lorsqu’il dessine New York, on pourrait penser qu’il y a vécu toute sa vie. Et lorsqu’il met en scène des trois-mâts dans une mer déchaînée, on n’imaginerait pas un moment que l’homme n’a jamais mis les pieds sur un bateau. C’est tout le talent d’un raconteur comme Christophe Chabouté.

« Mon métier n’est pas de vendre des bouquins, mon métier est de raconter des histoires du mieux que je peux, d’embarquer des gens dans l’univers que je dessine, de leur donner envie de tourner les pages du livre qu’ils sont en train de lire et de préférence avec enthousiasme, curiosité et plaisir… ».

Par ces mots recueillis en 2014, à l’occasion d’une interview pour ce même blogChabouté nous expliquait son approche du métier. Modeste, discret, Alsacien d’origine, Oléronais d’adoption, l’auteur de Moby Dick, Un Peu de bois et d’acier, Tout seul ou encore de Terre-Neuvas, fait partie de la cour des grands, de ceux qui sont capables de nous faire voyager d’un seul coup de crayon.

L’artbook publié par les éditions Vents d’ouest en collaboration avec la galerie Huberty & Breyne en apporte une confirmation éclatante. 250 pages, des centaines d’illustrations, autant de trésors graphiques que certains d’entre vous ont peut-être aperçu sur le compte Facebook de l’auteur où il en poste très régulièrement. Un très très beau livre, indispensable pour tous les inconditionnels de l’auteur mais pas que….

Eric Guillaud

Artbook Chabouté, Vents d’Ouest. 39€ (en librairie le 31 octobre)

26 Oct

L’Aimant, Le roman graphique de Lucas Harari en compétition pour le prix Utopiales BD 2018

Ce n’est pas ce qu’on appelle une nouveauté, L’Aimant a paru en août 2017, il y a donc un peu plus d’un an. Alors pourquoi en parler ici et maintenant ? Tout simplement parce que l’album est en lice pour le Prix Utopiales BD 2018. L’occasion de se plonger ou replonger dans cette histoire singulière et marquante…

Une histoire singulière et plus largement un livre singulier. L’Aimant s’offre d’abord au regard, 150 pages en trichromie, un dos toilé rouge, une très belle illustration de couverture à l’atmosphère envoûtante et un titre magnétique. L’Aimant est un bel objet, le genre de livre qu’on aime laisser traîner de façon à pouvoir régulièrement jeter un oeil bienveillant dessus.

Et puis il y a l’histoire, construite autour d’une fascination, celle d’un jeune étudiant en architecture pour les – véridiques – thermes de Vals, érigées au coeur de la montagne suisse par l’architecte Peter Zumthor entre 1993 et 1996.

Pierre, le jeune étudiant en question, en avait fait son sujet de mémoire avant de faire une bouffée délirante et de perdre toutes ses recherches. Renouant avec ses études, Pierre décide de se rendre sur place et de percer le mystère de ce bâtiment. Car il en est persuadé, au-delà de leur intérêt architectural, les thermes de Vals renferment un secret, une porte dérobée…

Nourri dès sa plus tendre jeunesse à l’architecture grâce à des parents qui transformaient les moindres vacances en pèlerinages architecturaux, Lucas Harari a été immédiatement fasciné par ces thermes et « submergé par l’atmosphère », comme il le reconnait aujourd’hui dans une interview accordée à France Inter.

À l’esthétisme impeccable et un peu froid du bâtiment de Zumthor, Lucas Harari répond par un graphisme épuré tendance ligne claire troisième génération, héritée de Hergé, Chaland ou Ted Benoît. Certains y verront aussi une touche de Joost Swarte ou du Chris Ware dans l’aspect minutieux des planches, aussi minutieux que le travail de Peter Zumthor.

Plus proche du thriller que de la science-fiction, c’est sans doute sa petite touche fantastique qui lui permet aujourd’hui de se retrouver en lice pour le Prix BD 2018 du Festival international de la science-fiction de Nantes, aux côtés des albums All-Life, Essence, Contes ordinaires d’une société résignée, Ces Jours qui disparaissent et L’Homme gribouillé.

Eric Guillaud

L’Aimant, de Lucas Harari. Sarbacane. 25€

25 Oct

Petit Paul, Porn Story, Pour la peau : du sexe rien que du sexe

Attention, ces bandes dessinées-là s’adressent à un public averti, très averti. On n’y parle pas de voyage interplanétaire, d’ingénieur fou ou de crise de la trentaine mais de sexe, tout simplement de sexe…

Dans la bande dessinée érotique ou pornographique, il y a bien sûr les spécialistes, des gens comme Georges Pichard ou Guido Crepax, qui ont fait les beaux jours du genre. Il y a aussi les autres, assez nombreux finalement, classés dans la catégorie des auteurs classiques, qui s’y essaient le temps d’un album ou plus si affinité. C’est le cas de Bastien Vivès, auteur des honorables Polina, Le Chemisier ou encore Le Goût du chlore, qui a publié en septembre dans la collection Porn’Pop des éditions Glénat un livre intitulé Petit Paul contant l’histoire d’un gamin vivant à la campagne  avec son père et sa soeur Magali. Seule différence avec les autres gamins de son âge, Petit Paul a un sexe énorme qui affole la gente féminine au point de déclencher de violentes pulsions et de se faire violer. Bon, même si Bastien Vivès ne justifie aucunement ici la pédophilie, reste que ce livre est assez troublant, voire lourdement incommodant et ne peut trouver à mon sens sa seule justification dans la provocation. De leur côté, les cercles puritains n’ont pas manqué de réagir en lançant une pétition pour interdire le livre. Les enseignes Gibert et Cultura l’auraient retiré des rayons (Petit Paul, de Vivès. Glénat. 12,90€)

Beaucoup plus soft, bien que pornographique, Pour la peau de Sandrine Saint-Marc et Deloupy raconte une histoire plus classique, celle d’un jeune couple adultérin lancé dans une sulfureuse relation. Elle, c’est Mathilde, mariée sans enfant. Lui, c’est Gabriel, marié et papa. Tous les deux se sont rencontrés dans une fête. Depuis, ils se retrouvent une fois par semaine dans le bureau de Gabriel pour quelques minutes de plaisir partagé. Ils ne se voient jamais à l’extérieur, ne s’envoient jamais de SMS ou de mail et ne s’appellent pas. Bien sûr, au bout d’un moment, les pulsions sexuelles laissent un peu plus de place aux sentiments… (Pour la peau, de Saint-Marc et Deloupy. Delcourt. 17,50€)

On termine avec l’Allemand Ralf König et son livre Porn Story qui est à mes yeux le plus intéressant et finalement le moins pornographique des trois, même s’il en raconte l’histoire, tant au niveau de la technologie que des mentalités. Sous les yeux de son personnage Eberhard, et des nôtres, il fait défiler plusieurs décennies de porno, depuis les bobines super 8 jusqu’aux sites de streaming actuels. L’avantage avec Ralf König, c’est qu’on a une distance avec tout ça grâce à son sens de l’humour. Le sexe, ça peut être drôle aussi ! (Porn Story, de Ralf König. Glénat. 25€)

Eric Guillaud

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