22 Juil

Pages d’été. Family Tree : un récit sur la famille entre thriller paranoïaque et fable écologique

Comment réagir en tant que famille face à l’adversité et la maladie dans un monde sur le point d’imploser ? Après Little Monsters, le scénariste Jeff Lemire questionne une nouvelle fois les liens familiaux avec, en fond de toile, la société américaine de la fin des années 90 et sa dépression ambiante.

Un ‘family tree’, cela veut dire avant tout dans la langue de Shakespeare ‘arbre généalogique’. Cette expression fait donc référence à nos racines : d’où venons-nous ? Qui sont nos ancêtres ? Que nous ont-ils transmis comme patrimoine génétique et autre ? Une thématique nous amenant très rapidement à la notion de famille, de nos liens nous unissant à nos parents mais aussi, plus globalement, à la société dans laquelle tout cela s’inscrit.

Le rapport avec ce graphic novel, signé par le très côté Jeff Lemire, dont on vous vantait déjà les mérites il n’y a pas si longtemps avec le premier tome 1 glaçant de la série Little Monsters aux thèmes assez proches ? Et bien même si ce récit nerveux est avant tout un road trip ancré dans une ambiance post-apocalyptique et violente, c’est avant tout l’histoire d’une famille. Complètement dysfonctionnelle, monoparentale, avec un père ayant officiellement déserté les siens, un adolescent en échec scolaire et un grand-père réapparaissant soudainement… Mais une famille quand même.

© Panini Graphic Novels / Lemire et Hester

Tous se retrouvent lorsque la petite dernière, Megan se retrouve soudainement atteinte par une maladie la transformant peu à peu en arbre. Difficile de comprendre ce qui lui arrive, surtout lorsque les membres d’une secte obscure, armés jusqu’aux dents, tentent à tout prix de lui faire peau, persuadés qu’elle provoquera la fin du monde si elle survit. Une seule solution : courir, toujours et encore. Et essayer de tendre l’oreille pour entendre le père de la petite fille, mort mais pas vraiment car vivant par l’intermédiaire d’une main-arbre greffée sur le bras du grand-père…

© Panini Graphic Novels / Lemire et Hester

Bien sûr, présenté comme ça, cela ressemble un peu à un grand n’importe quoi. Mais en fait non, malgré de nombreux allers-retours chronologiques dans sa seconde partie et des hommes-arbres ressemblant beaucoup trop aux Ents, ces créatures sorties de l’imagination de Tolkien pour Le Seigneur Des Anneaux. Au bout du récit, il n’est pas évident non plus de savoir exactement quel est le propos de Lemire : thriller paranoïaque ? Fable écologique ? Récit sur la famille ? Un peu de tout ça en fait. Mais aussi complexes soient-ils, les rapports humains sont forts ici. Et les personnages ont chacun le temps de se développer à leur rythme, d’affronter leurs propres démons et donc de devenir attachants, notamment grâce au trait fin de Phil Hester mais aussi à l’écriture de Lemire. 

Olivier Badin

Family Tree de Jeff Lemire et Phil Hester. Panini Graphic Novels. 32

21 Juil

Pages d’été. Marée blanche : une histoire stupéfiante sur toute la ligne

Qui n’a jamais rêvé de tomber sur un trésor, le genre de trésor qui peut vous changer la vie pour l’éternité et au-delà ? C’est précisément l’aventure arrivée à Théo, Laurent, Paul et Jordan, quatre marins pêcheurs de l’Ile d’Yeu. Mais ce trésor-là va très vite se révéler encombrant…

Encombrant ? Très encombrant ! L’histoire commence au large de l’Ile d’Yeu sur un petit bateau de pêche baptisé Fargo. Théo, Laurent, Paul et Jordan sont partis comme tous les jours ou presque exercer leur métier de marins pêcheurs quand ils aperçoivent en pleine mer, flottant sur l’eau, une quarantaine de ballots qui se révèleront être autant de kilos de drogue. De la blanche !

« Ça représente un paquet de pognon tout ça… », se disent-ils, une fois les ballots remontés à bord. Un paquet de pognon et surtout un paquet d’emmerdes.

À vue de nez, 2 millions d’euros, pas moins, une petite fortune pour nos quatre lascars qui auraient mieux fait de remettre tout ça à l’eau. Mais que voulez-vous, la tentation est trop grande…

« Vous comprenez ? C’est pas notre métier qui nous fera rouler sur l’or, nous… avec les traites du bateau et de la maison à payer… »

Mais on ne s’improvise pas dealer, encore moins dealer en gros et les regrets risquent bien d’être éternels pour tous les membres de l’équipage…

Il suffit d’ouvrir un journal de temps en temps pour comprendre que les marées blanches, autrement dit les échouages de ballots de cocaïne sur nos côte, sont finalement assez régulières. Gaël Séjourné s’en est inspiré pour nous offrir un polar qui finit forcément pas très bien mais non dénué d’humour. C’est à la fois léger et un peu féroce, un scénario bien bâti, un dessin réaliste de bonne facture, des couleurs qui nous plongent sous le soleil vendéen. Bref, une bonne lecture pour la plage…

Eric Guillaud 

Marée blanche, de Gaël Séjourné. Delcourt. 15,95€

© Delcourt / Séjourné

10 Juil

Pages d’été. Red Room, le gore ultime jusqu’au malaise

La culture snuff movies, la violence gratuite et la fascination qu’elle exerce sur nous. Voici le terrain très sensible sur lequel Ed Piskor (Hip Hop Family Tree) ose s’aventurer ici, nous tendant un miroir révélant nos pires pensées, non sans une certaine complaisance…

Jusqu’au malaise. En plus de repousser un peu plus les limites de ce qui est acceptable ou pas dans le cadre d’une bande dessinée, l’auteur américain Ed Piskor joue avec son lecteur, tel le réalisateur controversé Gaspard Noé avec son très perturbant film Irréversible : est-ce que tu vas oser ? Oui, vas-tu aller jusqu’au bout de ce récit éprouvant ? Allez, avoue, n’es-tu pas un peu voyeur, et donc complice ? Ces questions-là, Red Room les balance d’une façon faussement négligente sur la table avant de nous regarder d’un air sardonique, nous défiant d’apporter une réponse…

Ces ‘chambres rouges’ évoquées dans le titre, ce sont ces salons virtuels, accessibles uniquement sur le dark web où, après avoir payé en bitcoins, des internautes peuvent assister et même commander à distance des séances de tortures… Voire plus. Mythe urbain ? Théâtre grand guignol où des acteurs ou actrices prétendent souffrir pour soutirer le maximum d‘argent à leurs cliente en recherche de sensations fortes ? Ou véritable zone de non-droit où les pires pulsions peuvent être assouvies ?

© Delcourt / Ed Piskor

Dans le récit de Piskor, ces antichambres de l’enfer existent bien. Pire, elles sont montées comme de véritables entreprises où seuls comptent les profits et comment satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante. Dans ce premier volume (sur trois prévus), on retrouve quatre histoires indépendantes et en même temps interconnectées. Quatre récits très perturbants, pas uniquement à cause de ce style graphique en noir et blanc rappelant autant Vince Locke que, bizarrement, une sorte de Robert Crumb réactualisé et où la violence est plus que stylisée, même sublimée.

© Delcourt / Ed Piskor

Non, le plus dur est d’accepter (ou pas) de s’en prendre plein la tronche. Pas étonnant d’ailleurs que le tout ait été carrément interdit dans plusieurs pays. Piskor ne prend aucune pincette, met la triple dose de gore et martyrise à l’extrême le corps humain, tout en plaçant ci et là des références à la culture horrifique avant tout cinématographique (Hostel, Saw, Massacre à la tronçonneuse etc.) comme si il lui fallait prouver malgré tout quelque chose. Autre élément du malaise : aucun personnage à sauver, ou presque. Tous sont vils, détestables, haineux et en même temps minables, jusqu’à la nausée.

© Delcourt / Ed Piskor

Red Room – Le Réseau Antisocial est une véritable épreuve. Et en même temps, rarement bande dessinée n’est allée aussi loin dans l’exploration de la partie la plus bestiale et la plus haineuse de la psyché humain. Mais il est dur, voire impossible, de savoir ici où s’arrête la dénonciation et où commence la complaisance gratuite et malsaine. Mais c’est probablement le but… Il faut donc choisir son camp lecteur, te voilà prévenu. Et attention à ne pas glisser sur les hectolitres de sang et les viscères qui tapissent le sol.

Olivier Badin

Red Room – Le Réseau Antisocial d’Ed Piskor. Delcourt. 23,95 €

Pages d’été. Monsieur Apothéoz ou la poisse de père en fils

Il n’y a pas de date de péremption pour les bons bouquins et celui-ci, sorti il y a un peu plus de six mois, en est assurément un. Pour leur première collaboration, Julien Frey et Dawid nous offrent une comédie savoureuse au casting bien senti. En route pour la poisse…

Théo Apothéoz est né sous une mauvaise étoile, du moins en est-il persuadé. Il faut dire que dans la famille, on s’est spécialisé dans la tragédie depuis plusieurs générations. Précisément, depuis que l’arrière-grand-père a décidé de quitter son île grecque d’Agormós pour la France.

Malchance, guigne, poisse… mais attention pas la poisse du quotidien, plutôt la poisse des grands jours.

© Vents d’Ouest – Frey & Dawid

« Tout ce que nous entreprenions se terminait par une magnifique catastrophe ». Alors, pourquoi s’évertuer à avoir des rêves, des projets ? Théo se laisse porter, vit de petits boulots, loge dans l’appartement de son père devenu alcoolique, pense un temps changer de nom pour conjurer le sort avant que la justice rejette sa demande et lui conseille d’aller de l’avant.

Aller de l’avant, c’est bien là le souci de Théo. Il en est incapable, comme paralysé. Et côté amour, c’est pire encore. Théo n’a pas été capable de déclarer sa flamme à celle qu’il aime depuis toujours, la belle Camille. Et de s’en mordre les doigts…

© Vents d’Ouest – Frey & Dawid

Et la vie passe ainsi jusqu’au jour où son père meurt brutalement. Pas le temps de sombrer dans le chagrin, l’appartement était en viager. Si l’acquéreur apprend le décès, Théo est à la rue. De quoi finir cette histoire en apothéose ? De quoi surtout le secouer un bon coup et secouer en même temps la poisse qui lui colle à la peau depuis sa plus tendre jeunesse…

Sorti en janvier de cette année, Monsieur Apothéoz est un délice de comédie sucrée-salée qui amuse mais surtout amène à réfléchir sur la vie, notre vie, entre réussites et échecs, espoirs et désillusions.

Eric Guillaud

Monsieur Apothéoz, de Julien Frey et Dawid. Vents d’Ouest. 19€

09 Juil

Pages d’été. Harry Dickson, la résurrection d’un héros

Même si ses aventures à l’anglaise peuvent avoir parfois un petit côté suranné, Harry Dickson a le charme discret de ces héros intemporels, indémodables. Doug Headline, Luana Vergari et Onofrio Catacchio ne s’y sont pas trompés en décidant de lui redonner vie dans une nouvelle adaptation en bande dessinée. Un premier album réussi…

Il a un nom qui sonne comme un promesse d’enquête policière trempée dans l’encre du fantastique, Harry Dickson, le personnage apparu dans une série policière néerlandaise au début du XXe siècle, repris et rendu célèbre par le romancier belge Jean Ray a connu plusieurs adaptations en BD, une première aux éditions Dargaud de 1986 à 2003 avec Christian Vanderhaeghe et Pascal Zanon aux manettes, une seconde chez Soleil Productions de 1992 à 2008 avec Richard D. Nolane et Olivier Roman, sans compter la série Dick Hérisson, dessinée et scénarisée par Didier Savard et présentée comme un hommage plus qu’une adaptation de l’œuvre de Jean Ray.

Cette nouvelle série inaugurée avec l’épisode Mysteras est donc la troisième véritable adaptation des nouvelles, Doug Headline, Luana Vergari et Onofrio Catacchio réunissant avec bonheur tous les ingrédients qui ont fait la renommée de l’œuvre, à savoir du crime, de l’énigme et une bonne dose de fantastique, avec en bonus une mise en images sublime, élégante, proche de la ligne claire, et une palette de couleurs rétro qui contribue largement à l’atmosphère diabolique du récit. Certains penseront aux aventures de Blake et Mortimer, d’autres à celles de Fantomas mais Harry Dickson gagne ici ses propres galons et n’a franchement pas à souffrir de la comparaison.

Enfin, signe d’une attention toute particulière de la part de l’éditeur, l’album présente un magnifique dos rond à l’ancienne et un grand format idéal pour se plonger dans l’histoire et apprécier notamment le travail des auteurs sur les décors, notamment sur cette étrange tour où tout commence…

Eric Guillaud

Mysteras, Harry Dickson tome 1, de Doug Headline, Luana Vergara et Onofrio Catacchio. Dupuis. 15,95€

© Dupuis / Doug Headline, Luana Vergara & Onofrio Catacchio

Little Monsters : Sa Majesté des Mouches revisité dans un monde post-apocalyptique

Dans un décor de fin du monde, des enfants tentent de survivre tout en découvrant leur vraie nature… et le prix qu’ils vont devoir payer pour l’accepter complètement. Malgré un cadre a priori vu et revu, le scénariste Jeff Lemire réussit à imposer sa patte avec un récit à la fois minimaliste et mystique.

Un monde en ruine, ravagé par on ne sait quelle catastrophe et aujourd’hui peuplé uniquement de fantômes. Des enfants laissés pour compte, se débrouillant comme ils peuvent. Un noir et blanc classieux, où les seules traces de couleur sont rouges, rouges comme le sang des rares survivants de ce monde post-apocalyptique lorsqu’ils se font dévorer par ces enfants faussement innocents dormant le jour et vivant la nuit. Des vampires. Tous n’acceptent pas forcément leur destin mais tous attendent le retour de l’Ancien, qui a promis de revenir les chercher. Jusqu’au jour où l’un d’eux goûte, enfin, au sang humain…   

© Urban Comics / Jeff Lemire & Dustin Nguyen

Ces images-là, on les connaît. La désolation régnant partout et les vestiges d’un monde qui a vécu où des auteurs s’amusent à pervertir l’image de l’innocence même, des enfants, pour plus nous plonger dans l’horreur. De Sa Majesté Des Mouches publié en 1954 à certains personnages de la série The Walking Dead, le procédé est connu. Sauf qu’aux manettes de ce premier volume, on retrouve le dessinateur Dustin Nguyen et surtout le scénariste Jeff Lemire, soit le duo déjà derrière le très réussi pavé de SF Descender.

© Urban Comics / Jeff Lemire & Dustin Nguyen

Bien sûr, comme premier volet d’une série, celui-ci sert avant tout d’introduction, permettant de poser un à un les personnages et les décors. Mais il fait sans jamais se presser. Or même si on voit assez arriver le twist attendu autour de la vraie nature des personnages, toute la force de Lemire est de prendre son temps pour humaniser ces ‘petits monstres’, d’où le titre.

© Urban Comics / Jeff Lemire & Dustin Nguyen

À travers divers flashbacks et des présentations individuelles, on ne voit plus forcément ici des buveurs de sang mais des enfants abandonnés dans un monde hostile et gris, recherchant à tout prix une nouvelle famille mais aussi leur place. Le tout donne un récit mélancolique, aussi bien sur le plan graphique que scénaristique. L’atmosphère y est crépusculaire et hivernale, traversée par des flashs de violence froide saisissants. Et malgré une fin trop abrupte (le second volume est attendu pour la rentrée), Little Monsters réussi l’exploit de mélanger vigoureusement deux univers, post-apocalyptique et vampirique, tout en les dépoussiérant au passage.

Olivier Badin

Little Monsters, tome 1 de Jeff Lemire et Dustin Nguyen. Urban Comics. 10 €.

03 Juil

Ne Lâche pas ma main : Fred Duval et Didier Cassegrain adaptent une nouvelle fois un roman de Michel Bussi

Après Nymphéas noirs, le scénariste Fred Duval et le dessinateur Didier Cassegrain signent une nouvelle adaptation de Michel Bussi, Ne Lâche pas ma main, un thriller étourdissant qui prend corps dans l’éblouissant décor de l’île de la Réunion…

C’est l’un des écrivains les plus vendus en France et un amoureux du neuvième art. Deux bonnes raisons s’il en fallait pour que son oeuvre dépasse le rayon romans de votre librairie et se retrouve dans celui consacré aux bandes dessinées.

Deux bonnes raisons et surtout deux bons auteurs ! Fred Duval et Didier Cassegrain, le premier scénariste et le second dessinateur, déjà en tandem sur une série de science-fiction dérivée des aventures de Carmen Mc Callum.

En 2019, leurs noms côtoient déjà celui de Michel Bussi sur la couverture d’une bande dessinée, il s’agit de l’adaptation de Nymphéas noirs. Un carton !

© Dupuis / Bussi, Duval & Cassegrain

Quelques dizaines de milliers d’exemplaire plus tard, les deux hommes récidivent avec Ne lâche pas ma main, un thriller des plus machiavéliques qui nous embarque pour une destination finalement assez peu usitée en fiction, l’île de La Réunion, avec ses plages, ses hôtels de luxe, ses fonds marins translucides, ses requins et ses policiers. Car oui, même si l’endroit a tout d’un paradis, il n’y a pas que des anges à le fréquenter.

© Dupuis / Bussi, Duval & Cassegrain

Je ne vous ferai pas le coup de vous dire que le travail d’adaptation est remarquable puisque je n’ai pas lu le roman mais d’une part, j’imagine que Michel Bussi était là pour veiller au grain, d’autre part, tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la bande dessinée connaissent le talent du scénariste Fred Duval, et savent combien on peut lui faire confiance pour nous embarquer dans une histoire sans qu’on ait besoin de plonger son nez dans wikipedia à toutes les cases.

© Dupuis / Bussi, Duval & Cassegrain

Ne lâche pas ma main se lit donc sans références et sans lecture préalable du roman et c’est bien ce qu’on lui demande avec en bonus la mise en images et en couleurs tout en douceur de Didier Cassegrain bien loin pourtant de ce qui pourrait être sa zone de confort, à savoir la science-fiction ou l’heroic Fantasy.

Et l’histoire ? La disparition d’une femme, un coupable idéal, une gamine déguisée en gamin, une capitaine de la police au fort tempérament, un adjoint pas franchement dans la norme et un meurtrier qui… Mais ça vous le saurez en lisant la BD.

Eric Guillaud

Ne Lâche pas ma main, de Bussi, Duval et Cassegrain. Dupuis. 29,95€

02 Juil

BD jeunesse. Dix nouveautés à découvrir pendant les vacances

De l’action, de l’humour, du merveilleux, de l’animalier… il y en a pour tous les goûts dans cette sélection forcément subjective mais totalement assumée.

On commence par un grand classique, que dis-je un chef-d’œuvre de la littérature française, Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, revisité en bande dessinée par Rodolphe et Patrice le Sourd. Ces deux mêmes auteurs ont précédemment adapté avec succès La Ferme des Animaux, ce qui explique peut-être leur choix de poursuivre ici dans la veine animalière avec des lapins, des gros lapins, en guise de personnages. Le trait de Patrice le Sourd est magique et nous aspire littéralement dans le récit parfaitement cadré par le travaille de scénariste de Rodolphe. Un délice prévu en deux volumes. Direction Hambourg où le professeur Lidenbrock s’apprête à partir pour un voyage extraordinaire… (Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne par Rodolphe et Le Sourd. Delcourt. 11,50€)

La situation est critique mais pas désespérée ! Anne, notre bonne Anne, va se sortir du mauvais pas dans lequel elle apparait sur la couverture. Et non seulement, elle va se sortir de ce mauvais pas mais elle va continuer à faire de superbes tartes aux pommes pour tous les habitants du royaume. Et même se trouver un prince charmant. Enfin, le temps d’une page… Après pratiquement 10 ans d’absence, le bon roi Serge, sa femme, acariâtre et médisante, ses fils complètement laids, sa fille Cécile qui monopolise la salle de bain, et la douce Anne, sont de retour pour de nouvelles aventures toujours sous la plume et le pinceau de Benoit Feroumont. Un septième tome rempli d’histoires plus ou moins courtes mais drôles dans tous les cas, publiées initialement dans le journal Spirou. (Le Royaume, tome 7, La Meilleure pâtissière, de Benoit Feroumont. Dupuis. 12,50€)

Vous connaissez l’achluophobie ? Derrière ce mot barbare se cache une réalité assez répandue, surtout chez les jeunes enfants : la peur de l’obscurité. C’est ce dont souffre Armelle, une tortue. À la nuit tombée, elle allume un feu, puis une bougie, tentant de rester éveillée. Et le jour ? Ce n’est pas mieux. Au moindre danger, Armelle ne peut même pas se réfugier dans sa carapace : il y fait affreusement noir. Armelle est désespérée jusqu’au jour où elle croise le chemin de Mirko, un insecte qui pourrait bien lui changer la vie… Une histoire d’une tendresse infinie signée par les scénaristes Anne Montel et Loïc Clément  dont on a déjà pu mesurer tout le talent dans leurs albums précédents (Chaussette, Les Jours sucrés, Le temps des Mitaines…)  et le non moins talentueux Julien Arnal transfuge du cinéma d’animation et de l’illustration. Tendre ! (Armelle et Mirko, de Anne Montel, Loïc Clément et Julien Arnal. Delcourt. 15,95€)

Tête de chips, tas de lardon, têtard à hublots, tas de moules… Brume a un certain don pour distribuer des noms d’oiseaux, et un autre pour la sorcellerie. Enfin ça, c’est ce qu’elle croit ! Elle a même acheté un chaudron magique pour préparer ses mixtures et ouvert une échoppe de sorcellerie. Mais les clients se font rares. Jusqu’au jour où le dragon local se réveille, enveloppe la région d’une opaque fumée nauséabonde. Un boulot pour notre sorcière bienaimée… Issue du monde du jeu vidéo pour l’un et de l’illustration jeunesse pour l’autre, Jérôme Pelissier et Carine Hinder signent ici une bande dessinée franchement attendrissante et humoristique, inspirée par leur propre vie dans le Morbihan. Le couple vit en effet à Rochefort-en-Terre où vécut la dernière sorcière de France. Magnifique ! (Brume tome 1, Le Réveil du dragon, de Carine Hinder et Jérôme Pelissier. Glénat. 12,50€)

On connaissait Le Roi lion, voici Le Roi louve et non Le Roi loup, puisque cette histoire, signée Alibert et Lapière au scénario, Adrián au dessin, nous embarque pour un monde où les insectes géants ont remplacé la plupart des autres formes de vie, où les femmes ovipares ont définitivement soumis les hommes et où les loups, qui se sont civilisés, changent de sexe à chaque Lune avant d’opter pour l’un d’eux. Or, Petigré, l’un de ces loups ou l’une de ces louves, comme vous voulez, héritier du trône, a décidé de rester une fille contre l’avis de son père, le roi, qui lui veut un garçon pour lui succéder… De l’heroic fantasy revu, corrigé et non dénué de questionnements autour de la parité, du genre et de quelques autres sujets très actuels. (Le Roi louve tome 2, L’Envol de Trycia, d’Alibert, Lapière et Adrián. Dupuis. 14,50€)

Et si les animaux envahissaient notre quotidien. Ou plus exactement, s’ils retrouvaient la place qu’on leur a prise avec nos villes, nos autoroutes, nos aéroports. C’est un peu ce qui arrive dans cette nouvelle série dont le premier volume vient tout juste de paraître aux éditions Dupuis. Grand Louis, c’est son nom, c’est aussi le nom du personnage principal qui n’est autre que Louis de la Taille. Pour son premier album BD l’auteur nous offre un récit légèrement autobiographique mais profondément poétique, une chronique familiale parisienne troublée par le déferlement d’animaux sauvages obligeant la population à se confiner ou fuir à toutes jambes vers la campagne. Ça vous rappelle quelque chose ? Une histoire séduisante portée par un dessin simple et souple et une mise en page des plus fluides. À suivre… (Grand Louis, tome 1, Le Marcassin, de Louis de la Taille. Dupuis. 15,50€)

Deux héros, un frère et une sœur, Ziad et Louna, issus d’un milieu populaire et qui plus-est d’une famille issue elle-même de l’immigration ! C’est suffisamment rare en BD comme ailleurs pour le signaler d’entrée. Mais la thématique de cette nouvelle série dont les deux premiers volumes viennent d’être publiés simultanément chez Dupuis est toute autre. Le Métier le plus dangereux du monde, tel est son nom, est effectivement né d’une volonté des auteurs d’explorer le monde des super-héros avec un côté social, ceci expliquant cela, et un contexte ordinaire, banal. L’idée est simple : dans un monde légèrement futuriste avec des super-héros à gogo, plus préoccupés par leur image sur les réseaux sociaux, leurs sponsors et leurs followers que par le sort de la veuve et de l’orphelin, Louna et Ziad se mettent à rêver eux-aussi de super-pouvoirs. Le costume sera-t-il à leur taille ? Rien n’est moins sûr ! (Le Métier le plus dangereux du monde, tomes 1 et 2, de Bocquet et Lai. Dupuis. 12,95€)

Plus qu’une simple bande dessinée, voici un livre-jeu, un escape book, inscrit dans l’univers de La Brigade des cauchemars, la série à succès de Franck Thilliez qui se décline à ce jour en six volumes vendus à plus de 150 000 exemplaires. On retrouve bien évidemment nos jeunes héros membres de la fameuse brigade et un nouvel enfant sujet à des terreurs nocturnes, Gaspard. Votre mission si vous l’acceptez : aider la brigade à résoudre les énigmes autour de ce nouveau dossier et offrir au jeune garçon des nuits paisibles. (La Brigade des cauchemars, L’escape book, de Thilliez, Dumont et Kaedama. Jungle. 13,95€)

Encore une histoire de chat, allez-vous me dire. Oui, un chat, mais du genre poltron, à avoir peur d’un lapin et d’un écureuil venus le réveiller dans la forêt où il s’est égaré. Pas pour longtemps, Poltron Minet, il s’appellera ainsi désormais, fait ami-ami avec eux d’autant qu’ils lui promettent de l’aider à retrouver ses maîtres. En attendant, Poltron Minet découvre une communauté animale réfugiée dans les bois qui n’a finalement pas grand chose à envier à celle des humains. À noter le joli coup de crayon de Madd et ses planches réalisées à l’aquarelle. (La voie romane, Poltron Minet tome 1, de Mayen et Madd. Dupuis. 12,95€)

Et si vous dessiniez vos propres histoires ! Rien de plus facile, si on peut dire, avec ce petit livre de Jean-Paul Aussel. En un peu moins de 200 pages, abondamment illustrées, vous apprendrez à dessiner les personnages, les décors, les objets, les animaux, vous vous initierez à l’art de la perspective et aux particularités du manga. « Dessiner est la discipline la plus simple pour qui veut matérialiser son imaginaire », écrit Achdé, le dessinateur de Lucky Luke, en préface. Et c’est vrai. Un crayon, une feuille blanche, un peu d’imagination… et c’est parti ! (On veut tout dessiner, de Jean-Paul Aussel. Leduc. 18€)

Eric Guillaud

21 Juin

Les Jours heureux, un deuxième album pour la jeune autrice italienne Zuzu

Deux petites années seulement après Cheese, sélection officielle du festival d’Angoulême 2022, l’autrice italienne Zuzu signe un deuxième roman graphique baptisé Les Jours heureux au style graphique différent mais toujours très singulier…

Adieu le noir et blanc, bonjour la couleur, la différence visuelle est de taille même si le trait dans les deux cas déforme les corps et inflige au personnage principal, et dans une moindre mesure aux seconds couteaux, un nez grotesque, disgracieux, monstrueux. C’est la marque de fabrique, on peut le penser aujourd’hui, de cette jeune autrice italienne qui signe avec Les Jours heureux son deuxième album seulement.

Cheese, le premier, a reçu le Prix Révélation au Festival de Lucca en 2019 et a été retenu dans la sélection officielle d’Angoulême 2022. S’il n’a pas reçu de prix de ce côté-ci des Alpes, il a néanmoins fortement marqué les professionnels du neuvième art qui on vu là la naissance d’une nouvelle génération d’auteurs italiens influencés par Gipi.

Emportée par ce succès naissant, Zuzu aurait très bien pu rester dans sa zone de confort en ne changeant rien à son style graphique. Mais c’était mal la connaître, préférant faire évoluer son style au regard de sa vie.

Résultat, un dessin enfantin et des couleurs qui ne le sont pas moins, réalisées aux crayons de couleurs et aux pastels à la façon d’un enfant de 5 ans. Côté découpage, rien de révolutionnaire, l’autrice usant et abusant du gaufrier à douze cases. Reste l’histoire qui, comme la précédente illustre les tourments de la vie avec une histoire tragique. Plus de Zuzu ici en héroïne mais une Claudia actrice partie pour Rome où elle doit jouer en audition un extrait de la pièce de théâtre de Samuel Beckett, Oh les Beaux jours, qui résonne dans sa propre vie.

Arrivée à Rome, elle renoue avec un de ses anciens amoureux et entreprend une relation dysfonctionnelle épuisante. Comme dans Cheese, Zuzu explore ici la spirale infernale des sentiments amoureux et notamment la peur de la solitude.

Une approche visuelle qui paraîtra pour certains irritante mais au final un sujet universel traité cash et non sans émotion.

Eric Guillaud

Les Jours heureux, de Zuzu. Casterman. 32€

© Casterman / Zuzu

RSS