11 Juin

Soda le re-retour ou comment Gazzotti et Bocquet offrent une deuxième résurrection à notre flic en costume de pasteur

Il avait disparu des écrans radar depuis 2014, autant dire une éternité ou presque, Soda est finalement de retour pour une quatorzième aventure retrouvant au passage son dessinateur historique, Bruno Gazzotti, dorénavant accompagné d’Olivier Bocquet au scénario…

Soda est de retour ! Et franchement, ça fait un bien fou de retrouver notre bon flic new-yorkais toujours affublé de son costume de pasteur histoire d’épargner à sa mère une réalité qui pourrait lui être fatale. Oui, Soda, alias David Ellioth Hanneth Solomon, est flic, un bon flic, auquel on pourrait donner le bon dieu sans confession.

Pourtant, depuis quelques temps, quelque chose ne tourne pas rond. La nuit, il rêve qu’il étrangle sa mère, et le jour, une prostituée retrouvée à moitié morte le désigne comme son agresseur. Pire encore, un tueur en série habillé en pasteur sévit dans New York. On l’appelle Le Pasteur sanglant. De là à penser que notre Soda a viré de bord…

Neuf ans qu’on ne l’avait pas vu ! Depuis l’album Résurrection qui avait lui-même rompu neuf autres années de silence. Tome, décédé depuis, en assurait le scénario et Dan Verlinden le dessin. Pour ce nouveau volet, qui n’est étrangement pas estampillé du chiffre 14, Olivier Bocquet s’est attelé au scénario tandis que Bruno Gazzotti, dessinateur historique depuis le troisième tome de la série, fait son grand retour.

Résultat ? Un scénario parfaitement huilé, un casting aux gueules de polar, les décors d’un New York des années 80/90 rongé par le crime et la pauvreté, un dessin toujours semi-réaliste mais plus sombre, plus inquiétant, et un grand format pas vraiment opportun pour le lecteur, peut-être plus pour l’éditeur qui en profite pour réimprimer les 12 premiers volumes à l’identique. Les 12 premiers ? Oui, assez étrangement, le treizième, Résurrection, dont on parlait un peu plus avant, a disparu du catalogue. Pourquoi ? Mystère…

Eric Guillaud

Le Pasteur sanglant, Soda tome 13, de Gazzotti et Bocquet. Dupuis. 14,50€

© Dupuis / Gazzotti & Bocquet

24 Heures du Mans 2023 : Michel Vaillant sur le podium ?

Et si la 100e édition des 24 heures du Mans était remportée non pas par une Ferrari, une Peugeot, une Toyota ou une Cadillac mais une Vaillante. C’est le scénario qui se profile dans ce douzième volet des nouvelles aventures de Michel Vaillant. Mais ne croyez pas qu’en vous disant cela, on vous a tout dit. Non, l’intrigue est bien ailleurs que dans le classement final de la mythique course à laquelle le plus célèbre pilote du neuvième art et son ami Steve Warson ont décidé de participer…

À l’heure où sont écrites ces quelques lignes, rien n’est jouée du côté des 24 heures du Mans, les bolides tournent encore et encore sur le mythique circuit. Mais une chose est sûre, dans cette nouvelle fiction signée Lapière, Bourgne et Benéteau de l’écurie Graton, c’est Michel Vaillant qui franchit en tête la ligne d’arrivée au volant de sa Vaillante.

Bon ok, je spoile un peu la fin de l’histoire mais l’intérêt de celle-ci ne réside pas dans la course en elle-même. Steve Warson, ex-futur sénateur démocrate du Texas et ami de Michel Vaillant veut se retirer de la politique pour se consacrer au sport. Mais une bande d’extrémistes conspirationnistes s’est juré d’avoir sa peau. Leur plan est simple : attendre le passage de sa Vaillante sur la ligne droite des Hunaudières et lui coller une balle dans la tête. A plus de 300 km/h, forcément la chance de s’en sortir est mince…

Est -ce la fin de Steve Warson ? Bouche cousue cette fois, je vous laisse découvrir le dénouement mais réitère mon enthousiasme pour cette très belle renaissance d’une série plus que mythique vendue à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde.

Avec douze albums en un peu plus de dix ans, le trio Lapière-Bourgne-Benéteau accompagné hier de Philippe Graton, le propre fils de Jean Graton, a apporté un sacré coup de jeune à la série tant au niveau du scénario que du dessin. L‘alliance graphique entre Bourgne (pour les personnages) et Benéteau (pour les automobiles) fait toujours recette. À lire pied au plancher !

Eric Guillaud

La Cible, Michel Vaillant tome 12, de Lapière, Bourgne et Benéteau. Graton. 16,50€

© Graton / Lapière, Bourgne & Benéteau

10 Juin

Un Tournage en enfer de Florent Silloray ou comment le film Apocalypse now est devenu une légende avant même de sortir en salles

Des tournages maudits, il y en a eu quelques-uns depuis que le cinéma existe mais des comme celui-ci, rarement. Apocalypse now est entré dans la légende bien avant de rejoindre les salles obscures. Florent Silloray nous raconte cette incroyable aventure dans un roman graphique relativement captivant…

Si le film est en lui-même une légende, son tournage ne l’est pas moins. Et ni Francis Ford Coppola, ni les acteurs, ni les techniciens ne pouvaient se douter de ce à quoi ils allaient être confrontés lorsqu’ils s’envolèrent en 1976 pour la jungle philippine où les plateaux de tournage avaient été établis.

Outre des problèmes récurrents de financement, Coppola dut se résoudre à changer son acteur principal au bout de quelques jours, remplaçant Harvey Keitel qu’il ne trouvait pas bon par Martin Sheen, lequel fit un arrêt cardiaque peu après. Ajoutez à cela des hélicoptères empruntés au dictateur Ferdinand Marcos, qu’il fallait repeindre aux couleurs de l’armée américaine le matin et philippine le soir, un Marlon Brando qui débarque sur le tournage sans avoir jeté un œil sur le script et avec quelques kilos en trop, un typhon qui détruit les décors et un Dennis Hopper ingérable, bref tout était réuni pour que ce film reste à l’état d’ébauche. Le tournage dura 16 mois au lieu des 6 semaines prévues et le budget passa de 13 à 30 millions de dollars. La légende est à ce prix !

À travers le regard d’un personnage fictif, Sarah Evans, jeune attachée de production fraîchement diplômée et embauchée pour le film, Florent Silloray nous plonge au coeur de ce tournage dantesque montrant à quel point la folie n’était jamais loin de s’abattre sur toute l’équipe et bien sûr sur son réalisateur de génie, Francis Ford Coppola.

Bien évidemment, les cinéphiles avertis n’apprendront rien ici, tout ayant été dit et redit depuis des décennies, notamment dans le documentaire d’Eleanor Coppola, Au cœur des ténèbres, l’apocalypse d’un metteur en scène. Les autres y découvriront une foule d’anecdotes plus effarantes les unes que les autres et peut-être une autre époque, une autre façon de faire du cinéma. Enfin, tous pourront apprécier l’approche graphique de Florent, un mixe de crayons de couleur et d’aquarelle qui restitue parfaitement cette atmosphère oppressante, écrasante, de la jungle telle qu’on peut la retrouver dans le film. Il manque juste le son et notamment la fameuse rotation des pales d’hélicoptères. Mais elles tournent encore dans nos têtes…

Eric Guillaud

Un tournage en enfer, Au coeur d’Apocalypse now, de Florent Silloray. Casterman. 24€

© Casterman / Silloray

01 Juin

Armelle et Mirko : une bande dessinée jeunesse pour mettre en lumière la peur du noir

Elle a beau être irrationnelle, la peur panique du noir est universelle. Et c’est justement pour cette raison que les trois auteurs Loïc Clément, Anne Montel et Julien Arnal ont souhaité aborder le sujet et apporter quelques clés pour la surmonter à travers une fiction pleine de poésie et de tendresse…

Savez-vous ce qu’est l’achluophobie ? Derrière ce mot barbare se cache une réalité assez répandue, surtout chez les jeunes enfants : la peur panique de l’obscurité.

C’est ce dont souffre Armelle, une tortue. À la nuit tombée, elle allume un feu, puis une bougie, tentant de rester éveillée. Et le jour ? Ce n’est pas mieux. Au moindre danger, Armelle ne peut même pas se réfugier dans sa carapace : il y fait affreusement noir. Armelle est désespérée jusqu’au jour où elle croise le chemin de Mirko, un insecte qui pourrait bien lui changer la vie…

Cette histoire d’une tendresse infinie est signée par le dessinateur originaire du Cantal, Julien Arnal, transfuge du cinéma d’animation et de l’illustration, et deux scénaristes jusqu’à peu sarthois, Anne Montel et Loïc Clément, dorénavant domiciliés en Bretagne où les nuits ne sont pas moins courtes et le noir pas moins profond. Interview…

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31 Mai

Patience : la réédition d’un album de Daniel Clowes au charme définitivement envoûtant

Après Ghost World et Comme un gant de velours pris dans la fonte, les éditions Delcourt poursuivent l’exploration de l’œuvre influente de Daniel Clowes avec la réédition d’un récit forcément singulier alliant histoire d’amour, thriller et science-fiction. Un pur bonheur !

Adrian Tomine, Chris Ware, Charles Burns, Jason Lutes, Joe Matt… nombreux sont les maîtres de la BD américaine indépendante à figurer au catalogue des éditions Delcourt depuis des années. Mais il manquait jusqu’ici un nom, et pas des moindres, celui de Daniel Clowes, dont la plupart des albums ont été publiés de ce côté-ci de l’atlantique aux éditions Cornélius.

Depuis janvier 2023, cette exception n’est plus, l’auteur américain ayant finalement rejoint ses compatriotes avec plusieurs albums en réédition regroupées dans la collection La Bibliothèque de Daniel Clowes. Ghost World et Comme un gant de velours pris dans la fonte ont paru en janvier 2023, Patience sort en ce mois de mai et Twentieth Century Eightball est annoncé pour la fin août.

© Delcourt / Clowes

Ouvrir un livre de Daniel Clowes, c’est être prêt à tout, à être embarqué dans un univers singulier, un savant mélange de satire sociale, de fantastique et d’observation du quotidien. Avec Patience, initialement paru en 2016, le plus connu des auteurs indépendants américains, le plus influent aussi, met en images une histoire d’amour qui tient autant du thriller que de la science-fiction.

2012. Jack Barlow et Patience filent le parfait amour. Plus encore depuis qu’ils se savent futurs parents. Mais un jour, Jack retrouve Patience morte assassinée à son domicile.

« La douleur dépassait tout ce qu’on peut imaginer, un trou au boulet de canon dans ma poitrine »

Et dix-sept ans plus tard, Jack n’a toujours rien oublié de cette douleur. Au point que, si on lui donnait le choix entre revoir sa bienaimée et trouver le coupable, il ne sait même pas ce qu’il déciderait.

Et s’il pouvait faire les deux ? Élucider ce meurtre et retrouver Patience. pour ça il faudrait une machine à remonter le temps… qui va lui tomber du ciel ou presque.

© Delcourt / Clowes

Dans ce récit très coloré, tendance pop art psychédélique, mais en même temps à l’atmosphère plutôt inquiétante, oppressante, Daniel Clowes revisite le fantasme du voyage dans le temps qui permet à son héros de corriger le passé pour modifier le présent. C’est surtout une histoire d’amour qui finit mal pour mieux reprendre, avec son lot de quotidien, de fantastique et de suspense.

Graphisme, personnages, narration, dialogues… tout y est parfaitement tiré au cordeau pour offrir aux lecteurs une belle sensation de lecture, un roman graphique toujours envoûtant, une pièce maitresse de l’œuvre du légendaire Daniel Clowes !

Eric Guillaud

Patience, de Daniel Clowes. Delcourt. 28,50€

26 Mai

Douze histoires aux scénarios signées Al Ewing dans le monde tordu du Judge Dredd, une dystopie délirante

La loi, c’est lui : Judge Dredd. Grâce à la belle campagne de réédition toujours en cours lancée par l’éditeur Delirium il y a quelques années, le lectorat français a (re)découvert le juge impitoyable de Mega-City One. Un univers si puissant qu’il n’a aujourd’hui même plus besoin de son personnage principal pour vivre…

Souriez C’est La Loi est marquant pour deux raisons : primo, il ne réunit que des histoires scénarisées par le britannique Al Ewing dont la plume acérée a tout compris des enjeux de la série, sachant exactement quel bouton pousser le plus loin possible au bon moment. Deuxio, dans plus de la moitié des cas, le fameux Judge Dredd n’est ici qu’un personnage quasi-secondaire, n’apparaissant qu’en fin de course et souvent pour administrer une sentence attendue.

© Delirium / Al Ewing, Liam sharp, Simon Fraser & John Higgins

Non, la vraie star ici, c’est bien sûr Méga-City One et ses habitants dégénérés que l’on regarde s’agiter vainement ici comme des rats dans une cage. Qu’ils soient des ‘athlètes’ avec un pénis parlant ( !) participant aux championnats du monde du sexe, des acteurs pétant un plomb à force de devoir jouer le rôle d’Hitler dans un musée vivant ou des adeptes de l’extrême fainéantise, tous sont plus pathétiques les uns que les autres, symptomatiques d’une société malade. Dans ces douze courtes histoires, il n’en y a pas un pour sauver l’autre. Mais ce jeu de massacre (mis à part l’étonnement mélancolique Une Maison Pour Aldous Mayou) est foutrement réjouissant car très grinçant et, disons-le franchement, assez impitoyable.

© Delirium / Al Ewing, Liam sharp, Simon Fraser & John Higgins

Cerise sur le gâteau : l’hommage à James Bond dans l’épisode Demain Ne Meurt Jamais Plus Jamais, un huit-clôt où ses incarnations au cinéma se font tuer les uns après les autres, ce qui permet d’ailleurs au dessinateur Liam Sharp de s’amuser à envoyer Roger Moore dans les mâchoires d’un requin muni d’ailerons à réaction. Aucune limite et c’est pour ça que c’est bon !

Olivier Badin

Judge Dredd : Souriez C’est La Loi, d’Al Ewing, Liam sharp, Simon Fraser & John Higgins. Delirium. 22€

14 Mai

Le coin des mangas : La Dame de la chambre close, Evol, One Piece, Blooming Girls, Biomega, Sakamoto Days…

On commence avec un one-shot, La Dame de la chambre close, paru aux éditions Glénat et signé Minetaro Mochizuki. Le nom du mangaka vous dit quelque chose ? Rien d’étonnant puisqu’il est l’auteur de Dragon Head, une série aussi sombre qu’inquiétante publiée en dix volumes dans les années 90 chez Pika Editions. Deux petites années auparavant, Mochizuki signait ce récit fantastique mettant en scène un étudiant, Hiroshi, en prise avec une femme au regard effrayant qui l’appelle nuit et jour au téléphone, sonne à la porte de son domicile, parvient à faire un double de ses clés pour s’inviter à tout moment. Mais que lui veut-elle ? Comment s’en débarrasser ? Hiroshi s’interroge mais le pire est encore à venir… Âmes sensibles, s’abstenir ! (La Dame de la chambre close, de Mochizuki. Glénat. 10,95€)

Il s’est fait connaître de ce côté-ci de la planète avec Search and destroy, Soil, Deathco, ou encore Wet Moon, il est de retour avec Evol, deux volumes parus à ce jour aux éditions Delcourt / Tonkam, un manga qui nous embarque dans un monde en déliquescence, qui pourrait être le nôtre finalement, où l’héroïsme et les pouvoirs qui vont avec sont un don héréditaire et où les héros sont au service de la justice, enfin de celui qui a parlé le plus fort, en général le plus véreux. L’avenir serait ainsi scellé dès la naissance de chaque être. Sauf pour Nozomi, Sakura et Akari, deux jeunes filles et un garçon ordinaires qui après une tentative de suicide se retrouvent eux-aussi dotés de supers-pouvoirs. De quoi combattre ce monde qu’ils ne supportent plus. Publié dans un grand format sous couverture rigide et avec jaquette, Evol est un manga d’une noirceur sans pareille dans lequel transparaît à chaque page le mal-être des adolescents et la violence de notre monde. Influencé par le punk, le cinéma et la bande dessinée américaine, Atsushi Kaneko exprime dans ces superbes pages toute sa colère, sa révolte, avec un trait qui n’est pas sans nous rappeler celui de Frank Miller. Énorme ! (Evol, d’Atsushi Kaneko. Delcourt / Tonkam. 19,99€)

Et ça continue, encore et encore… One Piece poursuit son bonhomme de chemin avec un 104e volume. De quoi nous faire tourner la tête et propulser la série du Japonais Eiichiro Oda dans le top One du manga le plus lu et le plus connu sur la planète Terre et peut-être au-delà. Plusieurs centaines de millions d’exemplaires vendus à travers le monde, une grosse trentaine de millions en France, un univers unique, un mélange d’aventure, de fantastique et d’humour, et un héros baptisé Lufy qui rêve de devenir le roi des pirates en trouvant le « One Piece », un fameux trésor. (One Piece tome 104, d’Eiichiro Oda. Glénat. 6,99€)

Et si vous n’en avez pas encore assez, les éditions Glénat proposent depuis 2018, un magazine à parution irrégulière entièrement consacré à la série culte de Eiichiro Oda. Le tome 11 est paru en janvier avec au menu un dossier sur la puissance des mots dans l’écriture du mangaka, des interviews, un manga inspiré du roman One Piece Novel A, des recettes de cuisine, des illustrations inédites, des chroniques… Prochain volume en juillet 2023. (One Piece magazine, tome 11. Glénat. 19,90€)

D’un côté, la scénariste Mari Okada, connue pour son travail sur de nombreuses séries d’animation. De l’autre, la dessinatrice Nao Emoto, responsable précédemment de Josée, le tigre et les poissons. Au centre, les deux premiers volets d’un manga d’ores et déjà adapté en série animée et en drama, Blooming girls, ou l’histoire de de jeunes filles membres d’un club de littérature qui découvrent un beau jour le sexe à travers leurs lectures. De quoi perturber tout ce beau monde et renvoyer chacune vers ses propres désirs… (Blooming Girls, de Mari Okada et Nao Emoto. 2 tomes parus. Delcourt / Tonkam. 6,99€ le volume)

Énorme ! Plus de 400 pages et ce n’est qu’un début. Deux autres volumes sont attendus pour cette réédition en grand format de Biomega, œuvre du génial Tsutomu Nihei. Énorme au niveau du contenant mais aussi et surtout au niveau du contenu avec ce graphisme si singulier du mangaka, un immense fan, et ça se sent, du créateur des décors et monstres d’Alien HR Giger. L’homme s’est fait connaître au Japon et en Europe avec des récits SF sombres, désespérés, violents, oppressants, organiques, reconnaissables entre tous. Après Abara et Blame 0, c’est donc au tour de Biomega de bénéficier d’une réédition Deluxe, de quoi profiter pleinement du génie de Nihei et de se téléporter en 3005, carrément, pour une histoire mêlant exploration spatiale et contamination virale. Le poids des mots, le choc des images. Une claque ! (Biomega deluxe, de Tsutomu Nihei. Glénat. 14,95€)

Vous avez adoré Chi une vie de chat de Konami Kanata, un énorme carton en 12 volumes publiés entre 2010 et 2015, alors vous devriez aimer Nights with a cat qui reprend un peu la formule magique du jeune chat débarquant dans un foyer, en l’occurrence ici celui de Futa et de sa petite sœur. À la différence près qu’ici, ce n’est pas le chat qui découvre la vie des humains mais les humains qui découvrent la vie de chat. Sa toilette, ses pupilles, ses oreilles, son sommeil… Futa décortique la bestiole et scrute ses habitudes tentant d’en apprendre un peu plus sur lui à chaque page. Le tout avec un peu d’humour et des couleurs ! (Nights with a cat, de Kyuryu Z. Glénat. 10,95€)

C’est une histoire d’épicier. Mais d’épicier épicé. Du genre qui ne vend pas que des légumes. Taro Sakamoto, c’est son nom, a beau avoir un léger embonpoint, une moustache à la papa, des lunettes de myope, il est à lui seul un mythe, une légende, un ex-tueur admiré de tous ses congénères, craint par tous les gangsters. Oui, Sakamoto l’épicier avait le flingue facile avant de raccrocher, de se marier, d’avoir un enfant et de s’installer comme épicier. Une vie pépère jusqu’au jour où le jeune assassin télépathe Sin débarque dans la supérette. Vous voulez de l’action ? Alors vous en aurez, Sakamoto Days est un concentré d’énergie au rythme de parution effréné. Le tome 8 est sorti en ce mois de mai. (Sakamoto Days tome 8, de Yuto Suzuki. Glénat. 6,99€)

L’adaptation manga de l’anime Neon Genesis Evangelion poursuit sa route dans une nouvelle édition en grand format, l’occasion de se replonger dans cette œuvre mythique qui marqua le monde de l’animation japonaise dans les années 90. En 2000, une astéroïde géante s’abat sur le pôle sud. Entre la montée du niveau des eaux, les crashes économiques, les guerres civiles… la moitié de la population humaine finit par disparaitre. Quinze ans plus tard, de mystérieux anges destructeurs font leur apparition. Pour les combattre : un seule solution, les Evangelion, de gigantesques machines de guerre anthropoïdes. Pour les amoureux des robots géants ! (Neon Genesis Evangelion, tome 5, de Yoshiyuki Sadamoto. Glénat. 14,95€)

On termine avec Nos Coeurs figés de Yuki Nishina et Nanora, une romance comme peut le laisser penser le titre mais une romance qui prend vie dans un monde à l’arrêt. Tous les jours à la même heure, le temps se met sur pause. C’est le Loss Time. Plus un souffle d’air dans les feuilles des arbres, plus un mouvement dans les nuages, tous les êtres à l’arrêt, comme pétrifiés, tous sauf Koji et Tokine qui se rencontrent pendant ce Loss Time, apprennent à se connaître et finissent par s’aimer. L’amour, toujours… (Nos Coeurs figés tome 1 de Yuki Nishina et Nanora. Moon Light Delcourt. 7,99€)

Eric Guillaud

12 Mai

Tati et le film sans fin : plus qu’une biographie, un hommage en bande dessinée à un monument du cinéma

Sa silhouette est aussi reconnaissable que celle de Charlot, Monsieur Hulot, pour vous servir, personnage indissociable de son créateur, Jacques Tatischeff, dit Jacques Tati, réalisateur, scénariste, acteur, clown, mime. Le Brestois Arnaud Le Gouëfflec et l’Angevin Olivier Supiot viennent de lui tirer le portrait dans une biographie dessinée aussi poétique et délicieuse que son oeuvre. Rencontre…

Il rêvait de devenir clown, il deviendra l’une des figures majeures du cinéma français en réalisant des films comme Jour de fête, Mon Oncle, Playtime, Trafic ou encore Parade.

Il est bien évidemment le créateur de Monsieur Hulot, personnage emblématique reconnaissable entre tous avec sa silhouette filiforme, cette élégance so british et une démarche en déséquilibre permanent, un Monsieur Hulot qui viendra passer ses vacances dans notre région, sur la plage de Saint-Marc-sur-Mer où trône aujourd’hui encore une statue à son effigie.

Jacques Tati ne rentrait pas dans le cadre et pas seulement à cause de sa grande taille. Non, l’homme avait du caractère, savait ce qu’il voulait, bref refusait de rentrer dans le moule. Pas banal pour un fils d’encadreur !

Et l’homme a inspiré et inspire aujourd’hui encore nombre de créatifs. Preuve en est cet album paru chez Glénat et signé par le scénariste Arnaud Le Gouëfflec et le dessinateur Olivier Supiot, une biographie de Jacques Tati, à  l’image du personnage, un brin décalée et poétique. Interview…

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10 Mai

Quand Chabouté s’empare du musée d’Orsay !

Après une virée à New York avec son album Yellow cab, Chabouté retrouve le sol de France, sa capitale et plus précisément l’un de ses hauts-lieux culturels, le magnifique musée d’Orsay, pour un récit poétique, une fenêtre ouverte sur l’art et la perception que nous en avons…

« Pourriez-vous m’indiquer où se trouve la Joconde ? ». Pas de chance pour ce visiteur, la Joconde est au Louvre et non au musée d’Orsay. On en entend de belles ici, on en voit des pas mal aussi. Toute la journée, des milliers de personnes défilent dans les salles du musée, des amoureux, des solitaires, des jeunes, des vieux, des connaisseurs, des curieux, des taiseux, des bavards, des respectueux, des désinvoltes et même des méprisants, collant ici leur nez sur une peinture, passant là un revers de main sur la cuisse d’une statue, jugeant, s’émerveillant, s’interrogeant…

Et puis, il y a les œuvres, immobiles, muettes. Du moins jusqu’à la fermeture des portes et la tombée de la nuit. Commence alors un étrange ballet. Bustes, sculptures, peintures s’animent, se parlent, échangent sur leur quotidien, déclarent parfois leur flamme, rêvent du monde extérieur… avant de reprendre la pose pour une nouvelle journée.

C’est une visite comme vous n’en ferez jamais, une visite au cœur du musée d’Orsay où il n’y a pas la Joconde, certes, mais où l’on peut croiser l’âme de Daumier, Caillebotte, Manet, Degas, Renoir, Courbet… et tant d’autres. Une visite qui tel un miroir nous renvoie une image, l’image d’un monde, notre monde.

Ainsi, par la magie du trait, les visiteurs deviennent les curiosités du lieu au point de se fondre parfois dans le décor au même titre que les œuvres d’art. Considéré comme l’un des maîtres du noir et blanc en France, amoureux de l’art et des gens, Chabouté poursuit ici de très belle manière son exploration de l’imaginaire avec une bonne dose d’observation, d’humanité bien sûr et un brin d’humour. Et ça ne fait pas de mal par les temps qui courent !

Eric Guillaud

Musée, de Chabouté. Vents d’Ouest / Musée d’Orsay. 23€

© Vents d’Ouest / Chabouté

08 Mai

La Petite lumière de Grégory Panaccione : un grand rayon de soleil en librairie

Chacune de ses œuvres est un régal de poésie, d’émotion, de générosités graphiques et de trouvailles narratives. C’est encore le cas avec cette adaptation du roman d’Antonio Moresco baptisé La Petite lumière aussi mystérieux que poétique…

« Je suis venu ici pour disparaître dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant ». C’est par ces quelques mots et une image, une grappe de bicoques accrochées à la montagne, que s’ouvre La Petite lumière. Dans le rôle principal, un vieil homme qui compte attendre là le repos éternel, loin de tout, loin de tous. Chaque soir, il s’installe devant ce paysage comme d’autres le feraient devant un tableau ou le petit écran. Et chaque soir, il assiste à la même scène : une petite lumière s’allume à la nuit tombée. Toujours au même endroit.

« Qu’est-ce que ça peut bien être, qui peut bien l’allumer ? », se demande-il. Une lumière qui filtre d’une maison ? Un réverbère ? Au beau milieu des bois ? Poussé par la curiosité, notre vieil homme décide de se rendre sur place. Il y découvre une petite maison et dans cette petite maison, un enfant.

© Delcourt / Panaccione

On aurait pu croire l’affaire réglée, le mystère résolu. Mais non, au contraire. L’enfant semble vivre seul ici, prépare lui-même ses repas, fait son linge, ses devoirs et est inscrit dans une école. Mais pas la même que les autres enfants ! Pour le vieil homme commence alors une dernière aventure…

Toby mon ami, Âme perdue, Match, Un Océan d’amour, Chronosquad, Quelqu’un à qui parler… Qu’il intervienne en qualité d’auteur complet ou non, qu’il propose une adaptation de roman ou non, Gregory Panaccione nous émerveille à chaque fois de sa griffe unique dans le paysage foisonnant du neuvième art.

© Delcourt / Panaccione

Transfuge du dessin animé, Français vivant en Italie, il nous offre ici une merveilleuse adaptation du roman d’Antonio Moresco, La Petite lumière, La Lucina en italien, première traduction en français, Prix de la Librairie Nouvelle 2014 et Prix des Rencontres à Lire de Dax 2015. 

Habitué d’une franche économie de mots, certains de ses romans graphiques sont muets, Gregory Panaccione fait passer par son trait expressif et vibrant toute la poésie et le mystère du récit ou chacun de nous pourra puiser ou non réflexions autour de la vie, du sens de la vie, de la vieillesse, de la solitude, de la mort… Une belle pépite !

Eric Guillaud

La Petite lumière de Grégory Panaccione. Delcourt. 27,95€

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