11 Mai

Illustrer La Promesse de l’aube et mourir ? Joann Sfar déclare sa flamme à Romain Gary

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Ça ressemble à un aboutissement mais, bien sûr, ce n’en est pas un, juste une étape en forme de déclaration d’amour.

Au moment ou le monde littéraire célèbre le centenaire de la naissance de Romain Gary, l’auteur et cinéaste Joann Sfar lui rend un hommage vibrant en proposant chez Futuropolis une édition illustrée d’un de ses chefs-d’oeuvre, La Promesse de l’aube. Et dire qu’il s’agit d’une déclaration d’amour n’est pas un effet de style. « J’aime tout chez cet homme… », déclare-t-il, « Sans réserve. Son élégance, son picaresque, sa révolte ». Puis il ajoute : « Oui Gary a toujours été mon héros, et mon bouclier contre une certaine médiocrité. Quand on lui demande « Êtes-vous romantique ? » et qu’il répond  : « Par rapport à la merde, oui! », ça pourrait être ma devise… ».

Et les points communs entre les deux ne s’arrêtent pas là. Gary est né à Vilnius, la belle-famille de Joann Sfar en vient, Gary a grandi à Nice, Joann Sfar aussi, Gary a été au tennis du Parc Impérial, Sfar aussi… « Tous les lieux, toutes les préoccupations de La Promesse de l’aube me touchent ».

Résultat de courses, les éditions Futuropolis et Gallimard nous proposent un très beau livre de plus de 500 pages qui marque la rencontre de deux grands noms de la culture…

Eric Guillaud

La Promesse de l’aube, de Gary illustré par Joann Sfar aux éditions Futuropolis Gallimard. 39 €

Journal de Spirou : une nouvelle enquête pour Jérôme K. Jérôme Bloche

photoLe plus sympathique des détectives privés de tout l’univers et au-delà fait son retour dans le numéro 3970 du journal Spirou en date du 14 mai 2014.

Après Post Mortem, voici donc une nouvelle aventure comme toujours plus psychologique que tonitruante. Dodier qui nous confiait lors d’une interview en 2012 son attachement très fort à ce personnage comme à son métier nous entraîne cette fois du côté d’un village de montagne rayé de la carte suite à la construction d’un barrage. Ça vous rappelle quelque chose ?

« J’avais lu énormément d’articles sur le barrage du Chevril en Savoie, auquel s’étaient opposés les habitants de Tignes… », confie l’auteur dans une interview accordée au journal Spirou, « Mais ils ont perdu la cause, et le barrage fut inauguré en 1953, tandis qu’on reconstruisit un nouveau village un peu plus haut. Cela me fascinait d’autant qu’on pouvait occasionnellement vider le barrage pour l’inspecter, ce qui faisait ressurgir les ruines du village… »

L’Ermite est le titre de ce nouvel épisode !

Eric Guillaud

07 Mai

Les Larmes du seigneur afghan, une BD documentaire autour du travail de la journaliste Pascale Bourgaux

Capture d’écran 2014-05-07 à 20.22.03Pascale Bourgaux est grand reporter à la RTBF, la Radio Télévision Belge Francophone. Entre 2001 et 2010, elle s’est rendue à plusieurs reprises en Afghanistan chez un seigneur de guerre installé au nord du pays. Mamour Hasan, c’est son nom, a résisté aux Talibans aux côtés de Massoud mais il voit depuis peu une partie de sa famille, son fils aîné notamment, et des villageois rejeter la présence occidentale et basculer dans le camp taliban. Sur place, Pascale Bourgaux tente de comprendre comment un tel revirement est possible.

De cette expérience, la journaliste en a tiré en 2011 un documentaire intitulé Les larmes du seigneur afghan, notamment diffusé sur Canal+ en janvier 2013. On y découvre toute la complexité de ce pays et le doute permanent d’un peuple ballotté entre la violence des uns, la corruption des autres et la présence occidentale devenue insupportable pour beaucoup.

Trois ans après le documentaire, le dessinateur italien Thomas Campi et le scénariste belge Vincent Zabus, qui s’étaient déjà fait remarquer de belle manière avec l’excellent album Les Petites gens, décident de raconter cette histoire en bande dessinée en y posant leur regard sur le difficile travail de la journaliste et de son cameraman obligés de se déguiser en Afghans et donc, pour Pasacale Bourgaux, de porter la Burka. Le danger est permanent, la complexité de la situation palpable. Un témoignage forcément indispensable !

 Eric Guillaud

Les Larmes du seigneur afghan, par Campi, Zabus et Pascale Bourgaux. Editions Dupuis. 16,50 €

© Dupuis / Campi Zabus & Bourgaux

© Dupuis / Campi Zabus & Bourgaux

04 Mai

Burn out, l’histoire d’une vengeance implacable signée Ozanam et Sommer

L.10EBBN001514.N001_BurnOUT01_C_FRLa vengeance est un plat qui se mange froid. Ethan Karoshi, policier de son état, va même apprendre à ses dépens qu’elle peut se déguster gelée. A faire mal aux dents ! Mais revenons au début de cette histoire. Nous sommes en juillet 1980 du côté de Reno dans le Nevada. Ethan Karoshi, donc, mène une vie plutôt paisible, partagée entre son boulot, sa famille, ses parties de pêche et sa maîtresse. Oui quand même, Ethan a une maîtresse, histoire de correspondre à l’image qu’il se fait du flic normal, du genre qu’on rencontre dans les polars. Et c’est justement de ce côté-là que l’affaire va se corser. Debra Willer, sa maîtresse, est retrouvée sauvagement assassinée. A partir de ce moment précis, la vie d’Ethan ne sera plus du tout la même…

Un scénario implacable pour une vengeance qui l’est tout autant, Burn out est un petit bijou de polar violent et cynique dans l’Amérique des années 80. Au scénario : Antoine Ozanam qui a déjà signé plusieurs albums chez Casterman dont Le Roi banal ou Succombe qui doit, et au dessin le Danois Mikkel Sommer dont c’est ici le premier album pour le marché francophone, le premier mais certainement pas le dernier tant son graphisme est remarquable. Celui qui estime « n’avoir jamais été un grand dessinateur » , comme il l’a déclaré dans une interview accordée au site Nobrow, fait pourtant preuve ici d’un talent confirmé. Chacune de ses planches nous plonge corps et âme dans une atmosphère étouffante, suffocante, à la limite de la surchauffe !

Eric Guillaud

Burn out, de Ozanam et Sommer. Editions Casterman. 18 €

© Casterman - Ozanam & Sommer

© Casterman – Ozanam & Sommer

02 Mai

Spirou et Fantasio en intégrale, un quinzième volume sous le signe de la grande aventure…

les-aventures-de-spirou-et-fantasio-bd-volume-15-integrale-205611Retour sur les années 80. A la frontière du Népal, sur une île perdue au milieu de l’océan pacifique ou encore du côté de la place rouge à Moscou, Spirou et Fantasio enchaînent les aventures aux quatre coins du monde…

A cette époque, les parents adoptifs de Spirou et Fantasio, Tome et Janry, sont en état de grâce. Alors que les éditions Dupuis célèbrent les 50 ans du magazine et du personnage et q’un Petit Spirou imaginé par le même duo fait ses premiers pas dans le journal, la vente de la série mère connaît un essor sans précédent au point d’évoquer un nouvel âge d’or. La Frousse aux trousses qui ouvre cette intégrale est le huitième album de Tome et Janry et chacun s’accorde à dire qu’il marque le début d’une nouvelle ère.

Cette quinzième intégrale réunit les récits La Frousse aux trousses, La Vallée des Bannis, Vito la déveine, Spirou et Fantasio à Moscou ainsi qu’une introduction signée Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault appuyée sur de nombreux documents, planches, photos, croquis…

Eric Guillaud

Spirou et Fantasio, Intégrale 15, de Janry et Tome. Editions Dupuis. 24 euros

01 Mai

8 albums de printemps : que lire, que choisir, qu’offrir ?

Les grandes inventions de l’Histoire par Zep et Stan & Vince - Glénat

Les grandes inventions de l’Histoire par Zep et Stan & Vince – Glénat

Les Vacances, Pâques, le Printemps …
Qu’importe la raison, la bd s’offre en toute saison !
Voici un florilège de récits pour tous les âges :
des inventions avec le papa de Titeuf, une autobiographie avec un ancien footballeur, la grande Histoire depuis Vercingétorix au Débarquement …
Les Chronokids ont été primés à Angoulême en 2011. Pour cet album spécial, Adèle et Marvin repartent pour une série de courtes aventures avec leur cocasse machine à remonter le temps. Le résultat est drôle. Sept courts récits, entre fiction et réalité, permettent de découvrir sept célèbres inventeurs comme Gutenberg pour l’imprimerie, les Frères Lumière pour le cinéma ou encore Alan Turing pour l’ordinateur.
Ana Ana (t3) une virée à la mer par Alexis Dormal et Dominique Roques – Dargaud
Ana Ana (t3) une virée à la mer par Alexis Dormal et Dominique Roques - Dargaud

Ana Ana (t3) une virée à la mer par Alexis Dormal et Dominique Roques – Dargaud

Elle est la jeune soeur de Pico Bogue et comme lui, elle n’a pas l’habitude d’avoir la langue dans sa poche. Ici le même tandem d’auteurs, la mère au scénario Dominique Roques et le fils Alexis Dormal au dessin, nous révèle une autre facette d’Ana Ana, avec la création de cette série d’albums destinés à un public bien plus jeune. La chipie nous ouvre les portes de son monde imaginaire, celui peuplé de peluches et autres doudous. Un régal poétique dès les premières années …
Les chevaliers de la Chouette (t1) par Ben Fiquet – Glénat

Les chevaliers de la Chouette (t1) par Ben Fiquet – Glénat

Les chevaliers de la Chouette (t1) par Ben Fiquet – Glénat
1er tome des aventures d’un apprenti chevalier. Manille, orphelin, rêve de quitter le couvent où il grandit, entouré de religieuses, pour rejoindre une confrérie. Personnage attachant et frondeur, le bambin fait l’apprentissage des règles de la chevalerie dans un univers graphique proche de celui de l’héroïc fantasy. A suivre …
« Pouvez-vous me citer un scientifique noir ?
Un explorateur noir ? 
Un philosophe noir ? 
Un pharaon noir ?
Si vous ne le savez pas, quelle que soit la couleur de votre peau, ce livre est pour vous. »
Notre histoire (t1) par Lilian Thuram, Jean-Christophe Camus et Sam Garcia – Delcourt
Avant d’être un bleu, champion du monde, Liliam Thuram a été un enfant avec des étoiles dans les yeux. Il a grandi avec ses frères et sœurs en Guadeloupe, pendant que sa mère travaillait en métropole. C’est à cette « première étoile » qu’il souhaite rendre hommage avec ce premier tome dessiné d’après son livre Mes étoiles noires : un récit sur les grands hommes qui ont inspiré son engagement. Dans la seconde partie de sa vie, Thuram est devenu le chantre de la lutte contre les préjugés et le racisme à travers sa Fondation. Cette version BD de son autobiographie peut paraître naïve ; elle prend en fait son envol avec le personnage du sage venu des légendes peules.
Notre histoire (t1) par Lilian Thuram, Jean-Christophe Camus et Sam Garcia – Delcourt

Notre histoire (t1) par Lilian Thuram, Jean-Christophe Camus et Sam Garcia – Delcourt

30 Avr

Le magazine Spirou sur Ipad via le kiosque d’Apple

Capture d’écran 2014-04-30 à 15.57.3876 ans et une forme olympique, presque indécente ! Après avoir fêté en grande pompe ses 75 ans l’an passé, le magazine Spirou débarque aujourd’hui sur iPad via le kiosque d’Apple.

Depuis le 21 avril 2014, le mythique journal de Spirou est disponible sur la tablette d’Apple dans son intégralité accompagné de ses nombreux personnages phares comme le Marsupilami, Gaston, Les Nombrils, Seuls, Lucky Luke, Le Petit Spirou, Nelson, Les Tuniques Bleues et bien d’autres encore.
L’application propose, non seulement, une parution de l’hebdomadaire en simultané avec les kiosques physiques traditionnels, mais également l’accès 24h/24 et 7j/7 aux anciens numéros du journal…
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Eric Guillaud

25 Avr

Avec Rouge comme la neige, Christian de Metter se met au western et ça lui va bien

L.10EBBN001973.N001_RougNEIGE_C_FRColorado, 1896. Buck Macfly n’est pas exactement le genre de type avec qui on a envie de partir en voyage. D’ailleurs, le seul voyage auquel il est aujourd’hui promis, c’est le grand, le définitif, une balade au bout d’une corde. A moins que… Macfly s’ait fait arrêté alors qu’il tentait d’enlever un enfant. Et à ce qu’on dit, ce ne serait pas le premier. En apprenant la nouvelle, la veuve Mackinley a accouru. Sa fille a elle-aussi disparu il y a quelques années. Soudainement. Persuadé que Macfly dispose d’informations sur cette disparition, elle décide de le faire évader. Commence alors pour elle et lui une longue chevauchée sanglante à travers les Rocheuses du Colorado…

Que dire ? Génial… tout simplement. Et comme d’habitude pourrait-on ajouter ! Christian de Metter est l’un de ces auteurs qui font avancer le Neuvième art plus que de le suivre. Mais l’auteur de Dusk, Emma, Le Curé ou encore de l’adaptation en BD de Shutter Island arrive encore à nous surprendre, la preuve avec ce western qui sent la poudre et la poussière à toutes les pages, un one shot à la trame scénaristique relativement classique mais d’une efficacité totale. Des personnages à la psychologie fouillée, des dialogues qui font mouche, un titre qui sent la mort, et un graphisme, un putain de graphisme serais-je tenté d’écrire si je ne me retenais pas, qui nous emporte à chaque page avec un crayonné monochrome d’une intensité presque palpable. Voilà quoi. Vous ai je dit que c’était un super album ?

Eric Guillaud

Rouge comme la neige, de De Metter. Editions Casterman. 18 €

Regardez et écoutez cette bande annonce, la musique est signée… Christian de Metter.

20 Avr

Paco Roca nous raconte l’histoire de la Nueve, la neuvième compagnie, à travers les souvenirs d’un républicain espagnol exilé

 

NUEVE (LA) - C1C4.inddC’est un récit passionnant et un témoignage remarquable que nous propose l’Espagnol Paco Roca avec La Nueve, son nouvel album paru aux éditions Delcourt. L’auteur du très remarqué et très primé Rides paru en 2007, réédité et adapté au cinéma sous le titre La Tête en l’air, nous embarque ici dans les pas des républicains espagnols rassemblés au sein de la 9e compagnie et qui furent parmi les premiers à libérer Paris en aout 1944.

Le récit de Paco Roca commence là ou s’arrête la guerre d’Espagne, par la défaite et l’exode des derniers républicains. Par la terre ou par la mer, beaucoup de ceux qui réussirent à quitter le pays se retrouvèrent dans les camps d’internement français. Pour quelques-uns, le combat reprit quelques années plus tard dans le cadre de la Nueve, cette fameuse 9e compagnie du régiment de marche du Tchad, intégrée à la 2e division blindée, autrement appelée Division Leclerc. Sur les 160 hommes qui la composaient, 146 étaient des républicains espagnols. Leur combat pour la liberté commença sur le sol africain avant de se poursuivre en France et donc aboutir à Paris. Bien sûr, tous étaient convaincus que la lutte contre le franquisme serait l’étape suivante. Mais l’Espagne n’était pas l’Allemagne et les Alliés avaient d’autres projets…

© Delcourt / Roca

© Delcourt / Roca

La Nueve raconte le parcours d’un de ces républicains espagnols, Miguel Ruiz, depuis les quais d’Alicante où il embarqua pour l’Afrique du Nord jusqu’à la Libération de Paris. C’est dans le nord-est de la France, à Baccarat très précisément, que Paco Roca met en scène sa rencontre avec le vétéran espagnol qui lui raconte sa guerre dans les moindres détails. Le récit alterne alors entre l’épopée de ces héros oubliés de l’histoire officielle et la rencontre pleine d’humanité entre l’auteur et le vieil homme.

Mais Miguel Ruiz a-t-il vraiment existé ? Pas tout à fait. Le personnage central de ce récit est fictif mais largement inspiré d’un combattant de la Nueve, Miguel Campos. Paco Roca nous explique :

« Miguel Campos est un personnage bien réel dont on trouve trace dans les carnets de route du capitaine de la Nueve, Raymond Dronne. Celui-ci le présente comme un anarchiste, vaillant au combat. Après la prise de Paris, il a disparu au cours d’une mission derrière les lignes ennemies. Son corps n’a jamais été retrouvé, ce qui a permis toutes les spéculations. Pour les uns, il était mort, pour les autres, il avait déserté pour rejoindre un groupe d’anarchistes. De plus, ce nom de Miguel Campos était certainement un faux nom, ce qui a rendu impossible de reconstituer son passé et de localiser un parent. L’interview de Miguel Ruiz permet de faire revivre Miguel Campos. Bien que cette interview soit fictive, j’ai tenté d’être très cohérent avec le personnage de Miguel Campos ».

Au moment où l’on s’apprête à fêter les 70 ans de la libération de Paris, le roman graphique de Paco Roca nous invite à porter un regard nouveau sur cet épisode très important dans notre histoire. Un album essentiel préfacé par la maire de Paris, Anne Hidalgo, d’origine espagnole !

Eric Guillaud

La Nueve, de Paco Roca. Editions Delcourt. 29,95 €

© Delcourt / Roca

© Delcourt / Roca

14 Avr

2014 : Gotlib a 80 ans !

Les mondes Gotlib - Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

Les mondes Gotlib – Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

Et pour fêter cet anniversaire, qui aura lieu précisément le 14 juillet, le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, rue du Temple à Paris, lui ouvre ses portes. L’exposition, intitulée Les Mondes de Gotlib, vient de démarrer depuis quelques semaines. Elle prendra fin le 27 juillet. L’occasion pour les lecteurs de 77 ans  – et plus ! – de redécouvrir une des figures incontournables de la bande dessinée française. L’opportunité pour les plus jeunes de faire connaissance avec un amoureux des lettres, des mots et de la culture.

L’affiche de l’exposition confronte d’emblée le visiteur à l’un des thèmes essentiels de Gotlib : le comique du pastiche et de la parodie. Un comique aux références culturelles donc. Ici, un autoportrait qui s’inspire du personnage d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Une référence qui inscrit le dessinateur dans un univers de la violence au service d’une réflexion sur l’Homme. Les « saynètes » ou « historiettes » – comme Gotlib se plaisait à appeler ses créations – mettent en effet en image les contradictions inhérentes à la nature humaine.

Car ce qu’entend montrer la première partie de cette exposition, c’est que la question du rire chez Gotlib est intimement liée au paradis perdu de l’enfance et au traumatisme de la Shoah. Marcel Gottlieb (L’orthographe de son vrai nom) est né au sein d’une famille juive hongroise, immigrée à Paris dans les années 1920. Son enfance heureuse, dans le quartier de Montmartre, est bouleversée par l’obligation de porter l’étoile jaune, un épisode qu’il raconte dans son autobiographie J’existe, je me suis rencontré :

J'existe je me suis rencontré - Gotlib - Dargaud

J’existe je me suis rencontré – Gotlib Dargaud

« J’avais huit ans, et je ne savais pas que j’étais juif moi-même. A l’école, les copains ne parlaient que de ces pourris de youpins, répétant probablement ce qu’ils entendaient de leurs parents. Comme je ne savais pas trop qui étaient ces salauds, j’avais tendance à opiner du bonnet, pour ne pas avoir l’air con. Un beau jour, quand ma mère m’a cousu l’étoile jaune, l’étoile de shérif comme disait Gainsbourg, j’ai réalisé que je faisais partie des salauds de pourris de youpins en question. Pour employer un euphémisme … ça m’a fait un choc. »

La disparition de son père, Ervin, arrêté en septembre 1942 par la police française, conduit à Drancy puis déporté, constitue le second « choc »  pour le jeune Marcel. La famille ne reverra plus celui qui en 1939 s’était engagé volontairement dans l’armée française. Commence alors une course pour la survie : Marcel et sa jeune sœur Liliane échappent à une rafle en 1943 ; ils sont ensuite cachés, grâce à des religieux catholiques, chez des fermiers en Eure et Loire.

Chanson aigre douce - Gotlib - Dargaud

Chanson aigre douce – Gotlib – Dargaud

Ces traumatismes imposés par l’Histoire ne vont directement apparaître que dans deux des créations graphiques de Gotlib. La première, publiée en 1969 dans Pilote, s’intitule Chanson aigre-douce et met en scène un petit garçon de 8 ans qui est hébergé par une famille de paysans dans les années 1940. Un jour d’orage, troublé par une comptine dont il ne comprend pas vraiment la signification (« Leblésemouti, Labiscouti, Ouleblésmou, Labiscou »), l’enfant se réfugie dans l’étable de la ferme en compagnie d’une chèvre qu’il a adoptée et qu’il caresse tendrement. Ce n’est qu’une fois adulte qu’il fera le rapprochement entre cet « habit » qui se « coud » et le port de l’étoile jaune sous le régime de Vichy.©

La Coulpe de Gotlib

La Coulpe de Gotlib

Quatre ans plus tard, dans L’Echo des Savanes, Gotlib publie une bande dessinée en 15 planches, intitulée La Coulpe, pour évoquer les affres de la création artistiques et les doutes personnels qui l’assaillent. Les quatre vignettes de la planche d’ouverture présentent un petit garçon, vu de dos, qui fait une farce à un camarade de son âge. Il l’asperge d’eau, un peu à la manière des clowns. Mais la dernière vignette constitue une chute narrative brutale : ce n’est pas une fausse fleur qu’il a cousue sur sa veste, mais l’étoile jaune ; et d’un air triomphant, l’enfant proclame :

« Je viens de saisir le sens de l’expression humour grinçant. De beaux jours se préparent ! »

 Si Gotlib s’est toujours montré très pudique quant à son histoire familiale, on peut quand même considérer que tout son art se nourrit de ces épreuves personnelles. Ainsi, en 1968, dans deux planches intitulées Manuscrit pour les générations futures, le dessinateur a raconté la destruction des Halles de Paris en prenant comme protagonistes des rongeurs. Le déménagement du marché central vers Rungis est vécu par le « peuple des rats » comme un « grand cataclysme » (shoah en hébreu) car il donne lieu à une opération de dératisation de grande ampleur, à l’aide d’un gaz nommé « le fléau ». Une métaphore évidente de la destruction du ghetto de Varsovie, et au-delà de la politique nazie d’extermination des juifs.

Superdupont gravissant la Tour Eiffel - Gotlib (C) Fluide Glacial

Superdupont gravissant la Tour Eiffel – Gotlib(C) Fluide Glacial

Plus généralement, le comique qu’il pratique, et notamment l’usage massif de l’autodérision, conduit à le classer parmi les représentants de « l’humour juif ». Le personnage de Superdupont qu’il invente est à voir comme « un concentré pathétique et ridicule de la médiocrité d’une France vichyste, xénophobe, arc-boutée sur ses mythes identitaires » (Paul Salmona, préface du catalogue de l’exposition). Son goût pour l’anticonformisme, sa condamnation de toute forme de censure, s’inscrivent dans son rejet des morales étriquées ou excessives. Sa manière de s’affranchir des conventions de la case de bande dessinée, en donnant une place essentielle au texte, et surtout à la graphie des mots, serait également à relier à la fonction des lettres dans la tradition juive : « un monde dont le sens est caché » (Anne-Hélène Hoog, dans le catalogue de l’exposition.

Gotlib a interrompu sa carrière de dessinateur au milieu des années 1980. Cette exposition est la première rétrospective à réunir une sélection de 150 planches originales, complétées par des archives photographiques personnelles, ainsi que par des documents écrits et audiovisuels. Vous pourrez apprécier à sa juste mesure l’extrême précision de son coup de crayon.

Hors-série Fluide Glacial Pilote - Spécial Gotlib

Hors-série Fluide Glacial Pilote – Spécial Gotlib

Pas de panique si vous avez des enfants : les planches les plus osées n’ont pas été retenues. Mais il s’agit plus d’un parti pris que d’une censure, en commun accord avec le dessinateur lui-même.

Loretta Giacchetto

A parcourir pour en savoir plus sur Gotlib par Gotlib et le hors-série collector qui rassemble des planches parues dans Fluide glacial et dans Pilote

Ainsi que l’expo en photo vu par Dargaud et les premières pages du catalogue de l’exposition.

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