21 Oct

Intégrales Dupuis : un dernier Bizu et un premier Crannibales au menu d’octobre

Les intégrales s’enchaînent à la vitesse de la lumière chez Dupuis. Tous les grands héros de la prestigieuse maison d’édition auront bientôt leur intégrale. Pour Bizu de Fournier, c’est fait. Pour les Crannibales de Fournier et de Zidrou, ça commence…IMG_1317

Amis de la poésie et de l’humour bonjour, le Breton Jean-Claude Fournier est doublement à l’honneur ce mois-ci avec deux intégrales qui portent sa griffe, deux intégrales aux univers pourtant très différents.

Bizu tout d’abord, le troisième et ultime volume de l’intégrale consacré au lutin de Brocéliande propose ses dernières aventures, Le chevalier Potage, Le trio Jabadao, La croisière fantôme et La Houle aux loups.

Créé en 1967 pour le journal Spirou, le personnage de Bizu vit d’abord des récits plus ou moins courts et publiés de façon plutôt sporadique. Il faut dire que Jean-Claude Fournier reçoit dès 1970 et pour une décennie la lourde charge d’animer les aventures de Spirou et Fantasio. Jusqu’à ce qu’il en soit écarté de façon peu charitable.

« Coup de chance… », nous précise Martin Zeller, auteur du dossier introduisant cette nouvelle intégrale, « depuis vingt ans que Fournier s’amuse en amateur avec Bizu, il a eu le temps de développer un univers, des personnages, des relations, une langue et un graphisme cohérents qui n’appartiennent qu’à ce petit bout imaginaire de Brocéliande ». Jean-Claude Fournier reprend alors les aventures de cranibales01son personnage et publie les premiers albums chez Fleurus avant de retourner chez Dupuis pour quatre nouveaux titres parus entre 1990 et 1994, ceux-là même aujourd’hui réunis dans cette intégrale. Des aventures poétiques, féériques et bretonnantes ! (Intégrale tome 3, 28€)

Brochette de pompiers flambées à l’armagnac, fricassée de malfrats, cassolette de caissière à la provençale ou encore papillotes d’orteils sauce fromage… on change de style, on oublie la poésie – quoique! – pour l’humour gastronomique et cannibale avec Les Crannibales, une série imaginée par Zidrou ET encore une fois Fournier qui signe ici le dessin dans un style qu’on ne lui connaissait pas.

Si les lecteurs du journal se rappellent encore de l’apparition des personnages dans les pages du journal Spirou en 1995, ils se souviennent aussi de la publication de leurs aventures en album avec ce premier tome goulument intitulé À Table! auquel il manquait un morceau de couverture, un album mordu pour des histoires mordantes, rien de plus logique. Suivront assez rapidement On mange qui, ce soir ?, Pour qui sonne le gras ? et L’aile ou la cuisse ? tous repris dans cette intégrale épicée à consommer sans modération. (Intégrale tome 1, 28)

Eric Guillaud

17 Oct

Les folles aventures de Spirou contées par les Nantais Yoann et Vehlmann

Il y a d’un côté les mythiques aventures de Spirou et Fantasio immortalisées en album, il y a aussi quantité d’histoires courtes spécialement écrites pour le journal Spirou qu’on pourrait imaginer perdues pour l’éternité. Pas toujours heureusement !

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Il y a d’un côté les mythiques aventures de Spirou et Fantasio immortalisées en album, il y a aussi quantité d’histoires courtes spécialement écrites pour le journal Spirou qu’on pourrait imaginer perdues pour l’éternité. Pas toujours heureusement !

La suite ici

11 Oct

Les super héros oubliés d’avant-guerre de Centaur Publishing reviennent à la vie grâce à une poignée de fans français et grâce aussi à Jean-Michel Ferragatti

CouvertureLa forte popularité des pulps dans l’avant-guerre de Roosevelt et l’arrivée des premiers super-héros ont suscité beaucoup de vocations dans l’Amérique des années 30. Et même si l’Histoire n’a retenu depuis que les mastodontes DC et MARVEL (créées respectivement 1934 et 1939), nombreuses ont été les éphémères maisons d’éditions à se lancer sur ce juteux marché. L’une d’entre elles s’appelait Centaur Publishings mais malgré plus d’une vingtaine de titres différents lancés entre 1933 et 1942, elle a fini par mordre la poussière à cause de problèmes de distribution. Alors que ses personnages sont tombés dans le domaine public en 1992, une poignée de passionnés français ont décidé de ressusciter certains de ses héros les plus emblématiques pour deux volumes regroupant à la fois anciens numéros d’époque et nouvelles aventures inédites réalisées spécialement pour l’occasion. Alors que le premier volume est déjà sorti et que le deuxième, après une campagne réussie sur un site de financement participatif, est sur le point d’être imprimé, le coordinateur du projet Jean-Michel Ferragatti, nous parle de ce projet fait par et pour des fans.

Pourquoi selon vous les personnages de Centaur sont-ils ainsi tombés dans l’oubli ?

Jean-Michel Ferragatti : L’éditeur Centaur a arrêté sa ligne de comics à cause d’une mauvaise distribution de ses publications en 1942, une mauvaise distribution qui a sans doute abouti à des volumes relativement faibles et par conséquence d’exemplaires trop limités pour les collectionneurs. De plus, les lecteurs de comics n’ont réellement commencé à créer des collections à la fin des années 50. Ils n’avaient donc jamais vu les publications Centaur qui en conséquence étaient très peu recherchées tout en étant rares. Or les bouquinistes leur accordaient donc une côte assez chère pour peu de demande, donc le plus souvent ils restaient sans acheteur et leur contenu inconnu. Cela a changé avec la sortie en 1990 de l’ouvrage d’Ernst Gerber regroupant de nombreuses pochettes de comics, dont pas mal de Comics Centaur. Cela a réveillé la curiosité des collectionneurs mais c’est vraiment l’avènement d’internet qui a parachevé cette redécouverte. Reste que certains grands auteurs ne les avaient pas oublié, je pense notamment à Gil Kane, le créateur entre autres d’Iron Fist, qui avait introduit des éléments de la série Amazing Man, notamment le décor de la cité des Immortels K’un- Lun, directement inspiré du lieu de villégiature du ‘Conseil des Sept’ d’Amazing Man.

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Est-ce que l’une des raisons de ce relatif anonymat ne vient pas aussi du fait que les histoires que vous avez incluses dans le premier volume de Centaur Chronicles s’inscrivent au final plutôt dans une certaine tradition du serial US – avec ce que cela implique en terme de rythme, de personnages assez manichéens etc. – que du style ‘super-héros’ proprement dit ?

Jean-Michel Ferragatti : C’est vrai que les histoires de Centaur ont assez peu de continuité telle que l’apprécie le plus souvent les lecteurs de Comics. Pendant le premier Âge d’Or (en gros, entre 1938 et 1954-ndr) il n’y a eu aucun crossover dans les publications Centaur, c’est-à-dire qu’aucun personnage n’en a rencontré un autre, même s’il y avait malgré tout une continuité interne à certaines des séries. Il y a sans doute également un effet lié au fait qu’étant parmi les premiers super-héros publiés, ces personnages ne possédaient pas tous les codes devenus classiques, ce qui les rend un peu atypiques, même pour le lecteur de l’époque. Mais ce qui en contrepartie les rend à mes yeux au contraire passionnants maintenant !

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Il vous a fallu s’y reprendre à trois fois pour mettre vraiment en branle ce projet. Que s’est-il passé ?

Jean-Michel Ferragatti : La première a été un faux départ car nous devions lancer la série dans un titre dont l’artiste Reed Man possédait la licence (Spécial Strange). Malheureusement alors que la couverture du numéro avait déjà été faite, le propriétaire lui annonça qu’il lui retirait. Très déçu, Reed Man a alors abandonné le projet. La deuxième fois, grâce à John Favre qui était l’éditeur du projet initial, deux épisodes ont été publiés dans ses magazines avec l’artiste Fred Grivaud pour toute la partie artistique. Mais John a ensuite eu des soucis avec sa maison d’édition et la suite n’a jamais été publiée. Fred et moi, nous avons alors contacté des éditeurs nationaux mais bien que certains aient montré un certain intérêt, nous n’avons eu aucune proposition ferme et Fred a souhaité s’éloigner du projet. La troisième avec Marti et en autoédition fut la bonne !

Les auteurs impliqués ont-ils dû apprendre à s’adapter en quelque sorte au style Centaur ?

Jean-Michel Ferragatti : Le scénariste certainement… Il faut savoir que les créateurs des personnages Centaur travaillaient à la même époque sur les premiers personnages de ce qui deviendra Marvel Comics (la Torche Humain, Namor) avec lesquels ils ont en commun d’être des un peu atypiques. Donc, il fallait faire ressortir ce côté assez peu formaté et un peu brut. Marti a dû bien entendu s’approprier les personnages graphiquement mais pas spécialement en reprenant un style Centaur mais plus en étant respectueux des designs originaux tout en les mettant au goût du jour.

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Pourquoi être au final passé par une plateforme de financement participatif pour éditer ces deux premiers volumes ? Et quel était le profil des gens qui ont financé l’opération ?

Jean-Michel Ferragatti : On est passé par ce biais là car nous voulions avoir une ‘caisse de résonnance’ facile à mettre en place. La campagne nous a aussi permis de faire de la communication de manière simple et d’avoir une infrastructure de paiement très facile. Les contributeurs sont de trois types : d’abord les amis, relations personnelles et professionnelles des artistes. Puis les fans des communautés de comics sur internet. Et enfin, les curieux intrigués par le projet.

Est-ce dès le départ un projet censé s’étaler sur plusieurs volumes ou est-ce que la réalisation du premier vous a donné envie de retenter ensuite l’aventure ?

Jean-Michel Ferragatti : Oui, dès le départ le projet était prévu sur quatre volumes. Il y a La Renaissance, le deuxième sera Les Origines, le troisième L’Adversité et le dernier L’affrontement. Mais l’une des caractéristiques des comics est la périodicité. Donc, nous avons déjà des projets pour au minimum une autre histoire de deux volumes et quelques projets spéciaux, voire un ‘spin-off’ si le public est au rendez-vous car l’univers Centaur est tellement riche que quatre volumes ne suffiront pas à en faire le tour.

Propos recueillis par Olivier Badin, Octobre 2017

23 Sep

Manhattan murmures : une échappée silencieuse dans New York signée Giacomo Bevilacqua

81U5AFFOcDLOù iriez-vous si vous aviez le besoin absolu d’une bonne cure de silence et d’isolement ? Sam, lui, a choisi New York. Une destination qui peut surprendre mais l’anonymat des grandes villes peut aussi donner le sentiment d’être seul au monde. Et libre…

« Ça ferait un bon titre de chanson. Une chanson dont les basses surpasseraient la mélodie. A écouter à fond, baffles dirigées vers le plancher. Pour en ignorer la musicalité, la mélodie. Pour n’en écouter que les vibrations et le rythme ». Oui, ça ferait un bon titre de chanson mais Manhattan murmures n’est pas une chanson, c’est une bande dessinée qui nous embarque finalement avec autant d’émotions dans ce qui est l’âme de New York. Et cette bande dessinée est signée Giacomo Bevilacqua, un auteur italien qu’on a pu découvrir de ce côté-ci des Alpes avec Panda aime paru chez Delcourt en 2013.

Pas de panda dans cette nouvelle histoire mais un homme, Sam, photographe de profession, à la tête d’un quotidien online, bien décidé à vivre pendant deux mois à Manhattan avec une règle simple : ne jamais parler à un autre être humain. Une sorte de défi qui doit nourrir un papier pour son journal et lui faire oublier une rupture amoureuse.

Et il y parvient, sans trop de difficulté, tout au moins au début, découvrant et nous faisant découvrir New York d’un autre oeil, d’une autre oreille. Au bas des buildings, Sam est seul au milieu du monde, seul avec ses pensées, ses souvenirs, ses blessures. Un récit introspectif qui nous plonge au plus profond de l’âme du photographe et nous offre en même temps de beaux instantanés de la ville. Une belle balade.

Eric Guillaud

Manhattan murmures, de Giacomo Bevilacqua. Éditions Vents d’Ouest. 20€

© Vents d'Ouest / Bevilacqua

© Vents d’Ouest / Bevilacqua

14 Sep

Epiphania : une fiction génialement cauchemardesque signée Ludovic Debeurme chez Casterman

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Ludovic Debeurme est un auteur rare et précieux qui s’est fait connaître du public ou plus restrictivement du public amateur d’une bande dessinée exigeante et parfois dérangeante, voire déroutante, avec l’album Lucille paru chez Futuropolis, Prix Goscinny en 2006, Essentiel du festival d’Angoulême en 2007. Onze ans et quelques albums plus tard, Ludovic revient avec Epiphania, un récit fantastique qui nous parle d’écologie, de paternité, de tolérance et d’amour…

Jeanne veut un enfant, David n’en veut pas. Il préfère jouer de la musique que changer des couches. Rien que l’idée d’être père lui fait faire des cauchemars. Le couple est en péril. Pour sauver ce qui reste à sauver, Jeanne et David acceptent de s’inscrire à un « Love Training Camp », un camp d’entrainement à l’amour. Sur une île. Mais à peine débarqués, à peine exposé le souci qui les amène ici et les éloignent l’un de l’autre, un tsunami géant ravage l’île et globalement la planète.

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retrouvez l’interview de l’auteur ici

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Jeanne disparaît. David survit. Et lorsque les eaux se retirent, les survivants découvrent des millions de foetus plantés dans la terre. Des êtres hybrides, mi-hommes mi-bêtes. David en trouve un dans son jardin et l’adopte. Lui qui se refusait d’être père le devient, un père affectueux et protecteur d’un monde qui sombre dans la violence et la haine, prêt à s’autodétruire…

Si vous avez aimé comme moi Lucille et la suite, Renée, deux albums respectivement parus en 2006 et 2011 chez Futuropolis, ou ses deux derniers albums, Trois fils et Un Père vertueux chez Cornélius, alors vous aimerez logiquement Epiphania dont le premier des trois volets annoncés vient de sortir.

Avec son graphisme dépouillé, un univers que certains jugent proche de Charles Burns, avec une touche de Daniel Clowes serait-on tenté d’ajouter, Ludovic Debeurme marque le neuvième art d’une empreinte indélébile, fantasque et ambitieuse, à l’image des auteurs appartenant à ce qu’on qualifie de Nouvelle bande dessinée, apparue au tournant du siècle. Ludovic Debeurme n’utilise pas le médium bande dessinée, il le réinvente, explore de nouvelles voies. Et c’est bien là l’essentiel. Magnifique !

Eric Guillaud

Epiphania, de Ludovic Debeurme. Éditions Casterman. 22€

© Casterman / debeurme

© Casterman / debeurme

12 Sep

Puta Madre : suite et fin d’un parcours initiatique digne d’un Quentin Tarantino sous acide

Mutafukaz_Puta-Madre_06Mélange détonnant entre la série carcérale Oz, l’univers ultra-brutal des gangs chicanos et quête initiatique, on avait déjà vanté les mérites des trois premiers tomes de la série Puta Madre au printemps dernier qui ici finit, apparemment, en fanfare.

Comme c’est marqué sobrement en bas de la page de verso, toutes les cases sont ici cochées : violence, langage grossier, sexe, religion, drogues et… ‘original gangsters’. Avec toujours aux manettes les deux dessinateurs ‘stars’ de l’écurie MUTAFUKAZ, Run et Neyef et toujours ce pot-pourri de culture hip-hop, de mystiques, de croyances incas et d’ultra-violence urbaine où l’on suit le destin de Jésus, enfant envoyé en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis et éduqué derrière les barreaux par des codétenus qui lui ont appris à survivre dans un monde sans pitié.

© Ankama / Run & Neyef

© Ankama / Run & Neyef

Ce chapitre final a beau signifier la fin de la saga – du moins en surface car la dernière planche n’est pas vraiment définitive, comme si une éventuelle suite pouvait être envisagée – il n’y a pas vraiment de rédemption en vue. Même si c’est un personnage principal d’abord limite SDF et malade que l’on retrouve, éternellement à la recherche d’une famille de substitution et qui, cette fois-ci, jette son dévolu sur une drôle de troupes d’évangélistes (en même temps, avec un prénom pareil) dont tous les membres cachent leur visage derrière un masque de catcheur mexicain. Il fini d’ailleurs par en devenir un lui-même, s’inventant au passage une nouvelle identité (‘El Diablo’, le Diable) comme s’il voulait une bonne fois pour toute effacer le petit garçon apeuré qu’il avait été.

© Ankama / Run & Neyef

© Ankama / Run & Neyef

L’intérêt d’avoir deux dessinateurs au style si distinct est qu’ils apportent chacun un éclairage différent sur la même histoire : le style limite manga mais réaliste et stylé de Run (qui s’amuse même à incruster le temps de quelques cases son héros Lino !) contraste avec celui de Neyef, à la limite plus proche à la fois du graph et d’un Robert Crumb pris d’une soif de sang incontrôlable. Mais on reste toujours dans un style très comics US, ramassé et nerveux, parfait pour ce genre de format court même si cette fin qui n’en est pas vraiment une laisse pas mal de choses en suspens. Mais peut-être moins clivant qu’un Heartbreaker par exemple (trop de vampires ?) et plus ancré dans le réel que DoggyBags, ce dernier volume de Puta Madre est à la fois bien représentatif de l’état d’esprit de cette petite mais déjà costaude maison d’édition et en même temps assez à part. Le tout pour (seulement) le prix d’une bière fraîche…

Olivier Badin   

 Putra Madre #6, par Run et Neyef, Label 619, Editions Ankama, 3,90 euros

10 Sep

Kérosène : le photographe Alain Bujak et l’auteur de BD Piero Macola donnent la parole aux manouches

Couv_307948C’est un endroit où personne ne devrait logiquement vivre, coincé entre une déchetterie et la base militaire aérienne B118 de Mont-de-Marsan, la plus active de France. 3000 soldats, 20 000 mouvements d’avions par an et du kérosène qui vous dégringole dessus en permanence. Non, personne ne devrait y vivre, pourtant la maison de Marie s’y trouve, et à côté d’elle d’autres familles, d’autres maisons, formant le plus ancien camp de gitans de France…

« De la graine de vauriens, des cambrioleurs, des voleurs de cuivre, des bagarreurs mal rasés qui sillonnent les routes de France et de Navarre à bord de grosses bagnoles tractant d’énormes caravanes. Des gens peu fréquentables, dont il faut se méfier et qui n’apportent que des ennuis… ».

Ces mots-là, nous les avons tous entendus un jour ou l’autre. Claquant comme une évidence. Alors, beaucoup d’entre eux se sont isolés et beaucoup d’entre nous les ont évités. Au point aujourd’hui de vivre chacun dans l’indifférence totale, deux mondes qui ne se voient pas, ne se parlent pas, d’un côté les manouches, de l’autre les gadjos et au milieu une rivière de préjugés, de méfiances et d’ignorances.

En arrivant au camp, le photographe Alain Bujak se remémore lui aussi ces mots. Et d’autres encore. Il est venu ici pour enquêter sur le prochain démantèlement du camp arès le rachat du terrain par l’armée et le relogement des manouches dans des habitations plus traditionnelles pour une vie forcément plus standardisée.

Marie est la première personne que rencontre Alain Bujak. Un passage obligé. Elle vit dans le camp de rond depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle y a vécu le racisme ordinaire, la misère, l’exclusion, la solitude. Mais elle y a aussi vécu de belles choses. En 60 ans et plus, Marie a largement eu le temps d’installer ses petites habitudes et d’engranger les souvenirs.

Comment réagit-elle à ce déménagement ? Comment tous voient-ils l’avenir ? Pourront-ils conserver leur manière de vivre, leur identité ? Leur culture ne risque-t-elle pas de se diluer dans un quotidien « normalisé » ? C’est à toutes ces questions et beaucoup d’autres que le photographe espère trouver des réponses en interrogeant les manouches.

Kérosène nous raconte cette enquête avec les dessins de Piero Macola, les photographies – une trentaine – d’Alain Bujak et un objectif clair : donner la parole aux manouches et garder la trace de cette histoire humaine. Une bande dessinée soutenue par Amnesty International.

Eric Guillaud

Kérosène, par Alain Bujak et Piero Macola. Éditions Futuropolis. 21€

© Futuropolis / Bujak & Macola

© Futuropolis / Bujak & Macola

11 Juil

DoggyBags présente… HeartBreaker : les méchants n’ont pas dit leur dernier mot

DoggyBags_presente_HeartBreaker HeartBreaker, l’une des héroïnes phares de l’équipe de DoggyBags a enfin droit à son propre volume. Et bien que ça gicle de partout, rarement une vampire n’aura été aussi trouble et sexy…

En mars dernier, on saluait la très destroy revue DoggyBags qui tirait alors avec son treizième numéro sa révérence tout en nous promettant, comme tous ces super-méchants de série Z dont ses auteurs sont si friands, qu’ils reviendraient bientôt, mais sous une autre forme. « I’ll be back ! » comme disait Arnold à Sarah Connor en somme… C’est désormais chose faîte avec une nouvelle série intitulée sobrement Doggybags présente et qui, comme son nom l’indique, devrait sortir de façon régulière des tomes indépendants les uns des autres mais centrés autour d’un personnage bien précis à chaque fois.

Difficile d’être surpris en découvrant l’identité de celle qui ouvre le bal : réunissant pas mal des thématiques chères à ses (nombreux) papas comme le gore ou le vampirisme avec une bonne dose de sexe, on peut dire que HeartBreaker (‘la briseuse de cœur’ pour les gens allergiques à la langue de Shakespeare) est l’archétype même de l’anti-héroïne du label 619. Apparue pour la première fois dans le sixième numéro de DoggyBags, portée par une adaptation en court-métrage (visible sur youtube) où l’ancienne actrice de films X Céline Tran alias Katsuni (qui signe ici le scénario de l’une des trois histoires et qui a servi de modèle au personnage) interprétait le rôle, voici Celyna, infectée par un vampire qu’elle cherche depuis désespérément à tuer pour mettre fin à la malédiction. Sauf que plus elle tente de le retrouver, plus les cadavres s’amoncellent et surtout, plus sa nouvelle nature prend le pas sur le reste. Un peu comme l’anti-héros campé par Wesley Snipes dans le film Blade, autre référence à peine voilée.

Bien sûr, le ton et le style graphique varie pas mal en fonction des auteurs : si le premier assume son affiliation manga, le suivant (Bad Blood signé par Run, le patron de label 619 et Chariospirale) est un trip limite plus proche du graffiti mais sous acide alors que Blood Lust conclut la trilogie d’une façon à la fois plus réaliste et en même temps limite encore plus perverse. Mais au-delà de l’hommage appuyé aux films d’horreur de série B (jusqu’à affubler l’un des personnages de la dernière histoire d’un t-shirt ‘Pussy Twister’ sûrement en référence au club ‘Titty Twister’ du film de Robert Rodriguez, Une Nuit en Enfer) et d’exploitation et de son parfum gothique urbain, c’est bien son côté assez désespéré qui frappe. Elle a beau être sexy, diaboliquement séduisante malgré sa part d’ombre et manier le sabre comme personne, comme tous les autres grandes figures de l’écurie label 619, HeartBreaker est maudite et elle le sait.

Olivier Badin

DoggyBags présente HeartBreaker, de Run, Céline Tran, Hasteda Sourya, Chariospirale et Maria Llovet, Éditions Ankama. 13,90€

© Ankama - Run, Tran, Hasteda, Sourya, Chariospirale & Llovet

© Ankama – Run, Tran, Hasteda, Sourya, Chariospirale & Llovet

08 Juil

Yoko Tsuno, Sibylline, Buck Danny, les Schtroumpfs, Cédric, Marsupilami… les héros sont éternels

7SMjc161ZvHv9J1Y8RzFveE2oQ65cdqZ-couv-1200Ils s’appellent Sibylline, Buck Danny, les Schtroumpfs, Yoko Tsuno ou encore Cédric, ils ont 20, 30 ou même 70 ans d’aventures derrière eux, des dizaines d’albums, plusieurs générations de lecteurs, et résistent encore et encore aux assauts à l’arme lourde des héros des temps modernes, ceux qui squattent les jeux vidéos et plus encore les réseaux sociaux…

Honneur au plus âgé de la bande, Buck Danny, une première apparition en 1947 dans les pages du journal Spirou, 55 aventures à ce jour dans la série initiale, signées par quatre dessinateurs, Victor Hubinon, Francis Bergèse, Francis Winis puis Formosa, et autant de scénaristes, Jean-Michel Charlier, Jacques de Douhet, Francis Bergèse et Fred Zumbiehl. Tous ces récits ont été publiés à plusieurs reprises en intégrale. La dernière en date vient tout juste de s’enrichir d’un douzième volume regroupant les derniers scénarios de Charlier et les premiers albums de BergèseeFndHzoinzO4SHWI07O5rKXY34qUWLw0-couv-1200, quatre aventures réalisées entre 1983 et 1988, autant dire une période de transition mais qui permet à la série de trouver une nouvelle dynamique. (Dupuis, 24€)

D’un côté la série mère, de l’autre les intégrales, au centre depuis 2014 une nouvelle série intitulée Les Aventures de Buck Danny Classic qui nous replonge dans la guerre de Corée et la seconde guerre mondiale, des aventures qui distillent une petite atmosphère vintage qui séduit les fans de la première heure comme les derniers arrivés. Le quatrième volet, L’île du diable, vient de sortir, direction une petite île perdue de la mer de Banda. On retrouve Buck Danny sur la plage, son avion au fond de l’eau. « Me voilà bien seul au monde » se dit-il. Pas pour longtemps, les Japonais vont se rappeler à son souvenir… (Dupuis – Zéphyr, 14€)

schtroumpfs-et-village-filles-tome-1-foret-interditeChangement de format, on oublie les grands pour les petits héros, en taille bien évidemment, parce que du côté ancienneté, les Schtroumpfs ont eux-aussi sévèrement de la bouteille, 59 ans d’existence et toujours un teint bleu de jeunes premiers. Leur créateur, Peyo, est mort en 1992 mais les Schtroumpfs ont continué leur vie sous la plume de Thierry Culliford, le fils de Peyo, et les pinceaux d’Alain Maury, Ludo Borecki, Jeroen De Coninck, Pascal Garray. 34 aventures à ce jour, un hors série et ce premier volet d’une nouvelle série, Les Schtroumpfs & Le village des filles, publié à la veille de la sortie en salle du film Les Schtroumpfs et le village perdu en mars dernier. On y décvrouvre un village de Schtroumpfs filles. Elles sont toutes aussi bleues mais la différence est ailleurs… (Le Lombard, 15,90)

Dans la catégorie fille justement, l’une des premières héroïnes avec Natacha à avoir disposé de sa propre série s’appelle Yoko Tsuno. Créée en 1970, il y a donc 47 ans, oui oui quand même, elle poursuit dGUrVR234hD8eDRbbR4BCL1QbzDBQLzu-couv-1200tranquillement sa route avec une 28e aventure signée Roger Leloup, Le Temple des immortels. Toujours pas une ride, toujours pas un cheveux blanc qui dépasse de sa belle chevelure noire, Yoko est universelle autant qu’intemporelle. Pour cette nouvelle aventure, elle nous entraîne dans les vestiges d’une château médiéval et plus précisément à l’intérieur d’une grotte anciennement occupée par des moines cisterciens chassés par Henri VIII. Quand le passé rencontre le futur ! (Dupuis, 10,95)9782203109148

Les souris aussi ont une belle espérance de vie dans le monde de la bande dessinée. Sibylline, personnage savoureux créé en 1965 par Raymond Macherot pour le journal Spirou, 16 albums dans la série originale, une longue interruption entre 1985 et 2006, et un retour chez Casterman pour de nouvelles aventures sous la plume de Corteggiani et les pinceaux de Netch. Des changements majeurs qui devraient donner un nouveau souffle à cette série animalière très poétique. (Casterman, 9,90)

3OUIHaXMkp9bjGBs5WRbfHuZVV1miy0b-couv-1200Un autre animal, totalement imaginaire celui-ci, le Marsupilami a été créé par l’immense André Franquin en 1952 dans Spirou et les héritiers. Contrairement à Spirou et à Fantasio, ce personnage reste la propriété de son créateur lorsque celui-ci décide de ne plus travailler sur la série à la fin des années 60. Il part donc avec son personnage sous le bras et finit par le confier en 1987 à un éditeur qui en fait une série à part entière. Bingo, le premier album La Queue du Marsupilami se vend à 600 000 exemplaires et signe la naissance d’un héros à part entière. 30 ans et 30 albums plus tard, Batem au dessin, Colman au Temps-de-chienscénario, nous proposent une nouvelle aventure au coeur de la Palombie secrète avec une recette qui a fait ses preuves. Houba ! (Mars Productions, 10,95)

On termine avec un gamin, un sacré gamin… de plus de 30 ans tout de même, Cédric, né d’une rencontre en 1986 entre le scénariste Raoul Cauvin, bien connu déjà à l’époque pour ses Tuniques bleues, et le dessinateur Laudec. 31ans d’aventures pour être précis et autant d’albums, tous conçus sur le même principe de l’histoire courte, drôle et tendre, des aventures du quotidien qui mine de rien parlent de vous, de nous, de la famille, de notre société. 11 millions d’albums vendus, un classique de la BD franco-belge. Temp de chien! est le dernier album en date. (Dupuis, 10,95)

Eric Guillaud