01 Déc
Non classé
08 Nov
L’Écorce des choses : Cécile Bidault nous plonge avec émotion et pédagogie dans le quotidien d’une enfant sourde des années 70
Habituellement, les bandes dessinées muettes répondent à une recherche stylistique, l’album de Cécile Bidault paru aux éditons Warum? l’est par la force des choses, son personnage principal, une petite fille, est sourde et muette…
Pas de bulles ou tout au moins des bulles blanches, vides, figurant les paroles échangées entre son père et sa mère qu’elle ne peut entendre. La petite fille de ce récit souffre de surdité sévère. Pas de bulles mais quelques mots tout de même de cette petite fille, et narratrice, en ouverture de l’album pour nous planter le décor. « Je n’ai jamais pu entendre. Quand j’avais neuf ans, mes parents ont déménagé à la campagne… ». Voilà pour l’essentiel!
C’est à ce moment précis du déménagement que l’histoire commence. Nous sommes en été, la petite fille, déjà isolée par son handicap, se retrouve sans repères, dans une nouvelle maison, un nouvel environnement, coincé entre une mère désemparée et un père au mieux maladroit, tentant de lui faire prononcer des lettres de l’alphabet, au pire complètement absent.
Peu à peu, la petite fille explore sa nouvelle maison, le grenier tout d’abord où elle découvre un vieux poste radio qu’elle allume et serre contre sa poitrine pour ressentir les vibrations. Le jardin ensuite et ses alentours. C’est là qu’elle croise un jeune garçon qui va devenir son copain de jeu et partager son quotidien. Les saisons passent ainsi, les bons moments, les mauvais aussi…
Elle voit qu’il se se dit des choses importantes autour d’elle, à la télévision, chez elle quand son père et sa mère se disputent, mais elle ne peut comprendre. Pire, elle ne peut intervenir.
Et la langue des signes me direz-vous ? Oui bien sûr, sauf que l’histoire se déroule dans les années 70 et que, comme nous le rappelle un bref historique placé à la fin de l’album, la langue des signes était interdite jusqu’en 1976 et qu’il faut attendre 1991 pour que la loi Fabius autorise son enseignement aux enfants sourds. Ça peut paraître dingue aujourd’hui mais c’est la réalité.
Le parti pris d’une bande dessinée muette place de fait le lecteur dans la peau et la tête de la petite fille. Alors forcément, le récit est troublant, riche en émotions, il est surtout très pédagogique. C’est « une invitations à la tolérance, au respect des différences et à l’ouverture aux autres… », écrit en préface Élodie Hemery, Directeur de l’institut national de jeunes sourds de Paris. Et on pourrait ajouter : sans être ennuyeux une seconde. Car L’Écorce des choses est avant tout un récit qui se lit comme une fiction, une très belle fiction, à la narration subtile et au graphisme délicat ! Lu et adoré.
Eric Guillaud
L’Écorce des choses, de Cécile Bidault. Éditions Warum?. 20€
07 Nov
Elric : une nouvelle adaptation épique et grandiose chez Glénat
Elric : enfin une adaptation à la hauteur de la légende de l’heroic fantasy, quarante-cinq ans après le premier coup de maître de Philippe Druillet
On va dire que c’est la faute de cette adaptation en jeu de rôles dans les années 80 qui lui a fait autant de bien que de mal au final. Du bien parce qu’elle a permis de populariser le personnage le plus flamboyant sorti de l’imagination pourtant luxuriante de l’auteur anglais d’heroic-fantasy Michael Moorcock. Mais du mal aussi parce qu’il a perdu au passage une partie de sa superbe car alors trop résumé à ses quelques traits les plus marquants et donc un chouia caricaturé. Car Elric de Melniboné n’est ni un héros ni un chevalier servant sur son blanc destrier mais bien un monarque sadique et égoïste que l’on pourrait plus rapprocher à la limite d’un Vlad Tepes et toute la force de cette nouvelle adaptation bédé est, justement, de lui rendre enfin justice.
C’est loin d’être la première mais ce n’est pas pour rien que l’affiliation graphique avec Philippe Druillet – qui le premier tenta sa chance en 1971 en collaboration directe avec Moorcock – saute aux yeux d’entrée ici. Dès les premières planches du Trône du Rubis, on est propulsé dans un monde noir, acéré de partout, violent et sans pitié au bestiaire démoniaque, celui des Ménilbonéens, race aristocratique régnant sans pitié sur le monde mais en pleine décadence. Albinos et malade mais aussi cruel et raffiné, leur souverain Elric est malgré tout trahi par son ambitieux cousin Yrkoon. Pour se venger, il vend son âme à Arioch le Dieu du Chaos qui lie alors son destin à Stormbringer, épée magique et insatiable buveuse d’âme qui demande toujours de tueries et qui entraînera sa perte. Loin, très loin de l’univers limite Bisounours en comparaison d’un Seigneur des Anneaux ou même d’un Conan, ici on vit et on meurt au gré des désirs des rois et des dieux, sans justice ni pitié…
Ils s’y sont pris à trois pour arriver à ce résultat – quatre si l’on compte le scénariste Julien Blondel – mais il est assez bluffant car épique et grandiose à la fois. Si de nombreuses pleines pages accentuent le souffle et la noirceur qui s’en dégagent, c’est bien le refus des auteurs de sombrer dans le manichéisme et leur façon assez subtile de tour à tour sublimer leur héros avant de le jeter dans des abîmes de doutes et de souffrances qui donne toute sa force au récit. Il y a toujours eu quelque chose de très Shakespearien chez ce personnage, notamment son côté maudit, et c’est la première fois où il transpire autant. Même s’ils se sont permis quelques libertés par rapport aux originaux (les fans doivent s’attendre à une belle surprise à la fin du tome 3), ils finissent quand même par sublimer l’œuvre de Moorcock plutôt que de la dénaturer, redonnant à Elric toute sa profondeur et sa complexité. Attendu pour le printemps prochain, le quatrième et dernier tome devrait donc être dantesque !
Olivier Badin
Elric 1. Le Trône de Rubis, 2. Stormbringer et 3. Le Loup Blanc, Glénat BD, 14,95 €
21 Oct
Intégrales Dupuis : un dernier Bizu et un premier Crannibales au menu d’octobre
Les intégrales s’enchaînent à la vitesse de la lumière chez Dupuis. Tous les grands héros de la prestigieuse maison d’édition auront bientôt leur intégrale. Pour Bizu de Fournier, c’est fait. Pour les Crannibales de Fournier et de Zidrou, ça commence…
Amis de la poésie et de l’humour bonjour, le Breton Jean-Claude Fournier est doublement à l’honneur ce mois-ci avec deux intégrales qui portent sa griffe, deux intégrales aux univers pourtant très différents.
Bizu tout d’abord, le troisième et ultime volume de l’intégrale consacré au lutin de Brocéliande propose ses dernières aventures, Le chevalier Potage, Le trio Jabadao, La croisière fantôme et La Houle aux loups.
Créé en 1967 pour le journal Spirou, le personnage de Bizu vit d’abord des récits plus ou moins courts et publiés de façon plutôt sporadique. Il faut dire que Jean-Claude Fournier reçoit dès 1970 et pour une décennie la lourde charge d’animer les aventures de Spirou et Fantasio. Jusqu’à ce qu’il en soit écarté de façon peu charitable.
« Coup de chance… », nous précise Martin Zeller, auteur du dossier introduisant cette nouvelle intégrale, « depuis vingt ans que Fournier s’amuse en amateur avec Bizu, il a eu le temps de développer un univers, des personnages, des relations, une langue et un graphisme cohérents qui n’appartiennent qu’à ce petit bout imaginaire de Brocéliande ». Jean-Claude Fournier reprend alors les aventures de son personnage et publie les premiers albums chez Fleurus avant de retourner chez Dupuis pour quatre nouveaux titres parus entre 1990 et 1994, ceux-là même aujourd’hui réunis dans cette intégrale. Des aventures poétiques, féériques et bretonnantes ! (Intégrale tome 3, 28€)
Brochette de pompiers flambées à l’armagnac, fricassée de malfrats, cassolette de caissière à la provençale ou encore papillotes d’orteils sauce fromage… on change de style, on oublie la poésie – quoique! – pour l’humour gastronomique et cannibale avec Les Crannibales, une série imaginée par Zidrou ET encore une fois Fournier qui signe ici le dessin dans un style qu’on ne lui connaissait pas.
Si les lecteurs du journal se rappellent encore de l’apparition des personnages dans les pages du journal Spirou en 1995, ils se souviennent aussi de la publication de leurs aventures en album avec ce premier tome goulument intitulé À Table! auquel il manquait un morceau de couverture, un album mordu pour des histoires mordantes, rien de plus logique. Suivront assez rapidement On mange qui, ce soir ?, Pour qui sonne le gras ? et L’aile ou la cuisse ? tous repris dans cette intégrale épicée à consommer sans modération. (Intégrale tome 1, 28€)
Eric Guillaud
17 Oct
Les folles aventures de Spirou contées par les Nantais Yoann et Vehlmann
Il y a d’un côté les mythiques aventures de Spirou et Fantasio immortalisées en album, il y a aussi quantité d’histoires courtes spécialement écrites pour le journal Spirou qu’on pourrait imaginer perdues pour l’éternité. Pas toujours heureusement !
Il y a d’un côté les mythiques aventures de Spirou et Fantasio immortalisées en album, il y a aussi quantité d’histoires courtes spécialement écrites pour le journal Spirou qu’on pourrait imaginer perdues pour l’éternité. Pas toujours heureusement !
11 Oct
Les super héros oubliés d’avant-guerre de Centaur Publishing reviennent à la vie grâce à une poignée de fans français et grâce aussi à Jean-Michel Ferragatti
La forte popularité des pulps dans l’avant-guerre de Roosevelt et l’arrivée des premiers super-héros ont suscité beaucoup de vocations dans l’Amérique des années 30. Et même si l’Histoire n’a retenu depuis que les mastodontes DC et MARVEL (créées respectivement 1934 et 1939), nombreuses ont été les éphémères maisons d’éditions à se lancer sur ce juteux marché. L’une d’entre elles s’appelait Centaur Publishings mais malgré plus d’une vingtaine de titres différents lancés entre 1933 et 1942, elle a fini par mordre la poussière à cause de problèmes de distribution. Alors que ses personnages sont tombés dans le domaine public en 1992, une poignée de passionnés français ont décidé de ressusciter certains de ses héros les plus emblématiques pour deux volumes regroupant à la fois anciens numéros d’époque et nouvelles aventures inédites réalisées spécialement pour l’occasion. Alors que le premier volume est déjà sorti et que le deuxième, après une campagne réussie sur un site de financement participatif, est sur le point d’être imprimé, le coordinateur du projet Jean-Michel Ferragatti, nous parle de ce projet fait par et pour des fans.
Pourquoi selon vous les personnages de Centaur sont-ils ainsi tombés dans l’oubli ?
Jean-Michel Ferragatti : L’éditeur Centaur a arrêté sa ligne de comics à cause d’une mauvaise distribution de ses publications en 1942, une mauvaise distribution qui a sans doute abouti à des volumes relativement faibles et par conséquence d’exemplaires trop limités pour les collectionneurs. De plus, les lecteurs de comics n’ont réellement commencé à créer des collections à la fin des années 50. Ils n’avaient donc jamais vu les publications Centaur qui en conséquence étaient très peu recherchées tout en étant rares. Or les bouquinistes leur accordaient donc une côte assez chère pour peu de demande, donc le plus souvent ils restaient sans acheteur et leur contenu inconnu. Cela a changé avec la sortie en 1990 de l’ouvrage d’Ernst Gerber regroupant de nombreuses pochettes de comics, dont pas mal de Comics Centaur. Cela a réveillé la curiosité des collectionneurs mais c’est vraiment l’avènement d’internet qui a parachevé cette redécouverte. Reste que certains grands auteurs ne les avaient pas oublié, je pense notamment à Gil Kane, le créateur entre autres d’Iron Fist, qui avait introduit des éléments de la série Amazing Man, notamment le décor de la cité des Immortels K’un- Lun, directement inspiré du lieu de villégiature du ‘Conseil des Sept’ d’Amazing Man.
Est-ce que l’une des raisons de ce relatif anonymat ne vient pas aussi du fait que les histoires que vous avez incluses dans le premier volume de Centaur Chronicles s’inscrivent au final plutôt dans une certaine tradition du serial US – avec ce que cela implique en terme de rythme, de personnages assez manichéens etc. – que du style ‘super-héros’ proprement dit ?
Jean-Michel Ferragatti : C’est vrai que les histoires de Centaur ont assez peu de continuité telle que l’apprécie le plus souvent les lecteurs de Comics. Pendant le premier Âge d’Or (en gros, entre 1938 et 1954-ndr) il n’y a eu aucun crossover dans les publications Centaur, c’est-à-dire qu’aucun personnage n’en a rencontré un autre, même s’il y avait malgré tout une continuité interne à certaines des séries. Il y a sans doute également un effet lié au fait qu’étant parmi les premiers super-héros publiés, ces personnages ne possédaient pas tous les codes devenus classiques, ce qui les rend un peu atypiques, même pour le lecteur de l’époque. Mais ce qui en contrepartie les rend à mes yeux au contraire passionnants maintenant !
Il vous a fallu s’y reprendre à trois fois pour mettre vraiment en branle ce projet. Que s’est-il passé ?
Jean-Michel Ferragatti : La première a été un faux départ car nous devions lancer la série dans un titre dont l’artiste Reed Man possédait la licence (Spécial Strange). Malheureusement alors que la couverture du numéro avait déjà été faite, le propriétaire lui annonça qu’il lui retirait. Très déçu, Reed Man a alors abandonné le projet. La deuxième fois, grâce à John Favre qui était l’éditeur du projet initial, deux épisodes ont été publiés dans ses magazines avec l’artiste Fred Grivaud pour toute la partie artistique. Mais John a ensuite eu des soucis avec sa maison d’édition et la suite n’a jamais été publiée. Fred et moi, nous avons alors contacté des éditeurs nationaux mais bien que certains aient montré un certain intérêt, nous n’avons eu aucune proposition ferme et Fred a souhaité s’éloigner du projet. La troisième avec Marti et en autoédition fut la bonne !
Les auteurs impliqués ont-ils dû apprendre à s’adapter en quelque sorte au style Centaur ?
Jean-Michel Ferragatti : Le scénariste certainement… Il faut savoir que les créateurs des personnages Centaur travaillaient à la même époque sur les premiers personnages de ce qui deviendra Marvel Comics (la Torche Humain, Namor) avec lesquels ils ont en commun d’être des un peu atypiques. Donc, il fallait faire ressortir ce côté assez peu formaté et un peu brut. Marti a dû bien entendu s’approprier les personnages graphiquement mais pas spécialement en reprenant un style Centaur mais plus en étant respectueux des designs originaux tout en les mettant au goût du jour.
Pourquoi être au final passé par une plateforme de financement participatif pour éditer ces deux premiers volumes ? Et quel était le profil des gens qui ont financé l’opération ?
Jean-Michel Ferragatti : On est passé par ce biais là car nous voulions avoir une ‘caisse de résonnance’ facile à mettre en place. La campagne nous a aussi permis de faire de la communication de manière simple et d’avoir une infrastructure de paiement très facile. Les contributeurs sont de trois types : d’abord les amis, relations personnelles et professionnelles des artistes. Puis les fans des communautés de comics sur internet. Et enfin, les curieux intrigués par le projet.
Est-ce dès le départ un projet censé s’étaler sur plusieurs volumes ou est-ce que la réalisation du premier vous a donné envie de retenter ensuite l’aventure ?
Jean-Michel Ferragatti : Oui, dès le départ le projet était prévu sur quatre volumes. Il y a La Renaissance, le deuxième sera Les Origines, le troisième L’Adversité et le dernier L’affrontement. Mais l’une des caractéristiques des comics est la périodicité. Donc, nous avons déjà des projets pour au minimum une autre histoire de deux volumes et quelques projets spéciaux, voire un ‘spin-off’ si le public est au rendez-vous car l’univers Centaur est tellement riche que quatre volumes ne suffiront pas à en faire le tour.
23 Sep
Manhattan murmures : une échappée silencieuse dans New York signée Giacomo Bevilacqua
Où iriez-vous si vous aviez le besoin absolu d’une bonne cure de silence et d’isolement ? Sam, lui, a choisi New York. Une destination qui peut surprendre mais l’anonymat des grandes villes peut aussi donner le sentiment d’être seul au monde. Et libre…
« Ça ferait un bon titre de chanson. Une chanson dont les basses surpasseraient la mélodie. A écouter à fond, baffles dirigées vers le plancher. Pour en ignorer la musicalité, la mélodie. Pour n’en écouter que les vibrations et le rythme ». Oui, ça ferait un bon titre de chanson mais Manhattan murmures n’est pas une chanson, c’est une bande dessinée qui nous embarque finalement avec autant d’émotions dans ce qui est l’âme de New York. Et cette bande dessinée est signée Giacomo Bevilacqua, un auteur italien qu’on a pu découvrir de ce côté-ci des Alpes avec Panda aime paru chez Delcourt en 2013.
Pas de panda dans cette nouvelle histoire mais un homme, Sam, photographe de profession, à la tête d’un quotidien online, bien décidé à vivre pendant deux mois à Manhattan avec une règle simple : ne jamais parler à un autre être humain. Une sorte de défi qui doit nourrir un papier pour son journal et lui faire oublier une rupture amoureuse.
Et il y parvient, sans trop de difficulté, tout au moins au début, découvrant et nous faisant découvrir New York d’un autre oeil, d’une autre oreille. Au bas des buildings, Sam est seul au milieu du monde, seul avec ses pensées, ses souvenirs, ses blessures. Un récit introspectif qui nous plonge au plus profond de l’âme du photographe et nous offre en même temps de beaux instantanés de la ville. Une belle balade.
Eric Guillaud
Manhattan murmures, de Giacomo Bevilacqua. Éditions Vents d’Ouest. 20€
14 Sep
Epiphania : une fiction génialement cauchemardesque signée Ludovic Debeurme chez Casterman
Ludovic Debeurme est un auteur rare et précieux qui s’est fait connaître du public ou plus restrictivement du public amateur d’une bande dessinée exigeante et parfois dérangeante, voire déroutante, avec l’album Lucille paru chez Futuropolis, Prix Goscinny en 2006, Essentiel du festival d’Angoulême en 2007. Onze ans et quelques albums plus tard, Ludovic revient avec Epiphania, un récit fantastique qui nous parle d’écologie, de paternité, de tolérance et d’amour…
Jeanne veut un enfant, David n’en veut pas. Il préfère jouer de la musique que changer des couches. Rien que l’idée d’être père lui fait faire des cauchemars. Le couple est en péril. Pour sauver ce qui reste à sauver, Jeanne et David acceptent de s’inscrire à un « Love Training Camp », un camp d’entrainement à l’amour. Sur une île. Mais à peine débarqués, à peine exposé le souci qui les amène ici et les éloignent l’un de l’autre, un tsunami géant ravage l’île et globalement la planète.
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retrouvez l’interview de l’auteur ici
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Jeanne disparaît. David survit. Et lorsque les eaux se retirent, les survivants découvrent des millions de foetus plantés dans la terre. Des êtres hybrides, mi-hommes mi-bêtes. David en trouve un dans son jardin et l’adopte. Lui qui se refusait d’être père le devient, un père affectueux et protecteur d’un monde qui sombre dans la violence et la haine, prêt à s’autodétruire…
Si vous avez aimé comme moi Lucille et la suite, Renée, deux albums respectivement parus en 2006 et 2011 chez Futuropolis, ou ses deux derniers albums, Trois fils et Un Père vertueux chez Cornélius, alors vous aimerez logiquement Epiphania dont le premier des trois volets annoncés vient de sortir.
Avec son graphisme dépouillé, un univers que certains jugent proche de Charles Burns, avec une touche de Daniel Clowes serait-on tenté d’ajouter, Ludovic Debeurme marque le neuvième art d’une empreinte indélébile, fantasque et ambitieuse, à l’image des auteurs appartenant à ce qu’on qualifie de Nouvelle bande dessinée, apparue au tournant du siècle. Ludovic Debeurme n’utilise pas le médium bande dessinée, il le réinvente, explore de nouvelles voies. Et c’est bien là l’essentiel. Magnifique !
Eric Guillaud
Epiphania, de Ludovic Debeurme. Éditions Casterman. 22€
12 Sep
Puta Madre : suite et fin d’un parcours initiatique digne d’un Quentin Tarantino sous acide
Mélange détonnant entre la série carcérale Oz, l’univers ultra-brutal des gangs chicanos et quête initiatique, on avait déjà vanté les mérites des trois premiers tomes de la série Puta Madre au printemps dernier qui ici finit, apparemment, en fanfare.
Comme c’est marqué sobrement en bas de la page de verso, toutes les cases sont ici cochées : violence, langage grossier, sexe, religion, drogues et… ‘original gangsters’. Avec toujours aux manettes les deux dessinateurs ‘stars’ de l’écurie MUTAFUKAZ, Run et Neyef et toujours ce pot-pourri de culture hip-hop, de mystiques, de croyances incas et d’ultra-violence urbaine où l’on suit le destin de Jésus, enfant envoyé en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis et éduqué derrière les barreaux par des codétenus qui lui ont appris à survivre dans un monde sans pitié.
Ce chapitre final a beau signifier la fin de la saga – du moins en surface car la dernière planche n’est pas vraiment définitive, comme si une éventuelle suite pouvait être envisagée – il n’y a pas vraiment de rédemption en vue. Même si c’est un personnage principal d’abord limite SDF et malade que l’on retrouve, éternellement à la recherche d’une famille de substitution et qui, cette fois-ci, jette son dévolu sur une drôle de troupes d’évangélistes (en même temps, avec un prénom pareil) dont tous les membres cachent leur visage derrière un masque de catcheur mexicain. Il fini d’ailleurs par en devenir un lui-même, s’inventant au passage une nouvelle identité (‘El Diablo’, le Diable) comme s’il voulait une bonne fois pour toute effacer le petit garçon apeuré qu’il avait été.
L’intérêt d’avoir deux dessinateurs au style si distinct est qu’ils apportent chacun un éclairage différent sur la même histoire : le style limite manga mais réaliste et stylé de Run (qui s’amuse même à incruster le temps de quelques cases son héros Lino !) contraste avec celui de Neyef, à la limite plus proche à la fois du graph et d’un Robert Crumb pris d’une soif de sang incontrôlable. Mais on reste toujours dans un style très comics US, ramassé et nerveux, parfait pour ce genre de format court même si cette fin qui n’en est pas vraiment une laisse pas mal de choses en suspens. Mais peut-être moins clivant qu’un Heartbreaker par exemple (trop de vampires ?) et plus ancré dans le réel que DoggyBags, ce dernier volume de Puta Madre est à la fois bien représentatif de l’état d’esprit de cette petite mais déjà costaude maison d’édition et en même temps assez à part. Le tout pour (seulement) le prix d’une bière fraîche…
Olivier Badin
Putra Madre #6, par Run et Neyef, Label 619, Editions Ankama, 3,90 euros
10 Sep
Kérosène : le photographe Alain Bujak et l’auteur de BD Piero Macola donnent la parole aux manouches
C’est un endroit où personne ne devrait logiquement vivre, coincé entre une déchetterie et la base militaire aérienne B118 de Mont-de-Marsan, la plus active de France. 3000 soldats, 20 000 mouvements d’avions par an et du kérosène qui vous dégringole dessus en permanence. Non, personne ne devrait y vivre, pourtant la maison de Marie s’y trouve, et à côté d’elle d’autres familles, d’autres maisons, formant le plus ancien camp de gitans de France…
« De la graine de vauriens, des cambrioleurs, des voleurs de cuivre, des bagarreurs mal rasés qui sillonnent les routes de France et de Navarre à bord de grosses bagnoles tractant d’énormes caravanes. Des gens peu fréquentables, dont il faut se méfier et qui n’apportent que des ennuis… ».
Ces mots-là, nous les avons tous entendus un jour ou l’autre. Claquant comme une évidence. Alors, beaucoup d’entre eux se sont isolés et beaucoup d’entre nous les ont évités. Au point aujourd’hui de vivre chacun dans l’indifférence totale, deux mondes qui ne se voient pas, ne se parlent pas, d’un côté les manouches, de l’autre les gadjos et au milieu une rivière de préjugés, de méfiances et d’ignorances.
En arrivant au camp, le photographe Alain Bujak se remémore lui aussi ces mots. Et d’autres encore. Il est venu ici pour enquêter sur le prochain démantèlement du camp arès le rachat du terrain par l’armée et le relogement des manouches dans des habitations plus traditionnelles pour une vie forcément plus standardisée.
Marie est la première personne que rencontre Alain Bujak. Un passage obligé. Elle vit dans le camp de rond depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle y a vécu le racisme ordinaire, la misère, l’exclusion, la solitude. Mais elle y a aussi vécu de belles choses. En 60 ans et plus, Marie a largement eu le temps d’installer ses petites habitudes et d’engranger les souvenirs.
Comment réagit-elle à ce déménagement ? Comment tous voient-ils l’avenir ? Pourront-ils conserver leur manière de vivre, leur identité ? Leur culture ne risque-t-elle pas de se diluer dans un quotidien « normalisé » ? C’est à toutes ces questions et beaucoup d’autres que le photographe espère trouver des réponses en interrogeant les manouches.
Kérosène nous raconte cette enquête avec les dessins de Piero Macola, les photographies – une trentaine – d’Alain Bujak et un objectif clair : donner la parole aux manouches et garder la trace de cette histoire humaine. Une bande dessinée soutenue par Amnesty International.
Eric Guillaud
Kérosène, par Alain Bujak et Piero Macola. Éditions Futuropolis. 21€