Elric : enfin une adaptation à la hauteur de la légende de l’heroic fantasy, quarante-cinq ans après le premier coup de maître de Philippe Druillet
On va dire que c’est la faute de cette adaptation en jeu de rôles dans les années 80 qui lui a fait autant de bien que de mal au final. Du bien parce qu’elle a permis de populariser le personnage le plus flamboyant sorti de l’imagination pourtant luxuriante de l’auteur anglais d’heroic-fantasy Michael Moorcock. Mais du mal aussi parce qu’il a perdu au passage une partie de sa superbe car alors trop résumé à ses quelques traits les plus marquants et donc un chouia caricaturé. Car Elric de Melniboné n’est ni un héros ni un chevalier servant sur son blanc destrier mais bien un monarque sadique et égoïste que l’on pourrait plus rapprocher à la limite d’un Vlad Tepes et toute la force de cette nouvelle adaptation bédé est, justement, de lui rendre enfin justice.
C’est loin d’être la première mais ce n’est pas pour rien que l’affiliation graphique avec Philippe Druillet – qui le premier tenta sa chance en 1971 en collaboration directe avec Moorcock – saute aux yeux d’entrée ici. Dès les premières planches du Trône du Rubis, on est propulsé dans un monde noir, acéré de partout, violent et sans pitié au bestiaire démoniaque, celui des Ménilbonéens, race aristocratique régnant sans pitié sur le monde mais en pleine décadence. Albinos et malade mais aussi cruel et raffiné, leur souverain Elric est malgré tout trahi par son ambitieux cousin Yrkoon. Pour se venger, il vend son âme à Arioch le Dieu du Chaos qui lie alors son destin à Stormbringer, épée magique et insatiable buveuse d’âme qui demande toujours de tueries et qui entraînera sa perte. Loin, très loin de l’univers limite Bisounours en comparaison d’un Seigneur des Anneaux ou même d’un Conan, ici on vit et on meurt au gré des désirs des rois et des dieux, sans justice ni pitié…
Ils s’y sont pris à trois pour arriver à ce résultat – quatre si l’on compte le scénariste Julien Blondel – mais il est assez bluffant car épique et grandiose à la fois. Si de nombreuses pleines pages accentuent le souffle et la noirceur qui s’en dégagent, c’est bien le refus des auteurs de sombrer dans le manichéisme et leur façon assez subtile de tour à tour sublimer leur héros avant de le jeter dans des abîmes de doutes et de souffrances qui donne toute sa force au récit. Il y a toujours eu quelque chose de très Shakespearien chez ce personnage, notamment son côté maudit, et c’est la première fois où il transpire autant. Même s’ils se sont permis quelques libertés par rapport aux originaux (les fans doivent s’attendre à une belle surprise à la fin du tome 3), ils finissent quand même par sublimer l’œuvre de Moorcock plutôt que de la dénaturer, redonnant à Elric toute sa profondeur et sa complexité. Attendu pour le printemps prochain, le quatrième et dernier tome devrait donc être dantesque !
Olivier Badin
Elric 1. Le Trône de Rubis, 2. Stormbringer et 3. Le Loup Blanc, Glénat BD, 14,95 €