Comme (trop) souvent en France, il nous a fallu du temps – oh rien du tout, cinquante ans – pour enfin voir toute une pan de la culture ‘pulps’ traduite dans la langue de Molière. Mine de rien, bien que souvent vendu à l’origine dans des gares pour une modique somme et à destination avant tout d’un jeune public facilement impressionnable, ces courts récits de fantastique ou d’horreur tenant en général sur moins de dix pages ont véritablement façonné une bonne partie de la culture populaire américaine et fait flamber l’imagination de futurs réalisateurs comme Steven Spielberg ou George Lucas. Et accessoirement, ce fut en son temps une industrie florissante, pleine de titres éphémères mais aussi d’autres devenus ‘cultes’ par la suite.
Tales From The Crypts – d’abord intitulé The Crypts of terror avant de changer de nom – est l’une des plus connues mais avant tout à cause de son adaptation télévisuelle à la toute fin des années 80. Bizarrement, la série originelle de comics a été, elle, pendant longtemps oubliée, pas aidée certes par sa disparition prématurée en 1955. Mais après Les Humanoïdes Associés en 1983 puis Albin Michel à la fin des 90’s, c’st depuis 2012 au tour d’Akileos de reprendre le flambeau, avec une anthologie par an de vingt-quatre histoires chacun, avec quatre à ce jour. Même si on aurait aimé un petit top récapitulatif sur le contexte et qui se cachait derrière ces histoires macabres, le premier tome est d’une sobriété exemplaires en reprenant de façon chronologique la saga. On (re)découvre par exemple que le gimmick d’avoir une sorte d’hôte maléfique introduisant chaque histoire – au choix, une ‘ vieille sorcière’, ‘le gardien de la crypte’ ou ‘gardien du caveau’ – n’est apparu au bout de quelques numéros…
Difficile de ne pas établir l’inévitable parallèle avec un autre poids lourd du style, justement réhabilité aussi depuis peu par les éditions Delirium : Eerie et Creepy. Or autant ces derniers, certes parus qinze ans plus tard, étaient très graphiques et transgressifs, autant Tales From The Crypt et son cousin pas si éloigné The Haunt of Fear (qui est lui aussi réédité chez Akileos) paraissent d’abord bien plus sages et policés. Il faut dire qu’on est encore dans l’Amérique très puritaine de la première moitié des années 50 : les femmes se marient et restent au foyer, les hommes se doivent d’être respectables et de fumer la pipe et la violence ne doit jamais apparaître ouvertement mais rester avant tout subjective. Les morts se passent toujours hors champ, les cadavres traînent hors cadres. Or justement, même si pour le néophyte le tout paraîtra d’abord désespérément amidonné et politiquement correct, tout l’intérêt pour le lecteur du XXIe siècle est de lire entre les lignes et de deviner ce que certains de ces dessinateurs devenus mythiques depuis (comme Al Feldtsein, le futur rédacteur-en-chef de Mad Magazine) suggèrent d’une façon insidieuse. Ce qui au final rend peut-être l’ensemble encore plus subversif…
 noter qu’en plus de ces deux titres plus axés ‘horreur’ et ‘fantastique’, Akileos a aussi décidé de ressusciter d’autres classiques du catalogue EC COMICS, dont Shock/Crime SuspenStories (policier), Frontline Combat (aviation) ou Two-Fisted Tales (guerre).
Olivier Badin
Tales from the Crypt (4 volumes) et The Haunt of Fear (2 volumes), Akileos, 27€