24 Fév

Spider-Man de père en fils ou comment l’un des fils prodiges d’Hollywood se réapproprie un super-héros

JJ Abrams est ce que l’on pourrait appeler un grand assimilateur. Un nerd, un vrai, sincère amateur de culture pop – de la BD en passant par le cinéma bis ou les jeux vidéo. Il  en connaît tous les codes et il fait donc bien attention à ne jamais les oublier dans toutes ses entreprises de réappropriation – de Star Wars à Mission : Impossible en passant par Star Trek ou la série Westworld. Mais il réussit à aller plus loin avec cette mini-série dédiée à Spider-Man, notamment grâce à l’aide de son fils… Et quitte à ne pas faire plaisir à tout le monde.

JJ Abrams est un spécialiste de ce que l’on appelle aujourd’hui le ‘fan service’, cette façon qu’a ce producteur et réalisateur de dire aux fans ultra ‘ne vous inquiétez pas, je ne vous oublie pas les gars’. Cette forme de révérence vis-à-vis d’un corpus bien précis est aussi un peu ces limites car même s’il sait parfaitement se fondre dans un moule, il a par contre parfois du mal à y plaquer une identité propre. L’annonce de son implication dans une mini-série de cinq épisodes consacrée au tisseur a donc d’abord laissé pas mal perplexe. Le papa de Lost connaissait-il vraiment l’univers MARVEL ? Â force de multiplier les projets sur tous les supports, n’aurait-il pas tendance à se disperser ? N’est-ce pas là juste une tactique marketing pour attirer un nouveau public, quitte à ce que cela soit au dépend du contenu ?

Franchement ? Non. Parce qu’à l’image de cette couverture un peu à côté de la plaque car un peu en contradiction avec son titre, finalement le nom ‘JJ Abrams’ n’est qu’un leurre. En fait, gardez juste le nom et changez le prénom et vous serez tout de suite dans le cœur du sujet. Oui, Ce Père en fils est en fait une collaboration entre JJ et son fils Henry et visiblement et c’est surtout ce dernier qui a pris les rênes. Or Abrams Junior connaît lui aussi ses classiques, cela se sent tout de suite mais cela ne l’a pas empêché d’oser un plutôt audacieux pas de côté qui ne plaira d’ailleurs peut-être pas à tout le monde. Surtout qu’on a affaire ici à un drôle de cas de ‘art imitant la vie’. Ou l’inverse…

© Marvel – Panini Comics  / JJ et Henry Abrams, Sara Pichelli

L’histoire commence par un combat entre Spider-Man et un méchant particulièrement monstrueux nommé Cadavérique qui se termine de manière tragique, avec la mort de Mary-Jane, la femme de Parker et la mère de son fils. Dévasté, Spider-Man raccroche sa toile et abandonne son jeune fils qu’il confie à sa mère. Devenu adolescent, celui-ci découvre non seulement qu’il a hérité d’une partie des pouvoirs de son père mais qu’en plus le responsable du meurtre de sa mère le recherche pour récupérer… Son sang.

Comme son titre l’indique, De Père En Fils parle avant tout d’affiliation. Entre Spider-Man – ou plutôt son alter-ego Peter Parker – et son fils, Ben Parker. Entre JJ Abrams et son fils, Henry. Sommes-nous programmés d’avance entre guillemets ? Ne sommes-nous que la somme de nos parents ? Peut-on échapper à son destin ? Un fils est-il obligé de reproduire le parcours du père ? Autant de questions qui peuvent s’appliquer à ces deux ‘couples’, une double lecture qui donne une épaisseur inattendue au récit.

Mais cela implique ainsi de bousculer un peu la dynamique habituelle. Ce qui veut dire que le normalement flamboyant Peter Parker n’est que l’ombre de lui-même. Absent durant les trois tiers du récit, c’est ici un homme brisé, vieilli et incapable de faire face à sa paternité. On croise d’ailleurs aussi au détour du récit un Tony Stark en vieux beau porté sur la bibine et qui n’a jamais digéré la mort de ses amis les Avengers… Reste qu’en faisant du personnage principal un garçon apprenant à apprivoiser à la fois ses pouvoirs et les affres de l’adolescence, Abrams père et fils remontent à l’origine même de la saga Spider-Man et ne font, au final, que reproduire le schéma d’abord élaboré par Steve Ditko et Stan Lee en 1962. La touche moderne, elle, est apportée par le très effrayant et brutal méchant de l’histoire et la ‘patte’ graphique de la dessinatrice italienne Sara Pichelli, déjà croisée sur la série Miles Morales. Certes, la conclusion est bien trop attendue et on ne sait pas si cette série, qui suit sa propre chronologie, aura une suite ou pas mais le créateur d’Alias remporte quand même plutôt son pari, même si certains vont sûrement crier au sacrilège…

Olivier Badin

Spider-Man, De père en fils de JJ et Henry Abrams, Sara Pichelli. Marvel/Panini Comics. 18€.

© Marvel – Panini Comics  / JJ et Henry Abrams, Sara Pichelli

18 Fév

Batman Arkham – Double-Face : un méchant au carré avec deux fois plus de réussite

Ah, voilà, là où on est tout de suite mieux… Il y a quelques semaines, nous faisions part de nos quelques réserves vis-à-vis de la nouvelle série autour de l’univers BATMAN centrée sur certains lieux emblématiques de la mythologie. Or, malgré la présence de quelques stars au casting, le premier volume sur la Batcave manquait de vraie matière pour vraiment incarner son concept. Mais sa série sœur ARKHAM, elle, fait tout de suite mieux avec un premier tome consacré à DOUBLE-FACE.

Cela dit, la cause était entendue d’avance : en choisissant de consacrer un volume à chacun des ennemis récurrents du Chevalier Noir, DC ne prend aucun risque, tant la majorité d’entre eux (le Joker en premier lieu, le Pingouin, L’Epouvantail, Mr Freeze etc.) sont devenus presque autant de icônes eux-mêmes de la pop culture. Sauf que cette première entrée frappe très fort en jetant son dévolu sur le plus ambivalent de ces ‘grands méchants’ : Double-Face.

Un peu comme le Joker, tout l’intérêt ici de cet ancien procureur vertueux devenu criminel est qu’il apparaît comme une sorte de reflet négatif de BATMAN. Un peu comme lui (même si ce n’est qu’à partir des années 80 et la réappropriation du personnage par Frank Miller que cette thématique sera vraiment creusée) Harvey Dent est constamment écartelé entre Bien et Mal. Une dualité parfaitement illustrée par ce visage digne de Dr Jekyll et Mister Hyde, à moitié beau et à moitié hideux, après qu’un mafiosi ne lui jette par vengeance de l’acide dessus. Comme pour se dédouaner du mal qu’il s’apprête à commettre, il joue à pile ou face avec sa pièce fétiche pour déterminer ses choix, laissant soi-disant le hasard décider à sa place.

© Urban Comics/DC Comics – collectif

Double-Face est donc un méchant atypique, limite schizophrène et graphiquement très contrasté. Une double facette exploitée dès sa première apparition dans un épisode de 1942, reproduit ici en ouverture et dessiné, forcément, par le grand Bob Kane et bien plus subtile que les habituels très manichéennes BD de l’époque.

Mais ce qui frappe peut-être autant ici dans ces quatorze apparitions compilées et parues à la base entre 1942 et 2013, c’est l’incroyable brochette de dessinateurs qui se sont penchés sur son berceau et à qui d’imprimer, à chaque fois, leur patte bien à eux. Il y a bien sûr tout d’abord Kane, le tout premier dont le style presque ‘pop’ tranchait considérablement avec les autres comics de l’époque, encore bloqué sur le style très figé d’un FLASH GORDON par exemple. Mais aussi Neal Adam qui, presque trente ans plus tard (‘La Face Du Mal’) prenait un contrepied quasi-total, ancrant d’un seul coup la série dans un style très réaliste et presque roman noir très proche de celui de Gene Colan du concurrent MARVEL (TOMB OF DRACULA). Ou aussi Matt Wagner (‘Visages’) sous forte influence Richard Corben, qui au début des années 90 l’emmena ensuite vers un style presque gothique et grotesque à la fois, comme un écho de la première adaptation ciné de Tim Burton.       

© Urban Comics/DC Comics – collectif

Chaque auteur successif s’est donc visiblement beaucoup amusé à croquer ce monstre à double visage, quitte à reléguer souvent BATMAN au second plan. Surtout, à part peut-être Adams, tous jouent à fonds la carte de l’ambivalence, n’hésitant pas à montrer un ‘méchant’ qui souffre dans ses rares éclairs de lucidité. Méchant qui est réhabilité ici et qui entame donc cette nouvelle série avec brio.

Olivier Badin

Batman Arkham : Double-Face, collectif. Urban Comics/DC Comics. 29 €

03 Fév

La série Mutafukaz se la joue western et on dit chapeau. Enfin plutôt Stetson !

À la tête de la série-phare de Label 619 et après une tentative de passage sur grand écran qui n’a hélas pas rencontré son public, les deux héros un peu foutraques de Mutafukaz reviennent sur leur côte ouest américaine adorée. Mais cette fois-ci cent trente-cinq ans en l’arrière, à l‘époque de la ruée vers l’or… et des aventures qui vont avec.

En plus de la culture hip-hop et de la société californienne, les deux créateurs de Mutafukaz n’ont jamais caché que l’une de leur grande source d’inspiration était ces fameux ‘buddy movies’ (littéralement, ‘films de potes’) qui ont fait le bonheur des vidéos clubs dans les années 80, vous savez ces paires souvent assorties de deux héros qui, a priori, n’ont rien en commun mais qui finissent quand même (toujours) par se trouver. Si vous ne voyez toujours, rematez vous pour la 67ème fois L’Arme Fatale ou 48 Heures et vous comprendrez…

Alors oui, le ressort dramatique entre Angelino l’éternel écorché vif à la recherche d’aventure et son acolyte gaffeur Vinz au visage de forme de crâne ultra-expressif a un goût de déjà-vu mais ça marche. En fait, cela marche même tellement bien qu’il peut être greffé sur n’importe quelle situation. Voire n’importe quelle époque… La preuve avec Mutafukaz 1886 dont le premier (sur cinq prévus, à un rythme mensuel) épisode sortira le 12 février. À la manœuvre, on retrouve encore une fois le scénariste Run, artiste multi-casquette (dessin, textes, business) à l’origine de Label 619, et cette fois-ci le dessinateur Hutt qu’on avait déjà repéré dans certaines aventures de Doggybags, la série ‘horrifique’ de Label 619.

© Label 619 – Run et Hutt

Cuisiné donc à la sauce ‘western’, Mutafukaz marche toujours aussi bien. Ce premier épisode fait pourtant bien attention à dévoiler juste ce qu’il faut pour allécher le chaland et le maintenir en haleine d’ici au prochain épisode : on y retrouve nos deux héros après qu’ils se soient improvisés chercheurs d’or. Après avoir (enfin) dégotté une petite pépite, le duo accompagné de leur âne décide d’aller dans la petite ville de Rias Rosas claquer leur pécule. Une séance de shopping et un duel dans la rue principale plus tard, ils croisent la route d’un étrange personnage qui s’intéresse de près à eux… 

Des références assumées au cinéma bis (notamment aux westerns spaghettis de Sergio Leone), une pincée de fantastique, un humour potache mais jamais vulgaire, des fausses pubs en forme de clin d’œil au récit… Tout ce qui fait la sève du Label 619 est présent, avec au dessin un vrai-faux nouveau venu qui se fond parfaitement dans le décor. C’est drôle, avec une vraie patte et ça joue à fonds la carte du périodique, jusqu’à son prix, très abordable. Bref c’est un peu comme si le film Cowboys Et Envahisseurs avait accordé ses violons avec un BO signée Snoop Dogg et ça donne juste envie de dévorer la suite, là tout de suite maintenant !

Olivier Badin

Mutafukaz 1886 – Chapter One de Run et Hutt. Label 619. 4,95€ (sortie le 12 février)

© Label 619 - Run et Hutt

© Label 619 – Run et Hutt

02 Fév

Quand Spider-Man dézinguait les (petites) bulles au quotidien

Outre-Atlantique, le format strips (BD sous forme de trois ou quatre cases maximum paraissant de façon quotidienne) était une énorme institution. Publié parfois simultanément dans une centaine de journaux à travers le pays, son lectorat se chiffrait en millions. Mieux : coincé en général dans les dernières pages entre le sport et la culture, il permettait surtout de toucher un public ultra-large, dont un bon nombre de gens qui, sinon, n’achetait jamais de BD. Le Tisseur ne pouvait laisser lui échapper toutes ses proies potentielles…

Alors bien sûr, lorsqu’on pense strips, on pense surtout à ces petites vignettes souvent humoristiques se savourant en trente secondes d’une traite, un genre à part entière qui permis à des séries stars telles que SNOOPY, CALVIN & HOBBES ou encore THE FAR SIDE de percer. Mais la tentation étant trop grande pour les éditeurs de comics de super-héros de ne pas s’y mettre non plus, surtout au moment ù les ventes de leurs sorties hebdomadaires ont commencé à sérieusement s’éroder. Et oui, quitte à reformater pour l’occasion certaines de leurs plus grosses stars…

MARVEL n’échappe bien sûr pas à la règle. Certes, ses éternels rivaux de DC les avaient déjà précédés trois décennies avant avec BATMAN et SUPERMAN sur un terrain déjà dominé par FLASH GORDON ou TARZAN mais pas grave, à la guerre comme à la guerre – surtout que la maison des idées met les petits plats dans les grands en convoquant ses héros les plus populaires du moment, dont CONAN, STAR WARS et donc SPIDER-MAN.

© Comics/Marvel / Stan Lee & John Romita Sr.

On en apprend d’ailleurs pas mal sur l’enjeu que tout cela représentait dans la très intéressante introduction de cette belle réédition, pour l’instant disponible en deux volumes couvrant la période allant de 1977 à 1981, avec un troisième a priori prévu. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le célèbre Stan Lee, qui avait pourtant délaissé le tisseur des années auparavant, s’est remis pour l’occasion à en écrire les scénarios, tout en faisant le forcing pour convaincre le grand dessinateur John Romita Sr de faire partie de l’aventure, malgré le rythme frénétique de travail que cela signifiait.

En France, la série fut parue pendant un temps dans Télé-Poche ( !) puis avait eu droit en 2007 à une première réédition aujourd’hui uniquement trouvable à prix d’or sur internet. Grâce à cette nouvelle version améliorée (notamment au niveau des couleurs et du contenu), on retrouve ici tout ce qui fait le charme, mais aussi le défaut majeur pour ses détracteurs, de ce format si atypique.

La contrainte principale ici, c’est bien sûr son rythme de parution. Avec quatre cases maximum (sauf le dimanche, où on avait alors droit à une pleine page), impossible de ne pas tomber dans un certain manichéisme. Il faut de l’action à tous les coins de rue, des ressorts dramatiques assez basiques et des histoires à la fois simples et en même temps permettant de nombreux rebondissements. En fait, le strip est un style en soit, alors on aime ou on n’aime pas, point.

© Comics/Marvel / Stan Lee & John Romita Sr.

Mais pour ceux qui aiment, c’est un régal. Déjà parce que le style très réaliste de Romita Sr est aussi très ancré dans cette période de la seconde moitié des années 70 et la ville de naissance de SPIDER-MAN, New York avec toutes les clins d’œil qui vont avec, plus en bonus un certain nombre de cameo de people de l’époque, répertoriés dans l’introduction. Ensuite, vu que cette série est totalement indépendante des séries dites ‘principales’ avec sa propre chronologie, Stan Lee s’est permis de rappeler plusieurs des grands méchants de l’écurie MARVEL – du DOCTEUR FATALIS (éternel rival des 4 FANTASTIQUES) en passant par le DOCTEUR OCTOPUS, le CAÏD ou KRAVEN LE CHASSEUR – histoire d’attirer le chaland. Un vrai casting quatre étoiles donc, allié à une restauration de haute volée avec papier épais et couverture couleur tout en respectant le format d’origine en horizontal…

En lançant en 2006 de superbes rééditions, publiées année par année, de la série SNOOPY, l’éditeur DARGAUD avait sans le savoir lancé de façon officieuse la réhabilitation du format strip en France. Un an après la sortie du premier volume des strips du BATMAN de Bob Kane chez URBAN COMICS (à quand le deuxième volume, tiens ?) et celui de STAR WARS chez DELCOURT, PANINI COMICS leur emboîte le pas et met la barre bien haute avec ces deux gros volumes (plus de 300 pages chacun) indispensables aussi bien pour les fans les plus mordus du Tisseur que pour les amateurs de ‘pop art’ populaire.

Olivier Badin

Amazing Spider-Man : Les Comic Strips 1977 – 1979 & 1979 – 1981 de Stan Lee et John Romita Sr. Panini Comics/Marvel. 39,95 euros.

20 Jan

Batman Mythology, La Batcave : la tanière d’un héros

Il faut les comprendre les pauvres gars de chez DC COMICS : même s’ils sont assis sur un incroyable catalogue, il faut toujours que quelque chose se passe autour de BATMAN. Toujours. Quitte à parfois dégainer des concepts un chouia tirés par les cheveux, histoire d’avoir une nouvelle excuse de sortir une nouvelle série qui, malgré tout, permet ici de retrouver quelques vieilles connaissances hautement recommandable.

Après, l’idée de cette mythologie – pardon, ‘mythology’ en VO cela fait mieux – tournant autour de six éléments symboliques de l’univers du Chevalier Noir n’est, sur le papier, pas si bête que ça. La mégapole de Gotham, pour ne citer que cet exemple, avec ses grands tours gothiques et son atmosphère étouffante est quasiment un personnage à part entière de cet univers par exemple. Par contre, on en est un peu moins sûr en ce qui concerne la Batcave, le repère souterrain du héros, niché sous son manoir et où il entasse son matériel, ses laboratoires de recherches ou encore sa salle de trophées.

Certes, drapé dans un halo de mystère, l’endroit prête à tous les fantasmes. Mais c’est selon nous surtout là en fait que BATMAN pioche ses multiples gadgets plus qu’autre chose. C’est en tous cas plutôt l’impression que l’on a après avoir lu ce tome un peu fourre-tout avec ses dix-huit histoires réparties en trois chapitres distincts (‘les origines’, ‘les trophées’ et ‘les contes’) et à la base publiées entre 1942… Et 2017. Oui, on est d’accord, c’est très large. Mais cette sélection à un premier avantage, elle permet de mesurer le chemin parcouru par la série. 

© Urban Comics/DC Comics

Après, elle n’est pas très équilibré et non plus : sur dix-huit histoires, douze – soit les deux tiers – datent de la période 1942-1957. Soit celle où l’homme chauve-souris est avant tout un milliardaire très politiquement correct et ingénieux dont tout un l’attirail sert avant tout à combattre la pègre, dans un pur esprit pulps assez naïf et en même temps assez délicieux. On retrouve d’ailleurs trois histoires dessinées par le grand Bob Kane (1915-1998), nom éternellement rattaché à BATMAN et dont le sens du cadrage et la dynamique déjà très pop en ont fait l’un des meilleurs dessinateurs de comics d’après-guerre. Gene Colan (1926-2011) est aussi de la partie, hélas par l’intermédiaire d’un seul épisode datant de 1982 mais dont les années passées à dessiner quantités de comics d’horreur (dont La Tombe De Dracula) se ressentent ici. Bref, pour le fan de comics à l’ancienne, on est en (très) bonne compagnie.   

© Urban Comics/DC Comics

Alors oui, la couverture est, disons le franchement, pas très seyante, le fil rouge attendu est parfois on ne peut plus ténu et les choix éditoriaux vont surtout plaire aux fans de la première période du Chevalier Noir. Mais cela permet malgré tout de retrouver en VF des épisodes pas réédités en France depuis parfois très longtemps et puis avec un casting pareil, difficile quand même de faire la fine bouche…

Olivier Badin

Batman Mythology – La Batcave. Urban Comics/DC Comics. 23 euros.

© Urban Comics/DC Comics

14 Jan

Walking Dead – L’étranger : les zombies ne meurent jamais

Ne jamais croire un auteur lorsqu’il vous annonce son envie de tuer sa série star, surtout lorsqu’elle est en pleine forme. Jamais. Donc même si son créateur historique n’est plus à la barre, Walking Dead revit sous la forme de ce premier tome d’un spin-off pour l’instant aussi alléchant que diablement frustrant…

En 2019, son créateur Robert Kirkman annonce la fin de la saga de Walking Dead, véritable phénomène culturel publié en France depuis 2007 et qui a donné naissance, en plus de la BD, à de nombreuses déclinaisons, dont plusieurs très populaires séries TV. Mais tout comme les zombies qu’il a croqué pendant seize longues années, ‘ces morts marchant’ refusent de mourir. Et à peine leur mise en bière réalisée, ils préparaient déjà un retour dont ce volume indépendant ne serait que l’avant-garde. Sauf que cela commence plutôt mal…

Ce n’est pas que L’Etranger soit une mauvaise BD, loin de là. Au contraire même : avec ces cadrages très larges, ces pleines pages contemplatives, son noir et blanc classieux et son découpage très cinématographique, son sens narratif est même plutôt aiguisé. Surtout que l’action a été délocalisée en Europe, à Barcelone pour être plus précis, avec de nouveaux personnages dont on soupçonne déjà les parts d’ombres. Là aussi, les morts-vivants ont envahi les rues dans une ville-fantôme où les faibles périssent et où seuls les plus forts et les plus malins survivent…    

Non en fait, le souci, le gros souci même est que le tout semble fini avant même d’avoir commencé. Le récit est court, très court, trop même. On a l’impression de lire un prologue plus qu’autre chose. Et même si la série nous a habitué à l’idée qu’elle n’hésitait jamais à sacrifier régulièrement ces personnages, aussi aimés soient-ils par les fans, là le couperet tombe franchement trop tôt. Autant cela passe pour le fascicule offert (un petit récit centré sur Negan, l’un des méchants les plus populaires de la série principale) qu’on lit comme une sorte de bonus cadeau, autant ce goût d’inachevé laissé par cet Etranger donnera trop l’impression à certains fans qu’on profite d’eux. Â moins que le tout appelle à une suite qui permettra de rectifier le tir mais pour l’instant, rien n’est moins sûr.

Olivier BADIN

Walking Dead – L’Etranger de Brian K. Vaughan & Marcos Martin. Delcourt. 13,50 euros

© Delcourt / Vaughan & Martin

11 Jan

X-O Manowar : Wisigoth et fier de l’être !

Deuxième édition (après une première en 2017) pour cette intégrale en trois volumes d’Aric le wisigoth, guerrier du 4e siècle devenu par erreur un demi-dieu grâce à une armure extra-terrestre et dont le destin le pousse à d’abord sauver son peuple puis l’humanité entière. Une preuve supplémentaire que le petit Poucet Valiant en a revendre face aux mastodontes DC Comics et Marvel.

D’accord, on vous voit venir à trois kilomètres. Et oui, vous avez raison sur le papier, le point de départ ici est disons capilotracté, même du point de vue d’un fan de comics pourtant habitué aux trucs un peu tiré par les cheveux : en l’an 402, Aric, impétueux héritier du trône des Wisigoths, se fait kidnapper par des extra-terrestres qui l’emmènent sur leur vaisseau spatial en orbite pour y devenir leur esclave. Lorsqu’il réussit enfin à provoquer une révolte, il fusionne avec une sorte d’armure consciente érigée en relique sacrée par ses geôliers qui le transforme en une arme surpuissante et quasi-indestructible. Mais une fois de retour sur Terre, il se rend alors compte que seize siècles sont passés et que les choses ont bien changées…

Les héros torturés, l’écurie VALIANT aime ça : BLOODSHOT, LE GUERRIER ETERNEL, RAI etc. Mais celui-ci est à part car on a d’abord du mal à être en empathie avec cette grande gueule, arrogante toujours prompt à répondre avant tout par les poings. Et puis au début, son monde paraît bien monochrome, avec les méchants clairement identifiés d’un côté et les gentils de l’autre. Or vu que comme d’habitude VALIANT ne fait dans la dentelle lorsqu’elle parle d’intégrale – plus de 800 pages ici, et encore ce n’est que le premier volume ! – on se demande d’abord comment tout cela va tenir sur la longueur…

© Valiant/Bliss – Venditti, Kindt, Nord, Garbett & Braithwaite

Sauf que la première moitié du volume est assuré au dessin par le grand, que dis-je l’immense Cary Nord, prix Eisner 2004 connu pour son travail sur THOR et surtout CONAN THE BARBARIAN. Même si son trait n’est peut-être pas aussi profond ici, il sait apporter à la fois de l’humanisme et des couleurs qui donnent du corps à l’histoire. Et surtout, le scénariste Robert Venditti prend son temps pour installer sa mythologie en quelque sorte, tout en multipliant les aller-retours entre le passé et le présent pour mieux expliquer comment son personnage central s’est construit.

Mieux : en le faisant revenir sur Terre avec son peuple pour essayer de se réapproprier leurs anciennes terres, provoquant l’ire des armées du monde, il se permet même une métaphore sur le sort actuel des réfugiés apatrides et leurs difficultés à trouver leur place dans le monde moderne.

Certes, cela fait beaucoup, beaucoup à encaisser. Et le cahier des charges imposé de façon systématique par VALIANT avec un héros, quel qu’il soit, devant impérativement à un moment ou à un autre croiser d’autres personnages maison (ici NINJA K, LE CHAMPION ETERNEL ou encore la saga UNITY) ne fait pas toujours des merveilles. Mais grâce au talent Cary Nord et au côté compacte/économique de l’objet (autant de pages qu’avec les Omnibus de son grand frère MARVEL mais deux fois moins cher presque), au bout du bout, X-O MANOWAR s’impose comme l’un des héros les plus atypiques de VALIANT, petite mais costaude alternative aux géants du circuit.

Olivier Badin

X-O Manowar – Intégrale tome 1 de Robert Venditti, Matt Kindt, Cary Nord, Lee Garbett & Dough Braithwaite, Valiant/Bliss, 49 euros    

© Valiant/Bliss – Venditti, Kindt, Nord, Garbett & Braithwaite

03 Jan

Deadpool ou le joyeux de la couronne

Deadpool, le héros, est un mercenaire aux capacités régénératrices aussi infinies que son sens de la tchatche. Deadpool, la série, ne cesse elle aussi de mourir pour mieux ressusciter. Après son crossover très réussi avec Spiderman et son passage chez les Avengers, sa nouvelle série le voit… monter sur le trône.

 

Alors pas de panique : bien sûr qu’il y a de grosse bagarre et bien sûr que MARVEL n’oublie pas de sortir de son placard plein à craquer de bad guys quelques jolis représentants, comme par exemple ici Kraven le chasseur dont la première apparition remonte, quand même, à 1965. On a même droit à Captain America et aux X-Men en fin de parcours… Mais on ne va pas se mentir, ce n’est pas vraiment cela que l’on va chercher du côté de Deadpool. Non, ce que l’on aime chez le mercenaire disert c’est son débit mitraillette, son attitude goguenarde, sa tchatche perpétuelle, son humour ultra-grinçant et son sens de la réparti. Sans parler de ces 8795 clins d’œil, cette façon qu’il a de tout le temps charrier ses copains super-héros, son manque de moral assumé ou même cette façon qu’il a de briser le quatrième mur en s’adressant directement au lecteur.

Oui, c’est tout cela que l’on vient chercher chez Deadpool. Pour chacun des nombreux scénaristes et dessinateurs qui se sont succédés à son chevet, la feuille de route est donc très claire et à ce petit exercice, la scénariste Kelly Thompson s’en sort plutôt pas mal, notamment en démarrant cette nouvelle série sur un pitch improbable : engagé pour occire le ‘roi des monstres’ qui occupe Staten Island à côté de New York, il réussit tellement bien son boulot qu’il est élu souverain à sa place par tous ses sujets… Avec toutes les emmerdes qui ont avec. Et oui, la présence d’un requin de terre (ne posez pas de question) en guise d’animal de compagnie et d’un mutant nommé Gerbe dont la particularité est de vous téléporter en vous, et bien, gerbant dessus ne sont que deux des (très) nombreuses loufoqueries que l’on retrouve ici. 

C’est du n’importe quoi ? Presque, oui mais justement, c’est pour ça que cela marche. Surtout avec un dessinateur comme Chris Bachelo qui s’amuse beaucoup avec les cadrages et les couleurs, sans oublier de semer plein de micro-détails sur ses pages et surtout d’accentuer le côté loufoque du personnage. D’ailleurs, c’est surtout drôle, très drôle même. Â condition, certes, de connaître les codes et d’apprécier la surabondance de joutes verbales qu’est l’une des images de marque de cet anti-héros qui détonne toujours autant au sein du monde sinon trop souvent très politiquement correct de MARVEL.

Olivier Badin

Deadpool – Longue Vie Au Roi de Kelly Thompson, Chris Bachalo, Gerardo Sandoval et Kevin Libranda, Marvel/Panini Comics, 18€

© Marvel/Panini Comics – Thompson, Bachalo, Sandoval & Libranda

18 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Coda ou la fantasy réinventée

Ce Coda ne ressemble pratiquement à aucun autre. Les douze épisodes de cette saga onirique sont réunis ici dans une intégrale conséquente, une fantasy débridée et visuellement flamboyante où une espèce d’ersatz de John Difool de l’Incal version mutique et mélancolique tente de retrouver sa bien-aimée dans un monde au bord du gouffre.

Ce n’est pas pour rien que dès les premières pages, on pense d’abord à Michael Moorcock et ses différentes représentations de ce qu’il a appelé ‘le champion éternel’ (Elric, Hawkmoon, Corum etc.). Comme l’auteur de fantasy britannique, le scénariste Simon Spurrier aime les chausse-trappes et les apparences trompeuses dans lesquelles il s’amuse à perdre ses lecteurs. Formé du côté du magazine ‘culte’ britannique 2000 AD, il sait également faire preuve d’un cynisme féroce, mais sans jamais que le tout tombe dans la guignolade. Non, au contraire, même si ici l’histoire baigne dans une espèce de mélancolie sourde – le décor est un monde fantastique peuplé de sorciers et de créatures bizarres mais où la magie a été pratiquement éradiquée – on reste dans le domaine du rêve. Un rêve psychédélique et parfois désorientant mais un rêve quand même, aux couleurs extravagantes et plein de vie.

Et c’est là toute la singularité de Coda. Bien sûr, il y a cette façon de dérouler le récit à part, raconté en partie en voix ‘off’ par un personnage principal limite mutique dans la vraie vie et d’ailleurs surnommé ‘Hum’ car c’est en général la première chose qu’il lâche à ceux qu’il rencontre. Mais c’est surtout le trait incroyablement coloré de l’uruguayen Matias Bergara, dont la carrière navigue entre les comics et le monde des jeux vidéo, qui fascine le plus.

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

Comme les adaptations d’Elric (on y revient, encore) par le alors futur papa d’Hellboy à la fin des années 80 Mike Mignola, jamais Bergara ne laisse l’habituel trait sombre et pessimiste de la fantasy moderne plomber l’ambiance malgré le fait qu’il décrive des âmes sombres et un monde en pleine déliquescence. Au contraire, grand fan des pleines pages débordant de vie où son trait très fin lui permet de semer quantités de petits détails, il entretient la richesse de la narration avec classe. Et malgré le poids du produit fini, on a envie de prendre son temps pour lire chaque page, histoire de ne rater aucun détail ou sous-entendu.

En même temps, il vaut mieux car Coda est du genre difficile à apprivoiser. Même si on part sur une quête a priori ‘classique’ dans le genre – un barde peu bavard part à la recherche, prisonnière d’une bande de barbare affirme-t-il – très vite, les frontières entre vérité et chimère se troublent au fur et à mesure que Spurrier s’amuse à bousculer nos acquis. Le fidèle destrier du héros ? Une licorne ( !) qui marmonne un langage que lui seul comprend et qui est régulièrement prise de frénésie meurtrière ? Le premier sorcier à la longue barbe blanche comme il se doit qu’on rencontre ? Un vieux gâteux cerné par les fantômes de son passé. Sa femme prisonnière que l’on imagine fragile et perdue ? Pas tout à fait…

En passant ainsi de l’introspectif aux décors XXL, en alternant le style entre pure fantasy, récit post-apocalyptique et quête initiatique et en multipliant les sous-intrigues, Coda est aussi déroutant qu’original. Un truc un peu fou mais d’une richesse dingue, une claque visuelle pas si assez accessible que ça mais qui emmènera le lecteur le plongeant complètement dans ce délire coloré presque pop par moments. Avec au dessin une révélation, une vraie, Matias Bergara.

Olivier Badin

Coda de Simon Spurrier & Matias Bergara. Glénat Comics. 29,95 euros

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

08 Déc

Watching the Watchmen ou la radioscopie complète d’une oeuvre hors norme

Qu’on le veuille ou non, la série Watchmen a marqué une rupture à sa sortie en 1986. Et l’aura dont elle bénéficie depuis est à la hauteur des réactions délirantes qu’elle a suscité, dans les deux sens. Ce livre rend gloire à son incroyable modernité et complexité et emmène le lecteur dans la matrice.

En pleine uchronie dans un monde où les États-Unis ont gagné la guerre du Vietnam, où Richard Nixon est toujours en poste et où les super-héros ne sont plus que les ombres d’eux-mêmes et en plein doute, Watchmen reste un OVNI qui a permis à l’ogre Alan Moore d’obtenir une stature internationale et qui a marqué l’histoire des comics.

Soyons clairs : Watching The Watchmen ne s’adresse pas aux béotiens. Si vous n’avez parcouru aucun des épisodes de la saga, vous serez tout de suite perdu. De toute façon, le but de cet ouvrage n’est pas de servir d’introduction à ce monument de la BD des années 80. Au contraire : réalisé sous la direction de Dave Gibbons – le dessinateur original de la série qui s’exprime ici à la première personne en parlant avant tout de son expérience personnelle – il s’adresse aux plus acharnés de ses disciples, ceux qui ont lu et relu les douze épisodes de la saga mais qui continuent d’y chercher à tout prix LE petit détail ou LA référence cachée qu’ils n’ont pas encore repéré. C’est pour eux que Gibbons est revenu au tout début, à sa première rencontre avec Moore lors d’une convention comics en 1980, à comment il a eu l’idée de ressortir des cartons cette galerie de héros datant en fait d’après-guerre et tombés dans l’oubli, comment il a su se les réapproprier visuellement avant que son scénariste ne transforme le tout en quête métaphysique etc.

Mais Watching The Watchmen, c’est avant tout et surtout des tonnes de croquis, de storyboards plus ou moins détaillés, de comparatifs entre l’avant et l’après, jusqu’au merchandising ou même le graphisme des pubs qui ont accompagné sa sortie. En gros, c’est une sorte de plongée assez étourdissante au cœur même de cette œuvre très complexe, des premières idées au produit final. Une mine d’infos assez impressionnante mais surtout une incroyable plongée au cœur même du processus de création…

Olivier Badin

Watching The Watchmen de Dave Gibbons, Chip Kidd & Mike Essl. Urban Books. 29 euros

© Urban Books / Dave Gibbons, Chip Kidd & Mike Essl