Une bande de faux bras cassés dont la main ne tremble jamais et qui donne du fil à retordre aux méchants, sauf qu’ici les héros portent le casque et l’insigne de l’US Army avec en face, les forces de l’Axe. Nourri par sa propre expérience de soldat lors de la phase finale du conflit, Jack Kirby donne ici SA vision de la seconde guerre mondiale, forcément pleine de fureur et de bravoure
Le nom de Jack Kirby, qui aurait fêté ses cent ans cette année, évoque tout un pan de la culture, pardon de la mythologie comics, l’homme ayant contribué avec le dessinateur Steve Dikto et surtout Stan Lee a jeter dans les années 60 toutes les bases de l’empire MARVEL dont il a alors lancé toutes les franchises qui encore aujourd’hui en constituent les bases : ‘Les 4 Fantastiques’, ‘Spider-Man’, ‘X-Men’… En gros, si vous étiez un gamin américain à cette période là passionné de comics, plus la moitié de votre collection portait sa signature. En langage commun, on appelle ça un monument, voilà.
Mais même s’il a passé toute sa carrière à faire la navette entre DC et MARVEL, Kirby a aussi tâté autre chose que les aventures de types en spandex et à cape, dont le comics de guerre, héritage des années 40 où le patriotisme à tout va avaient poussé les autorités à embaucher les héros de BD pour combattre le nazisme. Certes, la série ‘Les Perdants’ (‘les Losers’ en VO, titre ô combien ironique bien sûr) consacrée aux aventures de quatre baroudeurs de la Seconde Guerre Mondiale aux noms dignes de ‘L’Agence Tout Risques’ (capitaine Storm, Sarge, Johnny Cloud et Rafale !) existait avant que Kirby en prenne, brièvement, les rênes en 1975 et a d’ailleurs perduré après lui. Mais dès le premier des douze épisodes qu’il a réalisé (scénarios inclus), le alors vétéran de 58 ans l’a tout de suite retravaillé pour la faire entre dans son moule.
Dans le monde de Kirby, que l’on soit en haut d’un gratte-ciel de Manhattan en train de combattre un super-méchant ou au corps-à-corps dans la jungle au prise avec des fantassins japonais, le trait est le même. Les hommes ont des carrures de golem, les sentiments – bons ou mauvais – sont tous exacerbés et les héros n’écoutent que leur courage alors que leurs ennemis, eux, ne connaissent que la traitrise. Peu d’explications sur le pourquoi-du-comment ni de moments de répit avec lui : en général, dès les premières cases, les membres de ce commando spécial à qui on demande de faire le sale job pour les autres est souvent largué en plein terrain miné et en général, ça canarde très vite derrière.
Même si le style assez figé et très emphatique de Kirby avait déjà pris un petit coup de vieux au milieu des 70’s, il a su garder une vraie force dramatique. Et puis on ne passe pas autant d’années à dessiner des super-héros sans que, forcément, cela ressurgisse d’une façon ou d’une autre et même si ‘Les Perdants’ n’ont à leur actif aucun super pouvoir, ils ont en eux quelque chose de surhumain, dépassant leur nature de ‘simples’ mortels pour devenir ‘plus’. Dans le meilleur épisode du lot (‘Les Partisans’), il ajoute même un doigt de surnaturel histoire un petite touche macabre particulièrement efficace. Et puis aussi manichéen que soit le résultat, Kirby distille par ci et là un brin de poésie voire même d’ironie dans le choix de ses personnages secondaires, comme avec Panama Fattie mafieuse au look de Fat Mamma sentimentale ou celui de ‘Pumpkin le Martien’, soldat gringalet amateur… De comics.
Pour les amateurs éclairés de Kirby, le résultat vaut donc le détour, surtout que ce recueil sort à l’occasion de plusieurs évènements en partenariat avec le conseil général de Moselle et centrés autour de la thématique des relations entre BD et guerre. D’ailleurs, en plus d’avoir organisé entre le 3 et le 5 Juin dernier un festival consacré au neuvième art, le château de Malbrouck accueille jusqu’au 29 Octobre prochain une exposition ‘Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles’ dont une partie est spécialement dédiée à Jack Kirby, lui-même soldat de l’US Army lors de la bataille de Dornot en Septembre 1944. Bref, une page d’histoire couplée à l’une des pièces manquantes de l’héritage de l’un des (très) grands maîtres du comics dont on attendait la traduction depuis quarante ans.
Olivier Badin
Les Losers, de Jack Kirby, Urban Comics, 22,50€
Plus d’infos sur l’expo « Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles » ici