Lorsque l’un des meilleurs dessinateurs, jadis dévoué à la cause de Conan le barbare, s’attaque à la mythologie scandinave, cela donne un résultat épique et sanglant, mais aussi de toute beauté où les femmes, une fois n’est pas coutume, mènent la bataille jusqu’au bout du monde…
De tous les dessinateurs qui se sont penchés sur le berceau de Conan le barbare depuis le début 2000, avec Cary Nord l’argentin Tomás Giorello fut sûrement celui qui a réussi le mieux à renouer avec une certaine authenticité et le côté animal sans foi ni loi du cimmérien, propulsant ainsi la série à des hauteurs pas atteintes depuis la grande époque de John Buscema dans les années 70. Donc forcément, on a gardé un œil sur lui. Autant dire que l’excitation était à son comble lorsqu’on a appris qu’il avait signé chez l’éditeur Bad Idea, récemment passé sous la coupe de Valiant, pour un one-off ancré dans la mythologie scandinave et un monde d’heroic fantasy rappelant fortement celui crée par Robert E. Howard.
Clairement, le tout, scénarisé par ce grand habitué de l’écurie Valiant qu’est Joshua Dysart (Harbinger, Bloodshot etc.), a été taillé sur mesure pour Giorello. D’ailleurs, plusieurs dessins prennent une pleine page, histoire de sublimer un peu plus son trait qui a pris, ici, une épaisseur supplémentaire, souligné par une mise en couleur à l’ancienne et chaleureuse. Même si l’héroïne est ici une jeune fille, difficile de ne pas voir de nombreux parallèles avec le monde de Conan. D’ailleurs, ce n’est pas une coïncidence si le personnage borgne d’Odin (d’où le titre, utilisant l’orthographe d’origine du nom) rappelle beaucoup le portrait d’un Conan vieillissant réalisé par Giorello pour la série King Conan, récemment rééditée dans son intégralité dans un sublime omnibus chez Marvel.
De plus, l’histoire fait ici écho à de nombreuses thématiques chères au créateur de Conan, comme la prédestination ou l’incompréhension de son entourage face à son propre potentiel. Jeune paysanne, Solveig a plusieurs visions terrifiantes où le père des dieux, Odin, lui apparaît, la sommant de partir en quête, mais sans qu’elle ne réussisse vraiment ce qu’il attend d’elle. Elle décide donc d’aller à la recherche de réponses, accompagnée par un vieux guerrier et une sorcière.
Si ces visions apocalyptiques, où le dessinateur ne lésine pas sur la violence mais sans qu’elle ne soit jamais gratuite non plus, sont flamboyantes, elles ne prennent jamais le pas sur la psychologie des personnages. Aidé par un Dysart qui sait éviter les clichés, Giorello ne cède pas à la facilité, c’est-à-dire se lâcher complètement graphiquement grâce au tapis rouge déroulé, quitte à zapper à tout le reste. Non, il n’oublie jamais ses personnages et fait même preuve, oui, d’une sensibilité inattendue teintée de féminisme, les femmes (Solveig bien sûr, mais également les valkyries qui la rejoignent) étant dans le récit les seules à sembler vouloir aller vers la lumière.
Seule source de frustration : la fin un peu abrupte qui semble appeler une suite, même si lors de son passage à Paris en début d’année, l’argentin nous a confié avoir déjà démarré son travail sur une nouvelle série pour Bad Idea, mais cette fois-ci dans un style plus science-fiction…
Olivier Badin
L’œil d’Ódinn de Tomás Giorello, Joshua Dysart & Diego Rodriguez. Valian/Bliss. 25€