29 Mar

Délivrance : la douleur rend-t-elle libre ?

Premier roman graphique d’un auteur français influencé par le manga, Délivrance a la forme d’une quête existentielle où la seule raison de survivre dans un monde en déliquescence est de trouver un moyen… de mourir en paix. Âpre et désespéré mais atypique !

En ouvrant les champs du possible, la science-fiction a toujours été l’un des terrains très fertiles pour les allégories. En ouvrant une brèche sur un univers très lointain ou un futur parallèle, tout devient possible, sans qu’on ait forcément besoin d’avoir ni un pourquoi ni un comment.

Aucune explication ici donc. Pourquoi la Terre est-elle devenue aride ? Qu’est-ce qui a déclenché cette apocalypse écologique ? Pourquoi les hommes n’arrivent plus à mourir mais finissent, invariablement, par se transformer en des espèces d’êtres difformes et violents sans volonté propre ? Comment Graham, son frère ainé Ikar et la femme mutique se sont retrouvés à errer comme cela au milieu des ombres ? Que cherchent-ils vraiment ? On ne sait presque rien au début du récit, à part l’évocation d’un endroit où ils pourront tous les trois mettre fin à leurs souffrances et être en paix, sous-entendu mourir.

© Glénat / Kim Gérard

En attendant, ils fuient, tout simplement. Le monde (ou ce qu’il en reste) autour d’eux, les autres devenus synonymes de violence, et eux-mêmes. Jusqu’à ce qu’ils rencontrent cette petite fille sans nom et sans voix autour de laquelle la nature moribonde semble revivre et au contact de laquelle ils redeviennent humains, retrouvant leurs souvenirs enfouis mais aussi leurs blessures. Sauf qu’elle suscite les convoitises…

© Glénat / Kim Gérard

Même si Délivrance est sa première BD, Kim Gérard, qui signe ici les dessins et le scénario, a d’abord fait carrière dans le graphisme et cela se sent ici. Plutôt avare en dialogue, sur le plan visuel le tout rappelle pas mal le trait inspiré du manga de l’écurie Label 619. Au diapason, le récit en lui-même est en perpétuel mouvement, comme ses héros dont on lit les émotions comme dans un livre ouvert à grâce à de nombreux gros plans. Cette idée de mouvement, on la retrouve d’ailleurs dans les nombreuses scènes de combat : pleines d’onomatopées, elles sont aussi soudaines que crues, sans jamais pour autant glorifier la violence. Au contraire, leur absurdité ne fait que souligner un peu plus l’inhumanité des rares survivants de ce monde à l’agonie.

© Glénat / Kim Gérard

Très symboliquement, pour ne pas ‘sombrer’ dans l’apathie précédant cet état de semi-conscience dont on ne sort plus et devenir ainsi prisonnier en quelque sorte de leur propre corps, les deux personnages principaux doivent régulièrement se tabasser mutuellement. En gros, ici, les survivants doivent se faire souffrir, se martyriser si l’on veut, pour ne pas tomber dans une torpeur devenue synonyme de condamnation sans retour.

© Glénat / Kim Gérard

C’est autant la force que la limite de cette épopée entre Mad Max et Le Fils de L’Homme. Kim Gérard jette ses personnages dans une quête désespérée et passe plus de 300 pages à les faire souffrir, littéralement, dans leur chair, la douleur était l’une des clefs de leur rédemption. Maso Délivrance ? Peut-être un peu, les chairs étant ici autant triturées que dans un film de body horror, malgré une fin ouverte laissant (enfin) un tout peu d’espoir filtrer.

Olivier Badin

Délivrance de Kim Gérard. Glénat. 25€