20 Oct

Captain Biceps, Yoko Tsuno, Lila, Sam, Louca, Dad, Zhou Zhou, Mickey… Une sélection de BD jeunesse pour les vacances de la Toussaint

De l’amour, de l’aventure, du cocasse, de la fantasy et de l’humour musclé, on vous a sélectionné dix beaux albums à potasser pendant les vacances. On ramasse les copies à la rentrée…

On commence avec Captain Biceps, le héros super-musclé de Zep et Tebo reprend du service après cinq petites années de repos bien méritées. Alors oui bien sûr tout commence par une petite remise en forme avec Derek, le coach des justiciers. Puissance, réflexes, souplesse, concentration, mental… tout est passé en revue et le verdict est sans appel : il est prêt ! Mais prêt à quoi ? À tout ! Mais avant tout prêt à réduire en bouillie tous les super-méchants de la planète, de Iron Man à Docteur Nuisible, en passant par Porte Malheur Man, Acid Man ou encore Caoutchouc Girl. De la baston en collant rouge pour pouffer de rire ! (Captain Biceps tome 7, de Zep et Tebo. Glénat. 10,50€)

Un autre retour, celui de la belle Yoko Tsuno. Bientôt 50 ans d’aventures, 29 albums, mais toujours pas une ride, pas un cheveu blanc, pas un petit bourrelet, Yoko fait partie de ces héros qui ne vieillissent pas, aussi intemporelle qu’universelle. Et c’est un nouveau voyage dans le temps que nous propose Anges et Faucon, un retour vers les années 30 où la belle électronicienne japonaise, accompagnée d’Emilia et Bonnie, va tenter de changer le cours de l’histoire, empêcher une catastrophe ferroviaire et sauver la vie de deux jeunes enfants… Un grand classique des éditions Dupuis !(Anges et Faucons, Yoko Tsuno tome 29, de Leloup. Dupuis. 10,95€)

Ahhh… l’amour. Le vrai, le seul, l’unique. Avec trois « u ». Pourquoi trois « u » ? Parce que celui-ci le mérite. Oui, Lila est amoureuse, grave amoureuse, the big love comme dirait une de ses copines. Et en ce jour de rentrée des classes, elle va enfin retrouver son amoureux et lui faire un énorme baiser, avec la langue et tout et tout. Comment fait-on ? Pour ceux qui ne sauraient pas ou qui auraient oublié, tout est expliqué dans cet album, le quatrième de la série. Avec toujours au programme, de l’humour, des histoires de cours de collège et des questions existentielles. Premier baiser, orientation sexuelle, puberté, look… tout est là, expliqué avec simplicité et pudeur. (L’Amouuur et les baisers, Lila tome 4, de Séverine de la Croix et Pauline Roland. Delcourt. 14,95€)

Cet album-là aussi nous ramène à l’enfance, plus exactement au passage délicat entre l’enfance et l’adolescence avec une bande de gamins qu’on a déjà pu voir dans Lily a des nénés du même Geoffroy Barbet-Massin, aka Geoff. C’était la première bande dessinée de ce réalisateur de films d’animation, Sam a des soucis est donc sa deuxième. Pas de changement majeur, c’est toujours aussi bien écrit et dessiné avec de subtiles couleurs directes, des personnages sympas et toujours le décor fabuleux et légèrement revisité de Portsall, localité côtière faisant partie de la commune de Ploudalmézeau, située dans le nord-ouest du Finistère. Au centre de l’histoire cette fois, un pistolet, un vrai, découvert dans une décharge par les garçons, un pistolet qui va provoquer un accident de la route et attirer de sacrés ennuis à notre bande de gamins…  (Sam a des soucis, de Geoff. Casterman. 14€)

Apparu dans les pages du journal Spirou en 2012, le héros de Bruno Dequier est une véritable catastrophe ambulante, paresseux, nul à l’école, nul sur un terrain de foot, menteur et maladroit avec les filles – rien d’un super héros en somme – qui voit sa vie changer grâce à Nathan, un fantôme qui lui veut du bien et lui a confié une mission : la constitution d’une équipe de football. Pour cela, il doit convaincre des joueurs qui se sont détournés du football pour d’autres sports. Et l’exercice n’est pas toujours des plus faciles… (Foutu pour foutu, Louca tome 7, de Bruno Dequier. Dupuis. 12,50€)

Avec plus d’un million d’abonnés inscrits à sa chaîne YouTube, aucun doute, Maskey fait partie de ces nouvelles stars d’internet. Alors pourquoi pas de la bande dessinée, se sont dits certains éditeurs ? De fait, lui qui ne sait même pas dessiner une pomme comme il dit vient de publier un album avec Malec au dessin. Pas une autobiographie, même si chacun de ses personnages possède un peu de lui, mais une vraie fiction qui parle de rap, de culture urbaine et des réseaux sociaux. Follow me, premier tome d’une série ? À suivre… (Follow me, de Maskey et Malec. Glénat. 10,95€)

Dad est un père à tout faire, un père célibataire. Les repas, c’est lui, la lessive, c’est lui, le ménage, c’est toujours lui, le rangement, c’est encore lui… et l’éducation des filles, il en a quatre, c’est lui, forcément. « Je dois le dire combien de fois ? On ne parle pas la bouche pleine! ». Mais dans l’immédiat, Dad est fâché. Ondine a ramené un 4 sur 20 en anglais, son poème qu’elle devait imaginer n’a apparemment pas plu au prof. Pourtant, elle avait trouvé les mots justes : « Love, love me do, You know I love you, I’ll always be true, so please, love me do ». Et si Dad est fâché, ce n’est pas parce qu’Ondine a recopié sans vergogne ce poème sur internet, non, il est fâché parce que le prof n’a même pas été fichu de reconnaître les Beatles. « C’est un jeune prof… », dit à sa décharge Ondine, « il connaît pas forcément la musique ancienne! ». C’est clair ! Sixième album, toujours aussi rafraîchissant ! (Père à tout faire, Dad tome 6, de Nob. Dupuis. 10,95€)

Petit détour par la Chine avec le quatrième volet du Monde de Zhou Zhou signé Golo Zhao et Bayue Chang’an, un récit tout en douceur qui aborde les questionnements de la pré-adolescence, l’école, les petits copains, les copines, le corps qui commence à changer… Un manhwa au format européen avec de grandes cases et un graphisme simple mais efficace, des personnages trognons, des couleurs chaleureuses et beaucoup d’émotion. Le monde de Zhou Zhou tome 4, de Golo Zhao et Bayue Chang’an. Casterman. 17€)

Dragons & Poisons est le troisième album d’une toute jeune maison d’édition spécialisée dans la fantasy et la science fiction et drivée par l’un des maîtres en la matière, le scénariste Christophe Arleston (Lanfeust de Troy…). Avec ici, l’histoire de deux aventuriers qui se lancent à l’assaut d’un puits à souhaits où un dragon accepte d’exaucer leurs vœux. Mais avec un prix à payer : ils ne ressortent du puits que 20 ans plus tard… (Dragons & Poisons, de Isabelle Bauthian, Rebecca Morse et Aurélie F. Kaori. Drakoo. 14,50€)

On termine avec une aventure de Mickey signée Pieter de Poortere, auteur par ailleurs de la série Dickie publiée dans la collection 1000 Feuilles des éditions Glénat. Après Cosey, Keramidas, Trondheim ou encore Tebo, c’est au tout de l’auteur flamand de s’attaquer au mythique personnage. Dans l’esprit de son univers graphique, il nous offre un Mickey super-héros, une aventure muette où les gags s’enchaînent à la vitesse d’un train en rase campagne. Du burlesque pour toute la famille  ! (Super Mickey, de Pieter de Poortere. Glénat. 15€)

Eric Guillaud

19 Oct

Nemesis le Sorcier ou la délirante guerre cosmique des aliens et des humains, version 2000 AD

Presque quarante ans après le début de sa parution dans la revue culte anglo-saxonne 2000 AD, voici une série déjantée qui reprend certains éléments de son copain Judge Dredd et le plonge dans un bain steampunk ébouriffant. Attention, chef d’œuvre !

Cela fait quelques temps que le petit mais costaud éditeur français Delirium s’acharne a enfin faire traduire en français les plus grands héros sortis des pages cultissimes de 2000 AD, l’équivalent en Angleterre du magazine Métal Hurlant dans les années 80.

Sauf que si certains, comme bien sûr Judge Dredd, ont dépassé les frontières, d’autres comme Nemesis Le Sorcier ont inexplicablement disparu du paysage. Cette réédition sera une découverte totale pour la majorité des lecteurs. Et là, attention, c’est le choc, aussi bien graphique que conceptuelle.

L’équipe de 2000 AD nous avait pourtant déjà habitués à ce genre de mélange détonnant entre steampunk, heroic fantasy, satire politique et science-fiction psychédélique. Mais ici, on franchit un cap et on tombe dans le délirant absolu que même le choix de ce sobre noir et blanc ne réussit pas à cadenasser.

Et le pire est que l’on ne tient là ‘que’ le premier tome de trois annoncés… Nemesis est un alien doublé d’un sorcier au physique surréaliste, sorte de centaure que l’on aurait pu croiser dans un rêve de HR Giger. Sa mission ? Sauver ses frères extra-terrestres du Grand Inquisiteur Torquemada qui a décidé de ‘purifier’ la galaxie et que rien, même la mort, ne semble en mesure d’arrêter dans sa croisade sanguinaire.

@ Delirium / Mills, O’Neill, Redondo & Talbot

Le long de ces 368 pages engoncées dans une couverture ‘en dur’ de qualité supérieure, on croise des vaisseaux spatiaux en forme de galions, des ‘terminators’ (terme utilisé des années avant le film de James Cameron) fanatisés, des combats de joutes, des cérémonies nécromanciennes et on en pense. Le tout n’hésitant pas parfois à s’étaler sur une seule case prenant toute une page pour laisser parler au mieux le stylo épique de Kevin O’Neill qui s’était déjà illustré avec La Ligue Des Gentlemen Extraordinaires.

Les corps, les bâtiments, les décors… Tout est acéré, chaotique et en même temps, bizarrement beau, baroque même. Même si deux histoires complètes signées Bryan Talbot et Jesùs Redondo ont été rajoutées en bonus en quelque sorte, c’est vraiment O’Neill et son style fin, inventif et en même temps presque décharné qui marque le plus, de loin.

@ Delirium / Mills, O’Neill, Redondo & Talbot

Et puis sous cette lutte sans merci entre deux montres dont aucun des deux n’est vraiment ni tout noir ni tout blanc, on retrouve aussi l’humour très grinçant du scénariste Pat Mills. Difficile d’ailleurs de ne pas voir dans cette série parue initialement dans la première moitié des années 80 une critique acerbe de l’Angleterre Thatcherienne, une société conservatrice, arc-boutée sur ses illusions d’ex-grand empire, sourde aux changements et xénophobe.

Certes, la parution originelle en épisode de quatre ou cinq pages donne lieu bout-à-bout à un rythme très haché, avec de sempiternels retours en arrière mais cela ne gâche absolument pas le plaisir, tant ici l’absurde côtoie le superbe. Délire cosmique et chef d’oeuvre méconnu, ce Nemesis est ce que l’on appelle une claque inratable, une baffe cyberpunk.

Olivier Badin

Nemesis Le Sorcier de Pat Mills, Kevin O’Neill, Jesùs Redondo et Bryan Talbot. Delirium. 35€

17 Oct

L’Argentine : un nouveau départ pour Andréas

Andréas a toujours préféré le format série qui lui permet de développer des univers complexes. C’est pourtant avec un one-shot qu’il est revenu à la rentrée, L’Argentine, un récit envoutant aux frontières du polar et du fantastique…

Il a été l’architecte de plusieurs séries phares du neuvième art, notamment Arq (18 volumes), Rork (8 volumes) et Capricorne à laquelle l’auteur a mis un terme en 2017 au bout de 20 tomes et autant d’années d’aventures. Alors que celles-ci sont aujourd’hui rééditées en intégrales aux éditions du Lombard, Andréas a rejoint l’écurie Futuropolis et poursuit avec L’Argentine son exploration passionnée du médium bande dessinée, un récit sous tension qui navigue quelque part entre le polar et le fantastique.

Comme toujours avec Andréas, la narration est d’une maîtrise absolue. C’est le point fort de cet auteur aux origines allemandes, aujourd’hui installé en Bretagne ! C’est en tout cas ce qui l’amène depuis toujours à préférer la bande dessinée à tout autre médium pour s’exprimer. Mais le graphisme, l’écriture et les couleurs, signées Isa Cochet, ne sont pas en reste, L’Argentine est un album en tout point réussi qui peut – ou doit – se lire plusieurs fois pour en découvrir toutes les subtilités.

Au coeur de l’histoire, une gamine, France, que tout le monde appelle Silver. Elle est la fille d’un conseiller politique d’envergure,Yvon d’Alayrac, mis au placard depuis l’arrivée à l’Elysée d’un président d’extrême droite, le bien nommé Lebrun. Au placard mais pas oublié de tous pour autant. Quelqu’un quelque part lui en veut au point d’enlever sa fille. Un rapt de 48h chrono, aucune revendication, aucune rançon réclamée et une réapparition de Silver à l’Ambassade de France en Argentine.

« Je me suis endormie en haut, dans ma chambre… », explique-t-elle, « et je me suis réveillée dans cette petite maison au milieu de nulle part. Ce qui s’est révélé être l’Argentine. Je n’y ai vu personne. J’étais tout seule… »

De quoi semer le trouble chez les enquêteurs d’autant qu’un autre événement vient interférer avec l’enlèvement. L’épouse d’Yvon d’Alayrac, dans le coma depuis la naissance de Silver, connaît subitement une activité cérébrale en surchauffe…

Un beau concentré des talents d’Andréas.

Eric Guillaud 

L’Argentine, d’Andréas. Futuropolis 18€

@ Futuropolis / Andréas

13 Oct

Contrefaçons : une authentique aventure de Jérôme K. Jérôme Bloche signée Alain Dodier

On a l’habitude de le présenter comme le détective privé le plus lunaire du neuvième art mais il est aussi le plus sympathique. Jérôme K. Jérôme Bloche est de retour pour une vingt-septième aventure qui n’a rien d’une contrefaçon…

Souvent copié, jamais égalé, Jérôme K. Jérôme Bloche est un héros tout à fait unique dans le monde du neuvième art en général et dans celui du polar en particulier.

Unique par son caractère, un être absolument attachant, humain. Unique par ses aventures aussi qui n’ont jamais rien de racoleur, de spectaculaire dans le mauvais sens du terme.

Et que dire des personnages secondaires, le père Arthur, Madame Rose, Madame Zelda, Burhan l’épicier et bien sûr la – de plus en plus – belle Babette. Tout un petit monde qui participe à l’atmosphère chaleureuse qui se dégage de la série.

Loin des effets de modes, Jérôme K. Jérôme Bloche nous prend par la main depuis maintenant presque 35 ans pour nous embarquer dans la vie ordinaire d’un détective privé ordinaire. Bien sûr, il y a bien un crime par-ci, une escroquerie par-là mais chacune de ses aventures est une bulle de douceur dans un monde de bruts, une pause salutaire dans une société lancée à pleine vitesse.

C’est à pleine vitesse justement que débute cette vingt-septième aventure, à bord d’une Alpine Gordini slalomant entre les camions, non pas pour une quelconque urgence, mais juste pour le plaisir. Au volant, le père Arthur, un fou des voitures anciennes. À la place du passager, Jérôme. Tous les deux ont rendez-vous avec une certaine Madame Barbier de Conches, baronne de son état, propriétaire d’un magnifique château et mère d’un énergumène qui se prétend médecin, tente régulièrement de lui soutirer de l’argent, et se retrouve dans l’immédiat entre les mains de ravisseurs. Au menu des réclamations : 100 000 euros sinon… couic.

L’affaire peut sembler simple à première vue mais la baronne pense que son fiston est dans le coup. C’est là qu’intervient notre détective…

Eric Guillaud 

Contrefaçons, Jérôme K. Jérôme Bloche tome 27, de Didier. Dupuis. 13,95€

@ Dupuis / Dodier

10 Oct

Les Indes Fourbes : un récit de Guarnido et Ayroles qui frise l’excellence

Attention chef d’oeuvre. Un grand chef d’oeuvre ! De ceux qui restent quand les années passent et les héros de pacotille trépassent. Un récit picaresque mettant en scène un as de la fourberie, un Don Quichotte rendu aux Amériques avec des rêves d’Eldorado…

Quand un scénariste de grand talent s’associe à un dessinateur de renom, logiquement, ça ne peut guère aboutir à un navet. À contrario, rien ne dit que le chef d’oeuvre est forcément au rendez-vous.

Alors ? Alors aucun doute, Les Indes Fourbes est bien un chef d’oeuvre. Tel un mille-feuille, Alain Ayroles et Juanjo Guarnido qui se sont fait respectivement connaître avec les séries De Cape et de crocs et Blacksad, ont empilé les couches du bonheur pour nous accompagner vers l’extase.

Scénario, narration, écriture, dialogues, découpage, graphisme, personnages, couleurs, décors, format de l’album… Tout, je dis bien tout, a été finement pensé et élaboré, même si, comme le reconnaît Juanjo Guarnido, tout cela a été « un travail colossal », colossal mais « jouissif ».

Jouissif ! C’est aussi l’adjectif que j’emploierais volontiers pour exprimer mon ressenti à la lecture des quelque 160 pages de l’album au très beau format XXL de 25,3 sur 34 cm. Jouissif comme a pu l’être pour un grand nombre d’entre nous la lecture de L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche de Cervantes qui, forcément a influencé ce récit, ou encore, pour les férus de littérature espagnole, de El Buscón, la Vie de l’Aventurier Don Pablos de Ségovie de Francisco Quevedo, auquel Les Indes fourbes apporte une suite.

@ Delcourt / Ayroles et Guarnido

L’histoire ? Picaresque à souhait avec un personnage qui a un petit quelque chose de Don Quichotte. C’est d’ailleurs ce personnage qui a donné l’idée de cette histoire à Alain Ayroles, une idée qui lui est venue alors qu’il était en vacances en Equateur. « Je logeais chez l’habitant… », explique l’auteur dans une interview accordée à Sonia Déchamps, « et dans cet intérieur sud-américain, il y avait un tableau de Don Quichotte. L’image m’a percuté. Pourquoi ne pas faire un Don Quichotte en Amérique du sud ? Mais cela paraissait un peu bateau à Juanjo ».

Finalement, les deux hommes s’arrêteront sur le personnage de Don Pablos de Quevedo, un immense auteur espagnol peu connu en France. Dans le roman El Buscòn, ou la vie de l’aventurier Don Pablos de Ségovie publié en 1626, Francisco Quevedo nous embarque dans les pas d’un vaurien qui ne cherche à avancer que dans la filouterie, le vol, le brigandage, un bandit des grands chemins, un antihéros parfait, un picaro de derrière les fagots qui ne parviendra jamais à effacer malgré tous ses efforts sa condition sociale.

À la fin de ce roman qui se déroule en Espagne, Don Pablos embarque pour l’Amérique, les Indes comme on disait alors. Francisco Quevedo annonce une suite qui ne sera jamais écrite. Alain Ayroles et Juanjo Guarnido l’imaginent. Ainsi naissent Les Indes Fourbes et les aventures de notre héros parti à la recherche de l’Eldorado et surtout d’un enrichissement rapide, par quelque moyen que ce soit…

Un récit captivant et drôle de la première jusqu’à la toute dernière page où les auteurs parviennent encore à nous surprendre avec un final extraordinaire !

Eric Guillaud

Les Indes Fourbes, de Ayroles et Guarnido. Delcourt. 34,90€

07 Oct

Rencontre avec Muriel Douru, auteure de Putain de Vies! itinéraires de travailleuses du sexe

Sujet tabou par excellence, la prostitution, appelée ici travail du sexe pour une acceptation plus large de ce que peut recouvrir l’activité, est au coeur du roman graphique Putain de Vies!. Un livre d’utilité publique signé Muriel Douru et publié à La Boîte à bulles en partenariat avec l’ONG Médecins du Monde et l’association nantaise Paloma. Interview…

Elles ou ils s’appellent Vanessa, Amélia, Giorgia, Lauriane, Louis, Emmy ou Candice. Elles ou ils viennent de France, de Chine, du Nigéria, de Roumanie ou encore de Colombie, pendant 1 an et demi, Muriel Douru a recueilli, retranscrit et mis en images leurs histoires, dix portraits, autant de parcours de vie différents et à l’arrivée un point commun : le travail du sexe.

Mais Putain de Vies! ne raconte pas seulement l’enfance, le quotidien, de ces travailleuses et travailleurs du sexe, il nous parle aussi de violence conjugale, de pauvreté, de migration, de transidentité et d’espoir, espoir de vivre comme chacun de nous, espoir de ne plus être rejeté, stigmatisé.

Parisienne pendant 20 ans, nantaise depuis 3 ans, auteure précédemment de Chroniques d’une citoyenne engagée ou de Beyond the lipstick chroniques d’un coming out, réussit le pari de nous parler d’un sujet particulièrement sensible dans notre société avec intelligence, sans voyeurisme bien entendu, sans misérabilisme non plus. De quoi éveiller notre curiosité…

Qu’est ce qui vous a décidé à réaliser ce roman graphique ?

Muriel Douru. Au départ, le projet a été initié par l’association Médecins du monde. Ils souhaitaient réaliser un roman graphique afin de montrer le gouffre qui existe, parfois, entre les représentations sociales liées au travail du sexe et la réalité du terrain qu’ils constatent tous les jours via leurs actions.

Les travailleuses et travailleurs du sexe sont très stigmatisés, certaines sont des migrantes sans-papiers qui risquent chaque jour de se faire expulser donc il est très difficile de les faire témoigner à visage découvert. L’avantage du roman graphique, c’est qu’il permet de raconter l’intime, la réalité de ces personnes tout en préservant leur anonymat.

Les récits du livre sont absolument vrais- et c’est en cela qu’ils sont si troublants- mais j’ai fait en sorte de protéger l’identité des témoins en changeant leurs prénoms, leurs physiques et certains détails de leurs vies qui les rendraient trop identifiables.

La Boîte à bulles / Muriel Douru

Est-ce qu’il a été facile de convaincre ces travailleurs et travailleuses du sexe de vous livrer leur histoire ?

Muriel Douru. Oui. Parce que ce sont des personnes que personne n’écoute, dont on ignore tout. Leur parole est confisquée par les représentants de l’État ou des militants qui ne transmettent pas toujours leurs réelles revendications (l’abrogation de la loi de pénalisation des clients par exemple) donc elles (il y a un homme dans mon livre mais comme il est très minoritaire, je préfère parler au féminin) ont compris que ce projet leur permettrait de se faire entendre directement. Certes, elles étaient obligées de me faire confiance car je suis l’intermédiaire de leurs récits et cela m’a posé des questions de légitimité, mais j’ai fait en sorte d’être le plus « neutre » possible dans la transmission de leur parole.

D’où le fait que le livre n’est pas misérabiliste ! Parce que, même si certaines ont été, ou sont encore, victimes de réseaux ou d’un proxénète, ce sont des battantes qui ont un courage exceptionnel, qui ont parfois supporté des drames épouvantables, alors qu’elles ne sont bien souvent considérées que comme des « petites choses » qu’il faudrait protéger et « sortir », qu’elles le veuillent ou non, du travail du sexe.

Est-ce qu’il y a une histoire parmi toutes qui vous a touché plus particulièrement ?

Muriel Douru. C’est difficile de choisir car chaque récit est incroyable et je me suis attachée à toutes ces personnes. Mais l’une d’elles m’a beaucoup marquée parce que notre entretien a eu lieu à l’été 2018, le jour de la finale de la Coupe du monde de foot. Alors que le monde entier avait les yeux rivés sur les joueurs, qu’il les valorisait comme des Dieux, j’ai entendu cette femme me raconter comment elle avait été victime d’un réseau de traite, comment elle s’en était libérée toute seule, comment le travail du sexe représentait pour elle un moyen de gagner sa vie meilleur, à ses yeux, que d’aller faire le ménage pour 3 cacahuètes, et comment, quelques jours avant, elle avait travaillé toute la nuit pour, le lendemain, nourrir tout un camp de migrants de sa ville !

Je l’ai quittée les larmes aux yeux et en même temps, pleine de colère d’entendre le monde entier mettre les joueurs de foot sur un piédestal alors que les vrai.e.s héro.ïne.s comme elle restent inconnues, voire, dans son cas, sont même méprisées du fait d’être des travailleuses du sexe.

Notre société du spectacle valorise des gens pas toujours intéressants et passe à côté de personnes exceptionnelles qui changent le monde à leur niveau.

La Boîte à bulles / Muriel Douru

Avez-vous revu ces personnes depuis la sortie de l’album. Et qu’ont-elles pensé du livre ?

Muriel Douru. Tous les témoins du livre ont reçu leurs histoires mises en mots et en images, en version croquis, avant la finalisation de l’album car nous (Médecins du Monde et moi) tenions absolument à ce qu’elles s’y retrouvent complètement et j’ai parfois fait des ajustements ou des modifications, à leur demande, en cours de travail.

Ensuite, nous leur avons transmis un exemplaire après la publication et elles (et il) en ont été apparemment très ému.e.s de voir leur destin devenir un roman et de partager avec le public, même de façon anonyme, leur parcours de vies.

Vous êtes une auteure engagée. Pensez-vous que ce livre puisse changer les mentalités, le regard, sur les travailleurs et travailleuses du sexe ?

Muriel Douru. Je l’espère mais pour cela, il faudrait que celles et ceux qui ont des principes ou des présupposés sur la question de la prostitution, le lisent et je ne suis pas sûre que ce soit le cas. J’ai l’impression que certains sont tellement accrochés à leurs dogmes qu’ils sont incapables d’ouvrir un livre qui risquerait d’ébranler leurs convictions. Et c’est dommage car « Putain de vies ! » témoigne clairement de la violence du patriarcat, des inégalités et de la condition des femmes dans le monde. Le travail du sexe est un lien entre tous ces récits mais le livre parle aussi des migrations, de la transidentité, de la difficulté de se faire une place dans notre société agressive et inégalitaire et il parle aussi de la capacité de résilience de l’être humain et de la soif de (mieux) vivre à laquelle chacun d’entre nous aspire.

S’opposer à des récits réels, les rejeter par principe n’a pas de sens… justement parce qu’ils sont la réalité !

Quand je suis arrivée dans ce projet, je n’avais qu’une vague idée du travail du sexe, je ne connaissais pas bien le sujet et je me gardais donc de prendre position or c’est parce que j’ai écouté, pendant un an et demi, ces personnes qu’aujourd’hui j’ai un avis, personnel et politique, sur la question. Pas l’inverse.

La Boîte à bulles / Muriel Douru

Plus généralement, pensez-vous que la BD est un bon support pour le documentaire, l’enquête, l’engagement, le militantisme ?

Muriel Douru. La BD s’est clairement ouverte aux questions sociales depuis quelques années. La BD n’est plus cet univers uniquement réservé aux hommes qui ne parlait que de Science Fiction ou d’aventures quand j’étais enfant. Des autrices sont arrivées et avec elles, un autre public, plus sensible au réel. L’outil « roman graphique » permet de toucher une autre population, celle qui ne lit pas forcément des essais qu’elle jugerait rébarbatif mais aussi la jeunesse donc en cela, oui, c’est un moyen formidable de faire passer des messages.

D’ailleurs, pour ma part, je suis (récemment) arrivée dans l’univers de la BD pour mes idées plutôt que pour l’objet en tant que tel. J’y ai trouvé un mode d’expression très pertinent pour raconter ce qui m’intéresse le plus : la vraie vie des vrais gens.

Avez-vous dû adapter votre dessin pour cet album ?

Je n’ai pas « adapté » mon dessin, je l’ai imaginé ainsi pour m’approprier ce sujet. Aucun de mes livres ne ressemble à un autre, ce qui n’est pas très confortable, ni pour les éditeurs qui ne savent pas dans quelle case me mettre, ni pour moi qui n’ait, de fait, pas une bibliographie reconnaissable via le style graphique.

Je suis une ancienne dessinatrice textile or dans ce métier, il faut avoir la capacité de dessiner d’un tas de façons différentes, il faut pouvoir « se couler » dans l’univers de ses clients, d’où le fait qu’il m’est encore difficile aujourd’hui de savoir quel est vraiment « mon » style !

Par contre ce livre représente un tournant artistique pour moi parce qu’il est fruit d’une enquête, d’un très long travail de réalisation et parce qu’il permet à des personnes particulièrement stigmatisées de témoigner via ma plume et mes crayons. Ce n’est pas un sujet facile mais je suis très fière d’avoir réalisé cet ouvrage.

Merci Muriel. Propos recueillis par Eric Guillaud le 7 octobre 2020

Putain de vies!, de Muriel Douru. La Boîte à bulles. 24€

La bibliothèque de la Manufacture à Nantes expose les planches originales de l’album jusqu’au 29 novembre

06 Oct

Le scénariste du Petit Spirou et de Soda, Philippe Tome, est décédé

Il a signé le scénario d’une trentaine d’aventures de Spirou, grand et petit confondus, mais aussi de Soda, du Gang Mazda, de Berceuse assassine et du one shot qui pour ma part m’avait bouleversé, Sur la route de Selma, Philippe Tome est décédé ce dimanche…

@ Chloé Vollmer-Lo

La journée avait pourtant bien commencé. Mais voilà, on profite du soleil, on quitte ses écrans pour la journée et on revient le soir regonflé à bloc, prêt à affronter la semaine de boulot. Et patratra, on tombe sur le communiqué des éditions Dupuis :

« Nous venons d’apprendre le décès de Philippe Tome, une nouvelle qui nous laisse tous tristes et abasourdis. Depuis le début des années 80, la vie des Éditions Dupuis est étroitement liée à la carrière de Philippe. Avec Janry, son complice rencontré lors de cours de dessin, il a gravi tous les échelons du métier d’auteur de BD : du cul-de-lampe aux illustrations de rédactionnel, en passant par les décors de « Cubitus » ou de « Robin Dubois 

C’est avec « Spirou et Fantasio » qu’il se spécialise dans le scénario, de 1981 à 1998. Toujours avec Janry, il donne naissance au « Petit Spirou » dès 1987. En 1985, il crée les aventures de « Soda » avec Warnant d’abord, puis avec Gazzotti et Dan. Pour Aire Libre, il se lance avec Philippe Berthet dans un roman graphique, Sur la route de Selma, et aux Éditions Dargaud, il scénarise Berceuse Assassine pour Ralph Meyer. Il a collaboré avec beaucoup de ses amis : Darasse, Hardy, Dan, Goffaux…

Il adorait l’émulation, s’entourer de talents, ce qui le poussait à donner le meilleur de lui-même. L’amitié et la confiance étaient des valeurs auxquelles il tenait par-dessus tout. Sa fidélité de travail avec Janry et Stuf, décédé il y a 4 ans, en témoigne ».

J’avais eu l’immense chance de le rencontrer au milieu des années 80 en compagnie de Janry dans leur atelier bruxellois. À l’époque, Philippe tome travaillait sur les aventures du grand Spirou et de Soda. Le Petit Spirou n’existait pas encore. Un grand moment !

Eric Guillaud

04 Oct

Rencontre avec la Nantaise Tahnee Juguin, auteure avec jean-Denis Pendanx de l’album Mentawaï !

Tahnee Juguin est nantaise mais ses pensées et ses pas l’emmènent régulièrement sur l’île de Siberut en Indonésie aux côtés des Mentawaï. Avec Jean-Denis Pendanx au dessin, elle vient de signer chez Futuropolis une oeuvre à forte valeur ethnographique sur ce peuple longtemps menacé. Interview…

@ Eric Guillaud

J’avais donné rendez-vous à Tahnee Juguin sous les anciennes halles des Fonderies de l’Atlantique à Nantes où l’on fabriquait hier les hélices des plus grands paquebots, parmi lesquels le France. Elles abritent aujourd’hui un jardin luxuriant où palmiers, bananiers et fougères arbustives nous plongent dans une ambiance exotique. 

On ne pouvait finalement rêver meilleur endroit pour parler de son album sorti il y a quelques jours aux éditions Futuropolis, un premier album qui nous emmène au-delà des océans et des montagnes, dans les forêts de l’île de Siberut en Indonésie, où vit une partie du peuple mentawaï.

En compagnie du dessinateur Jean-Denis Pendanx, lui-aussi grand voyageur, Tahnee Juguin nous raconte sur près de 160 pages l’une de ses nombreuses visites à ce peuple animiste, longtemps opprimé sous la dictature de Soeharto, aujourd’hui encore en lutte pour ne pas être assimilé à la société indonésienne. 

Nous sommes en 2014, Tahnee débarque avec un réalisateur pour tourner un documentaire sur les Mentawaï avec l’idée de les faire participer au tournage. Mais les choses ne se passent pas comme prévu et Tahnee, écartée du projet, ne peut que constater un « détournement » des images et à l’arrivée un documentaire qui ne « reflète pas toute la réalité des Mentawaï ».

Tahnee a alors 21 ans, elle décide de monter le projet Mentawaï Storytellers avec pour missions et valeurs l’indépendance et la libre expression des communautés mentawaï par le biais de la gestion d’un tourisme responsable et la réalisation de films par les Mentawaï eux-mêmes.

C’est cette histoire que déroule l’album, un plongeon au coeur des traditions mentawaï, au coeur également d’un projet transversal qui fait appel à la BD mais aussi à la vidéo, un projet qui a aujourd’hui son compte Facebook et son site internet. Tour à tour conférencière pour Connaissance du monde, bergère dans les Alpes, serveuse en restauration rapide, Tahnee a aujourd’hui trouvé sa voie, bien déterminée à la poursuivre…

L’interview ici

Noô ou la réhabilitation en BD d’un grand auteur français de SF des années 50

La carrière d’écrivain de Stefan Wul – alias Pierre Pairault, un dentiste ( !) parisien – a finalement été assez courte. Mais il a malgré tout marqué de son empreinte la science-fiction française des années 50. Son œuvre est aujourd’hui de nouveau célébrée par une nouvelle adaptation en bande dessinée…

La science-fiction francophone a toujours eu mauvaise presse. Moins grandiloquente que celle de ses confrères américains, moins biberonnée aux combats intergalactiques plein de ‘piou, piou’ et de bonds dans l’hyperspace mais par contre plus humaine et, limite, plus philosophique par moment, elle plonge ses racines dans les écrits fondateurs de Jules Verne, JH Rosny Ainé ou encore René Barjavel. Des auteurs dont l’héritage voue un culte à une science salvatrice et non pas destructrice et auquel Stefan Wul a rajouté une certaine poésie.

La reconnaissance, elle, est venue d’abord de Roland Topor puis, huit ans plus tard, de Moebius, qui ont respectivement signé l’adaptation en dessin animé de deux de ses romans, La Planète Sauvage (1973) et Les Maîtres du Temps (1981). Puis à partir de 2012, ce fut au tour de la BD de s’emparer de son œuvre. D’abord par l’intermédiaire de l’éditeur Ankama puis aujourd’hui via le Comix Buro. Soror, le premier volume d’une trilogie annoncée s’attaque à un gros morceau, l’ultime livre de Wul, sorti en 1977.

L’éditeur aime parler ici autant de ‘space opera’ que de ‘voyage initiatique’. ‘Space opera’ car le tout se passe de l’autre côté de l’univers, dans un monde où l’ultra-moderne se mélange à la nature la plus sauvage et où les hommes côtoient de drôles créatures évoquant des sortes d’oiseaux . Et ‘initiatique’ car tout tourne autour d’un jeune homme du nom de Brice. Arraché à la mort sur Terre par son père adoptif, il se retrouve, malgré lui, au plein cœur d’une rébellion qui l’oblige à fuir Grand’Croix, la capitale où il vivait, pour échapper aux forces gouvernementales lancées à sa poursuite.

L’intérêt de Noô, c’est d’avoir permis la rencontre entre un dessinateur assez rôdé à la SF (Alexis Sentenac) avec un auteur (Laurent Genefort) qui évoluait dans la même sphère mais, lui, en tant qu’auteur de romans et de nouvelles. C’est d’ailleurs sa première adaptation BD. Une relative inexpérience qui se ressent parfois dans le rythme général, des dialogues assez verbeux succédant parfois à des scènes plus graphiques sans trop crier gare, comme si en voulant rester le plus possible fidèle à l’esprit original du livre il avait tenu absolument à faire rentrer presque trop de choses dans ce premier volume. En même temps, dans toute trilogie digne de ce nom, le rôle de celui qui ouvre le bal est de justement ‘poser le décor’ comme on dit et c’est ce que fait Soror. Et puis autant Sentenac semble, limite, manquer de place pour s’exprimer durant les (longues) phases de dialogues, autant lors des passages plus contemplatifs qui s’étalent parfois sur une pleine page, il donne alors toute l’ampleur de son talent. Un essai donc peut-être imparfait donc mais transfiguré par quelques moments de pure beauté et qui donne surtout envie de (re)découvrir Stefan Wul.

Olivier Badin

 Noô, volume 1 : Soror de Laurent Genefort et Alexis Sentenac. Comix Buro/Glénat. 14,50€

@ Comix Buro/Glénat / Laurent Genefort & Alexis Sentenac

01 Oct

Une Vie de moche : un récit de toute beauté signé François Bégaudeau et Cécile Guillard

Qu’est-ce que la laideur ? Vaste question à laquelle le monde n’a toujours pas trouvé de réponse définitive. Parce qu’elle est forcément relative. Dans cet album paru aux éditions Marabulles, François Bégaudeau et Cécile Guillard nous en apportent une preuve éclatante…

Elle s’appelle Guylaine. Ne cherchez pas, la rime est évidente, facile mais évidente, Guylaine est vilaine. Du moins, le pense-t-elle depuis toute petite. Précisément depuis le jour où les garçons de son quartier l’ont rejetée de leurs jeux tout simplement parce qu’elle était moche. Et toute sa vie Guylaine sera la vilaine.

« Dans la vie, on a ce qu’on mérite, disait mon père. J’avais du mériter ma tête, mon nez de travers, mes yeux éteints, mes joues pâles, mes cheveux insoumis ». 

Le verdict est sans appel, la peine est capitale.

« On m’avait condamnée à être de celles que les moustiques piquent. Je ne serais pas une princesse, mais sa servante ».

@ Marabulles / Bégaudeau & Guillard

Miroir mon beau miroir… Le titre est explicite, Une Vie de moche déroule la vie de Guylaine depuis son enfance jusqu’à ses 60 ans, avec ses questions, ses doutes, ses peines, les copains qui la rejettent de peur du regard des autres, les copines toujours plus belles qui attirent les garçons comme des mouches, le corps qui ne prend pas les formes espérées à l’adolescence arrivée, les expériences amoureuses ou sexuelles sans lendemain, la recherche d’un style, d’un caractère, qui pourrait atténuer, voire cacher, ce corps disgracieux… et finalement, tout au loin, tout au bout, à des années-lumière, l’acceptation de soi. Enfin !

Le chemin est long et tortueux. On le suit sur près de 200 pages avec compassion, émotion, et parfois une pointe d’agacement tant on a envie de crier à l’héroïne qu’elle n’est pas moche, tout au moins pour tout le monde, qu’il y a forcément des êtres qui la trouvent belle quelque part. D’ailleurs, Guylaine finit par se découvrir un pouvoir de séduction. La victoire est en marche !

@ Marabulles / Bégaudeau & Guillard

Son curriculum Vitae est à rallonge, il est ou a été écrivain, critique littéraire, scénariste, acteur primé Palme d’or à Cannes pour le film Entre les murs dont il a écrit le livre et joué le rôle principal, réalisateur et même chanteur au sein du groupe punk Zabriskie Point qui sortit quatre albums en son temps et joua un rôle moteur pour la scène punk hexagonal, le Vendéen François Bégaudeau signe le très beau scénario de cette histoire.

Moins connue et pour cause, Une Vie de moche est son premier album, certainement pas le dernier, Cécile Guillard offre une très belle mise en images du récit avec un découpage vivant et un dessin au lavis, intimiste et élégant à souhait.

Eric Guillaud

Une Vie de moche, de François Bégaudeau et Cécile Guillard. Marabulles. 25€ (en librairie le 2 octobre)