26 Août

La BD fait sa rentrée. Radium girls ou l’histoire vraie et tragique d’ouvrières américaines sacrifiées sur l’autel du progrès technologique

Elles allaient au travail le coeur léger, le sourire aux lèvres, bien décidées à s’amuser d’un rien, à rire de tout, à croquer la vie. Mais c’est avec la mort qu’elles avaient rendez-vous. Retour sur une tragédie ouvrière qui changea la vie des travailleurs américains et plus encore…

Radium girls. Oui, ça sonne bien, ça sonne rock, mais il n’est pourtant pas question ici de musique et de je ne sais quelle girl’s band. Radium girls est le nom de ces ouvrières américaines qui furent chargées dans les années 20 de peindre des cadrans de montre au radium, élément révolutionnaire découvert à la fin du XIXe siècle par Pierre et Marie Curie et dont l’une des singularités est de produire de la luminescence par désintégration radioactive.

Lip, Dip, Paint. « Tu lisses le pinceau, tu prends de la peinture, tu peins », Trois mots, trois actions, aussi simples que meurtrières. 250 cadrans à réaliser par jour, autant de fois le pinceau porté à la bouche pour l’épointer. De quoi rendre la langue et les lèvres des ouvrières luminescentes à leur tour, de quoi surtout leur transmettre des doses mortelles de rayonnements ionisants.

Ce livre est leur histoire, l’histoire d’ouvrières sacrifiées, l’histoire aussi de leur combat. Car un certain nombre d’entre elles, Grace, Katherine, Mollie, Albina et Quinta dans l’album, on traîné leur employeur en justice avant de mourir.

Une histoire tragique, forte, longtemps oubliée. Elle a pourtant eu des conséquences sur le droit des travailleurs et plus généralement sur les normes de sécurité, comme nous le rappelle l’autrice, Cy, dans une interview reproduite dans les dernières pages de l’album : « C’est fou ce qui est arrivé à ces femmes… Ça a impacté les lois aux Etats-Unis et on n’en a jamais entendu parler. Cette histoire est dense et rocambolesque ! Et puis, il y a le militantisme : encore des femmes, qui ont disparu de l’histoire alors qu’elles ont fait bouger ses lignes ».

Aucun doute, cette tragédie et ce combat, même s’ils furent oubliés un temps, résonnent encore dans notre monde actuel et l’approche que nous en offre l’autrice est elle-aussi très contemporaine, une histoire de nanas insouciantes rattrapées par la tragédie de la vie. Un très bel album réalisé au crayon de couleurs, publié dans la nouvelle collection Karna des éditions Glénat dont l’objectif est de mettre en lumière des anonymes qui ont, par leurs actes, changé la société dans ses fondements et ses acquis. Une belle entrée en matière!

Eric Guillaud

Radium girls, de Cy. Glénat. 22€

© Glénat / Cy

24 Août

Pages d’été. Love corp, l’amour en mode 2.0 avec J. Personne au scénario et Lilas Cognet au dessin

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Et si l’amour dépendait dorénavant d’un algorithme ultra-perfectionné remisant les sentiments et les émotions au placard. C’est le parti pris de ce récit paru dans la collection Mirages des éditions Delcourt…

« Boum, Quand notre coeur fait boum, Tout avec lui dit boum, Et c’est l’amour qui s’éveille », chantait Charles Trenet en son temps. Lointain ce temps ! Car aujourd’hui, l’amour ne fait plus boum, il fait brrrrrrr à votre poignet. C’est en tout cas ce que promet la société Love corp avec son bracelet révolutionnaire qui permettrait de trouver dit-on LE partenaire pour la vie.

Et de fait, plus besoin de se fatiguer, de parcourir le monde, de faire la cour pendant des jours au risque de se prendre un beau râteau, au placard les agences matrimoniales, exit les sites et applications de rencontre, le bracelet Love corp détecte des personnes compatibles avec vous à 97% dans un rayon de 7 mètres. « Aucun risque d’échec », assurent les concepteurs, une âme soeur dans les parages et votre bracelet se met à vibrer.

Alors, bien sûr, c’est le succès immédiat, tout le monde veut son bracelet, hommes, femmes, jeunes, vieux, célibataires et même personnes mariées. De quoi faire vibrer la terre entière…

Avec cette histoire par si légère qu’elle en a l’air, J. Personne et Lilas Cognet s’interrogent, nous interrogent, sur l’amour. Comment le reconnaît-on ? Comment sait-on qu’on est amoureux ? Devons-nous privilégier l’émotion à la raison ou l’inverse ? Des questions aussi vieilles que l’humanité mais toujours aussi essentielles à l’heure où la technologie pourrait prendre le contrôle de notre vie amoureuse. Vibrant !

Eric Guillaud

Love corp, de J. Personne et Lilas Cognet. Delcourt. 17,50€

© Delcourt / J. Personne & Cognet

09 Août

Golden Sheep, Maison Ikkoku, Mao, Shadows House , Les Légendaires Saga, Dans les pas de Nietzsche… Le plein de mangas pour la plage

En ces temps de transhumance estivale, les mangas ont un avantage : celui de ne pas prendre plus de place qu’un livre de poche. Encore faut-il ne pas emporter toute sa bibliothèque. Subjective mais assumée, voici une petite sélection de nouveautés qui pourrait satisfaire les boulimiques de lecture…

On commence avec une valeur sûre, une série culte, plusieurs fois rééditée. Il s’agit de Maison Ikkoku du Grand Prix d’Angoulême 2019, Rumiko Takahashi (Ranma 1/2, Mermaid Forest…). Le deuxième volet de l’intégrale sorti en juin poursuit l’histoire de Yusaku Godaï. Ce jeune étudiant raté a décidé un beau jour de quitter la pension de famille dans laquelle il vit reprochant à ses colocataires de faire trop la fête et trop de bruit. Mais le jour même de sa décision débarque la nouvelle responsable de la maison de famille, Kyoko Otonashi. Elle est belle, elle est jeune, elle est veuve… de quoi lui faire changer d’avis. Ce deuxième volet sur les dix de prévus débute un an après l’arrivée de Kyoto Otonashi. Yusaku a enfin décroché un dîner avec elle… (Maison Ikkoku volume 2 (Perfect Edition), de Rumiko Takahashi. Delcourt / Tonkam. 12,50€)

Vous aimez Rumiko Takahashi ? Alors voici Mao. La nouvelle série de la mangaka débarque en France avec deux volumes d’un coup d’un seul. Je rassure tout de suite ceux qui auraient développer une petite allergie à l’histoire avec un grand H durant leur cursus scolaire, Mao ne retrace pas la vie du fameux chef d’état chinois Mao Zedong, non, Mao est ici un chasseur de yôkai, ces petites créatures surnaturelles qui hantent la mythologie japonaise. Et Mao a une mission : aider Nanoka Kiba, une jeune gamine du XXIe siècle qui a perdu ses parents dans un accident et qui a été projetée un siècle plus tôt, à lever le mystère sur sa véritable nature… (Mao 1 et 2, de Rumiko Takahashi. Glénat. 6,90€ le volume)

Adieu Osaka ! À la mort de son père, la jeune Tsugu Miikura retourne dans sa ville natale avec ses soeurs et sa mère. Douze heures d’autoroute, un camion à décharger, un appartement à emménager… et Tsugu peut enfin retrouver ses amies d’enfance qu’elle avait quittées avec regret sept années plus tôt. Et joie ultime, elles seront dans le même lycée à la rentrée. Mais à la joie des retrouvailles succède bientôt la déception. Chacun à taillé sa route pendant ces années et l’amitié qu’elle croyait inaltérable a pris un sérieux coup de mou. Mais Tsugu n’a pas dit son dernier mot et compte tout faire pour rapprocher les unes des autres, peut-être grâce à sa guitare. Tsugu adore le rock…  (Golden Sheep, de Kaori Ozaki. Delcourt / Tonkam. 7,99€)

Inutile de présenter Les Légendaires, la fameuse série de Patrick Sobral aux millions d’exemplaires vendus, aux multiples séries dérivées et adaptations tous azimuts. Voici aujourd’hui l’adaptation officielle au format manga avec toujours Patrcik Sobral au scénario et Guillaume Lapeyre au dessin, un Guillaume Lapeyre déjà remarqué avec son manga City Hall. Le premier volet est sorti en mars juste avant le confinement, le second devait paraître en juin, il sera finalement disponible le 18 août. L’occasion de se replonger dans les 23 albums de la série avec un autre regard. En bonus, une jaquette réversible de Guillaume Lapeyre. (Les Légendaires Saga 1 et 2, de Sobral et Lapeyre. Delcourt / Tonkam. 7,99€)

Deux premiers volumes parus en juin, deux couvertures aux mêmes atmosphères victoriennes gothiques sophistiquées et un graphisme de caractère qui se démarque de la production classique, Shadows House du duo So-ma-to, Nori au scénario et Hisshi au dessin, s’affirme dès le départ comme une série à part. Et côté histoire, c’est la même chose, So-ma-to nous ouvre les portes du manoir de la famille Shadow avec une petite particularité : ses membres n’ont pas de visages et pallie cet état de fait en employant des poupées vivantes chargées de les servir et d’interpréter leurs émotions. Emilico est la poupée vivante de la jeune Kate Shadow. Tout juste arrivée à son service, elle doit apprendre à répondre à ses envies et à refléter sa personnalité. En attendant, elle frotte la suie que le vidage de sa jeune maîtresse laisse un peu partout dans la chambre… Vaut-il mieux être que paraître ? Shadows House est un petit bijou de mystère et de douce réflexion. (Shadows House volumes 1 et 2, de So-ma-to. Glénat. 7,60€ le volume)

Elle l’espérait de tout son corps, de toute son âme : faire une belle rencontre. Et elle l’a faite. Nietzsche, il s’appelle Nietzsche et prétend être la réincarnation du fameux philosophe. « Je suis là pour toi. Je vais t’aider à devenir un surhomme et à te débrouiller dans la vie », lui dit-il. Avec lui, la jeune Arisa Kojima pourrait effectivement obtenir enfin toutes les réponses à ses nombreuses questions et changer ce qui ne lui plait pas en elle. Arisa connaît un profond chagrin d’amour depuis qu’elle a vu son copain donner la main à sa meilleure amie. Elle veut devenir sage et réfléchie, accepter la chose, ne plus mourir de jalousie, mais ce n’est pas gagné. Pour tous ceux qui veulent s’initier à la philosophie façon Nietzsche… (Dans les pas de Nietzsche, de Harada Mariru, Sugimoto Iqura, Araki Tsukasa. Editions Soleil. 7,99€)

Eric Guillaud

04 Août

Pages d’été. Open Bar 2, tournée générale d’humour façon Fabcaro

Son nom est devenu une référence de l’humour absurde dans le monde du neuvième art mais pas seulement. Son fameux Zaï Zaï Zaï Zaï qui l’a rendu célèbre fait aujourd’hui l’objet de plusieurs adaptations au théâtre et au cinéma. Il revient avec la deuxième tournée de son Open Bar. Humour à volonté…

Avec Fabcaro, on pourrait penser que l’humour en BD c’est facile, qu’il suffit juste de réunir quelques feuilles à dessin, un peu d’encre noire, un pinceau et voilà. Sauf que c’est justement là toute la difficulté, faire croire que c’est naturel, que ça coule de source. Alors, oui, c’est peut-être plus facile pour le talentueux Fabcaro mais ça reste du boulot, beaucoup de boulot. Un métier…

Avec près de 200 000 exemplaires vendus depuis sa parution en 2015, le road movie burlesque Zaï Zaï Zaï Zaï est devenu un classique de l’humour absurde, presqu’un étalon pour tous ceux qui veulent aujourd’hui se frotter au genre, et une bouffée d’oxygène pour l’éditeur, 6 Pieds sous terre, pas franchement habitué à de tels scores.

Mais Fabcaro n’est pas l’homme d’une seule BD, près de 40 albums répartis entre petits et grands éditeurs constituent aujourd’hui sa biographie. C’est pour les éditions Delcourt, collection Pataquès, qu’il a lancé Open Bar dont le deuxième volet est sorti en juin. On y retrouve toute sa truculence dans le non-sens, des athlètes qui refusent le triple saut, des coiffures improbables, une compétition d’enfilage de housse de couette, un régime minceur qui marche à tous les coups, une pollution atmosphérique à base d’oméga-3, on y parle de féminisme, d’écologie, de coaching, d’amour, d’Eddy Mitchell, de raclette, de cuisse de poulet sur la tête… un concentré d’humour en format court à consommer sans modération.

Eric Guillaud

Open Bar 2, de Fabcaro. Delcourt. 12,50€

© Delcourt / Fabcaro

27 Juil

Pages d’été. Dans mon village, on mangeait des chats, ou la génèse d’un voyou racontée par Philippe Pelaez et Francis Porcel

Bon, autant le dire tout de suite, les amis des bêtes, et notamment des félins, ne seront effectivement pas à la fête au début du récit mais les choses auraient tendance à s’arranger par la suite. Enfin, pas pour tout le monde…

Sous ce titre aussi énigmatique que féroce, mais qui trouve son explication dès les premières pages de l’album, se cache l’histoire d’un voyou ou plus précisément le récit de son parcours initiatique.

Il faut dire que tout commençait mal pour Jacques, le voyou en question. Un père routier souvent absent, toujours violent, une mère qui vend ses charmes à droite et à gauche… le tableau familial n’avait effectivement rien de reluisant.

Et Jacques le supportait de moins en moins, comme il supportait de moins en moins la violence, celle du père bien sûr, celle du maire aussi, oui le maire du village, charcutier le jour, tueur de chats la nuit, une matière première gratuite pour les pâtés qu’il vendait aux petites mamies du coin. Si elles avaient pu se douter ! Jacques, lui, savait.

Une vraie saloperie ce charcutier. Jacques accepta pourtant, un peu forcé par son père, de devenir son apprenti avant de le liquider. Un coup de surin bien placé. Pour le charcutier et les villageois, finis les pâtés de chats. Pour Jacques, direction l’ISES, une institution spécialisée d’éducation surveillée où il continua à apprendre la vie, faire des rencontres et se glisser peu à peu dans la peau d’un voyou, jusqu’à devenir un ponte de la pègre locale.

« L’enfance décide de notre futur, elle oriente notre vie d’adulte », explique le scénariste Philippe Pelaez. C’est précisément ce qu’il a voulu mettre en images à travers cette histoire même s’il se défend de vouloir faire passer un message. On ne naît pas voyou, de même on ne le devient pas sans un terreau favorable. Le style est là avec un narrateur homodiégétique (c’est le héros lui-même qui raconte l’histoire), un graphisme délicieusement noir signé de l’Espagnol Francis Porcel et des atmosphères plutôt lourdes déconseillées aux estomacs fragiles.

Eric Guillaud

Dans mon village, on mangeait des chats, de Philippe Pelaez et Porcel. Grand Angle. 16,90€

© Grand Angle / Pelaez & Porcel

25 Juil

Pages d’été. Simon et Louise : une histoire bourrée de tendresse façonnée par Max de Radiguès

Voilà une BD qui tombe à pic pour une lecture – ou relecture puisqu’il s’agit d’une réédition en intégrale – sur la plage ou à l’ombre d’un olivier. Oui, Simon & Louise sent bon le sable chaud et l’amour naissant, de quoi s’aérer l’esprit avec un peu de légèreté et de drôlerie…

C’est l’été. L’école est finie, les cartables au fond du placard. Pas forcément le meilleur moment pour Simon et Louise qui vont devoir se séparer pendant deux mois. Un dernier bisou et chacun chez soi, chacun ses vacances, Simon avec sa mère, Louise avec ses parents.

Deux mois, c’est affreusement long quand on s’aime. Et ils s’aiment Simon et Louise. Enfin surtout Simon. Parce que Louise, de son côté, à peine rentrée chez elle, décide de changer son statut sur Facebook. Elle est désormais célibataire, prête à courir les beaux garçons sur les plages de Montpellier.

Le choc pour Simon lorsqu’il s’en aperçoit. Ni une ni deux, le voilà parti pour Montpellier, 520 kilomètres à parcourir, quelques aventures et mésaventures en cours de route, avant de pouvoir prendre sa douce dans les bras. Mais le voudra-t-elle encore ?

Paru initialement en deux volumes en 2012 et 2014, sous les noms de 520 km et Un Été en apnée, Simon & Louise est un récit d’une salutaire légèreté en ces temps de pandémie, un récit qui nous renvoie, pour le plus vieux d’entre nous, à notre jeunesse, avec une belle histoire d’amourette racontée ici à la fois du point de vue de Simon et de celui de Louise. C’est léger, c’est frais, aussi bien dans le propos que dans la mise en images, simple, drôle et efficace. Un bonheur, comme tout ce qu’a écrit Max de Radiguès pour les éditions Sarbacane, Casterman, Delcourt ou encore L’Employé du mois. Je ne peux que vous encourager à découvrir l’auteur.

Eric Guillaud

Simon & Louise, de Max de Radiguès. Sarbacane. 18,50€

20 Juil

Les voyages d’Ibn Battûta racontés par Lotfi Akalay et Joël Alessandra

Longtemps, les voyages ne se décidaient pas et ne se faisaient pas à la légère, sur un coup de tête et d’un simple coup d’ailes. Traverser un océan, un désert, une forêt, une montagne demandait force et courage à celui qui l’envisageait. Ibn Battûta en fît un mode de vie, parcourant le monde musulman pendant plus de 29 ans…

Certes, son nom ne vous cause pas de la même façon que peuvent le faire des Marco Polo, Christophe Colomb ou encore Magellan. Pourtant, Ibn Battûta fait partie des plus grands voyageurs de notre histoire, 120 000 kilomètres à lui seul entre 1325 et 1353, 29 ans d’un périple qui l’amena de Tanger, sa ville natale, à Pékin, en passant par Grenade, Alger, Le Caire, La Mecque, Constantinople, Kaboul, Singapour ou encore Sumatra.

Oui, Ibn Battûta fut un grand voyageur, mais pas seulement. De son périple, l’homme ramena des histoires qui seront consignées dans un manuscrit transcrit par le poète andalou Ibn Juzayy. Baptisé « Cadeau fait aux observateurs, traitant des curiosités offertes par les villes, et des merveilles rencontrées dans les voyages » ou plus simplement « Rihla », ce récit consacra dit-on un genre littéraire à part entière, celui du récit de voyage (rihla en arabe), avec des passages incontestablement véridiques et d’autres qui interrogent. Mais rihla ne désigne-t-il pas à la fois le voyage et le récit que l’on en fait ?

À l’origine de cette splendide adaptation BD, un autre grand voyageur, Joël Alessandra, qui a su avec ses croquis et ses somptueuses planches à l’aquarelle, et en s’appuyant sur les travaux de Lotfi Akalay qui en offrit une relecture, restituer les voyages d’Ibn Battûta avec tout ce que le personnage a de singulier, sa dimension religieuse en même temps que son amour immodéré pour les femmes. Conçu comme un carnet de voyage, raconté du point de vue du personnage, cet album paru dans la collection Aire Libre nous offre un voyage au long cours, absolument envoûtant et pour le moins exotique, le tout encadré d’une préface d’Ali Benmakhlouf, professeur à l’université de Paris-Est-Créteil et d’un texte d’Hubert de Chanville consacré à Lotfi Akalay, décédé en décembre 2019, et à Ibn Battûta. Une merveille !

Eric Guillaud

Les voyages d’Ibn Battûta, de Lotfi Akalay et Joël Alessandra. Dupuis. 29,90€

© Dupuis / Alessandra & Akalay

17 Juil

L’Eveil, Vincent Zabus et Thomas Campi réveillent nos consciences avec un récit bourré de charme et de poésie

Quel est le point commun entre un hypocondriaque replié sur lui-même et une artiste engagée ouverte sur le monde ? Ne cherchez pas, il n’y en a pas. Pourtant, Arthur et Sandrine vont être amenés à se croiser et à unir leurs personnalités opposées pour penser le monde autrement et éveiller les consciences…

Ne lui parlez surtout pas de maladie, Arthur est hypocondriaque à un stade avancé. Entre ses mains qui picotent, ses pointes au coeur et ses douleurs à la tête, Arthur a toujours une bonne raison de s’inquiéter, de s’imaginer le pire, se monter un scénario catastrophe comme il dit, dans le genre « un symptôme insignifiant qui cache un truc gravissime ».

Pour se soigner, Arthur n’a rien trouvé de mieux que de rejoindre un groupe de soutien aux malades en fin de vie, de quoi l’aider à apprivoiser l’idée de la mort, lui a dit son psy. Un hypocondriaque qui aide les malades, l’affaire est quand même loin d’être banale ! Peu banale aussi est la situation en ville. Depuis quelques jours, Arthur a remarqué les traces laissées par le passage d’un monstre, ici un coup de griffe, là une empreinte géante et même un arbre à moitié dévoré dont une des branches à failli choir sur la tête du héros de cette aventure. De quoi se poser de sérieuses questions !

Et des questions, il va s’en poser notre Arthur, jusqu’à ce qu’il rencontre Sandrine, l’artiste à l’origine de cette mise en scène, de cette installation artistique, car oui il s’agit d’une installation artistique qui a pour ambition de réveiller les gens, d’éveiller les consciences. Et contre toute attente, Arthur se retrouve mêlé à l’affaire et pourrait bien lui-aussi bénéficier d’un éveil au monde.

Après Les larmes du seigneur afghan, Les Petites gens, Macaroni ! et Magritte, Ceci n’est pas une biographie, le tandem Zabus – Campi se reforme autour de cette très belle histoire imprégnée d’une atmosphère semi-réelle, semi fantasmagorique. On y parle d’éveil des consciences et d’engagement autour de deux personnages attachants mais aux personnalités totalement opposées. On y parle aussi de l’art, du street art plus spécifiquement, et de sa place dans notre société. On y parle enfin d’une quincaillerie, un lieu véritable et éphémère de Bruxelles qui, pendant des mois, a été le refuge de gens engagés désireux de partager leur vision du monde. Un récit poétique, sensible et drôle !

Eric Guillaud

L’Eveil, de Zabus et Campi. Delcourt. 17,95€

© Delcourt / Zabus & Campi

15 Juil

Madeleine Riffaud et Baudelaire : deux cahiers pour l’été, deux BD pour 2021

Il n’est pas trop tôt pour tourner la page de 2020 et s’intéresser à 2021 qui sera, peut-on espérer, moins anxiogène. Les éditions Dupuis nous y aident avec deux prépublications en format cahier d’albums à paraître l’an prochain, un hommage à Baudelaire et ses poèmes d’un côté, le témoignage d’une vie héroïque de l’autre…

Deux personnages, deux biographies, deux hommages, deux séries de cahiers. D’un côté, un poète, immense, dont on célèbrera le bicentenaire de la naissance en 2021. De l’autre, une résistante, poétesse et grand reporter, toujours en vie, parmi les derniers témoins de la Libération de Paris.

Nous inviter dans le processus de création des auteurs est l’objectif de ces cahiers qui ont notamment déjà accueilli le Tif et Tondu de Blutch & Robber ou les derniers Théodore Poussin de Frank Le Gall. Et c’est encore le cas, plus encore ici peut-être, avec Yslaire et le cahier Baudelaire qui nous permet d’apprécier le majestueux travail d’esquisse de l’auteur avant l’encrage et la mise en couleur. Chaque planche, chaque vignette, est un bijou graphique finement travaillé qui promet un somptueux album. Baptisé La Vénus noire, il paraitra en 2021. Trois cahiers, tirés à 2500 exemplaires chacun, nous aideront à patienter d’ici là.

Dans un style graphique très différent, le cahier Madeleine de JD Morvan et Dominique Bertail nous invite à découvrir le premier chapitre d’un récit qui nous plongera au coeur de la vie héroïque de Madeleine Riffaud, grande figure de la Résistance, militante anticolonialiste, poétesse et reporter. Un récit construit d’après les souvenirs de la vieille dame de 95 ans que les auteurs on pu rencontrer. Ils racontent d’ailleurs cette entrevue dans une petite BD de quatre planches à découvrir dans les rabats de la jaquette. Autre bonus sympathique, le portrait de Madeleine Riffaud en couverture du cahier est signé Picasso, rien de moins. Une belle histoire, un trait réaliste d’une très belle sobriété, un album à paraitre en 2021, trois cahiers ici aussi nous permettront de suivre l’avancée des auteurs.

Eric Guillaud

Cahiers Baudelaire 1/3, d’Yslaire. Dupuis. 15,95€

Cahiers Madeleine 1/3, de JD Morvan et Dominque Bertail. Dupuis. 15,95€