18 Déc

Vous êtes un fou de BD et rêvez depuis toujours de devenir membre d’un jury ?

Vous êtes un lecteur ou une lectrice passionné(e) de bande dessinée et vous souhaitez devenir juré d’un prix littéraire ? Alors posez votre candidature pour être membre du jury du Prix du public France Télévisions lors du prochain festival d’Angoulême ! Comment faire ? On vous l’explique ici…

Décerné par des lecteurs et très convoité par les éditeurs, le Prix du public du Festival de la BD d’Angoulême (FIBD) avait été mis en sommeil lors de l’édition 2019. Cette disparition n’aura été que provisoire. Le 1er février 2020, à l’occasion de la 47e édition du Festival, un jury composé de neuf téléspectateurs décernait le prix du public France Télévisions à Chloé Wary pour son album Saison des roses (édition FLBLB).

Cette année encore, France Télévisions s’associe au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême pour ce prix prestigieux et vous offre la possibilité de devenir l’un des treize membres du jury.

Comment ça fonctionne ?

De la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée, un comité de journalistes et spécialistes de la littérature de France Télévisions en retiendra une sélection de huit titres.

Ensuite, c’est à vous de voter !

Suite à cet appel à candidatures, 13 téléspectateurs seront sélectionnés et les huit bandes dessinées leur seront offertes en lecture. Ce jury de lecteurs se réunira le vendredi 29 janvier au matin, en visio conférence pour voter et élire l’heureux/euse lauréat(e) du Prix du Public France Télévisions ! Il sera décerné lors de la cérémonie de remise des prix du Festival le soir même.

Ne tardez plus, écrivez-nous une lettre bien argumentée et exposez les raisons pour lesquelles vous voulez participer à cette nouvelle aventure. Parlez de vous, de votre passion pour la bande dessinée, aussi bien que de vos derniers coups de cœur littéraires…

Pour poser votre candidature, c’est ici

Sélection officielle Angoulême 2021. Coda ou la fantasy réinventée

Ce Coda ne ressemble pratiquement à aucun autre. Les douze épisodes de cette saga onirique sont réunis ici dans une intégrale conséquente, une fantasy débridée et visuellement flamboyante où une espèce d’ersatz de John Difool de l’Incal version mutique et mélancolique tente de retrouver sa bien-aimée dans un monde au bord du gouffre.

Ce n’est pas pour rien que dès les premières pages, on pense d’abord à Michael Moorcock et ses différentes représentations de ce qu’il a appelé ‘le champion éternel’ (Elric, Hawkmoon, Corum etc.). Comme l’auteur de fantasy britannique, le scénariste Simon Spurrier aime les chausse-trappes et les apparences trompeuses dans lesquelles il s’amuse à perdre ses lecteurs. Formé du côté du magazine ‘culte’ britannique 2000 AD, il sait également faire preuve d’un cynisme féroce, mais sans jamais que le tout tombe dans la guignolade. Non, au contraire, même si ici l’histoire baigne dans une espèce de mélancolie sourde – le décor est un monde fantastique peuplé de sorciers et de créatures bizarres mais où la magie a été pratiquement éradiquée – on reste dans le domaine du rêve. Un rêve psychédélique et parfois désorientant mais un rêve quand même, aux couleurs extravagantes et plein de vie.

Et c’est là toute la singularité de Coda. Bien sûr, il y a cette façon de dérouler le récit à part, raconté en partie en voix ‘off’ par un personnage principal limite mutique dans la vraie vie et d’ailleurs surnommé ‘Hum’ car c’est en général la première chose qu’il lâche à ceux qu’il rencontre. Mais c’est surtout le trait incroyablement coloré de l’uruguayen Matias Bergara, dont la carrière navigue entre les comics et le monde des jeux vidéo, qui fascine le plus.

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

Comme les adaptations d’Elric (on y revient, encore) par le alors futur papa d’Hellboy à la fin des années 80 Mike Mignola, jamais Bergara ne laisse l’habituel trait sombre et pessimiste de la fantasy moderne plomber l’ambiance malgré le fait qu’il décrive des âmes sombres et un monde en pleine déliquescence. Au contraire, grand fan des pleines pages débordant de vie où son trait très fin lui permet de semer quantités de petits détails, il entretient la richesse de la narration avec classe. Et malgré le poids du produit fini, on a envie de prendre son temps pour lire chaque page, histoire de ne rater aucun détail ou sous-entendu.

En même temps, il vaut mieux car Coda est du genre difficile à apprivoiser. Même si on part sur une quête a priori ‘classique’ dans le genre – un barde peu bavard part à la recherche, prisonnière d’une bande de barbare affirme-t-il – très vite, les frontières entre vérité et chimère se troublent au fur et à mesure que Spurrier s’amuse à bousculer nos acquis. Le fidèle destrier du héros ? Une licorne ( !) qui marmonne un langage que lui seul comprend et qui est régulièrement prise de frénésie meurtrière ? Le premier sorcier à la longue barbe blanche comme il se doit qu’on rencontre ? Un vieux gâteux cerné par les fantômes de son passé. Sa femme prisonnière que l’on imagine fragile et perdue ? Pas tout à fait…

En passant ainsi de l’introspectif aux décors XXL, en alternant le style entre pure fantasy, récit post-apocalyptique et quête initiatique et en multipliant les sous-intrigues, Coda est aussi déroutant qu’original. Un truc un peu fou mais d’une richesse dingue, une claque visuelle pas si assez accessible que ça mais qui emmènera le lecteur le plongeant complètement dans ce délire coloré presque pop par moments. Avec au dessin une révélation, une vraie, Matias Bergara.

Olivier Badin

Coda de Simon Spurrier & Matias Bergara. Glénat Comics. 29,95 euros

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

15 Déc

Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2021. Anaïs Nin sur la mer des mensonges, une biographie sensuelle de Léonie Bischoff

Pour raconter la vie de la sulfureuse écrivaine Anaïs Nin, il fallait trouver le ton juste. Plus de huit ans ont été nécessaires à l’autirce suisse Léonie Bischoff pour le trouver. Mais le résultat est là, Anaïs Nin sur la mer des mensonges est un roman graphique en tout point raffiné, à l’écriture aussi subtile que le trait est léger…

Comme chacun et chacune d’entre nous, l’écrivaine Anaïs Nin a eu une vie publique, une vie privée et une vie secrète, riches dans les trois cas. C’est à la dernière que s’est intéressée plus précisément Léonie Bischoff dans ce sublime roman graphique paru chez Casterman en août dernier, une vie secrète passée à la postérité grâce à la publication de ses journaux intimes et secrets tenus sur plusieurs décennies.

Vécu comme un événement sans équivalent dans la littérature au moment de leur publication, ces journaux intimes ont révélé une personnalité hors norme, une femme aux multiples vies et aux milles facettes qui avait choisi pour guider sa vie la création, la passion, l’amour, le sexe… et bien sûr la liberté. Nous sommes dans les années 30, Anaïs Nin est une féministe avant l’heure !

Ses journaux étaient à la fois son réconfort, son miroir, sa drogue. « J’y explore mon caractère et celui des autres… J’analyse, si j’ose dire!« , lui fait dire Léonie Bischoff.

D’un trait délicat, réalisé au crayon magique à mine multicolore, et d’une très belle écriture, Léonie Bischoff nous embarque corps et âme dans cette vie faite d’écriture, de rencontres, de liaisons amoureuses et de mensonges. Comme elle pouvait le faire elle-même à travers la rédaction de ses journaux, nous pouvons, nous lecteurs, contempler ici son âme, décortiquer sa complexité, et approcher d’un peu plus près le génie du personnage.

Chaque planche de ce roman graphique est un bijou en soi, d’une sensibilité et d’une finesse incroyable, d’une sensualité et parfois d’un érotisme habiles. Telle une ode à la femme, à l’amour, à la vie.

Eric Guillaud

Anaïs Nin sur la mer des mensonges, de Léonie Bischoff. Casterman. 23,50€

© Casterman / Bischoff

14 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Le taureau par les cornes, un récit autobiographique signé Morvandiau

En 2005, coup sur coup, Morvandiau apprend que sa mère est atteinte de démence précoce et que son fils Émile tout juste né est trisomique. De quoi perdre pied…

Perdre pied… et se relever, continuer de marcher en faisant si possible du bruit sur le gravier, comme une musique « rocailleuse et rassurante ». De tous ses souvenirs d’enfance, cette sonorité si particulier fait par un adulte marchant sur un chemin de gravier sera pour Morvandiau l’une des motivations premières à devenir grand.

Ça peut paraître anecdotique, voire dérisoire, ou incongru, mais ça a son importance dans l’histoire de l’auteur et dans ce récit. En 2005, Morvandiau ne fait peut-être pas encore tout à fait partie du monde des adultes, même s’il a dépassé les 30 ans, lorsqu’il est confronté coup sur coup à la maladie de sa mère et à la trisomie de son fils. Il aurait pu définitivement se liquéfier, s’effondrer, ne pas faire face. Par la fenêtre de son atelier, Morvandiau assiste à la démolition du quartier promis à un bel avenir immobilier. La fin d’une époque !

À partir de ce moment-là, Morvandiau connait bien évidemment des moments de désespoir profond, de trouilles, de questionnements, de doutes. Mais à chaque fois, il finit par attraper le taureau par les cornes et reprendre le dessus. Il le faut !

À travers ce petit livre – par le format – paru à L’Association, Morvandiau raconte cette vie intime bouleversée, il raconte aussi sa famille, sa mère, son enfance, sa ville, Rennes, avec une grande pudeur et une singularité dans le traitement narratif et graphique, insérant ici et là en images des références cinématographiques ou musicales. Le Taureau par les cornes figure dans la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2021.

Eric Guillaud

Le Taureau par les cornes, de Morvandiau. L’Association. 19€

© L’Association / Morvandiau

13 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Citéville et Citéruine de Jérôme Dubois ou la fin de l’utopie urbaine ?

La bande dessinée peut être divertissante, pédagogique, documentaire, critique, elle peut aussi parfois se révéler comme une expérience visuelle et narrative unique. C’est le cas avec ce diptyque qui ne fait qu’un, une oeuvre atypique signée Jérôme Dubois…

Citéville et Citéruine, deux albums qui sont chacun le miroir de l’autre, deux albums qui peuvent se lire indépendamment l’un après l’autre, l’un sans l’autre, mais qui prennent toute leur valeur respective par une lecture simultanée. C’est une véritable expérience, à la fois visuelle et narrative que nous offre son auteur, Jérôme Dubois, une expérience qui nous interroge sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur.

Aux images de Citéville, où l’absurde révèle la violence de la société, où l’on voit des SDF ramassés par une balayeuse de voirie, où l’on achète des enfants comme on achèterait un paquet de nouilles, où l’on prend la ligne de bus 67 pour aller directement en vacances, ou la 85 pour le chômage, répondent les images de ville désertée, abandonnée de Citéruine. Plus un humain ou ce qui pourrait y ressembler, les mêmes plans de la ville que dans Citéville mais dépourvus de protagonistes, une ville qui nous fait penser aux images qu’on a pu voir lors du premier confinement, une ville fantôme, post apocalyptique, en ruine ou presque.

La ville est-elle l’avenir de l’homme ? Et plus largement, quel est l’avenir de l’homme ? Ce sont les questions que pose, que nous pose Jérôme Dubois, dont on avait déjà pu apprécier le travail dans Bien normal et Tes Yeux ont vu également publiés chez Cornélius.

Eric Guillaud

Citéville, de Jérôme Dubois. Cornélius. 22,50€ et Citéruine, de Jérôme Dubois. Editions Matière. 19€

© Cornélius / Dubois

12 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Paul à la maison ou la vie presque ordinaire d’un auteur de bande dessinée québécois

Avec la série Paul, l’auteur Michel Rabagliati s’est fait remarquer au Québec mais aussi en France en remportant le Prix du public Fauve FNAC-SNCF au 37e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Il revient avec un neuvième volet qui nous interroge sur la maladie, la mort,  la solitude, la vie en somme…

Un oiseau, immobile, sur douze cases. Comme si rien ne bougeait. Mais c’est trompeur. Tout, autour de lui, est en mouvement, la nature vie, le temps s’écoule. C’est ainsi que débute ce nouvel album de Michel Rabagliati. Et c’est aussi comme ça qu’on peut voir la vie de son protagoniste, Paul, une vie plate et ennuyeuse, au milieu d’un monde en mouvement qui ne lui convient pas forcément, où la communication ne ne fait plus que par écrans interposés, où même l’amour n’est plus qu’une histoire de liaisons numériques. Paul Rifiorati a 51 ans, il est auteur de BD, s’occupe avec attention de sa vieille mère et de sa fille de 19 ans. Jusqu’au jour où la première lui annonce qu’elle est malade et refuse de se soigner, et la seconde, qu’elle va partir vivre à Londres. Pour Paul, le monde, son monde, s’écroule un peu plus…

Comme dans chacun de ses albums, Michel Rabagliati déroule ici un récit autobiographique empreint de sensibilité et de tendresse. Il ne s’y passe absolument rien d’extraordinaire, simplement la vie avec sa dose de petits bonheurs et de belles emmerdes. Paul à la maison est une aventure intime et nostalgique qui nous parle avec finesse de la maladie, de la mort et de la solitude.

L’album figure dans la sélection officielle du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême 2021 et il est en compétition pour le Prix du Public France Télévisions

Eric Guillaud

Paul à la Maison, de Michel Rabagliati. La Pastèque. 25€

© La pastèque / Rabagliati

Brève de bulles. Lou! toujours là!

Avec le huitième volet des aventures de Lou! paru en 2018 et baptisé En route vers de nouvelles aventures, Julien Neel ne pouvait être plus clair sur ses intentions, promettant notamment à l’époque de travailler sur une série de petits livres jeunesse. Ce qu’il fit avec Le Petit monde de Lou!, deux mini-albums publiés à ce jour chez Glénat et une héroïne rajeunie de quelques années. Retour vers le futur avec Lou! Sonata, Cette fois, Lou! est étudiante, s’installe dans son propre appartement, découvre les joies et les contraintes de l’indépendance, les cours à l’université, les fêtes, la musique et les voisins qui râlent… ! Julien Neel toujours dans le mouv’. EG (Lou! Sonata, de Neel. Glénat. 17,50€)

11 Déc

Richard Corben (1940-2020)

Voilà, Richard Corben n’est plus. Â la base, on devait vous présenter Murky World, son dernier bébé paru en France chez Delirium et dire tout le bien qu’on en pense. Sauf que la vie a décidé d’intervenir de la pire façon qu’il soit, transformant ainsi ce tout nouveau tome en testament.

© Dona Corben

C’est son éditeur français qui a annoncé la nouvelle : mercredi dernier, Richard Corben s’est éteint à l’âge de quatre-vingt ans, laissant derrière une œuvre à part, une vision autant nourrie par les classiques de cette foisonnante littérature dite de ‘fantasy’ pendant si longtemps hélas dénigrée en France et qu’il avait aidé à sortir de son ghetto, salué comme il se doit en 2018 par un Grand Prix au festival d’Angoulême.

Richard Corben, c’est aussi avant tout l’un des plus grands artistes de la culture ‘pulp’ qui s’était d’abord épanouie dans les années 20 et 30 dans ces magazines bon marché pleins de monstres et d’histoire macabres où Ray Bradury, Robert E. Howard et HP Lovecraft avait fait leurs premières armes. Un échappatoire pas si innocent que ça car cachant souvent sous sa triple couche de gore une critique assez acerbe de la société occidentale et de ses (multiples) travers. Une véritable culture contestataire, en marge qui est réapparue dans les années 50, 60  et 70par l’intermédiaire du neuvième art cette fois-ci. Ses porte-étendards se nomment alors Eerie, Creepy, Vampirella ou encore MétalHurlant et oui, pas la peine de chercher, Corben les a tous colonisé.

Dans une autre vie et un autre siècle, ce natif du Missouri au physique pourtant assez frêle aurait sûrement été sculpteur, tant il a cette façon si particulière d’exposer les corps pour mieux les façonner mais aussi les rendre parfois grotesques et difformes, reflets à peine déformés de l’âme qu’ils abritent. Gothique et en même temps, terriblement humain.

© Delirium / Richard Corben

Pour son éditeur français Laurent Lerner de Delirium, Corben a toujours été perçu par un certain nombre de lecteurs « comme un auteur exceptionnel, génial et tout à fait à part, depuis sa découverte avec Métal Hurlant. Il a traversé une période plus compliquée et a été oublié de pas mal de monde jusqu’à ce qu’il recommence à être publié en son nom, et non au travers de séries plus grand public, et son oeuvre a commencé enfin à être redécouverte depuis ces dernières années. » Leur premier contact date de 2012, époque à laquelle Lurent voulait éditer en français le ‘best’ de Creepy qui lui était consacré. Mais c’est surtout à partir de l’édition française de Ragemoor que les deux ont commencé à collaborer « pour de bon. J’avoue que j’avais été particulièrement surpris de constater que cette BD n’avait pas d’éditeur en français, alors qu’elle était sortie depuis un an ou deux déjà aux US. Je l’ai alors contacté et il a été ouvert et sympa d’emblée. Il a notamment signé quelques ex-libris que l’on offrait aux lecteurs, en partenariat avec un libraire parisien historique (‘Super-Héros dans le Marais’). Tout s’est déroulé avec une merveilleuse simplicité, alors que c’était un monument de la BD. A partir de là, tout s’est fait de plus en plus cordialement, même s’il était très réservé. Mais je crois que l’essentiel était qu’il sente que l’on respecte son travail et que l’on soit honnête avec lui. »

Pour Laurent, ce qui restera, c’est « d’abord Den pour les générations les plus anciennes. Ensuite, sa carrière est jalonnée de chef d’œuvres, de Bloodstar, adaptation fabuleuse de RE Howard, à MondeMutant, et Vic & Blood, par exemple. Mais ces dernières années, il était au sommet de son art, Esprits des Morts où il adapte des nouvelles et poèmes de Poe contient certains de ses plus beaux travaux de son propre aveu. Ratgod est un bijou en référence à Lovecraft, et Murky World, sur lequel il a travaillé pendant près de 8 ans, est une œuvre testament, graphiquement sublime, dans laquelle il dit beaucoup de choses de lui-même et de sa propre vision des hommes, des rêves, des idéaux et de l’héroïsme. »

© Delirium / Richard Corben

Il est donc très difficile de détacher Murky World de ce contexte très particulier, cette ultime aventure est d’autant plus symbolique qu’elle recèle la quintessence même du ‘style’ Corben.

Il y ce héros – ou plutôt anti-héros – nommé Tugat, justement au physique d’athlète mais au cerveau et surtout à la naïveté d’un enfant qui se fait balader, littéralement, par ses semblables qui se servent tous de lui.

Puis il y a ce rythme si particulier, propre aux serials, référence à ces aventures publiées en épisodes de cinq ou six pages, chaque ‘chapitre’ étant introduit par une sorte de conteur qui revient en quelques mots sur ce qui a précédé.

Mais surtout, on retrouve dans ce texte toutes ses obsessions, ici sublimées, notamment à travers ce mélange si particulier de dark fantasy, de quête initiatique, d’horreur et d’humour macabre avec ces nombreuses références culturelles à peine voilée. La scène du bal, par exemple, est ouvertement un hommage à la nouvelle Le Masque de La Mort Rouge de son idole Edgar Allan Poe, traduite chez nous par Baudelaire. Le personnage central semble aussi être une sorte de pastiche de Conan le Barbare et sa rencontre avec un vers monstrueux et invisible renvoie quant à elle à Lovecraft. Sans parler de cette mise en couleur réalisée par ses soins et qui donne vraiment vie à ce monde fantasmée, aussi attirant que macabre.

Avec Murky World, Richard Corben sort par la grande porte, avec discrétion et classe, à l’image de sa vie. Sans lui, nos cauchemars ne seront plus tout à fait les mêmes…

Olivier Badin

Murky World de Richard Corben. 25 €. Delirium.

09 Déc

Fauve d’or – Prix du meilleur album Angoulême 2021 : L’Accident de chasse de David L. Carlson et Landis Blair

Ils ont reçu le Fauve d’or à Angoulême en début d’année pour leur premier album L’Accident de Chasse, les auteurs américains David L. Carlson et Landis Blair sont les invités de la librairie Bulle au Mans ce mardi 12 octobre pour une rencontre-dédicaces exceptionnelle.

Certains mensonges ont la vie dure. Celui de Matt Rizzo aura tenu de nombreuses années, jusqu’au jour où il décide de révéler lui-même la vérité à son fils. Non, sa cécité n’est pas due à un accident de chasse…

Lorsqu’en 1959, à la mort de sa mère, le jeune Charlie Rizzo doit retourner vivre chez son père à Chicago, il pense que celui-ci est devenu aveugle à la suite d’un accident de chasse. C’est en tout cas ce qu’il a toujours dit et personne ne l’a jamais contredit.

Pourtant, quelques années plus tard, alors que Charlie a fait un écart avec ses potes et que la police débarque à la maison, Matt, son père, lui révèle la vérité. Ce n’est pas un accident de chasse qui l’empêche de voir mais un braquage qui a mal tourné. Oui, son père a non seulement commis un vol à main armé pour le compte de la mafia italienne, mais il a également été incarcéré à la prison de Statesville où il est devenu le compagnon de cellule de Nathan Leopold Jr.

Ce nom ne vous dit peut-être rien mais il suffit de faire une petite recherche rapide sur internet pour apprendre que Nathan Leopold Jr et son comparse Richard Loeb, tous deux de très bonne famille, ont défrayé la chronique dans les années 20 en assassinant froidement un jeune garçon dans l’unique but de prouver qu’ils étaient capables de commettre le crime parfait.

© Sonatine / Carlson & Blair

De cette vie dont il ne savait rien, Charlie Rizzo finit donc par la découvrir de la propre bouche de son père. Le braquage, la prison, la cécité, l’envie de mourir, d’abréger ses souffrances et puis la littérature, une véritable révélation, et ce grâce à Nathan Leopold Jr qui le guida dans sa nouvelle vie d’aveugle dès son arrivée en prison et lui apprit le braille.

« Cette histoire est une tentative pour raviver la magie et le merveilleux de l’expérience humaine, ne serait-ce que le temps de quelques centaines de pages », explique le scénariste David L. Carlson. Tentative réussie ! Dans l’intimité relative d’une cellule, deux hommes se tendent la main pour dépasser la réalité et trouver rédemption et consolation à travers les grands textes, Platon et Dante en tête.

© Sonatine / Carlson & Blair

Pour mettre en images cette histoire vraie recueillie par David L. Carlson auprès de Charlie Rizzo, le trait de Landis Blair apparaît finalement comme une évidence. Connu de l’autre côté de l’Atlantique pour ses livres aux illustrations très noires, morbides, son dessin fait ici de milliers de hachures prend une dimension toute particulière et donne à l’ouvrage une force incroyable. Et c’est d’autant plus méritoire quand on sait qu’il s’agit là d’un premier roman graphique, et pour l’un et pour l’autre. Trois ans de travail intense pour un résultat impressionnant, 460 pages prodigieuses, et au bout du compte une lueur de poésie dans un tunnel de brutalités.

Eric Guillaud 

L’Accident de chasse, de David L. Carlson et Landis Blair. Sonatine Éditions. 29 euros

08 Déc

Watching the Watchmen ou la radioscopie complète d’une oeuvre hors norme

Qu’on le veuille ou non, la série Watchmen a marqué une rupture à sa sortie en 1986. Et l’aura dont elle bénéficie depuis est à la hauteur des réactions délirantes qu’elle a suscité, dans les deux sens. Ce livre rend gloire à son incroyable modernité et complexité et emmène le lecteur dans la matrice.

En pleine uchronie dans un monde où les États-Unis ont gagné la guerre du Vietnam, où Richard Nixon est toujours en poste et où les super-héros ne sont plus que les ombres d’eux-mêmes et en plein doute, Watchmen reste un OVNI qui a permis à l’ogre Alan Moore d’obtenir une stature internationale et qui a marqué l’histoire des comics.

Soyons clairs : Watching The Watchmen ne s’adresse pas aux béotiens. Si vous n’avez parcouru aucun des épisodes de la saga, vous serez tout de suite perdu. De toute façon, le but de cet ouvrage n’est pas de servir d’introduction à ce monument de la BD des années 80. Au contraire : réalisé sous la direction de Dave Gibbons – le dessinateur original de la série qui s’exprime ici à la première personne en parlant avant tout de son expérience personnelle – il s’adresse aux plus acharnés de ses disciples, ceux qui ont lu et relu les douze épisodes de la saga mais qui continuent d’y chercher à tout prix LE petit détail ou LA référence cachée qu’ils n’ont pas encore repéré. C’est pour eux que Gibbons est revenu au tout début, à sa première rencontre avec Moore lors d’une convention comics en 1980, à comment il a eu l’idée de ressortir des cartons cette galerie de héros datant en fait d’après-guerre et tombés dans l’oubli, comment il a su se les réapproprier visuellement avant que son scénariste ne transforme le tout en quête métaphysique etc.

Mais Watching The Watchmen, c’est avant tout et surtout des tonnes de croquis, de storyboards plus ou moins détaillés, de comparatifs entre l’avant et l’après, jusqu’au merchandising ou même le graphisme des pubs qui ont accompagné sa sortie. En gros, c’est une sorte de plongée assez étourdissante au cœur même de cette œuvre très complexe, des premières idées au produit final. Une mine d’infos assez impressionnante mais surtout une incroyable plongée au cœur même du processus de création…

Olivier Badin

Watching The Watchmen de Dave Gibbons, Chip Kidd & Mike Essl. Urban Books. 29 euros

© Urban Books / Dave Gibbons, Chip Kidd & Mike Essl