Presque 60 ans après la guerre d’Algérie, le sujet des harkis est toujours aussi sensible pour ne pas dire tabou des deux côtés de la Méditerranée. Abandonnés de tous, beaucoup de ces supplétifs de l’armée française ont rejoint la France à l’indépendance pour tenter de vivre ou plus exactement de survivre. Sans billet de retour ! Cet album raconte l’histoire de Mohamed, l’un de ces nombreux harkis que l’histoire aurait voulu oublier…
Mohamed vit seul dans son appartement avec ses souvenirs et ses rancoeurs. Depuis quelques temps, il ne range plus rien, ne sort plus. Son fils ne parvient plus à le raisonner. Il décide de sous-louer une chambre de cet appartement aujourd’hui trop rand à Lisa, une jeune étudiante justement à la recherche d’un logement.
« Mon père n’a pas besoin d’une infirmière. Il faudrait juste être là, dîner avec lui de temps en temps. Et me prévenir en cas de… problème »
Lisa accepte. Entre les deux, on ne peut pas dire que c’est l’amour fou au début. C’est même plutôt glacial. Jusqu’à ce que Lisa découvre, à la faveur d’enregistrements retrouvés dans sa chambre, le passé du vieil homme. Un harki.
« Pourquoi vous avez choisi de vous battre pour la France ? »
La question est directe mais elle a le mérite de briser la glace. Mohamed qui gardait le silence depuis de trop nombreuses années finit par raconter son histoire à Lisa, sa jeunesse au village, les premières confrontations avec les atrocités de la guerre, l’impôt révolutionnaire exigé par le FLN, son entrée dans une Harka, une unité de supplétifs, ses années en France, le déracinement, la douleur, la haine des autres, ceux qui ont choisi le « bon camp » et l’amour pour sa femme décédée, pour ses cousins qui ont suivi un autre chemin.
« J’ai travaillé pour les Français, je me suis pas battu pour la France. C’est différent. »
Après L’œil du STO qui nous plongeait dans le Paris occupé de la deuxième guerre mondiale, Julien Frey aborde ici une autre période sombre de notre histoire, la guerre d’Algérie, et ce drame des harkis, rejetés par les Algériens, méprisés par les Français. Avec beaucoup d’humanité dans le propos et de délicatesse dans le trait, cet album nous offre un de ces témoignages essentiels pour la mémoire collective avec une rencontre, entre deux générations, deux êtres qui n’ont pas grand chose en commun et apprennent à se connaître, à s’apprécier, à s’accepter. Des personnages attachants, un récit touchant !
Eric Guillaud
Lisa et Mohamed, de Julien Frey et Mayalen Goust. Futuropolis. 20€ (en librairie le 7 avril)