Emprunté à une chanson des 2Be3, fameux boys band français des années 90, Partir un jour raconte la crise existentielle d’un quadra parisien qui va larguer son boulot et négliger sa dulcinée pour entrer en littérature comme d’autres entreraient en religion… sans retour !
Rien de neuf sous le soleil vous allez me dire ? Ah mais si, justement, la différence se joue toujours dans la manière de raconter. Et même si les histoires de quadras en crise de milieu de vie voulant tout plaquer pour écrire un bouquin de leur non-vie sont légion dans la bande dessinée comme au cinéma ou en littérature, Manu Boisteau fait mouche avec cet album qui commencera par réjouir tous les écolos du monde avec sa couverture 100% recyclé.
Mais on s’arrête là avec les considérations écologiques, Partir un jour ne traite pas du réchauffement climatique, pas plus de la sauvegarde de la biodiversité, non, Manu Boisteau y traite de l’intime, des doutes existentiels, d’un homme qui pourrait être lui, qui est forcément lui quelque part, un quadra lambda parisien middle class « qui vient de renoncer à 15 ans d’ancienneté sur un coup de tête pour apporter son inestimable contribution aux lettres françaises ». Dit comme ça, on pourrait prendre le personnage principal de ce récit pour un homme sûr de lui mais c’est tout le contraire. D’ailleurs, il ne parvient pas à écrire un mot de son livre. Et sa démission, le départ de sa dulcinée, ses visites hebdomadaires chez le psy, son coup de foudre pour une éditrice n’y changent rien. Les mots ne viennent pas.
© Casterman / Boisteau
Et pour écrire quoi de toute façon ? De ce côté-là, notre personnage en a une idée très précise et en même temps assez modeste : « le parcours initiatique d’un apprenti écrivain dépressif (…) à travers un atlas émotionnel onirique et anxiogène (…) mais attention sans pathos ! Constructif, optimiste ! Et surtout pas chiant… Drôle ! ». Bref, le livre que tout le monde attend !
Une chose est sûre, l’album de Manu Boisteau n’a absolument rien de chiant. « Mon ambition… », souligne l’auteur, « ‘était avant tout d’en faire un récit drôle. L’humour est le moyen d’expression avec lequel je suis le plus à l’aise. Rien de plus déprimant qu’un sujet grave traité avec gravité. J’avais envie de faire rire, mais je voulais aussi transmettre une expérience vécue et, pourquoi pas, aider les lecteurs dont le parcours entrerait en résonance avec le mien ».
© Casterman / Boisteau
Plus qu’une autobiographie, Partir un jour est une autofiction, un récit « imprégné » de ce que l’auteur a vécu et en même temps complètement romancé, un récit qui nous embarque donc dans une longue introspection, une aventure intérieure confrontée à la dure réalité de la vie, le tout avec un dessin beaucoup plus rond, plus doux, que dans les albums précédents de l’auteur et des planches dénuées de cases. Forcément, ça cause, beaucoup, ça doute, énormément, et ça nous interroge, à la folie, sur la vie, notre vie, les priorités, l’amour, l’argent, le sexe, la liberté… Universel !
Eric Guillaud
Partir un jour, de Manu Boisteau. Casterman. 21€ (en librairie le 24 mars)