Dans les pas d’un Baru, qui signe d’ailleurs une postface dessinée au livre, Vincent Bailly et Tristan Thil rendent hommage au peuple lorrain en racontant à travers l’histoire d’une radio pirate l’une des dernières grandes luttes ouvrières…
Ce n’est pas la fête chez Camille. Comme dans tous les foyers de Longwy. Et il y a de quoi. Nous sommes en 1979, le plan Davignon qui prétend assurer la restructuration industrielle du secteur sidérurgique prévoit 22 0000 suppressions d’emplois. Certains parlent d’un plan de sauvetage, les ouvriers parlent d’un démantèlement en règle.
Une chose est certaine, tout ça ne sent pas très bon. Alors chez Camille comme ailleurs, il y a de la tension dans l’air. Son père, immigré polonais, sidérurgiste et délégué CGT, a d’ailleurs transformé la maison en QG syndical. Chacun s’organise, manifs, blocages, séquestrations… la lutte risque d’être longue et rude.
A 18 ans, Camille aurait pu se sentir extérieur à tout ça, lui qui aspire à une autre vie que celle offerte par l’usine, mais il s’implique dans le mouvement, comme photographe. Et puis il y a cette radio pirate lancée par la CGT avec deux journalistes professionnels, Marcel Trillat et Jacques Dupont. Une radio pirate comme il en a existé quelques-unes dans les années 70. Celle-ci s’appelle Lorraine Coeur d’acier et a un objectif : libérer la parole des ouvriers et au-delà celle de toute une population.
Pendant pratiquement deux ans, Lorraine Coeur d’Acier accompagne la lutte, couvre les manifs, provoque le débat, accueille des personnalités telles que Georges Marchais, Daniel Cohn-Bendit, Alain Krivine ou Françoise Giroud, réunit des hommes, mais aussi des femmes bien décidées à faire entendre leur voix dans ce monde ouvrier très masculin. Et ce au nez et à la barbe de l’état qui tenta à plusieurs reprises de brouiller les ondes. À cette époque, faut-il le rappeler, la radio comme la télévision sont encore sous monopole et tutelle de l’état.
L’une des dernières grandes luttes ouvrières d’un côté, l’une des premières radios libres de l’autre, Vincent Bailly et Tristan Thil illustrent avec brio le passage d’un monde à l’autre avec un graphisme brut, sans artifice, des planches qui laissent transparaître la violence de la situation. Une très belle fiction au coeur de l’histoire sociale de notre pays.
Eric Guillaud
Lorraine Coeur d’Acier, de Vincent Bailly et Tristan Thil. Futuropolis. 17€ (disponible en librairie le 7 avril)