04 Juil

Tomino la maudite de Suehiro Maruo, Prix Asie de la Critique ACBD 2021

Après Sous un Ciel nouveau de Kei Fujii en 2018, Les Montagnes hallucinées de Gou Tanabe en 2019 ou encore Sengo de Sansuke Yamada en 2020, c’est au tour du magnifique diptyque Tomino la maudite de Suehiro Maruo de se voir décerner le Prix Asie de la Critique ACBD. Une oeuvre remarquable parue en français chez Casterman…

« Maruo mériterait d’être traduit. C’est une urgence », écrivait Moebius dans les pages du magazine (A suivre) en 1991 à l’occasion de la prépublication du récit L’Aspirant flûtiste. Depuis, les éditions Casterman et Le Lézard noir se sont chargés de faire connaître son oeuvre en France avec une quinzaine de récits publiés en albums ou en revue.

Trente ans plus tard, après plusieurs prix, notamment le Grand Prix de l’imaginaire en 2011, et deux nominations en sélection officielle au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, le mangaka se voit décerner le Prix Asie de la Critique ACBD 2021. Juste récompense pour une oeuvre forte, à l’esthétique singulière, riche d’influences japonaises et occidentales, notamment surréalistes. D’aucuns reconnaitront notamment dans son univers, savant dosage de fantastique et d’horreur, des références aux films Un Chien andalou de Luis Buñuel ou Freaks, La Monstrueuse parade de Tod Browning.

Dans Tomino la maudite, publié en deux beaux et gros volumes de 300 pages chacun chez Casterman, Suehiro Maruo nous transporte dans le Tokyo des années 30 pour nous raconter l’histoire de deux jumeaux, Shoyu et Miso, abandonnés par leur mère à leur plus jeune âge, adoptés par un foyer, vendus à une baraque foraine qui trimbale des monstres de villes en villes, et finalement séparés par la cupidité des hommes et précisément celle d’Herbert Wang, propriétaire de la baraque et père des jumeaux.

Pas facile de ressortir indemne de Tomino la maudite. Suehiro Maruo nous y brosse, avec son style si particulier, son trait si élégant et lisible, le portrait d’un monde brutal où l’innocence de la jeunesse ne peut résister. Certains pourront trouver le récit déroutant, voire dérangeant, il est surtout éblouissant et captivant. Un chef d’oeuvre !

Eric Guillaud

Tomino la maudite, de Suehiro Maruo. Casterman. 22€ le volume

© Casterman – Suehiro Maruo.

01 Juil

Texas Blood : un polar qui transpire le Texas signé Chris Condon et Jacob Phillips

Dans la famille Phillips, je demande le fils, Jacob de son prénom, dessinateur comme papa et talentueux comme papa. Associé au scénariste Chris Condon, il nous livre ici un polar brûlant sur les terres du Texas…

Joe Bob Coastes est un vieux shérif du comté d’Ambrose au Texas. Vieux mais pas encore gâteux. Plutôt lucide même sur sa vie, à la fois sur ce qui est derrière lui et ce qui est devant lui. « Je pensais que ce serait différent », rumine-t-il simplement. Et les journées défilent, entre la neutralisation d’un serpent à sonnettes qui s’est approché un peu trop près des maisons d’habitation, un violent pétage de plomb qui finit très mal et un plat à gratin qu’il a pour mission de récupérer pour sa femme.

Jusqu’au jour où Randall Terrill, le frangin d’un petit voyou local tué dans des conditions mystérieuses, fait irruption dans le bourg. Alors forcément, ça interroge. « Ton frère et toi, nous n’avez pas vraiment conquis le coeur des habitants », lui dit le shérif. Pourquoi est-il là ? C’est la question que tout le monde se pose.

Pas de suspects à ce stade, seulement des pistes à fouiller pour les flics. Et peut-être des dettes à payer pour le frangin qui va croiser la route de très vieilles connaissances, pas forcément fréquentables. Une chose est certaine, le sang va couler…

Beau travail pour ce premier album, Jacob Phillips affiche une grande maturité sur le plan graphique, les paysages sont sublimes, ça respire, ça transpire même, le Texas à toutes les pages, même si le dessinateur n’y a jamais mis les pieds et les crayons. Quant à Chris Condon, son scénario est remarquablement bien ficelé et le personnage de vieux flic franchement attachant. Pour tous ceux qui aiment No Country for Old Men, Paris Texas ou encore Fargo.

Eric Guillaud

Texas Blood (tome 1), de Chris Condon et Jacob Phillips. Delcourt. 14,50€

30 Juin

L’épée à la main dans le creuset avec Conan !

Voici le troisième volume traduit en français de la dernière série en date dédiée au barbare le plus célèbre de la culture pulp, lancée en 2019 après son retour sous le giron Marvel. Avec, au passage, un retour aux fondamentaux, quitte à ne pas prendre (trop) de risque.

Avec sa couverture signée par Esad Ribic, son scénario du très apprécié Jason Aaron (‘Thor’, ‘Avengers’ etc.) et surtout son ton plus ‘adulte’, les deux premiers volumes de ce xième reboot de Conan le barbare avait mis tout le monde d’accord. Pour son retour chez Marve,l après presque vingt ans chez le concurrent Dark Horse, on avait clairement mis les petits plats dans les grands et cela a payé. Mais bon, il faut maintenant installer la série sur la durée.

D’où une nouvelle équipe artistique un chouia moins capée (même si le scénariste Jim Zub a déjà été récemment chargé d’écrire le destin du barbare) et le retour ici à un ton plus traditionnelle, moins sombre et collant plus aux standards imposés par le style ‘sword & fantasy’.

Cela se ressent particulièrement dans la première (et la meilleure) des deux histoires présentées dans ce volume, où notre héros se retrouve bien malgré lui piégé au sein d’un labyrinthe bourré de pièges et accompagné de vrai/faux alliés. Un scénario digne d’une bonne vieille partie de jeu de rôle et avec son lot de tyran, de créatures maléfiques et de cultes sanglants. C’est déjà vu et revu mais quand même très divertissant et tout à fait dans l’état d’esprit d’un ‘Savage Sword Of Conan’, la précédente incarnation de cette série dans les années 70.

Le second récit (‘La malédiction de l’étoile de nuit’) suit à peu près le même ton mais avec moins de réussite. Cette histoire d’épée maléfique et buveuse d’âmes mettant Conan sous sa coupe souffre d’une proximité bien trop grande, à la limite du plagiat, avec la saga d’Elric le nécromancien et de son épée Stormbringer, signée Michael Moorcock et adaptée de multiples fois en BD.

Un ‘petit’ Conan donc avec de bonnes choses dedans malgré tout mais à qui il manque ce petit plus qui aurait fait la différence.

Olivier Badin

Conan le barbare : dans le creuset de Jim Zub, Rogê Antönio, Robert Gill & Lucas Pizzari. Marvel/Panini Comics. 18€

© Marvel/Panini Comics – Jim Zub, Rogê Antönio, Robert Gill & Lucas Pizzari

27 Juin

Les soldes du printemps de Marvel : une (bonne) aubaine !

Dix sorties simultanées, dix personnages différents, dix couleurs… Simple opération marketing de la part de Marvel ? Sûrement. Mais pas que. Même si le lecteur y trouvera à boire et à manger, il y a quand même dans le lot quelques perles pas forcément très connues et surtout toute une brochette de jeunes auteurs et de jeunes scénaristes qui n’attendent qu’à être (re)découverts par le grand public.

Sous prétexte de célébrer le ‘printemps des comics’, la ‘Maison des Idées’ a donc dégainé simultanément dix volumes numérotés. Leur point commun ? Chacun est consacré à la réédition de mini-sagas dédiées à un personnage en particulier. Alors oui, on vous voit venir et le pire c’est qu’on est plutôt d’accord. Sur le papier, voici bien une énième opération de repackaging dont Marvel a le secret. Déjà, nous n’avons affaire ici qu’à des histoires déjà parues et toutes assez récemment en plus. Ensuite il y a ce choix de thématique, disons, un peu légère : un héros par couleur. Et puis parmi les dix dits héros, on passe allégrement de têtes d’affiche confirmées à des seconds couteaux ne méritant forcément autant d’honneur (oui, Hawkeye on pense surtout à toi !). Sauf que…

Il y a déjà, soyons lucides, l’aspect économique : à seulement six euros le volume avec une pagination assez conséquente allant de 120 à 184 pages, le rapport qualité/prix est imbattable.

Mais c’est une surtout une formidable carte de visite pour la ‘nouvelle génération’ (même si tous ne sont pas si jeunes que ça mais bon…) d’artistes, pas forcément très connus du grand public. Certes tout n’est pas parfait car certaines de ces histoires, à l’image de leur personnage central, manquent un peu de carrure. Mais prenez par exemple ‘Rex’, le volume consacré à Venom, ce symbiote d’abord ramené par erreur par Spiderman de l’espace qui a besoin d’un hôte pour survivre. Si le duo Donny Cates (scénario) et Ryan Stegman (dessins) fait d’abord bien attention à se raccrocher à la mythologie maison, c’est pour mieux très vite s’en détacher. Avec son trait réaliste et toujours dans le mouvement, Stegman fait, lui, pas mal penser à Todd MacFarlane le créateur de Spawn mais c’est avant tout la façon dont les deux auteurs se complètent qui donne toute son envergure à ce récit se terminant dans une débauche cosmique de couleurs. Une vraie claque, excessive par nature et très ambitieuse.

© Marvel

Plus subtil mais tout aussi talentueux, le dessinateur Tim Sales tient le pinceau dans deux des volumes de la série tournant autour de la même idée : revisiter certaines périodes clefs des héros en question. Dans le cas de Daredevil, il remonte carrément à l’origine même, ressortant pour l’occasion du placard son tout premier costume mâtiné de jaune, tel qu’il avait été initialement conçu par Bill Everett en 1964. Sauf que le style de Sales est au final plus proche de celui de Frank Miller (‘Sin City’) qui avait complètement relancé en série dans les années 80, notamment dans le choix des cadres. Mais malgré de subtils clins d’œil à certains de ses aînés (Gene Colan en tête), il apporte quand même avec lui un côté moins froid, plus humain, voire assez ironique. Des qualités que l’on retrouve aussi dans ‘Spiderman Bleu’ où il utilise le même artifice scénaristique (le héros s’adresse à son ancienne petite amie décédée) pour raconter cette fois-ci la rencontre du Tisseur avec Gwen Stacy, son premier grand amour et ce alors que le Vautour et Kraven le Chasseur rôdent. Une histoire dessinée à l’origine par le grand John Buscema mais qu’il réussit, pourtant, à complètement se réapproprier. On retrouve encore Donny Cates à la manœuvre derrière l’apocalyptique ‘Thanos Gagne’, série d’une noirceur assez rare et digne des écrits très ‘cosmiques’ de Jim Starlin dans les années 70. Soit un futur alternatif désespéré où le Titan Fou a éradiqué toute vie sur Terre, super-héros inclus, pour mieux se retrouver confronté… à lui-même.     

© Marvel

Après, on le disait, tout n’est pas du même niveau. On a toujours par exemple toujours du mal à être en empathie avec la dernière version assez pleurnicharde (et féminisée) de Captain Marvel (‘La vie de Captain Marvel’). Et malgré les efforts du scénariste Mark Millar pour réinventer les Avengers sous le nom de Ultimates, près de dix ans après sa parution initiale le choix du dessinateur Bryan Hitch et de son style figé et désincarné ne passe toujours pas (‘Ultimates – super-héros’). 

Même s’ils s’adressent plus aux néophytes ou aux lecteurs occasionnels, ces derniers auront donc plutôt intérêt à chercher les conseils d’un connaisseur, histoire faire une petite pré-sélection. Mais pour à peine plus que le prix d’une bière, voici quand même une sacrée chance de mettre la main sur quelques pépites et surtout donc de découvrir quelques belles gâchettes en devenir ou déjà confirmées de la grande maison Marvel.     

Olivier Badin

Le Printemps des comics Marvel. Panini Comics. 5,99€ par Volume.

22 Juin

Madeleine Riffaud : suite et fin du work in progress

À deux mois de sa sortie en album, le biopic Madeleine, Résistante est disponible en version cahiers. De quoi d’ores et déjà admirer le travail des auteurs et découvrir la vie incroyable de cette héroïne de la seconde guerre mondiale…

Limités à 2500 exemplaires, les trois volets de ce work in progress sont aujourd’hui disponibles aux éditions Dupuis et nous permettent de découvrir en avant-première les trois premiers chapitres d’une série consacrée au fabuleux destin de Madeleine Riffaud, une femme exceptionnelle, résistante de la première heure, amie de Paul Éluard, Picasso ou encore Hô Chi Minh, poétesse, journaliste et militante anticolonialiste.

On aura l’occasion d’en reparler plus largement à la rentrée, l’album devant sortir fin août, mais ces trois cahiers nous laissent présager un premier album remarquable, tant sur le plan du scénario écrit par Jean-David Morvan sur la base du témoignage recueilli auprès de Madeleine Riffaud elle-même que sur celui du dessin signé Dominique Bertail, d’une grande délicatesse et d’une belle sobriété.

En bonus dans ces cahiers, des poèmes de Madeleine Riffaud, une histoire de la Résistance et une BD retraçant la rencontre entre JD Morvan et Madeleine Riffaud.

Eric Guillaud 

Cahiers Madeleine tome 3, de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 15,95€

© Dupuis / Bertail, Morvan & Riffaud

19 Juin

Pulp : un thriller dans le New York des années 30 signé Ed Brubaker et Sean Phillips

Petit mais puissant le nouveau récit de l’Américain Ed Brubaker et de l’Anglais Sean Philips. Puissant dans le trait comme dans l’histoire. Un plongeon sans concession dans le New York de 1939 entre nazis et brigands des grands chemins…

Max Winter écrit des histoires de cow-boys pour les magazines populaires américains, les fameux pulps. Il ne roule pas sur l’or mais s’en contente. Jusqu’au jour où le rédacteur en chef décide de lui baisser brutalement le tarif à la page. Une agression et une crise cardiaque plus tard, Winter reprend son costume de hors-la-loi pour survivre, projette un premier hold-up en solo, s’associe finalement à une vielle connaissance pour un braquage dans un repère de nazis où, bien évidemment, rien ne se passe comme prévu…

C’est noir, on y sent toute la violence d’un monde qui entre en guerre, mais c’est bon, drôlement bon. Rien d’étonnant avec le duo de choc présent aux manettes. Ed Brubaker au scénario et Sean Phillips au dessin sont, déjà responsables et coupables de quelques livres essentiels, notamment Criminel, Mes héros ont toujours été des junkies, Fatale ou encore Kill or be killed.

Eric Guillaud

Pulp, de Ed Brubaker et Sean Phillips. Delcourt. 13,50€

© Delcourt / Ed Brubaker & Sean Phillips

16 Juin

Sélection officielle Angoulême 2022. Panorama de Michel Fiffe ou mon corps est mon ennemi

Pari osé pour Delirium. Jusqu’à maintenant la petite mais costaude maison d’édition avait construit sa réputation sur des rééditions luxueuses de comics de la culture bis. Mais cette fois-ci, elle mise sur un jeune auteur contemporain inconnu jusqu’à lors en France, Michel Fiffe. Panorama est la première des deux séries qu’elle s’apprête à rééditer et malgré son austérité de surface, sa radicalité risque de diviser.

Pourtant, lorsqu’on ouvre Panorama, ce choix ne semble d’abord pas si révolutionnaire. Au contraire : avec son trait parfois volontairement désordonné et très dépouillé ainsi que ce choix d’un noir et blanc cru, le style Fiffe apparaît en fait surtout plutôt austère et naïf. Mais ce n’est que pour mieux surprendre le lecteur dès la quatrième page et dès la première ‘métamorphose’ de l’un des deux personnages principaux, Augustus. Un jeune homme paumé à la sortie de l’adolescence et dont le corps ne répond plus, pour mieux se déformer lors de crises violentes pour ne devenir plus qu’une masse désordonnée de chair. Désespéré, il fait alors appel à Kim, sa petite amie, seule personne selon lui capable de le sauver bien qu’elle soit elle-même aussi perdue que lui…

© Delirium – Michel Fiffe

La première référence évidente ici, c’est bien sûr le cinéma de David Cronenberg et plus globalement ce qui a été qualifié de ‘body horror (‘horreur organique’), art où le corps est supplicié à l’extrême. Comme son compatriote cinéaste, le canadien semble manipuler ses héros comme on manipule une marionnette, tout en lui faisant subir les pires sévices. Et plus Augustus et Kim explosent leur enveloppe charnelle et plus le sens du récit les suit, mettant aussi bien à mal la chronologie ou autre repère spatio-temporel, au point qu’à plus d’une reprise, le lecteur se sentira potentiellement perdu. Sauf que comme dans un film de Cronenberg, c’est bien là le but : emmener les gens loin, très loin au point qu’ils ne savent plus où ils sont.

© Delirium – Michel Fiffe

Sauf qu’ici en sous-couche, on découvre également une double parabole. Sur la confusion des genres mais aussi sur le passage à l’âge adulte, cette période troublée et troublante où le corps – NOTRE corps – subit des changements qu’on ne peut pas contrôler ni comprendre. Fugueurs et sans repère parental, ni Augustus ni Kim ne savent quelle est leur place dans ce monde. Et personne autour d’eux ne semble en mesure de les comprendre ni même vouloir les aider. Le monde extérieur – ici une mégapole désincarnée et sale – est à l’égale de leurs corps : une prison dont ils ne peuvent s’échapper.

Avec sa perpétuelle déconstruction scénaristique, son style assez minimaliste traversé par de soudaines poussées de fièvres carrément psychédéliques et surtout son choix de sujet atypique qui mettra sûrement mal à l’aise certains, Panorama sort complètement des clous et ne plaira donc pas à tout le monde. Mais c’est bien ce qui le rend si unique. Et c’est aussi au passage la découverte d’un auteur dont on attend donc désormais l’autre série appelée à sortir pour la première fois en France, Copra.  

Olivier Badin

Panorama de Michel Fiffe, Delirium. 20 euros

15 Juin

Batman comme en 40

Un peu plus de quinze mois après la sortie du premier opus, ce deuxième volume réédite les aventures de Batman parues dans les quotidiens américains à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Même formule, même réussite. Des rééditions comme on aimerait en voir plus souvent !

La même reproduction de très haute qualité, le même choix de ce papier épais et granuleux mettant bien en valeur ce noir et blanc classieux et, de nouveau majoritairement à la manœuvre, le grand dessinateur Bob Kane (1915-1998), à l’origine du personnage : dans on retrouve avec plaisir dans Batman, The Dailies : 1943-45 tout ce qui avait du premier volume une référence dans le genre.

Mais au-delà de cet écrin trois étoiles et de ce ‘format à l’italienne’ au charme si particulier, il y a ici un vrai travail éditorial. Via une dense et passionnante introduction, en plus de reproductions de publicités et de goodies de l’époque, on (re)découvre le monde alors assez artisanal de la bande dessinée américaine des années 40. Grâce aux témoignages de certains des scénaristes ou encreurs de l’époque, chaque épisode est replacé dans le contexte de son époque. Notamment comment ce format assez restrictif visant à publier une ligne de strips par jour (en gros entre trois et quatre cases) requérait une écriture à part. Ou comment certains des protagonistes étaient volontairement calqués sur les stars hollywoodiennes des polars d’alors, comme Lauren Bacall ou Peter Lorre, appuyant encore plus le côté ‘roman noir’.

© DC Comics/Urban Comics – Bob Kane

Surtout que contrairement au premier tome, où apparaissait le Joker, pas de super-méchants au programme mais plutôt mais des malfrats usant et abusant du chantage ou des armes à feu, des femmes fatales, des policiers véreux mais aussi des journalistes vertueux. En gros, tout un univers digne des romans de Dashiel Hammett ou Raymond Chandler, en plus policé et plus politiquement correct certes (la censure veillait !) mais délicieusement suranné et avec un charme fou. L’excellent travail de restauration en sublimé la finition, notamment au niveau des contrastes, et la nervosité du rythme. La meilleure preuve en est le troisième des cinq épisodes, ’Le mystère Karen Drew’ qui accompli l’exploit de ne jamais montrer Batman mais seulement son alter-ego, bien que sa publication se soit étalé sur plus de deux mois entre le lundi 30 avril et le samedi 7 juillet 1945.

L’autre bonne nouvelle, c’est que le livre laisse sous-entendre que non seulement un troisième tome est déjà prévu mais en plus, un autre est également dans les starting-blocks, consacré celui-ci aux pleines pages colorées réservées alors pour les éditions du dimanche. Vivement la suite !

Olivier Badin

Batman, The Dailies : 1943-45 de Bob Kane. DC Comics / Urban Comics. 22,50€

Coupe d’Europe : 4 BD pour se mettre en jambes avant le match France-Allemagne

Fini de rire, les choses sérieuses commencent ce soir avec le match opposant la France à l’Allemagne. Histoire de se détendre un peu, voici une sélection de quatre bandes dessinées dans tous les styles mais avec la passion pour le ballon rond en commun….

Ça y est, la France a retrouvé ses 60 millions de sélectionneurs et d’entraîneurs. L’équipe nationale s’apprête à rencontrer l’Allemagne pour son premier match de la Coupe d’Europe. De quoi se remémorer le match de légende France-RFA en 1982. C’est justement ce que raconte Les Fantômes de Séville. Pourquoi Les fantômes de Séville ? Parce que ce match de légende, demi-finale de la Coupe du Monde, fût joué à Séville et remporté par l’Allemagne après une séance de tirs aux buts. Un véritable traumatisme pour les Français ! Construit comme une enquête-fiction avec Didier Tronchet en personnage principal, un fou du ballon rond, Les Fantômes de Séville révèle un détail que personne n’a vu à l’époque et qui pourrait bien expliquer la défaite des Français, un détail qui n’en est pas un pour Didier Tronchet… Un album de passionnés pour les passionnés – et les autres – documenté, drôle et foutrement bien dessiné par Jérôme Jouvray.  (Les Fantômes de Séville, de Tronchet et Jouvray. Glénat. 22€. En librairie le 26 mai)

Plus sérieux, plus grave même, mais tout aussi intéressant, et toujours sur ce fameux match de 1982, Mon album Platini met en scène l’historien et scénariste Sylvian Venayre qui, en mai 1985, à l’âge de 15 ans, se réveille à l’hôpital après un grave accident de la route, en pensant être l’un des survivants du drame du Heysel qui venait de faire 39 morts. À son chevet défilent l’adulte qu’il sera plus tard mais aussi Thierry Rolland, Freud et Michel Platini. Ensemble, ils évoquent la qualification des Français à la Coupe du monde de 1978 en Argentine, qui était alors une dictature, l’équipe « Black-Blanc-Beur » de 1998, le mondial de 2018… et puis bien sûr, et surtout, cette coupe du monde de 1982 qui s’achève pour les Français sur le psycho-drame national de la défaite face à L’Allemagne. De quoi remuer le couteau dans la plaie… (Mon album Platini, de Venayre et Christopher. Delcourt. 21,90€)

Direction le nord de la France, quelque part entre Lens et Valenciennes, le pays des Corons, des mines de charbons abandonnées, des quartiers qui se meurent, des familles qui se désagrègent, des rêves engloutis sous une couche grisâtre tenace. Jusqu’au jour où une bande de gamins découvre dans une mine abandonnée une cour aux dimensions idéales pour un terrain de football. Un bon coup de tondeuse et le vert de l’espoir réapparait comme par magie. Un club est créé, il s’appellera Gueules Noires. Une BD qui remet le foot là où il aurait dû toujours être, au coeur de la vie, au coeur de la ville. Un sport populaire avec ses valeurs positives ! (Les Gueules noires, de Zampano et Domon. Casa Editions. 12,50€)

On termine avec un manga. Le football n’est pas le sport le plus populaire au Japon, loin de là, mais il est au coeur de cette nouvelle série dessinée par Kunikazu Toda, scénarisée par Yoichi Takahashi, et dont le premier volet vient tout juste de paraître. L’histoire ? Un gamin passionné de football qui rêve de devenir joueur professionnel et de s’envoler pour le… Brésil bien sûr. (Captain Tsubasa, de Kunikazu Toda et Yoichi Takahashi. Glénat. 6,90€)

Eric Guillaud

09 Juin

C’est quoi la théorie du genre ? C’est quoi ton genre ? Trois BD qui remettent les choses en place…

À moins d’être restés confinés une bonne décennie, vous ne pouvez ignorer la polémique née autour de la théorie du genre et ce même si vous n’êtes pas, ou ne vous sentez pas, concernés.

Et on a tout entendu. Le pape François dénonce un « sournois endoctrinement » dans les écoles françaises après l’affaire des manuels scolaires. Pour Lionel Luca, député UMP au moment de ses déclarations, la théorie du genre légitimerait « à terme la pédophilie, voire la zoophilie puisque ceux qui le revendiquent aux Etats-Unis défendent l’amour pour les jeunes enfants ». Pour Christine Boutin, Présidente du Parti Chrétien-démocrate et candidate à l’élection présidentielle de 2011, « Ce n’est pas une théorie, c’est une idéologie qui veut nier la différence des sexes… ».

Manifestations, pétitions… la mobilisation antigenre a rassemblé des millions de personnes à travers le monde avec des mots d’ordre qui dépassaient largement la théorie du genre pour s’opposer au mariage pour tous, à l’homoparentalité, à l’IVG…

Mais c’est quoi au juste la théorie du genre ? Un obscur objet du désordre, comme le suggère l’album d’Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu ? Et le genre ? Juste une nouvelle façon de parler du sexe?

En une centaine de pages, Le Genre propose d’examiner les arguments utilisés par le mouvement antigenre : « Il est essentiel d’appréhender les enjeux de cette polémique dont beaucoup ignorent l’existence et qui continue encore aujourd’hui. Il est aussi essentiel, dans toute polémique, de comprendre comment pensent les acteurs et actrices concerné.es ». 

Très dense mais très bien fait et relativement abordable, Le Genre est un bon livre pour se faire une idée précise sur ce point. (Le Genre, de Husson et Mathieu. Casterman. 18€)

Et comme les exemples concrets parlent mieux qu’un long discours, jetez-vous sur le très bon livre d’Elodie Durand qui nous avait déjà épaté avec son récit autobiographique baptisé La Parenthèse et également publié chez Delcourt. Ce nouvel opus s’appelle Transitions et raconte l’histoire d’Anne Marbot qui apprend un beau jour que sa fille Lucie est un garçon. Pas question pour la jeune-fille de se faire opérer, elle opte simplement pour un traitement hormonal. Pour la mère, c’est le choc, l’incompréhension, le rejet, les questionnements… et puis le début d’un long cheminement qui la mènera a découvrir la variété des genres et accepter que sa fille Lucie soit devenue son fils Alex. Une histoire pleine d’intelligence et de sensibilité, basée sur une histoire vraie. (Transitions d’Elodie Durand. Delcourt. 22,95€)

Hugo est gay. Et alors ? Et alors, rien n’est facile quand on est un collégien des années 90 qui se met à douter de son identité. Là aussi, le cheminement est long pour accepter le regard des autres, pour s’accepter soi-même. Hugo est gay raconte ce cheminement, les questionnements, les doutes, les peurs, les blessures, les premières expériences amoureuses, le temps du coming-out, les réaction familiales… Un récit publié initialement en 2006, mis à jour et complété pour cette nouvelle édition, toujours aussi didactique et indispensable pour se comprendre et comprendre les autres. (Hugo est gay, de Hugues Barthe. La Boîte à bulles. 16€)

Eric Guillaud