11 Mai

La remplaçante : une BD de l’Angevine Mathou et de la Bretonne Sophie Adriansen sur le post-partum

Si la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille, la vie des jeunes mamans peut se transformer en un torrent de douleurs et de doutes. C’est à elles mais aussi à nous tous et toutes que s’adresse cette bande dessinée, une fiction qui a tout de la réalité…

Marketa et Clovis attendent un bébé. Enfin, pour le moment, c’est surtout Marketa qui attend avec impatience d’accoucher pour mettre un terme à ces contractions de Braxton Hicks, entendez de fausses contractions qui vont obliger la jeune femme à patienter dans la douleur. Jusqu’au jour de la libération, de l’accouchement. Une petite Zoé. 

La suite ici

07 Mai

Fourmies la Rouge : Retour sur le drame du 1er mai 1891 avec le talentueux Alex W. Inker

Après la formidable adaptation du premier roman de Virginia Reeves, Un Travail comme un autre, également parue aux éditions Sarbacane, le talentueux Alex W. Inker revient avec Fourmies la Rouge, dont il signe à la fois le scénario et le dessin. Retour sur un drame ouvrier qui eut un retentissement international…

«Il y a quelque part sur le pavé de Fourmies, une tache de sang innocent qu’il faut laver à tout prix». Ces quelques mots ont été prononcés par George Clémenceau au lendemain de la tragédie de Fourmies le 1er mai 1891, il y a 130 ans. Il faut dire que le drame qui se joua ce jour-là dans cette petite ville du nord qui connaissait alors une véritable explosion démographique avec le développement de l’industrie textile, marqua à jamais l’histoire du 1er mai et plus largement l’histoire des luttes ouvrières.

Avec un style graphique différent de celui qu’on a pu apprécier dans Un Travail comme un autre, inspiré cette fois des journaux de l’époque ou presque, et notamment de L’Assiette au beurre, Alex W Inker nous raconte cette fameuse journée, la mobilisation des ouvriers dès les premières lueurs du jour, les premiers cortèges, les premières échauffourées, les premières arrestations, l’arrivée de l’armée en renfort, et pour finir la répression brutale, aveugle, 10 morts, des hommes, des femmes et des enfants, et une trentaine de blessés.

© Sarbacane – Alex W. Inker

« Tu sais qui c’est qui leur a mis leurs idées de grève en tête ? », dit un militaire à un autre. « J’sais pas, La Misère ? La faim ? » rétorque l’autre. « innocent va! C’est des idées boches ! Qui travaillent à saboter le pays ! ». 

Dans ce dialogue, Alex W Inker dit tout : la bêtise, la haine, la propagande, la légitimation de la République à tirer sur ses propres enfants mais aussi la misère du monde ouvrier qui trime alors sans relâche avec pour seul horizon les cheminées d’usine, pour seule distraction les estaminets, et pour seul réconfort la solidarité du monde ouvrier.

Et si l’auteur parvient à dire autant en deux phrases, et à nous plonger littéralement au coeur même de la tragédie, c’est peut-être parce qu’il est lui-même originaire de Fourmies. Les lieux du drame, il les connaît pour les avoir fréquentés dans sa jeunesse. « Jusqu’à la fermeture des usines… », confie-t-il, « la quasi-totalité de ma famille était composée d’ouvriers d’usine et d’ouvriers en filature. J’ai été élevé entouré de grands-mères, grands-oncles, grandes-tantes, qui avaient passé leur vie derrière les machines. C’est de là que je viens ». Un magnifique hommage à ses ancêtres, à nos ancêtres, à tous ceux qui se sont battus et parfois sont morts pour un monde plus humain !

Eric Guillaud

Fourmies la Rouge, de Alex W. Inker. Sarbacane. 19,50€

© Sarbacane – Alex W. Inker

Batman et metal font-ils bon ménage ?

Le Hellfest vous manque ? Vous aimez Batman et les grandes sagas épiques au long cours servies par les comics depuis les années 80 ? Vous raffolez des objets collectors ? Batman Death Metal coche toutes les bonnes cases !

Même si l’évènement est passé un peu inaperçu en France, la saga Batman Metal a remis presque complètement à plat en 2018 non seulement l’univers du Vengeur Masqué mais aussi de DC Comics en général. Une espèce de cataclysme difficilement résumable mais qui, en gros, a rassemblé une bonne partie des héros maison – Batman bien sûr mais aussi Superman, Wonder Woman, plus toute La Ligue De Justice etc. – pour tous ensuite tout chambouler en les envoyant de façon sadique dans un blender. Et les lecteurs avec.

Mais qu’importe : avec sa grosse remise à plat de tout ce que l’on considérait comme acquis, son gros méchant bien flippant (le Batman Qui Rit), son gros nom au scénario (le très côté Scott Synder) et ses multiples ramifications annoncées, DC avait clairement décidé ici de ne pas faire les choses à moitié. Dont acte.

© Urban Comics/DC – Scott Snyder & Greg Capullo

Presque trois ans après, le constat est, disons, mitigé mais et ce n’est pas ce nouvel appendice qui va changer la donne, bien au contraire. Avec toujours Snyder et le très doué dessinateur Greg Capullo à la manœuvre, Batman Death Metal se révèle être un curieux objet, au format et aux concepts, disons, hybrides.

Alors d’entrée, on prévient les malheureux qui oseraient s’y aventurer sans avoir au préalable réussit l’exploit d’avoir assimilé Batman Metal : n’essayez même pas malheureux ! Même les connaisseurs risquent de sentir d’abord perdus face à tous ces allers-retours incessants entre les différents Multiverse, ces versions multiples du Vengeur Masqué et surtout toutes ces sous-intrigues. L’ambition de Snyder d’accoucher de la saga ultime transpire à toutes les pages. Mais à force de vouloir verser dans le grandiloquent, les personnages semblent parfois désemparés face à une telle démesure pas toujours justifiée.

Ensuite il y a ce format, assez frustrant car seulement de 40 pages par épisode, même si le tout est vendu à un prix largement abordable.  

© Urban Comics/DC – Scott Snyder & Greg Capullo

Mais ce qui risque de diviser le plus, c’est ce choix éditorial d’associer à chaque numéro (sept en tout) un groupe de metal. Un concept marketing un chouia scabreux visant à récupérer les fans de ce style de musique susceptibles de se retrouver dans cet univers très sombre tout en réalisant un jeu de mot un peu facile – musique métal et Batman Metal, pour ceux du fond qui n’avaient pas compris. Or l’implication de chacun des groupes se limite en fait à une pochette thématique les mettant en scène dans le monde de Batman Metal, une préface signée de leur main ainsi qu’en fin de parcours une page d’interview et une petite bio. Mais sans que tout cela ait le moindre lien avec le récit.

Alors qui est visé ici ?

Les fans de metal justement ? Peut-être, surtout que l’éventail des groupes choisis ici est très large, allant du rock/metal théâtral de Ghost en passant par le thrash de Megadeth et Sepultura, le metal progressif d’Opeth et Dream Theater etc. Sauf qu’ils n’apprendront rien ici et ne seront donc probablement attirés que par l’aspect collector de l’objet.

Les fans de Batman alors ? Les plus acharnés peut-être, les autres risquant d’être rebutés. Soit par le rapport taille du texte/prix, soit par le gloubiboulga concocté par un Snyder en roue libre et très occupé à construire son propre mythe. Reste cette initiative, plutôt osée, d’allier musique et comics au service d’un récit certes ampoulé mais qui n’a pas peur d’écraser sous son talon clouté toute une mythologie populaire pour mieux la reconstruire, mais en version plus moderne et surtout, bien plus méchante.

Olivier Badin 

Batman Death Metal, Vol. 1 & 2 de Scott Snyder et Greg Capullo. Urban Comics/DC. 10 euros.

04 Mai

Stuck Rubber Baby : la réédition du chef d’oeuvre de l’Américain Howard Cruse bientôt en librairie

Initialement paru aux États-Unis en 1995 avant de traverser l’Atlantique en 2001 via les éditions Vertige Graphic et une traduction baptisée Un Monde de différence, le roman graphique Stuck Rubber Baby d’Howard Cruse est enfin réédité chez Casterman. L’occasion se replonger dans l’Amérique des années 60 et de mesurer l’avancée – ou non – de notre monde face à l’homophobie et au racisme…

Soixante ans ! Légitimement, on peut se dire que le monde a eu le temps d’évoluer. Et c’est effectivement le cas pour pas mal de choses comme la technologie qui nous entoure, tantôt nous libère, tantôt nous oppresse. Mais en nous, avons-nous changé un tant soit peu, avons-nous modifié notre vision du monde, repensé notre approche de l’autre, accepté la différence ?

Pas certain ! Jean-Paul Jennequin traducteur de la première version française de Stuck Rubber Baby parue aux éditions Vertige Graphic en 2001 et auteur de la préface qui accompagne cette nouvelle édition titre cette dernière ainsi : « Stuck Rubber Baby, un monde pas si différent ? ».  Avec un point d’interrogation qui a tout du point d’exclamation !

Car oui, la lutte pour les droits des homosexuels est plus que jamais d’actualité et l’ascension du mouvement Black Lives Matter aux États-unis dit tout de la situation actuelle des Afro-Américains. L’homophobie et le racisme gangrènent toujours notre société, Stuck Rubber Baby nous parle d’un temps que les moins de 20 ans peuvent par conséquent connaître…

Sur près de 210 pages, Howard Cruse déroule une histoire presque ordinaire dans une Amérique elle-aussi ordinaire, de classe moyenne, blanche, raciste et homophobe. Avec un personnage, Toland Polk, qui nie son homosexualité, s’interroge sur l’infériorité éventuelle du peuple noir avant de finalement accepter son orientation sexuelle et de soutenir la lutte contre les inégalités. Stuck Rubber Baby n’est pas un reportage ou une autobiographie, il s’agit d’une fiction. Ses personnages, la petite ville de Clayfield elle-même, sont une invention de l’auteur. Mais derrière la fiction, il y a bien sûr la réalité et le vécu :

« Je n’aurais sans doute pas été poussé à réaliser ce roman graphique si je n’étais pas devenu adulte à Birmingham, dans l’Alabama, au début des années 1960, et je ne peux pas nier que l’histoire de Toland Polk est parsemée d’épisodes significatifs de ma propre jeunesse » 

Une narration dense, un trait précis, pointilleux, des personnages riches et profonds, des thématiques sociétales de première importance… Stuck Rubber Baby s’inscrit dans la lignée de la bande dessinée underground des USA offrant un portrait sans filtre de la société américaine. L’album a reçu le Prix Eisner du meilleur album en 1996 et le Grand prix de la Critique en 2002. L’auteur est décédé en 2019 mais son oeuvre risque bien d’être éternelle.

Eric Guillaud

Stuck Rubber Baby, de Howard Cruse. Casterman. 22€ (en librairie le 19 mai)

 

© Casterman / Howard Cruse

Alpha flight et Next-Men : le changement dans la continuité des X-Men ?

Non, John Byrne n’est pas que celui qui a transformé les Quatre Fantastiques et les X-Men en formidable machine à cash pour le compte de Marvel dans les années 80. Tout en endossant la double casquette de dessinateur et scénariste, il a par la suite creusé d’une façon plus personnelle le même sillon grâce à deux séries méconnues et enfin rééditées en France.

Pour resituer un peu l’importance d’un John Byrne, disons que dans la première moitié des années 80, il fut à Marvel ce que Jack Kirby – dit ‘the king of comics’ – était pour ‘la maison des idées’ à la fin des années 60. Une sorte de superstar et quelqu’un qui, sur son seul nom, transformait tout ce qu’il touchait en or. Marque de confiance absolue, à l’époque, cet américain né en Angleterre en 1950 et passé par le Canada était responsable des deux plus grosses locomotives de l’éditeur, les X-Men et LesQuatre Fantastiques. Deux séries déjà installées mais qu’il a malgré tout imprimé de sa marque, notamment en mettant l’accent sur l’aspect humain des héros. Pour lui, ces mutants et autres êtres surpuissants ont beau être capables de mille et une merveilles, ce sont aussi des personnes tombant amoureux, devenant parents, se séparant, apprenant à accepter leurs différences etc.

Après avoir joué les petites mains dans les années 70, c’est vraiment avec ses deux séries emblématiques que Byrne a donc trouvé son style, aussi bien sur le plan graphique que scénaristique… Quitte à sans s’en rendre compte s’y enfermer un peu, le reste de sa carrière se résumant à ses tentatives plus ou moins réussies de reproduire le même schéma, encore et encore. Exemple avec deux séries, disons, plus mineures, aujourd’hui réédités en France.

La plus instantanément reconnaissable des deux est Alpha Flight – ou la Division Alpha telle qu’elle avait été initialement baptisé en France lorsqu’elle est apparue dans les pages de Special Strange en 1981. Ici, l’analogie avec les X-Men est d’entrée assumée, vu que cette équipe de super-héros canadiens vient du même univers. Les lecteurs nord-américains découvrent d’ailleurs pour la première fois dans les pages de la série X-Men ces agents du gouvernement canadien lancés alors à la poursuite de Wolverine, alias Serval en VF.

Les Next Men ont, eux, eu une genèse bien plus chaotique. Â sa sortie début 92, Byrne a alors perdu son aura d’antan. La mode est désormais aux BD ultra-réalistes et violentes et son style est désormais considéré comme un peu trop daté. Après un passage chez DC Comics pour redonner vie à un Superman moribond, il doit faire appel à un éditeur indépendant pour publier cette nouvelle saga en trois volumes qui reprend, en gros, l’idée d’un groupe de mutants obligés de se battre pour leur liberté et chassés par le gouvernement. Sauf que c’est les années 90 sont là et bien là. Byrne essaye donc de s’adapter en donnant au tout un ton plus cru et désespéré, tout en abordant des thématiques bien trop délicates pour la très prude ‘maison des idées’, comme l’identité sexuelle, l’alcoolisme ou la faillite du modèle parental.

© Marvel/Panini Comics – John Byrne

Malgré leurs différences, ces deux sagas partagent non seulement le même modèle mais aussi la même dynamique de groupe. Lorsqu’on voit Nathan des Next Men avec ses lunettes noires spéciales censées cacher ses yeux dont, sinon, peuvent jaillir des rayons, comment ne pas penser à Cyclope ? Sasquatch d’Alpha Flight est un croisement entre Hulk et Colossus des X-Men. Avec ses pouvoirs puisant dans les traditions de ces ancêtres, Shaman est reflet amérindien de la tempétueuse Ororo etc. Mais surtout, plus que jamais, Byrne s’attache à ses figures de ‘freaks’, à toutes ces personnes qui ne rentrent pas dans les cases alors qu’elles ne demandent que ça. Il est donc l’un des premiers à donner la voix à des minorités jusqu’à lors plutôt ignorées des comics, comme les gens de petite taille ou les homosexuels. Et plus le temps passe et plus leur créateur préfère s’appesantir sur leurs tourments intérieurs plutôt que sur la bonne vieille castagne contre de méchants super-vilains bien monochromes, quitte à perdre peut-être en route certains lecteurs.

Des deux, Alpha Flight reste la plus car toujours ancré dans un schéma traditionnelle, avec toujours cette alternance d’action et d’épisodes plus intimes disons. C’est aussi l’occasion pour Byrne de se faire plaisir à rendant hommage au Canada où il a vécu plus de vingt ans en ancrant souvent l’action dans ses grandes étendues sauvages. Pourtant, pointent déjà ici des thématiques qu’il creusera plus près d’une décennie plus tard avec les Next Men, notamment celle d’un gouvernement favorisant ses propres intérêts, quitte à mentir au grand public et souvent au mépris des lois.

Dix ans plus tard, cette paranoïa rampante est devenue la colonne vertébrale de son art. Si jusqu’à lors il mettait en scène des héros très chevaleresques qui sont avant tout là pour sauver le monde, Byrne change donc de braquet avec Next Men. Ces héros d’un, alors, nouveau genre ne veulent pas en être et sont pétris de psychose. Ils possèdent des pouvoirs dont ils ne veulent pas, dont ils ne savent que faire et qui les font souffrir. Pire : ces capacités hors normes sont la source de tous leurs malheurs. Dix-huit mois après le premier, ce deuxième tome (sur trois prévus) attire encore un peu plus le lecteur dans un labyrinthe scénaristique où Byrne lui-même semble par moment un peu perdu, tant le récit est cérébral et bourré de faux-semblants. Après, même si son style graphique – trop typé années 80, trop ‘propre’ – y apparaît parfois en décalage avec le ton choisi, on ne peut que saluer cette remise en question de la part d’une telle méga-star à l’époque.

Deux séries, deux visions à la fois proches et distinctes et deux occasions pour les fans de John Byrne, histoire de rentrer plus en détail dans l’œuvre de ce grand artisan des comics un peu trop ignoré de la jeune génération.

PS : pour les fans, à noter que la couverture de ce deuxième volet des aventures des Next Men est signée Frank Miller (Daredevil, The Dark Knight). Quant à l’intégrale d’Alpha Flight, on y retrouve au sommaire le grand Steve Ditko (le premier dessinateur ‘culte’ de Sperman et de Doctor Strange) pour un épisode délicieusement rétro de Machine Man où apparaissent trois des membres de l’équipe canadienne.

Olivier Badin

Next Men, Vol. 2 & Alpha Flight: L’Intégrale 1977- 1984 de John Byrne. Delirium et Marvel/Panini Comics. 26 et 35 euros.

 

03 Mai

Year zero ou cette fin du monde qui ne finit jamais…

Une invasion zombie, une société qui s’écroule, des individus essayant chacun à leur façon de survivre… Cela vous rappelle quelque chose ? Bien sûr que Year Zero se revendique ouvertement de The Walking Dead, jusqu’à cette façon de se concentrer sur l’humain plutôt que l’horreur. Mais cette nouvelle saga essaye aussi, timidement, d’écrire son propre petit manuel de survie.

Même pas la peine de tourner autour du pot : le nom de The Walking Dead est cité dès la quatrième ligne du texte d’introduction du premier tome de cette nouvelle série signée par deux petites mains de Marvel et DC Comics. Comme dans la franchise de Robert Kirkman, les auteurs assument d’entrée de s’intéresser plus aux comportements de leurs différents personnages face à la catastrophe plutôt qu’à la catastrophe elle-même. D’ailleurs, l’origine de cette pandémie (cela vous rappelle un sujet d’actualité peut-être ?) est assez rapidement expédiée et digne d’un film de science-fiction de série B des années 50 avec ce mort-vivant datant de la préhistoire et soigneusement conservée dans la glace polaire.

Non, là où Year Zero marque plutôt sa différence, c’est par son style choral et mondialiste. Chacun de ces cinq premiers épisodes alternent des scènes tirées de cinq histoires individuelles se déroulant sur cinq continents. Ce yakuza japonais, ce gamin des rues mexicain ou cette traductrice afghane ont tous en commun d’être isolés ou dans une situation très précaire lorsque cette apocalypse zombie balaie tous. Des survivants avant l’heure qui, chacun à leur façon, vont faire face à la désolation en marche…

© AWA/Panini Comics – Benjamin Parcy & Ramon Rosanas

Oui, on voit des corps mutilés. Oui, des gens se font bouffer et cela décapite pas mal. Mais pourtant, il y a ici un côté presque contemplatif ici, notamment chez ce tueur à gages japonais au calme olympien avec ses longs monologues intérieurs. Voire limite drôle chez ce survivaliste du midwest américain qui sous sa misanthropie de façade cache en fait un grand geek timide en surpoids qui ne demande qu’à avoir des amis et être aimé.

On ne sait pas encore comment tous ces destins vont finir par se rejoindre, ni comment ces deux auteurs vont réussir à se détacher de leur modèle. Mais la justesse du ton, ainsi que le rythme général assez soutenu qui permet de ne jamais décrocher malgré les multiples aller-retour scénaristiques donnent envie de connaître la suite. Comme quoi, on peut être mort et savoir quand même se renouveler.

Olivier Badin

Year Zero – Tome 1 de Benjamin Parcy et Ramon Rosanas. AWA/Panini Comics. 18 €

© AWA/Panini Comics – Benjamin Parcy & Ramon Rosanas

02 Mai

Fukushima, violences policières, pandémie, chômage ou mode… quand la bande dessinée mène l’enquête !

Elles sont l’oeuvre de journalistes ou non, elles sont en tout cas le résultat de recherches approfondies sur une thématique précise, bâties autour de faits vérifiés, d’informations croisées, de sources identifiées. les bandes dessinées enquête ou reportage sont depuis des années maintenant, grâce notamment au travail de défrichage mené par le Français Etienne Davodeau, l’Américain Joe Sacco ou encore les magazines tels que La Revue dessinée, un genre à part entière du neuvième art. En voici cinq nouvelles démonstrations, des albums assez récents dans des thématiques variées…

On commence avec Fukushima judicieusement sous-titré Chronique d’un accident sans fin, un album de Bertrand Galic et Roger Vidal qui a la force et le sérieux d’une enquête journalistique même si une petite part de fiction permet de lier le tout et de donner du rythme. À partir du témoignage du directeur de la centrale, recueilli à l’occasion des différentes commissions d’enquête, et de lectures d’ouvrages spécialisés, les auteurs ont construit un scénario retraçant de façon très fidèle les premières journées de la tragédie. Avec un premier rôle attribué à ce fameux directeur qui s’est affirmé dans l’action comme un leader charismatique et avec une dramaturgie « naturelle » née des faits eux-mêmes et de leur enchaînement. Tout était là, la tragédie d’une ampleur inégalée, l’incompétence des élites, le courage des hommes sur le terrain, pour ne rien avoir à rajouter ou presque :  » En revanche, le flou (pour ne pas dire l’opacité) de certaines informations données par TEPCO… », précise le scénariste, « m’ont parfois forcé à poser des hypothèses et à faire des choix dans la mise en situation des personnages ». Un livre très documenté emmené par un dessin sobre et efficace. Aussi ahurissant que passionnant ! (Fukushima, de Galic et Vidal. Glénat. 18,50€)

Publié il y a quelques mois maintenant aux éditions Delcourt, l’album La Force de l’ordre n’en reste pas moins farouchement d’actualité. Et il le sera encore un bon moment tant il aborde un sujet qui a pris une place primordiale sur la place publique, notamment depuis la mort de George Floyd aux États-Unis. Didier Frassin, l’un de ses auteurs, est un anthropologue, sociologue et médecin français. Pendant près de deux ans, dans le cadre d’une enquête ethnographique, il a partagé le quotidien d’une brigade anti-criminalité, communément appelée BAC, et vécu avec eux leur quotidien, les arrestations arbitraires, les contrôles au faciès, la pression du chiffre, l’ennui parfois des patrouilles… De cette expérience, il en a tiré un livre paru au Seuil en 2011, adapté aujourd’hui en bande dessinée avec le concours de Frédéric Debomy au scénario et Jake Raynal au dessin. De quoi se rendre compte au moins de deux choses : qu’il ne suffit pas de n’avoir rien à se reprocher quand on habite les quartiers pour échapper aux contrôles, aux fouilles, aux interpellations et parfois, hélas, à bien pire, et que le quotidien des policiers n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on peut imaginer. Très instructif ! (La Force de l’ordre,  de Fassin, Debomy et Raynal. Delcourt. 17,95€)

Après une année de confinement, de couvre feu, plus de 100 000 morts en France, 3 millions à travers la planète, la covid-19 s’est tristement installée dans notre quotidien au point parfois d’en oublier les temps d’avant, quand on pouvait vaquer à ses occupations sans soucis de distanciation et de gestes barrières. Oui c’était possible. Patient zéro débute là où tout a commencé, du moins en France. Les premiers rapatriés de Wuhan, les premières toux, les premiers patients hospitalisés, les premières victimes, l’éventualité d’une diffusion pandémique du virus, la mise en état d’alerte du système de santé… Construit comme un reportage à partir de témoignages recueillis auprès des familles des malades dont le professeur Dominique Varoteaux, premier Français a avoir été emporté par la Covid, mais aussi auprès des élus de l’Oise, des médecins des hôpitaux de Compiègne et de Creil, des scientifiques qui ont participé à l’enquête sur le patient 0… cet album retrace avec justesse et précision le début de l’une des plus graves crises sanitaires de l’histoire avec aux manettes trois journalistes au scénario, Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin et Renaud Saint-Cricq, et Nicoby au dessin dont le trait sobre et doux adoucit un tant soit peu le propos très sombre. (Patient zéro, à l’origine du coronavirus en France, de Bacqué, Chemin, Saint-Cricq et Nicoby. Glénat, 17,50€)

C’est difficile à entendre mais c’est très probablement une réalité, le chômage sert notre système économique. D’où ce titre, Le Choix du chômage, et ce sous-titre, De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique. Dans cette bande dessinée enquête, le journaliste Benoît Collombat qui a déjà signé Cher pays de notre enfance en compagnie d’Étienne Davodeau, et le dessinateur Damien Cuvillier remontent le temps pour nous expliquer comment le chômage s’est installé en France depuis Pompidou et le choc pétrolier, comment tous ceux qui lui ont succédé à la Présidence se sont promis, nous ont promis, de le combattre, comment il n’a cessé d’augmenter passant d’un peu plus de 500 000 en 1975 à pas moins de 3,5 millions de nos jours, comment l’économie a pris le pouvoir sur le politique et dirige aujourd’hui notre planète. Pendant trois et demi, les auteurs ont rencontré des hommes politiques, des économistes, d’anciens directeurs du Trésor et du FMI, des banquiers, des sociologues… avant de mettre tout ça en images. Résultat : 288 pages en noir et blanc, dans un style réaliste. La thématique peut paraitre parfois aride, la mécanique parfois complexe, mais, et c’est là tout le talent des auteurs, Le Choix du chômage est passionnant de bout en bout. À lire tranquillement ! (Le Choix du chômage, de Benoît Colombat et Damien Cuvillier. Futuropolis. 26€)

On termine sur une note plus légère avec une enquête dessinée dans le milieu de la mode. Plus légère mais tout aussi sérieuse. La mode est un art, c’est aussi une industrie qui génère des profits, comme le rappellent les auteurs dans les premières pages de l’album. Les auteurs, justement, Zoé Thouron dans le costume de la dessinatrice et scénariste, Frédéric Godart dans celui du sociologue. Car oui, La Mode déshabillée a une approche sociologique de la chose, prenant la mode sous tous ses angles, s’intéressant à ses origines, aux différents styles, au monde de la distribution, aux magazines, aux créateurs et créatrices, aux défilés, aux nouvelles tendance, aux nouvelles attentes, une mode éco-responsable peut-être, et un futur qui reste à coudre. Bref, La Mode déshabillée, c’est la mode sous toutes ses coutures, c’est drôle, très drôle, notamment grâce au trait nerveux et à la personnalité de Zoé Thouron et en même temps très instructif. (La Mode déshabillée, de Zoé Thouron et Frédéric Godart. Casterman. 22€)

Eric Guillaud

26 Avr

Autobiographie d’une courgette : Camille K. et Ingrid Chabbert adaptent avec bonheur le best seller de Gilles Paris

Adapté en téléfilm en 2007 puis en film d’animation en 2016, le roman de Gilles Paris connaît cette fois une très belle adaptation en bande dessinée sous la plume d’Ingrid Chabbert et les pinceaux de Camille K…

Vendu à plus de 300 000 exemplaires en France, traduit en 20 langues, le roman de Gilles Paris est ce qu’on appelle un best-seller. Et son succès ne s’émousse pas avec le temps. Après avoir été adapté pour la télévision par Luc Béraud en 2007 sous le titre C’est mieux la vie quand on est grand, puis pour le cinéma par Claude Barras en 2016, Autobiographie d’une courgette nous revient aujourd’hui sous la forme d’une bande dessinée aux éditions Philéas, adaptation que l’éditeur estime à la fois respectueuse et personnelle du roman. N’ayant pas lu le livre, je ne me permettrai pas de le contredire. Mais une chose est certaine, la version de Camille K. au dessin et d’Ingrid Chabbert au scénario fonctionne au point de nous bouleverser.

L’histoire ? Celle d’un petit garçon qui se prénomme Icare mais que tout le monde appelle Courgette, un petit garçon de neuf ans qui par accident tue sa mère handicapée, alcoolique et violente et se retrouve placé dans un foyer où il doit réapprendre à vivre malgré la tragédie. Et contre toute attente, c’est là, aux côtés d’enfants qui ont comme lui vécu la plupart du temps un drame, qu’il découvre l’amitié, l’amour, le bonheur…

Personnages attachants, narration simple mais efficace, trait naïf et souple, couleurs douces… Camille K. et Ingrid Chabbert ont trouvé le ton et la forme justes pour se mettre – et nous mettre – dans la peau de Courgette et évoquer un sujet particulièrement difficile, celui de la violence faite aux enfants. C’est poignant bien sûr mais c’est aussi très drôle, un récit bourré d’émotions et d’humanité pour les petits et les grands.

Eric Guillaud

Autobiographie d’une courgette, de Camille K. et Ingrid Chabbert d’après le roman de Gille Paris. Philéas. 17,90€ (en librairie le 29 avril)

22 Avr

Mademoiselle Baudelaire : beau comme un poème !

Yslaire fait son retour chez l’éditeur de ses débuts avec un livre hommage à l’un des plus grands poètes français, Baudelaire, dont on célèbre en ce mois d’avril le bicentenaire de la naissance…

Dans les années 80-90 du siècle passé, Bernard Hislaire faisait ses premiers pas dans le monde du neuvième art aux éditions Dupuis avec une série qui témoignait déjà de son attirance pour la poésie, Bidouille et Violette, une histoire d’amour entre deux adolescents, mélancolique à souhait, quatre tomes parus que je ne peux que vous encourager à (re)découvrir.

Mais c’est avec Sambre, dont le premier volet est publié chez Glénat en 1986, que l’auteur se fait un nom, Yslaire. Plus de H et de I mais un Y en lieu et place, un détail me direz-vous mais un détail qui marque le début d’une reconnaissance publique et critique internationale. À la série mère, 8 tomes publiés à ce jour, viennent s’ajouter au fil du temps deux séries parallèles, La Guerre des Sambre : Hugo et Iris (3 tomes) et La Guerre des Sambre : Werner et Charlotte (3 tomes), dont l’auteur signe le scénario mais pas le dessin.

En  2021, Yslaire retrouve donc les éditions Dupuis avec les honneurs s’il vous plait de trois cahiers work in progress publiés en amont de l’album, une délicate invitation dans le processus de création de l’auteur, un avant-goût à l’album que voici et qui ne peut que nous laisser pantois d’admiration.

© Dupuis – Yslaire

Dans un élan graphique bouillonnant, l’auteur y dépeint le poète maudit face à ses tourments, face à son génie aussi, un plongeon au coeur de la création, de la poésie et de l’une des oeuvres majeures, Les Fleurs du malguidé par la Vénus noire, Jeanne Duval, la mystérieuse muse de Baudelaire dont Yslaire fait ici la narratrice à travers une lettre qu’elle aurait adressée à la mère du poète à la mort de celui-ci.

« Jeanne et la fiction m’ouvrent la voie pour aborder les recoins cachés de la vérité, pour poser des questions… », explique Yslaire, « Mais je ne réinvente rien. Je me sers de tout ce qui existe autour de Baudelaire, tout ce qui s’est dit depuis les gens qui l’ont connu jusqu’à aujourd’hui. »

À l’image des vers de Baudelaire, les planches d’Yslaire offrent un condensé de références mythologiques, de romantisme, de passion, de sexe… Pas d’outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs ici, pas de condamnation, pas de censure… les temps ont changé, du moins peut-on l’espérer, mais un hymne à la poésie, à la beauté, à l’amour, à la vie. Chef d’oeuvre !

Eric Guillaud 

Mademoiselle Baudelaire, d’Yslaire. Dupuis. 26€ (en librairie le 23 avril)

© Dupuis – Yslaire

19 Avr

Affaires d’État : la nouvelle série-concept des éditions Glénat

Trois albums d’un coup, trois époques différentes, trois affaires d’état, trois dessinateurs et un scénariste unique, Philippe Richelle dont les grandes passions, la politique, l’histoire et le polar, constituent le socle de cette nouvelle collection ou série-concept telle que les éditions Glénat ont préféré la présenter…

Collection ou série-concept, peu importe, Affaires d’État nous embarque pour un voyage dans les coulisses du pouvoir où tout, on peut le vérifier régulièrement, n’est pas toujours très joli ! À chaque époque, dans chaque pays, ces affaires polluent la vie de nos sociétés, même celles qui se prétendent les plus démocratiques et les plus avancées.

Avec Guerre froide, Extrême droite et Jihad, trois premiers volets parus simultanément, Philippe Richelle et ses dessinateurs revisitent des événements qui ont ébranlé l’état français, respectivement dans les années 60, 70 et 80, des fictions librement inspirées de la réalité des faits.

« Avec un sujet comme Affaires d’État, coller strictement à la réalité des frais… », explique Philippe Richelle, « n’aurait simplement pas de sens puisque (…) la plupart de ces affaires ne sont pas élucidées. Quel serait l’intérêt pour le lecteur ? Nul ou presque. Et pour le scénariste que je suis, ce serait faire oeuvre de journaliste, voire d’historien, ce que je ne suis pas ».

Si les plus attentifs d’entre vous constateront que l’on retrouve ici deux des dessinateurs ainsi que le scénariste de la série Les Mystères de la République, série parue chez Glénat entre 2013 et 2018 et déjà construite autour du concept de trois séries parallèles, Philippe Richelle se défend de faire une suite.

« Même s’il existe une parenté avec Les Mystères de la République, Affaires d’État n’est pas une suite. Les personnages ne sont pas les mêmes, les époques abordées non plus. De plus, le côté polar est plus accentué dans Affaires d’état, et je colle davantage à des faits réels (…).

Côté dessin, pas de mauvaises surprises, les trois séries offrent un dessin réaliste de bonne facture avec une petite préférence pour celui d’Alfio Buscaglia sur l’album Jihad.

Eric Guillaud

Affaires d’État, Guerre froide, de Richelle et Penet, Jihad de RIchelle et Buscaglia, Extrême droite de Richelle et Wachs. Glénat. 14,50 l’album