07 Fév

La rencontre sanglante entre deux créatures de la nuit, Batman et Spawn

Si la création de Bob Kane n’a jamais été aussi populaire, dans les années 90, sa suprématie est contestée, notamment par Spawn, soldat de l’enfer qui a vendu son âme au diable en espérant revoir sa femme. Forcément, les deux étaient amenés à se rencontrer, ce qui finit par arriver en 1994 lors de trois récits enfin réédités.

On l’a (un peu) oublié mais les années 90 furent une sale période pour les comics. D’accord, c’était peut-être un peu le grand n’importe quoi durant la décennie précédente, mais ça foisonnait, de partout. Ce n’était pas tout le temps de la qualité et nous étions encore loin du professionnalisme des années 2000 mais c’était vivant. Sauf qu’au mitan des 90s, tout le monde fait un peu la gueule, aussi bien sur le plan commercial qu’artistique et cela commence à sentir le sapin… Jusqu’à ce qu’une bande de jeunes loups vienne un peu secouer le cocotier, sauvagement. À la tête de la horde, Todd McFarlane et son Spawn, anti-héros maudit jusqu’au bout et dont les lecteurs et les lectrices lisent les aventures avec un plaisir coupable, tout en sachant que cet ex-tueur à gages de la CIA devenu un monstre au service de l’enfer ne réussira jamais à sauver son âme…

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

Avec ses couleurs chatoyantes mais aussi son ton plus adulte, sa description d’un quotidien urbain où l’homme est un loup pour l’homme et surtout sa violence, Spawn a alors révolutionné le monde des comics, le faisant entrer dans un nouvel âge. Et très vite, les grandes maisons mères, telles DC, ont compris le message : s’adapter ou mourir. Voire s’allier avec celui sur le point de vous donner le baiser de la mort s’il le faut… Ce fut fait grâce à cette bonne vieille tactique de sioux qu’est le crossover, tour de passe-passe scénaristique où les chemins de deux héros issus de deux séries différentes se croisent opportunément. Et qui de mieux adapté à Spawn que le chevalier noir, Batman himself ?

Comme le rappelle l’excellente introduction du premier de ces deux volumes, le marché est équitablement réparti entre DC Comics et Image Comics, aboutissant à trois histoires indépendantes, réparties ici sur deux volumes. La première est la plus faible du lot : bien que se déroulant chez lui à Gotham et dessinée par Klaus Jenson – au style très proche de celui dont il a longtemps assuré l’encrage, Frank Miller (Sin City) – l’alter-ego de Bruce Wayne ne semble n’être qu’un spectateur un peu balourd dans cette histoire horrifique basique et très lovecraftienne, le Spawn y prenant toute la place.

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

En fait, les vrais joyaux sont les deux autres histoires, bien au-dessus à tous les niveaux. Il faut dire qu’avec Todd McFarlane aux dessins et Frank Miller, justement, au scénario, cela paraissait difficile de se planter. Même si, objectivement, c’est encore une fois la créature de McFarlane qui prend l’ascendant, la complémentarité entre le dessin flamboyant de l’un et l’écriture ciselée de l’autre, l’alliance est quasi-parfaite, les névroses de l’un et de l’autre se complétant bien. Certes, le tout n’est pas dénué de certains tics d’écriture et graphique propres à leur époque. Et les bonus, comme la version noir et blanc et en VO de War Devil, semblent avoir été rajoutés pour éviter une pagination trop faible.

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

Mais autant certains crossover mériteraient de rester dans les poubelles de l’histoire (non, on n’ose pas vous parler de cette rencontre improbable entre Batman, justement, les Tortues Ninja, même si cela a hélas bien existé !), autant ces deux-là méritaient, non, DEVAIENT se rencontrer. Et même si c’est trop court (ah quand une vraie saga ?), ça claque !

Olivier Badin

Batman/Spawn 1994 & Batman/Spawn, collectif. Urban Comics / DC Comics  Image Comics. 17 & 19 €

05 Fév

Rencontre avec Bea Lema, lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2024 pour son album Des Maux à dire

Après Chloé Wary, Léonie Bischoff, Léa Murawiec et Sole Otero, le très convoité Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions a été remis à Beatriz Lema à l’occasion du dernier Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Retour sur un moment important pour la jeune autrice espagnole…

Bea Lema © Vanessa Rabade

Bea Lema est originaire de La Corogne dans le nord-ouest de l’Espagne, mais c’est en France, à Angoulême plus précisément, à l’occasion d’une résidence à la Maison des auteurs, qu’elle a réalisé son premier roman graphique baptisé Des Maux à dire.

Coup d’essai, coup de maître, son album a été retenu dans la sélection officielle 2024 du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême et a reçu le 27 janvier dernier le Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions des mains d’un jury composé de lecteurs et lectrices passionnés du neuvième art et touchés par « la poésie graphique » qui se dégage de son album et par son « traitement sensible de la santé mentale ».

Après quelques jours de repos bien mérités auprès de ses amis et de sa famille en Espagne, Bea Lema a accepté de partager avec nous son ressenti autour de cette très belle aventure et de revenir sur cet album singulier, séduisant et à la thématique universelle.

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L’Œil du marabout de Jean-Denis Pendanx : un plaidoyer contre les enfants soldats avec l’Unicef

Le 12 février est la Journée internationale des enfants soldats. À cette occasion, les éditions Daniel Maghen en partenariat avec l’Unicef publient L’Œil du Marabout, un récit de Jean-Denis Pendanx au cœur de l’un des plus grands camps de déplacés du Soudan du Sud, Bentiu…

Ils ont encore l’âge de l’innocence, mais la guerre en a décidé autrement. Georges et sa jeune sœur Nialony font partie des dizaines de milliers de réfugiés du camp de Bentiu au Soudan du Sud et la vie n’y a rien d’un conte de fée. Au moins sont-ils ici en sécurité, peuvent-ils penser, protégés par les soldats de l’ONU, les fameux Casques bleus.

En sécurité relative tant les conditions de vie sont précaires, la misère totale, la violence omniprésente et les attaques des rebelles encore possibles malgré la présence militaire. Georges et Nialony vont d’ailleurs en faire les frais, enlevés en plein sommeil par un groupe armé. Objectif : faire de Georges un soldat…

© Daniel Maghen / Pendanx

Grand connaisseur de l’Afrique pour y avoir vécu quelques années, Jean-Denis Pendanx l’a régulièrement illustrée dans ses bandes dessinées, que ce soit dans la trilogie Les Corruptibles, le diptyque Abdallahi ou le one shot Au bout du fleuve. Avec L’Œil du Marabout, l’auteur livre un récit fort et poignant inspiré par une action qu’il a menée dans le camp de Bentiu en 2016, invité alors par l’Unicef.

« Ce séjour a été une grande expérience émotionnelle pour moi… », explique Jean-Denis Pendanx en conclusion du livre, « et, durant ces dernières années, j’ai voulu la faire partager sous la forme d’un livre, d’une bande dessinée. Il a fallu pas mal de temps et de réflexion avant de trouver la façon la plus limpide de faire connaître ce monde fermé, en pleine savane, et d’évoquer la vie difficile de ces habitants oubliés de tous ».

© Daniel Maghen / Pendanx

Et cette façon sera une fiction mais une fiction aux personnages bien réels. Georges et Nialony existent, d’autres personnages du récit existent. Et bien sûr, cette guerre était à l’époque une réalité sombre. Jean-Denis Pendanx, sans la montrer de manière frontale l’évoque à travers ce qu’elle induit forcément, les familles dispersées, les populations déplacées et réfugiées dans des camps, les enfants embrigadés, la misère… mais aussi la solidarité avec l’aide humanitaire, l’action des ONG et celle de l’Unicef pour sauver les enfants.

Un graphisme de toute beauté, un récit d’une humanité réconfortante et au final une belle cause à soutenir, celle de l’Unicef qui recevra 0,80€ pour chaque album vendu.

Eric Guillaud

L’Œil du marabout de Jean-Denis Pendanx. Éditions Daniel Maghen. 26€

03 Fév

Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete ou l’histoire vraie d’une esclave dans le Brésil du XIXe siècle

C’est l’un des drames humains parmi les plus abominables, des millions d’hommes et de femmes arrachés au continent africain pour être vendus comme esclaves en Amérique. La bande dessinée évoque régulièrement la traite transatlantique à travers des œuvres de fiction ou documentaires. L’album Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete dépasse les genres pour nous offrir un véritable témoignage de femme esclave dans le Brésil du XIXe siècle…

Lorsqu’on entend le mot esclavage, l’image des Noirs exploités dans les champs de coton au sud des États-Unis nous vient immédiatement à l’esprit. Pourtant, la traite négrière n’a pas concerné que l’Amérique du Nord, loin de là. Le Brésil a à lui-seul importé 4 à 5 millions d’esclaves, soit 40% d’entre eux et il sera le dernier pays à abolir l’esclavage en 1888.

Esclave parmi les esclaves, au service d’un chanoine, Mukanda Tiodora, vivait, ou du moins survivait, à São Paulo, dans le quartier réservé aux personnes noires. Née en Afrique au début du XIXe siècle, prise dans les mailles de la traite transatlantique, elle survit aux terribles conditions de la traversée, débarque au Brésil où elle se voit séparée de son fils et de son mari. 

© ça et là / D’Salete

Dans le Brésil du milieu du XIXe siècle, une importante partie de la population noire a gagné sa liberté. Tiodora non ! Mais elle en rêve, tous les jours, toutes les nuits. Son objectif est clair : tout faire pour obtenir sa lettre d’affranchissement. Analphabète, Tiodora demande à un autre esclave de lui écrire des lettres pour son mari et son fils. Ces lettres, qui ne sont pas toutes arrivées à destination, ont été conservées. Elles témoignent de sa volonté d’acheter sa liberté et de retrouver sa terre natale. Elles offrent aussi une photographie du São Paulo et du Brésil de l’époque, de plus en plus confrontés au mouvement abolitionniste.

© ça et là / D’Salete

C’est en s’appuyant sur cette correspondance et notamment sur les écrits de l’historienne Cristina Wissenbach que Marcelo D’Salete a réalisé Mukanda Tiodora, une œuvre à haute valeur de témoignage tant l’auteur a eu à cœur d’approcher au plus près de la réalité historique, à l’image de ce qu’il a fait dans ses récits précédents parus aux éditions ça et là, Angola Janga et Cumbe (Eisner Award 2018, catégorie meilleur œuvre étrangère), tous deux nous transportant déjà dans le Brésil esclavagiste.

Le juste poids des mots, le choc des images, les planches en noir et blanc de Mukanda Tiodora sont aussi belles que puissantes, il n’en fallait pas moins pour raconter ce passé sombre du Brésil et au-delà de l’humanité. Une œuvre précieuse pour la mémoire historique collective complétée d’un volumineux et riche dossier d’une cinquantaine de pages réunissant une contribution de Cristina Wissenbach, des reproductions et transcriptions des lettres de Tiodora, de nombreuses photos d’époque, une chronologie de la lutte contre l’esclavage à São Paulo ainsi qu’un glossaire et des références bibliographiques.

Eric Guillaud

Mukanda Tiodora de Marcelo D’Salete. Éditions ça et là. 23€

31 Jan

L’adaptation réussie et tripante de l’un des récits les plus fantasmagoriques de l’immense H.P. Lovecraft

Bizarrement, malgré son énorme influence sur la fantasy au sens large du terme, Howard Philips Lovecraft et la bande dessinée n’ont jamais trop cliqué. Mais la tendance serait-elle en train de changer ? Après le très réussi Le Dernier Jour de Howard Philips Lovecraft, Kadath L’Inconnue réussit à nous emmener dans les contrées des rêves, quitte à nous perdre complètement…

Le pensum de Lovecraft dont l’écriture s’est, en gros, étalée sur vingt ans est, disons, vaste. Mais pourtant, le personnage de Randolph Carter y tient une place à part car il est l’un des seuls personnages récurrents de son œuvre, apparaissant ou cité dans une demi-douzaine de ces écrits. Parmi ces derniers, La Quête Onirique de Kadath L’Inconnue tient une place à part.

Même si publiée à titre posthume en 1943, c’est le joyau de ce qui fut appelé après coup Le Cycle des rêves. Un récit à tiroir en forme de quête où Carter essaye à tout prix dans ses rêves d’une majestueuse cité et résidence des dieux nommée Kadath, entre aperçue lors de songes précédents. Il s’embarque alors dans un voyage fantasmagorique au cours duquel il traverse plusieurs mondes délirants, dont certains rattachés au fameux culte de Cthulhu, cosmologie autour de laquelle la quasi-totalité de l’œuvre du reclus de Providence s’articule.

© Black River / Flórez, Sanna & Salomon

Pas besoin d’être psy pour comprendre très vite : Carter EST Lovecraft. Un écrivain à l’imagination débridée mais pas reconnu par ses semblables, condamné à s’échapper par les rêves où il rencontre toutes sortes de créatures à la fois mystérieuses et terrifiantes. Cette quête est donc un peu la sienne et cette adaptation, réalisée par deux espagnols et un français, est très référencée. Les auteurs connaissent, ou ont très bien potassé, les travaux du maître et cela se sent. Trop peut-être pour les néophytes qui sont tout de suite jetés dans le bain, sans préambule, les bases de ce qui ressemble au final un peu, à l’instar d’un Alice Au Pays Des Merveilles mais avec option cauchemar, à une sorte de trip perpétuel.

© Black River / Flórez, Sanna & Salomon

Carter rêve-t-il ou vit-il vraiment ces aventures ? Est-il vraiment tour-à-tour sauvé par des goules et des chats ? Rencontre-t-il vraiment Nyarlathotep dit  le Chaos Rampant ? Comment passe-t-il ainsi d’un monde à un autre ? Sans une solide connaissance du monde lovecraftien et de son ‘horreur cosmique’, le lecteur est désormais désorienté, voire perdu. Avant de comprendre, s’il s’accroche, que c’est justement le but et tout l’attrait de cette adaptation à la fois fidèle et quasi-psychédélique malgré ses traits au final assez simplistes.

Toute la force de Lovecraft l’écrivain était sa façon de suggérer plus de montrer les choses, un jeu d’ombres chinoises où le lecteur se retrouvait lui-même à combler les trous et ainsi y imprimer ses peurs les plus féroces. Conscients qu’ils ne pouvaient rivaliser, Florentino Flórez, Guillermo Sanna et Jacques Salomon ont donc pris le contrepied en choisissant l’un de ses textes les plus colorés et les plus visuels. Certes, cette adaptation souffre peut-être d’un rythme certes imparfait et d’une conclusion (comme le texte original cela dit) qui n’en est pas vraiment une. Mais son parti pris assez osé et en même temps plein d’admiration pour sa source ainsi que ces quelques clins d’œil à Little Nemo (!) dans des vignettes enfantines perturbantes prouvent, enfin, qu’adapter du Lovecraft est possible.

Olivier Badin

Kadath L’Inconnue, de Florentino Flórez, Guillermo Sanna & Jacques Salomon. Black River. 19,90 €

30 Jan

Des Maux à dire de Bea Lema : retour sur le Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions 2024

Sans vouloir dévoiler le secret d’une délibération, le choix du lauréat 2024 par les jurés du Prix du Public France Télévisions n’a pas été une mince affaire. Mais tout le monde a fini par se retrouver autour de l’album Des Maux à dire de l’Espagnole Bea Lema. Un album courageux et bouleversant…

© Katia Martin-Gilis / Bea Lema recevant son Fauve Prix du Public le 27 janvier 2024

« Nous remettons notre prix à une œuvre qui nous a touchés pour son audace et sa poésie graphique, qui met à l’honneur l’amour filial envers et contre tout à travers un traitement sensible de la santé mentale. Le Prix est attribué à… Bea Lema pour Des Maux à dire ». C’est par ces quelques mots sincères que les neuf membres du jury ont annoncé leur lauréat samedi 27 janvier à l’occasion de la cérémonie du 51ᵉ Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.

Les discussions avaient commencé quelques heures auparavant autour d’un repas dans l’une des salles de la mairie. Autour de la table, neuf lecteurs de Nouvelle Aquitaine, Isabelle Daniel (Chaniers), Mélanie Gatte (Angoulême), Xavier Harismendy (Brive-la-Gaillarde), Aïcha Mallet (Talence), Marion Montrouge (Villenave-d’Ornon), Clément Picout (Aubusson), Anne-Sophie Pittié (Ascain), Kilian Rigaudeau (Lusignan) et Sylvain Rioland (Neuville-de-Poitou).

Objectif du jour : choisir LE Fauve Prix du public France Télévisions 2024 parmi les huit titres préalablement sélectionnés par un jury professionnel présidé par Augustin Trapenard et composé de journalistes spécialistes de la littérature et de la bande dessinée : Jérôme Debœuf (France 3 Poitou-Charentes), Francis Forget (France Info culture), Anne-Marie Revol (Franceinfo canal 27), Noëmie Roussel (France Télévisions) rejoints cette année par Isabel Hirsch (France 3 Poitou-Charentes) et Raphäl Yem (Culturebox l’émission, Culturebox) et votre serviteur, Éric Guillaud (France 3 Pays de la Loire).

Si les huit albums de cette sélection méritaient objectivement le prix, il fallait en garder un et un seul. Arguments contre arguments, les échanges ont été riches et intenses jusqu’à la décision finale qui a mis tout le monde d’accord.

Avec une belle et large palette de styles graphiques, il y a même de la broderie, l’Espagnole Beatriz Lema raconte ici la maladie mentale d’une femme en se mettant dans la peau de Vera, sa fille. Si l’histoire est autobiographique, ce changement de prénom lui permet certainement de garder une certaine distance. Quoi qu’il en soit, Des Maux à dire est un récit bouleversant de vérité dans lequel nous assistons aussi impuissants que Vera à la lente détérioration de la santé mentale d’une femme.

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L’interview de Bea Lema ici

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Exorcistes, psychiatres, médicaments… rien n’y fait, Adela, c’est son prénom, devient de plus en plus paranoïaque, méfiante, persuadée d’être habitée par le démon, et sujette à des pensées suicidaires. Sa vie est un enfer, celle de ses proches plus encore. Mais Vera ne la laissera jamais tomber, s’occupant d’elle jusqu’au bout, quitte parfois à s’oublier, à oublier sa propre vie.

Ce qui frappe dès les premières pages à la lecture de ce roman graphique, c’est l’immense liberté que s’est donnée l’autrice tant d’un point de vue narratif que graphique, les pages alternant broderies et dessins, traits au feutre ou au stylo, planches en couleurs ou en noir et blanc. Un album surprenant mais profondément séduisant !

Bea Lema est la cinquième lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions après Chloé Wary pour Saison des roses en 2020 (FLBLB), Léonie Bischoff pour Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges en 2021 (Casterman), Léa Murawiec pour Le Grand Vide en 2022 (Editions 2024) et Sole Otero pour Naphtaline en 2023 (Çà et là).

Des Maux à dire, de Bea Lema. Sarbacane. 25€

Angoulême 2024 : un deuxième Prix Schlingo pour les éditions nantaises Rouquemoute

Après Tendre enfance en 2019, la maison d’édition nantaise Rouquemoute rentre d’Angoulême avec une nouvelle fois le Prix Schlingo attribué dans le cadre du Off du Festival International de la Bande Dessinée à Zozo le Clown d’Olivier Besseron.

© Rouquemoute

Le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, qui s’est achevé dimanche 28 janvier, dispose de son programme officiel, de ses invités officiels, de sa compétition officielle et, comme tous les grands festivals, de son off officiel baptisé ici le Off of Off.

Ce Off remet lui aussi son lot de prix, notamment le Prix Couilles au cul récompensant le courage artistique, le Prix Elvis d’Or pour la meilleure BD rock de l’année ou encore le Prix Schlingo. Créé à l’initiative entre autres de l’autrice Florence Cestac, ce prix récompense un album de bande dessinée d’humour ou un auteur affichant une proximité avec l’œuvre de Charlie Schlingo, un auteur de bande dessinée décédé en 2005.

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24 Jan

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême : pourquoi y aller ?

Le monde entier, à commencer par celui du neuvième art, s’y donne rendez-vous chaque année, bravant le froid, la neige, la grippe, le covid ou la gastro. Il faut dire que le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, qui se tiendra cette année du 25 au 28 janvier, a ce petit quelque chose d’unique qui le rend essentiel…

© F3 Pays de la Loire / Eric Guillaud

C’est LE rendez-vous de la bande dessinée en France et au-delà, un festival unique en son genre où se côtoient chaque année des dizaines de milliers de passionnés et de professionnels. Dédicaces, expos, concerts de dessins, rencontres, conférences, projections… Le programme est conséquent. Qu’y faire, qu’y voir ? On vous donne dix bonnes raisons d’y aller faire un tour. Mais il y en a beaucoup d’autres…

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BD. Huit nouveautés à lire avant le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême

Plus que quelques heures avant la ruée vers Angoulême pour la 51ᵉ édition du Festival International de la Bande Dessinée. Histoire de ne pas partir en territoire inconnu, voici une sélection de huit albums essentiels, huit coups de cœur parus en ce début d’année 2024…

Huit bandes dessinées, c’est peu au regard des milliers de nouveautés quoi sortent chaque année, c’est peu mais c’est déjà assez pour illustrer la diversité, la créativité et la richesse du neuvième art.

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18 Jan

Le combat d’Henry Fleming de steve Cuzor : une plongée dans l’enfer de la guerre de Sécession

Après la guerre d’indépendance des États-Unis et la Seconde Guerre mondiale, Steve Cuzor nous entraîne sur un autre champ de bataille, celui de la guerre de Sécession, avec l’adaptation d’un grand classique de la littérature de guerre américaine, The Red badge of courage de Stephen Crane…

Ne vous est-il jamais arrivé de vous interroger sur l’homme ou la femme que vous auriez pu être pendant la Seconde Guerre mondiale ? Collabo ou résistant(e) ? Lui se demande quel homme il sera demain quand il faudra se lever et se lancer dans la bataille, sa première bataille. Héros ou déserteur ?

Lui, c’est Henry Fleming, un jeune gars de la campagne qui décide un beau jour de quitter sa mère et sa ferme pour s’engager dans l’armée fédérale. C’est la guerre de Sécession.

« Passer son temps derrière le cul d’une mule n’a jamais fait rêver personne. »

Mais la vie de soldat est bien loin de répondre à ses attentes. Lui qui rêvait de dépasser sa condition et de devenir quelqu’un aux yeux des autres enchaîne les corvées de patates, les manœuvres et les fausses alertes. Jusqu’au jour où la bataille est annoncée avec certitude pour le lendemain.

Et de se poser des questions :

« Tu voudrais savoir si tu seras capable de rester dans le rang quand les premiers tirs vont s’abattre (…), si tu auras les tripes de ne pas fuir comme un lâche ? »

© Dupuis / Cuzor

La bataille en question est celle de Chancellorsville, l’une des plus importantes de la guerre de Sécession. Fidèle au roman de Stephen Crane, moins connu de ce côté-ci de l’Atlantique qu’aux États-Unis où il est considéré comme un classique de La littérature de guerre, Steve Cuzor donne peu d’informations sur le contexte. Même le nom de la bataille n’est pas donné, simplement subodoré par les connaisseurs. Car l’essentiel est ailleurs !

© Dupuis / Cuzor

Le vrai combat mis en images ici est un combat intérieur. Celui d’un homme qui s’interroge face à la peur, face à la mort, face à la bêtise d’une obéissance aveugle. Entre ses démons et les sudistes, que choisira-t-il d’affronter ? Quel homme décidera-t-il de devenir ou pas ? S’enfuira-t-il dans le premier sous-bois ou fera-t-il face à son destin ? C’est toute la question du roman et de son adaptation.

Et pour approcher au plus près la réalité de la guerre, toucher l’horreur du bout des yeux, Steve Cuzor, par un savant jeu de cadrages, nous place, nous lecteurs, au même niveau que ces combattants, quasiment épaule contre épaule, de quoi ressentir la trouille au ventre du voisin quand les canons se font entendre ou sentir la pointe des baïonnettes d’un ennemi rendu invisible par la fumée des explosions.

© Dupuis / Cuzor

L’auteur nous avait déjà bluffés avec Cinq Branches de coton noir sorti il y a maintenant cinq ans et réalisé avec Yves Sente au scénario, il récidive seul cette fois avec ce western d’un nouveau genre, un récit qui met en lumière les pensées du protagoniste et nous interroge au plus profond de nous même. En cela, Le Combat d’Henry Fleming est un récit universel mais aussi un éclairage différent sur une guerre que l’on connaît finalement assez peu et qui a laissé une plaie ouverte dans la société américaine.

Graphiquement, on retrouve avec un immense plaisir le trait réaliste et dynamique de l’auteur associé à un découpage fluide et à une mise en couleurs minimaliste en monochromie, déjà expérimentée dans Cinq branches de coton noir, de quoi juste faire ressortir le magnifique travail d’encrage réalisé par l’auteur.

À l’instar de son album précédent, Le combat d’Henry Fleming existe en trois versions, une classique à 26€, une édition spéciale au tirage limité à 1499 exemplaires avec frontispice inédit imprimé sur papier d’art numéroté et signé à 39€, et une édition de luxe en noir et blanc au tirage limité à 1515 exemplaires à 45€. Dans tous les cas, un album indispensable !

Eric Guillaud

Le combat d’Henry Fleming, de Steve Cuzor. Dupuis. 26€ (en librairie le 9 février)