16 Déc

L’heure du dragon, la dernière et très épique addition à la série d’adaptations en BD des aventures de Conan le barbare par le scénariste d’Elric

Du drame, de l’action digne d’un blockbuster américain, un méchant XXL, un ton plus sombre que jamais… L’heure du dragon est l’une de aventures les plus grandioses du cimmérien et Glénat, qui s’est lancé dans l’adaptation de l’œuvre de Robert E. Howard depuis 2018, ne pouvait pas passer à côté. Et c’est réussi !

Le plus intéressant dans cette série d’adaptations est la diversité qu’elle offre. En plus de livres tous indépendants les uns les autres (aucune obligation d’acheter toute la série pour tout comprendre), chaque nouvelle entrée est confiée à un nouveau couple de scénariste/dessinateur qui apportent donc à chaque fois ‘leur’ patte aux aventures du cimmérien. Un choix éditorial plutôt intelligent car malgré la myriade d’adaptations préexistantes, cela permet de varier les ambiances et ainsi de passer par exemple en terme de style graphique d’un Conan parfois limite manga (Les Clous Rouges) à un autre, plus rêveur (La fille du géant du gel). La greffe ne marche pas toujours mais elle a le mérite de permettre à chacun d’imprimer leur marque et surtout de montrer que plus de quatre-vingt-dix ans après sa première apparition, il y a encore quelque chose à dire sur le barbare le plus réputé de la fantasy.

© Glénat / Blondel, Sécher, d’après Robert E. Howard

L’Heure du dragon est son seul roman que Howard a consacré à son héros, tous les autres textes, nombreux, étant des nouvelles paru entre 1935 et 1936. Il est à la base paru sous forme d’un feuilleton dans la célèbre revue Weird Tales qui a aussi révélé HP Lovecraft. Pour les fans, c’est aussi celui qui introduit l’un des ‘méchants’ les plus terrifiants du bestiaire Conan si l’on peut dire, un nécromancien maléfique du nom de Xaltotun, ressuscité 3,000 ans après sa mort par des hommes louchant sur le trône d’Aquilonie, trône occupé presque accident par un Conan devenu donc roi presque malgré lui.

© Glénat / Blondel, Sécher, d’après Robert E. Howard

Comme il est très bien expliqué dans le texte inclus en bonus, L’heure du dragon est une quête, Conan partant à la recherche du cœur d’Ahriman, source du pouvoir de Xaltotun qu’il doit donc détruire pour vaincre son adversaire. Une sorte de quête du Graal donc mais en beaucoup plus sombre mais toute aussi mystique. L’énorme avantage avec Howard est que les aventures qu’il a créées se passent toutes à des époques différentes de la vie de son héros et la version présentée ici est inédite : plus âgé, barbu et ployant presque sous le poids de ses responsabilités en tant que souverain, il n’est plus ici le jeune barbare parti à la conquête du monde et dénué d’attaches. Quant au récit lui-même, son envergure, ses thèmes (la potentielle destruction de toute vie par le Mal incarné, un peuple mise en esclavage etc.) et sa violence exigeaient de solides auteurs à la barre.

D’où le choix très judicieux de faire appel au scénario à Julien Blondel qui a prouvé avec sa brillante adaptation de la sage d’Elric (cousin pas si éloigné que ça de Conan) chez le même éditeur en quatre tomes qu’il était l’homme de la situation. Surtout lorsqu’il est allié comme ici au style très détaillé de Valentin Sécher (La caste des Méta-Barons) qui donne à l’ensemble un côté très adulte. Bref, un cru de très haut niveau pour une série qui ne cesse de se bonifier avec le temps !

Olivier Badin

Conan le cimmérien : l’heure du dragon de Julien Blondel et Valentin Sécher, d’après Robert E. Howard. Glénat. 12,50 euros.

© Glénat / Blondel, Sécher, d’après Robert E. Howard

15 Déc

Tarzan ou l’aventure avec un grand A, pleine de pulp !

Tarzan fait partie de héros emblématiques que tout le monde connaît… Sans vraiment le connaître. Le pagne, Cheeta, la jungle, Jane tout ça, ok. Mais qui se souvient vraiment du roi de la jungle tel qu’il avait été inventé et défini par l’auteur anglais Edgar Rice Burroughs en 1912 ? Le scénariste Christophe Bec fait sûrement partie de ses happy few et cela se sent dans cette nouvelle adaptation porté par un souffle épique.

Extrait de la couverture © Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

Ce nouveau récit, après un premier tome en Mars dernier racontant la genèse du héros, est l’adaptation en BD de Tarzan au centre de la Terre, roman paru initialement en 1930. La particularité du texte original ? C’est l’un des premiers crossover du genre, Burroughs y mélangeant son héros le plus connu (Tarzan) et l’une de ses autres séries, Pellucidar.

Le thème central de la saga Pellucidar est assez simple : la Terre est creuse et qu’en son sein vit toute une faune et des hommes ‘figés’ en quelque sorte à l’époque préhistorique. Bien que parti initialement à la recherche d’une mythique cité d’or, Tarzan décide d’aller au pôle Nord pour y découvrir l’entrée censée y être cachée de ce monde perdu pour sauver son ami explorateur, parti plusieurs mois à sa découverte et disparu depuis.

© Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

Paris à la Belle Epoque, un duel au petit matin, un dirigeable, une cité mystérieuse remplie de goules, des dinosaures monstrueux… On navigue ici en plein univers pulp – du nom de ces magazines bon marché vendus entre les deux guerres plein de récits de récits d’aventures et de fantasy – et c’est assumé, comme si Indiana Jones rencontrait Jurassic Park et un univers sorti de l’imagination de Jules Vernes. Mais le choix des dessinateurs se révèle assez judicieux. Rob de la Torre, pour la première partie et Stefano Raffaele, pour la seconde, ont tous les deux un style très réaliste mais aussi assez sombre, où le roi de la jungle devient une espèce de barbare à la Conan à la musculature idoine et surtout à l’attitude de prédateur limite inquiétante. Cette version de Tarzan a donc beau s’exprimer comme un lord et conserver un pragmatisme très viril, à aucun moment il ne cherche à cacher ou adoucir son animalité, bien au contraire. Une approche qui confère au récit une authenticité et une tension bienvenues.

Même si on préfère le trait plus fin et adulte de la Torre à celui, moins sombre te précis de Raffaele, cette nouvelle adaptation est en tous cas une belle réussite, doublée d’un hommage à une forme de récit d’aventures un peu rétro mais racé et complètement dépaysant.

Olivier Badin

Tarzan au centre de la Terre de Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele. Soleil. 16,95 euros.

© Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

13 Déc

Rencontre avec Bruno Bazile, dessinateur de l’adaptation en BD des Enquêtes de Victor Legris

Dessinateur des Aventures de Sarkozix, de la biographie dessinée de Charlie Chaplin et d’une bonne vingtaine d’albums supplémentaires, l’auteur nantais Bruno Bazile publie aux éditions Phileas l’adaptation d’un roman policier dans le Paris du XIXe siècle avec la Tour Eiffel pour témoin…

© F3 / Eric Guillaud

Nous l’avions rencontré en novembre 2O19 à l’occasion de la sortie d’une biographie dessinée consacrée à une grande étoile du cinéma, Charlie Chaplin. Changement de décor, changement de personnage, Bruno Bazile revient avec l’adaptation du premier roman des Enquêtes de Victor Legris, une saga policière historique à succès écrite à partir de 2003 par Liliane et Laurence Korb sous le pseudonyme de Claude Izner.

Bruno Bazile en signe le dessin sur un scénario du très prolifique Jean-David Morvan. Enquête policière autour d’une série de meurtres intervenant durant l’exposition universelle de Paris, Mystère rue des Saints-Pères est aussi une belle histoire d’amour dans le Paris de l’époque, un Paris merveilleusement bien recréé par la magie du coup de crayon élégant de Bruno Bazile.

Qui est Victor Legris ? Victor Legris est un passionné de livres anciens d’une trentaine d’années, propriétaire de la librairie L’Elzévir rue des Saints-Pères à Paris. Alors que l’exposition universelle bat son plein, que la foule se presse pour découvrir la Tour Eiffel, qu’on lui propose une place de chroniqueur littéraire dans un nouveau journal baptisé Le Passe-Partout, Victor Legris est interpelé par une série de morts inexpliquées qui se révèlent être des crimes. Intrigué, Victor Legris décide de mener l’enquête…

Pour évoquer ce nouvel album, nous avons donné rendez-vous à Bruno Bazile dans son atelier du côté de Rezé. À notre arrivée, Bruno était en plein travail sur le deuxième tome de la série qui sortira dans quelques mois.

L’Interview ici…

Sélection officielle Angoulême 2022 : Le Grand vide de Léa Murawiec

Attention jeune talent ! Pour son premier album de bande dessinée, Léa Murawiek bouscule les codes de la BD pour nous offrir un récit d’une très grande singularité tant au niveau du graphisme que du scénario. De quoi se jeter dans Le Grand vide avec elle…

On sait combien la vie tient parfois à un fil, dans cet album elle tiendrait plutôt à une pensée. Manel Naher est une jeune femme ordinaire, un peu trop peut-être, qui passe son temps à dénicher des récits d’aventure dans une vieille librairie pour s’évader du monde dans lequel elle vit, une espèce de mégalopole où chacun doit se battre contre l’anonymat en affichant son nom telle une publicité.

Plongée dans ses livres, Manel se fait oublier de tous, de quoi disparaître à jamais.

Car oui, dans le monde dystopique que nous dépeint Léa Murawiek, si personne ne pense à vous, alors vous n’avez plus de présence et vous mourez. C’est aussi simple que cela. Manel va l’apprendre à ses dépens. En pleine rue, une crise cardiaque, direction l’hôpital.

« Votre présence était quasiment nulle, votre cœur ne l’a pas supporté »

Pour les médecins, les choses sont claires. Seul un traitement intensif peut lui permettre de s’en sortir, d’autant qu’un homonyme, chanteuse très célèbre dont le tube Mon nom sur toutes les lèvres fait un carton, accapare les pensées de toutes et tous. Et ce traitement intensif ? Boites de nuit, réunions de famille, déjeuners d’affaires… bref des sorties, des rencontres, de quoi faire du lien social… et retrouver un peu de présence, d’existence aux yeux des autres et donc d’espérance de vie. Mais Manel ne rêve que d’une chose : rejoindre le grand vide, un espace où la popularité ne décide pas de votre vie ou de votre mort.

Paru en aout dernier, Le Grand vide a fait sensation dans le milieu du neuvième art et au-delà par la singularité et la force qui se dégagent du scénario, par la formidable élasticité du trait et le dynamisme des planches. Passée par l’école Estienne à Paris puis l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, Léa Murawiek écrit cette première bande dessinée au cours d’une résidence de deux ans à la Cité de la Bande dessinée. Elle y met toutes ses influences, le manga bien sûr, mais aussi la bande dessinée européenne expérimentale et alternative d’où elle est issue. Aucun doute, en l’espace d’un livre, Léa Murawiek s’est fait un sacré nom dans le neuvième art et on n’est pas près de l’oublier. Vertigineux !

Eric Guillaud

Le Grand vide, de Léa Murawiek. Editions 2024. 25€

© 2024 / Léa Murawiek

12 Déc

Fauve d’Or Angoulême 2022 : Écoute, jolie Márcia de Marcello Quintanilha

Né à proximité de Rio de Janeiro, installé depuis de nombreuses années à Barcelone, Marcello Quintanilha n’a jamais cessé de raconter à travers ses récits la société brésilienne et notamment les couches les plus populaires. C’est encore le cas aujourd’hui avec Écoute, jolie Márcia publié aux éditions ça et là, ce récit haut en couleur et en verbe nous emmène dans le monde des favelas à travers le quotidien d’une femme ordinaire ou presque …

Marcia est infirmière dans un hôpital près de Rio. Son salaire ne lui permet pas de vivre dans les somptueux appartements avec vue imprenable sur la mer qu’elle fréquente à l’occasion de soins à domicile mais Marcia n’est pas du genre à se plaindre, ni même à jalouser.

Avec son ami Aluisio et sa fille Jacqueline, née d’une précédente union, elle vit dans une favela, paisiblement, jusqu’au jour où sa fille commence à fréquenter les membres d’un gang. Entre la mère et la fille, la tension monte jusqu’à devenir explosive, envoyer Aluisio à l’hosto et Jacqueline en prison…

Autodidacte et de fait assez libre dans sa façon d’aborder les choses tant d’un point de vue narratif que graphique, Marcello Quintanilha signe ici une bande dessinée très colorée, pleine de vie et de frénésie autour d’une femme ordinairement héroïque ou héroïquement ordinaire qui n’hésite pas à affronter le danger par amour de sa fille.

L’album dépeint la société brésilienne dans sa réalité crue, les inégalités, la misère, la drogue, mais il offre surtout le très beau portrait d’une femme qui ne se laisse pas faire, forte, dévouée pour les autres, confrontée malgré elle à la violence du monde. C’est aussi l’histoire d’une relation intense entre une mère et sa fille comme on pourrait en connaître ailleurs, ce qui confère au récit son côté universel.

Un scénario très maîtrisé et rythmé, un graphisme vivant, des couleurs surréalistes, des personnages attachants, des dialogues très actuels et très fluides, Écoute, jolie Márcia est un album qui vous happe, vous transporte, vous retient du début à la fin, rien d’étonnant que Marcello Quintanilha soit considéré comme l’un des auteurs phares de la bande dessinée brésilienne. 

Lauréat du Prix du polar à Angoulême en 2016 pour l’album Tungstène, auteur de cinq autres ouvrages aux éditions çà et là, Marcello Quintanilha reçoit aujourd’hui le Fauve d’or 2022 à Angoulême. 

Eric Guillaud

Écoute, jolie Márcia, de Marcello Quintanilha. Éditions ça et là. 22€

© Ça et Là / Marcello Quintanilha

Sélection officielle Angoulême 2022 : Le Jeune acteur de Riad Sattouf

Alors oui, il a fait la Une des plus grands médias, il a été invité partout où il faut être invité, on en cause dans les meilleures soirées de la capitale, et pas seulement celles de l’ambassadeur, un peu comme si Riad Sattouf était L’AUTEUR de bande dessinée du moment, le seul, l’unique, celui qu’il faut avoir lu avant de mourir pour ne pas avoir l’air trop crétin ici-bas et tout là-haut. Est-ce mérité ? Réponse ici…

« J’adooooore Riad Sattouf ! « . Parlez bande dessinée avec quelqu’un qui ne s’y intéresse pas ou peu et vous pourriez bien obtenir cette réponse. Parlez bande dessinée avec quelqu’un qui est un passionné de la première heure, et vous pourriez bien obtenir la même réponse. On est bien obligé de le reconnaître, Riad Sattouf fait l’unanimité ou presque !

Ça peut en chatouiller certains mais c’est comme ça et ceux qui auraient eu tendance à résister à l’appel de L’Arabe du futur ou des Cahiers d’Esther devraient logiquement finir par craquer, peut-être cette fois avec Le Jeune acteur, dernier opus paru de la star du 7e et 9e art réunis.

Alors, justement, ce nouvel opus ? Franchement, c’est drôle, c’est fin, ça se lit sans fin et c’est même instructif. Parfaitement, oui, instructif. Derrière l’histoire du jeune Vincent Lacoste, un collégien de 14 ans à l’époque qui découvre la vie en même temps que le cinéma, Riad Sattouf nous invite dans les coulisses d’un film, en l’occurrence Les Beaux gosses, partageant les différentes étapes de son élaboration, depuis les castings jusqu’à la soirée des César où Les Beaux gosses reçut le Prix de meilleur premier film en 2010, en passant bien évidemment par le tournage en lui-même, la sortie en salles, les incontournables premières…

Et plutôt que de raconter tout ça de son seul point de vue à lui, Riad Sattouf sous sa casquette d’auteur BD a choisi de le faire du point de vue de Vincent Lacoste, un parti pris scénaristique judicieux qui rend la chose beaucoup plus légère, avec une bonne couche d’autodérision façon Vincent Lacoste, et qui permet surtout d’évoquer a vie privée de l’acteur, le collège, la famille, les filles… et sa réaction face à sa célébrité naissante.

Riad Sattouf rêvait de s’inscrire dans la filiation Truffaut / Léaud avec son égérie Vincent Lacoste, ce livre est une façon pour lui, comme il le déclare dans une interview accordée au magazine dBD, de continuer à le suivre et l’accompagner.

Le Jeune acteur n’est pas un album qui va révolutionner le neuvième art mais il n’en reste pas moins Incontournable pour les fans de BD, de cinéma et les autres…

Eric Guillaud

Le jene acteur 1, de Riad Sattouf. Les Livres du futur. 21,50€

© Les Livres du Futur / Sattouf

08 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Du Bruit dans le ciel de David Prudhomme

Raconter son enfance, c’est une bonne idée, très partagée dans le milieu de la bande dessinée depuis quelques années. Mais faut-il encore avoir quelque chose à raconter et mieux, une façon de le raconter. De ce côté-là, l’auteur David Prudhomme a tout bon…

Un goût d’éternité. Ou presque ! Juin 2021, David Prudhomme et son fils Joachim rendent visite aux grands-parents installés à Grangeroux près de Châteauroux. C’est ici dans ce petit bout de France un peu perdu que David passe sa jeunesse. À son fils, il raconte les années passées loin du bruit du monde, loin de la révolution permanente, dans un immobilisme d’apparence.

Car oui, même si tout se fait moins brutalement qu’ailleurs, les choses ici aussi évoluent, doucement, presque imperceptiblement. La campagne laisse place à un monde rurbain, avec sa rocade, ses ronds-points, ses lotissements, ses pavillons, ses rues aux noms de chanteurs de variété. Un vrai hit parade !

Même la fameuse base militaire avec son aérodrome, longtemps occupée par une armée américaine qui imprègne fortement le paysage et la géographie des environs, finit en partie par se reconvertir dans le civil.

Avec des avions, toujours, dans les airs et sur le tarmac, pour des transports de troupes ou de matériels, pour des essais ou, plus tard, pour y trouver un refuge le temps de la crise du coronavirus.

© Futuropolis / Prudhomme

Soudain, plus un atterrissage, plus un décollage, plus un avion en mouvement hormis l’Airbus de la Présidence française, à l’entrainement. Du bruit dans le ciel, malgré tout…

Dans ce récit autobiographique, David Prudhomme fait côtoyer l’intime et l’universel, le quotidien dans ce qu’il a de plus ordinaire et la grande histoire du monde, dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre, un monde où parfois le temps s’emballe, parfois semble se figer. Un moment. Un silence. Avant que le bruit ne reprenne…

À l’instar d’un Davodeau ou d’un Rabaté, avec qui d’ailleurs il a eu l’occasion de travailler, David Prudhomme appartient à cette catégorie d’auteurs qui manie aussi habilement la plume que le pinceau pour nous parler de la vie, de notre vie, de la société, ddu monde, avec intelligence et humanité, avec lucidité et délicatesse.

Au fil des 200 pages que compte ce livre, pas un moment d’essoufflement de la part de l’auteur, pas une once d’ennui pour le lecteur, David Prudhomme tient fermement les ficelles d’un scénario bâti autour du souvenir, de la nostalgie, un peu, de l’humour, pas mal, et de l’amour, beaucoup. L’amour pour ses proches, pour ceux qui les entourent, pour les gens d’une façon générale. Assurément l’un des plus beaux albums de l’année 2021.

Eric Guillaud

Du Bruit dans le ciel, de David Prudhomme. Editions Futuropolis. 25€

07 Déc

René.e aux bois dormants d’Elene Usdin Grand Prix ACBD 2022

L’Association des Critiques et Journalistes de Bande Dessinée (ACBD) a finalement choisi l’album d’Elene Usdin, René.e aux bois dormants, pour son Prix 2022. Un album que nous vous avions présenté il y a quelques semaines…

Extrait de la couverture © Sarbacane / Usdin

René.e aux bois dormants est un magnifique album de 272 pages signé Elene Usdin, artiste française qui a débuté comme peintre pour le cinéma et illustratrice de presse et de livres jeunesse. René.e est son premier roman graphique.

Il s’en dégage une atmosphère très particulière, un univers très coloré, très créatif où le quotidien le plus sombre côtoie le surnaturel le plus débridé. Aux origines du récit, ce qu’on appelle au Canada la rafle des années 60 : l’enlèvement de milliers d’enfants autochtones à leur communauté d’origine pour les faire adopter par des familles des classes moyennes blanches. 

René est l’un d’eux. Il a dix ans, a été adopté, habite au dixième étage d’un immeuble dans une grande ville. Il ne ressemble pas à sa mère, les enfants de son âge le rejettent. Ils disent qu’il a été acheté.

Alors, René se laisse happé par les rêves. En pyjama, il part à la recherche de sa peluche Sucre Doux qui s’est enfui. Les rêves l’entraînent dans un univers peuplé d’étranges créatures au contact de qui il se métamorphose lui-même, devenant tour à tour fille, chatte ou arbre.

Et peu à peu, page après page, rencontre après rencontre, la déambulation de René révèle le drame qu’il a vécu. Un voyage entre mythe et réalité, un récit sombre et intense, un graphisme coloré, assurément un choc visuel.

Eric Guillaud

René.e aux bois dormants, d’elene Usdin. 29,50€

© Sarbacane / Usdin

Sélection officielle Angoulême 2022 : Alerte 5 de Max de Radiguès

Après Orignal, La Cire moderne, Bâtard ou encore Simon et Louise, Max de Radiguès est de retour et s’attaque cette fois à la SF. Et sans surprise, avec un égal bonheur.

Alerte 5 raconte comment une attaque terroriste commise contre un vol habité déclenche le passage en alerte 5, le niveau maximum en matière de sécurité, sur tous les sites et dans toutes les missions en lien avec les agences spatiales.

Sur la base martienne, les cinq astronautes reçoivent les consignes face aux menaces extérieures mais aussi intérieures. L’un d’entre eux, Amir, est musulman et donc suspect aux yeux de l’administration…

De la SF comme vous n’en verrez pas beaucoup usant d’un contexte très contemporain, les attentats islamistes et les réflexes racistes. Une histoire singulière, un dessin simple, minimaliste, mais rudement efficace !

Eric Guillaud

Alerte 5, de Max de Radiguès. Casterman. 15€

© Casterman / Radiguès

06 Déc

Morgue pleine : Cabanes adapte une aventure d’Eugène Tarpon, détective privé imaginé par Jean-Patrick Manchette

Après Nada, La Princesse du sang et, Fatale, Max Cabanes poursuit son exploration, mieux son appropriation de l’univers de Manchette avec jamais très loin de lui Doug Headline, le propre fils de l’écrivain, pour un résultat bien évidemment savoureux…

© Dupuis / Manchette & Cabanes

Eugène Tarpon, ça vous cause ? Les prostituées du quartier l’appellent Bogart mais pour être franc Tarpon n’a pas vraiment la classe de l’acteur. Non, Tarpon serait même tout le contraire. Dans la vie, Tarpon était gendarme. Jusqu’à ce qu’il tue un manifestant. Une bavure. Depuis, il joue au détective privé. Il a ouvert son propre cabinet du côté du quartier des Halles à Paris mais les clients ne se battent pas devant la porte. Les enquêtes se font rares, un divorce par-ci par-là, un comptable qui ne sait plus compter… de quoi perdre la foi et décider un beau jour de tout quitter pour retourner chez sa maman.

C’est à ce moment précis que débarque une jeune et jolie fille dans son bureau répondant au doux nom de Memphis Charles. Sa colocataire a été égorgée. Et plutôt que d’appeler les flics qui pourraient l’accuser du meurtre, elle déboule chez Eugène… qui aurait été bien inspiré de ne pas mettre son nez là-dedans. Mais bon, on ne se refait pas…

© Dupuis / Manchette & Cabanes

Vous dire que l’adaptation est ici fidèle ou pas, j’en serais fichtrement bien incapable pour la simple et bonne raison que je n’ai pas lu les livres de Jean-Patrick Manchette et notamment ceux mettant en scène le personnage de Tarpon (je sais c’est mal!), à savoir Morgue pleine et Que d’Os!. Mais l’album, et c’est bien ici ce qui nous importe, est un très bon polar, haut en couleurs mais sacrément noir dans le fond, alliant un scénario dense, et un peu bavard à mon goût, une voix off, celle du héros, omniprésente, une ambiance années 70 bien sentie, un trait vif, sanguin, et bien sûr un personnage principal au charisme de fou, un mec qu’on a envie de suivre plus longtemps.

Après Nada, La Princesse du sang et, Fatale, Max Cabanes poursuit avec bonheur son appropriation de l’univers de Manchette. Doug Headline, le propre fils de l’écrivain, n’est pas crédité en couverture mais a bien mis la main à la patte ou le doigt sur la gâchette pour aider à l’adaptation de Morgue pleine comme il l’avait fait sur les adaptations précédentes. C’est racé, c’est violent c’est bon, très bon, à en souhaiter l’adaptation rapide de Que d’Os!. En attendant, vous pouvez ranger les flingues et courir chez votre libraire le plus proche.

Eric Guillaud

Morgue pleine, de Cabanes et Manchette. Editions Dupuis. 22€