Méga-star de la BD ‘dark fantasy’ des années 90, SPAWN fête cette année son trentième anniversaire. L’occasion de revenir là où tout a commencé avec cette parfaite mise en bouche pour les néophytes de plus de 400 pages dantesques, dans tous les sens du terme.
Le neuvième art adore regarder dans le rétroviseur. Mais autant la BD des années 40 aux années 70 a désormais une patine indéniable et un vrai public, autant les deux décennies qui ont suivi sont encore un peu bloquées dans le triangle des Bermudes, comme si on refusait de se dire que, oui, tout cela s’est passé il y a désormais plus de trente ans… On a donc un peu oublié que le canadien Todd McFarlane et surtout son personnage fétiche SPAWN (‘rejeton’ dans la langue de Shakespeare) a régné sans partage dans la première moitié des 90’s sur le monde de la BD indé US. Un rayonnement dû aussi bien à la capacité de ce démon à bousculer les codes très politiquement correct d’alors (le ‘héros’ était à la base un salaud vérifié dont le boulot était d’assassiner pour le compte du gouvernement avant de signer un pacte avec le Diable) qu’à l’excellent sens du business de McFarlane qui, très tôt, a diversifié ses activités avec du merchandising, des jeux vidéo, des pochettes d’albums de rock/metal (Korn, Iced Earth etc.) et autres.
Bon, au final, cette insolente domination n’a pas vraiment dépassé les années 2000. Beaucoup pense d’ailleurs que sa chute a été provoquée par une très foireuse (et encore, on reste poli) première adaptation ciné en 1997. McFarlane lui-même l’a avoué à moitié et il n’a de cesse de vouloir réparer ce tort depuis. Décidé à repasser par la case ciné (il aurait un nouveau script de prêt, avec l’acteur Jamie Foxx dans le rôle-titre) il profite du trentième anniversaire de la ‘marque’ pour la relancer. D’où ce beau recueil réunissant les quinze premiers épisodes de la série. Et c’est la baffe.
Certes, il y a d’abord ce casting prestigieux, McFarlane ayant invité ses ‘copains’ Alan Moore, Neil Gaiman ou Frank Miller a scénarisé chacun un épisode. Mais surtout c’est dans la forme qu’on se rend compte à quel point SPAWN a complètement redistribué les cartes des comics de super-héros : couleurs foisonnantes, pleines pages dantesques et sens du récit grandiloquent s’autorisant de nombreuses sorties de pistes. Le style McFarlane, c’est celui de tous les superlatifs. En même temps, comment faire autrement avec une telle matière ?
Le plus frappant chez lui, c’est le décalage entre le style graphique parfois presque cartoonesque et le propos ultra-nihiliste. Entre une société pourrie jusqu’à la moelle, des méchants plus pervers les uns que les autres (le dessinateur ose même briser un tabou en mettant en scène un tueur d’enfants, clairement inspiré par le tueur-en-série John Wayne Gacy) et un gouvernement corrompue, SPAWN en devient presque beauté avec sa plastique maléfique envoûtante. Mais avant d’être revêtu de ce costume intégral, de cette longue cape rouge et de ses chaînes volantes, il était Al Simmons, super soldat qui avait accepté de faire le sale job sans trop se poser de questions. Assassiné par les siens, il a alors passé un marché de dupe avec le démon Malebolgia : son âme et la promesse de mener les troupes de l’enfer lors du prochain Armageddon, à condition de pouvoir revoir sa femme. La série commence par sa renaissance et la découverte progressive de ses pouvoirs mais aussi du prix qu’il va devoir payer…
Violent aussi bien sur le plan psychologique que graphique, voire carrément gore dans certains cas, SPAWN a imposé d’entrée un style bien à lui, encore très actuel trente ans après. Tout est acéré, criard, hypertrophié avec des personnages qui ont des ‘gueules’ comme on dit. Mieux : on se rend compte à quel point avec sa patte a priori outrancière ce petit poucet de l’édition a fini par imposer une nouvelle norme que les géants MARVEL et DC COMICS, d’abord réfractaires, vont finir par adopter, faisant prendre à leur tour à leurs séries un virage plus ‘adulte’.
SPAWN, c’est la nouvelle BD indé des 90’s, noire et ultra-réaliste, qui prend le pouvoir. Mais aussi le parfait reflet de la génération X qui l’a porté aux nues. C’est surtout l’avènement d’un auteur et d’un style XXXL très excessif qui résonne encore aujourd’hui. Â noter pour les collectionneurs que contrairement à la première réédition en intégrale de 2006, cette version contient les épisodes 9 et 10, plus une postface assez révélatrice où McFarlane a ressorti des placards les tous premiers croquis de travail du personnage, alors qu’il était encore adolescent.
Olivier Badin
Spawn – édition spéciale 30ème anniversaire, de Todd McFarlane. Delcourt. 39,95 €