26 Nov

Le coin des mangas. Sous le ciel de Tokyo, 12 ans, Masked Noise et Dream Team

9782344025246-GVoilà déjà le dixième volet de ce qui devait être au départ qu’une histoire courte. L’auteure, Nao Maita, n’en revient pas elle-même remerciant en dernière page ses lecteurs et surtout ses lectrices auquelles s’adresse ce manga des éditions Glénat. Une bouille toute ronde, des yeux écarquillés, des couettes, Hanabi Ayase, 12 ans, a su conquérir le coeur des filles avec des histoires qui tentent d’apporter des réponses aux questions qu’on peut se poser à cet âge-là autour des relations amoureuses et plus largement de la vie. Dans cet épisode, le mariage de sa prof fait réfléchir Hanabi sur son propre avenirMasked-Noise d’autant qu’elle n’a pour l’instant pas de buts précis contrairement à ses camarades… (12 Ans tome 10, shōjo, Glénat, 6,90€)

Bienvenue dans le monde – parfois impitoyable – de la musique avec ce manga de Ryoko Fukuyama, auteure dont on avait déjà pu apprécier le style graphique racé dans les séries Monochome Animals, 12 volumes parus chez Glénat, et Nosatsu Junkie, 12 volumes également chez Panini Comics. Masked Noise parle beaucoup de musique, de concerts, de mélodies mais offre aussi une intrigue amoureuse autour de trois personnages, les garçons Momo et Yusu, et la jeune adolescente qui rêve de devenir chanteuse, Nino. Dans ce huitième épisode, Yusu et Nino ont rendez-vous avec un duo à la réputation grimpante pour leur écrire dream-team-manga-volume-45-simple-293433une chanson… (Masked Noise tome 8, shōjo, Glénat, 6,90€)

Changement de style graphique, changement d’univers et changement de cible pour ce manga signé Takeshi Hinata dont voici le double volume 45/46 sur 48 prévus. On entre ici dans le monde du basket ball avec des personnages attachants qui se donnent à fond dans leur sport. Après deux matchs d’absence, on retrouve Momoharu sur le terrain. Galvanisée par l’entrainement de choc qu’elle a suivi auprès de Jonan, l’équipe semble fin prête à affronter Myoin…(Dream Team tome 45 et 46, shōnen, Glénat, 10,75€)

On termine avec le premier volet de Sous le ciel de Tokyo de Seiho Takizawa. Ce manga s’adresse aux jeunes adultes. Il raconte le quotidien d’un couple sousLeCielDeTokyoT1pendant la seconde guerre mondiale. En 1943, le capitaine Shirakawa, pilote de chasse, rentre enfin au pays après avoir combattu un peu partout dans le monde, notamment dans le ciel birman. Il est désormais affecté à la division des essais aériens de l’armée impériales à proximité de sa maison et de sa femme. Bien que soulagé de s’éloigner des zones de combat à un moment où le Japon perd en capacités face aux Américains, Shirakawa a peur, après tant d’années, de se retrouver comme un étranger chez lui… Un trait délicat, une histoire qui devrait passionner les amateurs de récits de guerre, on attend le deuxième épisode avec impatience. (Sous le ciel de Tokyo tome 1, seinen, Delcourt Tonkam, 7,99€)

Eric Guillaud

Hip Hop Family Tree ou l’histoire du rap américain sous la plume et les pinceaux du génial Ed Piskor

HipHop3-couv-HDL’affaire n’était pas gagnée d’avance mais la saga Hip Hop Family Tree a trouvé une large résonance de ce côté-ci de l’Atlantique dès la publication du premier volet dont je vous avais parlé ici. À tel point que la série a été sélectionnée à Angoulême en 2017, l’imposant du coup comme une référence auprès des amoureux du rap comme auprès des amoureux du neuvième art. Pour peu que vous soyez fans des deux en même temps, c’est tout bon !

Avant d’être sélectionnée sur les terres charentaises, la saga avait été auréolée d’un prestigieux Eisner Award aux Etats-Unis en 2015 dans la catégorie de la meilleure série inspirée de la réalité. Voilà pour les prix, de quoi vous rassurer si vous doutiez encore du sérieux de l’affaire. Pour le reste, Hip Hop Family Tree raconte ni plus ni moins l’épopée du hip hop, depuis ses débuts dans les années 70 autour des soirées de Dj Kool Herc dans un South Bronx en ruine. DJ Kool, c’est le gars qui a inventé la technique du « Merry-go-Round » (jouer avec deux disques identiques sur deux platines différentes). Ce qui va profondément changer la face du monde, tout au moins du monde de la musique.

Avec un bon tempo, un album tous les six mois, les éditions Papa Guédé nous livrent cette saga en français, le troisième volet consacré aux années 1983 et 1984 vient de sortir, à point pour Noël.

Le rap gagne du terrain, nous dit en ouverture de ce troisième opus Ed Piskor, la preuve « ces punks de Beastie Boys décident de s’y mettre et, après avoir vu le Rock Steady Crew au Roxy, ils en adoptent l’attitude en s’inventant des surnoms qu’ils impriment sur leurs t-shirts Carvel Ice Cream ».

Les Beastie Boys mais aussi Afrika Bambaataa, Jazzy Jay, Run DMC, le label anglais Jive Records, les films Wild Style et Style Wars, Chucky D, Ice-T, Fat Boys, Blondie, oui Blondie, dont le morceau de rap Rapture fut longtemps le seul clip de rap diffusé à la télévision… tous ceux qui comptent à l’époque et vont permettre au rap d’investir peu à peu les maisons de disques, les médias, de gagner toute la planète et tous les esprits, sont réunis dans ce nouvel album, le troisième des six qui seraient prévus par l’auteur.

Plus qu’une bande dessinée, Ed Piskor écrit, mine de rien, une encyclopédie en images de la culture hip hop, avec une touche vintage dans le graphisme et la présentation générale qui nous ramène plus encore au siècle passé. Une saga incontournable pour tous ceux qui sont dans le mouv’ et les autres.

Eric Guillaud

Hip Hop Family Tree, d’Ed Piskor. Éditions Papa Guédé. 26€

 © Papa Guédé / Ed Piskor

© Papa Guédé / Ed Piskor

25 Nov

Emma G. Wildford : une histoire de caractère signée Zidrou et Edith

emmaGWildfordEmma G. Wildford jette du noir sur le blanc, c’est sa façon à elle de dire qu’elle écrit. Des poèmes. Dans sa famille, on la prend au mieux pour une rêveuse, au pire pour une écervelée. Elle fait preuve en tout cas d’un sacré caractère et de beaucoup d’obstination…

Beaucoup d’obstination à garder la fraîcheur de sa jeunesse quand sa sœur et son affreux mari ne parlent plus de que de sujets graves et ennuyeux. Chose inhabituelle en Essex où se joue ce récit d’Edith et Zidrou, Il fait très chaud, c’est la canicule, depuis des semaines. Alors pourquoi s’embarrasser de vêtements ? Emma se déshabille. Nue, elle plonge dans la fontaine. Elle est comme ça Emma. Un peu de légèreté dans un monde brutal. Et elle en sait quelque chose Emma. Depuis 14 mois maintenant, son fiancé Roald, parti en expédition du côté de la Laponie, n’a pas donné signe de vie. Sauf cette lettre qu’il lui a envoyée, une lettre à n’ouvrir que si et seulement si il lui arrivait malheur.

Emma ne peut s’y résoudre. Elle n’ouvrira pas l’enveloppe mais décide contre l’avis de tous de partir à sa recherche. Direction la Suède puis la Laponie où la quête de son amoureux va prendre une tournure inattendue.

Avec son trait délicat et aérien et ses récits toujours humains et sensibles, Edith nous a habitué à l’excellence. Ce nouvel album n’y déroge pas, l’histoire signée Zidrou est tout simplement exquise, le dessin de toute beauté et l’objet en lui-même un petit bijou ultra-léché, avec couverture en trois volets aimantés, pages de garde aux motifs élégants et pour finir plusieurs éléments qui, glissés entre les pages du livre (photo, ticket d’embarquement et lettre), finissent par nous happer totalement. Magnifique !

Eric Guillaud

Emma G. Wilford, de Zidrou et Edith. Editions Soleil. 19,99€

 © Soleil / Zidrou & Edith

© Soleil / Zidrou & Edith

21 Nov

Marsupilami, Game Over, Louca, Kid Paddle, Frigiel et Fluffy, Game of Crowns, Buck Danny, Les Tuniques bleues… les héros jeunesse prêts pour Noël

Ils sont dans les starting blocks nos héros, prêts à dégainer leur plus beau sourire pour appâter le chaland venu arpenter les allées de nos librairies préférées. L’occasion de faire le point sur quelques nouveautés incontournables…

IMG_1431

On commence avec le Marsupilami, un personnage légendaire créé par André Franquin en 1952. On peut le croiser régulièrement dans les aventures de Spirou et Fantasio avant qu’il devienne à son tour le héros d’une série bien à lui en 1987 et une vedette du cinéma en 2012 grâce au film Sur la piste du Marsupilami réalisé par Alain Chabat. Le revoici en BD dans un recueil paru aux éditions Dupuis. Dix-huit auteurs y ont participé, de Bertolucci à Cossu, en passant par Reynès, Munuera ou encore Lapuss, dix-huit auteurs 9782800173535-couv-M800x1600je disais, autant de styles graphiques et de visions de la bestiole. Une belle initiative qui se développera sur deux volumes. (Marsupilami histoires courtes tome 1, Dupuis, 19€)

On continue avec une nouvelle série mettant en scène des héros aux formes cubiques dans un décor de pixels, bienvenue dans l’univers Minecraft autour des aventures de deux stars de YouTube Frigiel et Fluffy. Frigiel est un personnage de jeu mais c’est aussi l’un des joueurs les plus connus de la communauté française Minecraft, il co-scénarise d’ailleurs ces premières aventures sur papier avec Jean-Christophe Derrien. Si le dessin et les histoires ne vous causent pas, c’est que vous êtes trop vieux. Les enfants, eux, adorent cet univers qui associe aventure, humour et fantasy. (Frigiel & Fluffy tome 1, Soleil, 10,95€)frigielEtFluffyT1

L’apparition de Louca dans les pages du journal Spirou en 2012 puis en album en janvier 2013 avait fait sensation au point de prédire assez facilement une belle carrière à ce personnage et à son auteur, Bruno Dequier, transfuge du monde de l’animation, qui réalisait là un premier album BD remarquablement fin, drôle, très drôle même et graphiquement enlevé. Et Louca est toujours là, mieux, il revient avec un cinquième album, en à peine cinq ans. L’histoire ? Celle d’un ado paresseux, mauvais élève, menteur et maladroit avec les filles – rien d’un super héros en somme – qui voit sa vie changer grâce à Nathan, un fantôme qui lui veut du bien. (Louca tome 5, Dupuis, 10,95€)

9782800167893-couv-M800x1600Eux ne sont pas des perdreaux de l’année, pas même de la décennie, bientôt 50 ans d’activité pour Les Tuniques Bleues, 61 albums au compteur et toujours le même plaisir de retrouver le dessin minutieux de Lambil et les scénarii inspirés de Cauvin. Cette fois, les deux compères ont décidé de nous raconter une histoire vraie, celle de Sarah Emma Edmonds qui, déguisée en homme sous le pseudonyme de Franklin Flint Thompson, a servi l’Armée de l’Union et notamment infiltré les troupes ennemies. Une série qui appartient déjà à la légende ! (Les Tuniques bleues, tome 61, Dupuis, 10,95€)

D’un côté Kid Paddle, 24 ans d’existence, 15 tomes parus, 7 millions d’albums vendus, de l’autre Game Over, spin-off de Kid Paddle, 13 ans d’âge, 16 tomes au compteur, plus d’1,5 million d’exemplaires vendus, et au centre un auteur belge, heureux, enfin on peut le penser, Midam, devenu en quelques années un 501 KID PADDLE T15[BD].inddpilier de la bande dessinée humoristique franco-belge. Et ce pilier termine l’année en beauté en ajoutant une nouvelle pierre à chaque édifice sans essoufflement, sans fatigue, les doigts dans le nez. (Game Over 16 et Kid Paddle 15, de Midam, Glénat. 10,95€ chaque)

Attention, Game of crowns offre une avalanche de gags plus loufoques que crétins. Ce n’est pas moi qui le dit mais l’éditeur lui-même. Et c’est vrai que cette nouvelle série publiée chez Casterman a tout du complètement foldingue, du radicalement déjanté, du foncièrement barré. Avec une histoire tout de même, la guerre entre sept clans qui règnent sur sept royaumes, et un titre qui pourrait bien vous rappeler quelque chose. (Game of crowns tome 1, Casterman, 9,95€)

9782800171036-couv-M800x1600On termine avec un vieux monsieur qui arrive aujourd’hui précisément dans sa 70e année de carrière dans l’aéronautique, oui oui, et pourtant toujours frais et dispo pour se mettre au service des gentils, je veux parler du célèbre Buck Danny. Le personnage créé par Victor Hubinon au dessin et Jean-Michel Charlier au scénario est de retour pour le deuxième et dernier volet d’une aventure vieille de quasi vingt années, Les Oiseaux noirs, écrite partiellement par Jean-MIchel Charlier avant qu’il décède, dessinée en partie par Bergèse, reprise par Buendia et Zumbiehl au scénario et Le Bras au dessin dans un esprit « à la manière de » que les inconditionnels du personnage apprécieront. (Les Oiseaux noirs tome 2, Dupuis. 12,95€)

Eric Guillaud

19 Nov

Mirages : une exceptionnelle biographie en images de Will réalisée par Vincent Odin pour les éditions Daniel Maghen

9782356740533Les éditions Daniel Maghen nous ont habitué depuis une bonne dizaine d’années à la production de très beaux livres, qu’il s’agisse de bandes dessinées originales ou de biographies en images. En voici justement une nouvelle consacrée à l’immense dessinateur et scénariste belge Willy Maltaite, alias Will…

Bien sûr, pour la plupart des amateurs de bandes dessinées, Will est avant tout associé aux personnages Tif et Tondu dont il anima les aventures de 1949 à 1991 aux côtés de plusieurs scénaristes dont Fernand Dineur le créateur, Maurice Rosy, Maurice Tillieux ou encore Stephen Desberg. Mais Will, c’est aussi le dessinateur d‘Isabelle entre 1968 et 1995 et l’auteur de trois one shot plus adultes qu’il écrivit sur la fin de sa carrière, Le Jardin des désirs, La 27e lettre et L’Appel de l’enfer, trois albums réédités en intégrale sous le titre de Trilogie avec Dames.

Et c’est là que le talent de Will a peut-être été le plus incroyable, dans son approche de la gent féminine. D’abord avec l’héroïne Isabelle lancée à une époque où les premiers rôles féminins étaient rares, avec cette Trilogie avec Dames, puis avec ces peintures, ces croquis, à l’érotisme subtil.

« Les femmes sont des créatures trop belles pour être traitées en noir et blanc… Je rêvais de les mettre en couleurs, de les parer de mille feux puis de les entraîner dans mon jardin nocturne… », écrivait Will au moment de la parution du Jardin des désirs.

Cette Biographie en images de plus de 400 pages nous montre tout le génie de cet homme à commencer bien sûr par ces dessins de femmes. « Will a retardé autant qu’il a pu le moment de faire de la bande dessinée… », écrit Vincent Odin au début de l’ouvrage, « ce qu’il voulait, c’était peindre des femmes, jolies de préférence ». Et cette biographie comme il précise ensuite s’ouvre et se ferme sur des portraits de femmes. Mais on y trouve aussi, bien évidemment, des illustrations de couverture, des recherches graphiques, des planches de Tif et Tondu ou Isabelle, des contes illustrés, des peintures…

Un livre exceptionnel qui arrive à point pour Noël. Une exposition de dessins originaux de l’auteur est en outre proposée aux Parisiens du 24 novembre au 16 décembre à la galerie Maghen. En librairie le 23 novembre.

Eric Guillaud

Mirages, Biographie en images de Will. Éditions Daniel Maghen. 59€

18 Nov

Bug : entre chaos planétaire et effondrement numérique, la fin de l’humanité selon Enki Bilal

Capture d’écran 2017-11-16 à 20.48.38Tout a disparu, tous les réseaux sociaux, tous les disques durs du plus gros serveur à la plus petite clé USB, toutes les données, toutes les archives, toute la mémoire du monde, nous sommes en présence d’un Bug Numérique Généralisé. Conséquence directe et immédiate, l’humanité est dans la merde!

« L’humanité est dans la merde et on imagine mal à quel point », déclare un protagoniste de ce récit signé Enki Bilal. Et c’est vrai qu’on a du mal à imaginer les conséquences d’une fin brutale du règne numérique. On a réussi à s’en passer pendant des siècles, des millénaires, serions nous capables de nous en passer aujourd’hui et encore plus demain ? Pas sûr du tout.

Et si on a du mal à imaginer ce monde replongé dans l’obscurité, Enki Bilal, lui, l’imagine très bien dans ce récit incroyable, un thriller d’anticipation qui nous embarque en 2041. 24 ans nous séparent, le numérique a fini par s’imposer partout dans notre quotidien. Plus une vie ne passe à côté. Il enseigne, il soigne, il nourrit, il cultive, il transporte, il garde en mémoire… et puis c’est le bug, le black-out, le chaos. Ascenseurs bloqués, automobiles à l’arrêt, banques attaquées, bijouteries pillées, aéronefs en perdition, le monde est paralysé, pire, il est amnésique.

Dans ce chaos, un homme, le cosmonaute Kameron Obb, unique survivant d’une mission sur Mars, revient sur Terre avec un alien en lui, un espèce de bug extraterrestre qui s’est posé sur ses cervicales. Et surtout, l’homme souffre d’une hypermnésie singulière, comme si toutes les données numériques, toute la mémoire du monde avaient migré dans son cerveau. C’est Internet à lui tout seul !

Et c’est là que le récit de science fiction tourne au thriller car, bien sûr, cet homme devient l’objet de toutes les convoitises. Et il n’y a pas que sa femme et sa fille qui attendent son retour avec impatience…

Ça va peut-être vous sembler étrange, tant Enki Bilal est connu et reconnu comme l’un artistes majeurs du neuvième art et au-delà, mais je ne fais pas partie de ses inconditionnels en terme d’univers, surtout dans ces productions les plus récentes. Mais cette fois, j’ai mordu à l’hameçon de la plus belle façon, dès la première page de l’album, quasiment dès la couverture. L’auteur de Partie de chasse, des Phalanges de l’ordre noir ou de La trilogie Nikopol pose à travers ce récit un regard plus accessible et malgré tout très affûté sur ce monde, notre monde, capable de confier toute sa mémoire à des machines. Car c’est bien là le thème central de ce récit, la mémoire, avec tout ce qu’elle a d’essentiel pour la bonne marche de l’humanité. Un album incontournable !

Eric Guillaud

Bug, de Bilal. Éditions Casterman standard 18€, édition luxe 30€

 © Casterman / Bilal

© Casterman / Bilal

15 Nov

Le Livre des livres : Marc-Antoine Mathieu à l’ouvrage…

livreDesLivresUne chose est certaine avec Marc-Antoine Mathieu, c’est qu’on est certain de rien. Chacun de ses livres est un coup de génie dans le Neuvième art, inattendu, étonnant, déroutant, questionnant, vertigineux. Celui-ci est même au dessus de tous puisque c’est Le Livre des livres…

Si Marc-Antoine Mathieu n’existait pas, il faudrait l’inventer ! C’est le constat qu’on est tenté de dresser à chacune de ses publications, à chaque fois un régal d’expérimentations narratives, une exploration sans fin des possibilités offertes par la bande dessinée. En voici un nouvel exemple avec cet gros pavé qui ne fait pourtant que 50 pages mais 50 pages cartonnées comme celles qu’on peut trouver dans les ouvrages pour très jeunes enfants.

Ne vous y trompez pas toutefois, Le Livre des livres n’est pas un ouvrage jeunesse, plutôt un livre pour grands réunissant des couvertures de livres imaginaires qui ont tout de vraisemblables.

« Le Grand Entrepôt des albums imaginaires renfermait toutes les couvertures des livres en attente de leur récit. Un jour l’entrepôt brûla (…) Des couvertures échappèrent miraculeusement à la destruction. Le Livre des livres en réunit quelques-unes. »

Voilà pour l’histoire qui habille le recueil, relie toutes les couvertures entre elles et fait que nous restons encore dans l’univers du neuvième art.

Pour le reste, chaque couverture propose une autre histoire, sa propre histoire, avec son titre, ses auteurs, son éditeur, son texte de présentation, parfois ses chapitres et bien sûr son illustration. À vous d’imaginer le récit qui va avec…

Minutieuses et réfléchies, ces compositions permettent de retrouver tout le talent graphique et narratif de Marc-Antoine Mathieu, mais aussi son attirance pour les univers décalés, insolites, fantastiques, absurdes, kafkaïens. Et c’est toujours un pur bonheur !

Pour les Parisiens permanents ou de passage dans le paysage, la galerie Huberty Breyne, 91 rue Saint-Honoré, vous invite à découvrir du 17 novembre au 16 décembre l’intégralité des dessins originaux qui composent Le Livre des livres, l’occasion d’admirer au plus près la finesse du trait de l’auteur.

Eric Guillaud

Le Livre des livres, de Marc-Antoine Mathieu. Éditions Delcourt. 27,95€

 © Delcourt / Mathieu

© Delcourt / Mathieu

12 Nov

D’en haut, la terre est si belle : une histoire d’amitié sur fond de guerre froide et de course aux étoiles signée Toni Bruno

Capture d’écran 2017-11-10 à 20.12.02Un cosmonaute soviétique suivi par un psychologue américain en pleine guerre froide, alors que Russes et Américains se livrent une course aux étoiles sans pitié, c’est l’histoire pas banale de ce roman graphique signé par l’auteur italien Toni Bruno chez Glénat…

L’Union soviétique aime ses héros. Et habituellement, ses héros le lui rendent bien. Le chouchou du moment s’appelle Akim Smirnov, il est cosmonaute et n’a peur de rien. Ou plus exactement n’avait peur de rien. Car depuis sa dernière mission dans l’espace, quelque chose est cassée en lui. Et pas sûr qu’il reprenne un jour le chemin de la rampe de lancement. Nul ne sait d’où ça vient, pas même lui. Alors bien sûr, c’est embêtant, très embêtant, à la fois pour les responsables de la Cité des étoiles et plus largement pour les cadres du parti communiste. Que faire d’un héros qui n’est plus un héros ? Il faut le remettre debout. Et pour ça, il n’y a qu’un homme capable d’un tel miracle, c’est Franklin Jones, un psychologue américain…

Oui, vous avez bien lu, un psychologue américain appelé à la rescousse pour soigner un cosmonaute russe et ce en pleine guerre froide, en pleine course à la conquête de l’espace. Mais d’où l’auteur peut-il tenir un tel scénario ? De son imagination fertile très certainement. L’Italien Toni Bruno, que certains connaissent peut-être déjà de ce côté-ci des Alpes pour son roman graphique Kurt Cobain – When I was an alien paru au début de l’année chez Urban Comics, nous offre un petit bouquin, de plus de 200 pages tout de même, au format très agréable, à la présentation générale soignée, au graphisme élégant, au scénario captivant, bref une bonne pioche pour tous ceux qui aiment les histoires humaines sur fond historique. Une belle histoire d’amitié qui fait fi des frontières qui, d’en haut, ne se voient pas !

Eric Guillaud

D’en haut, la terre est si belle, de Toni Bruno. Éditions Glénat. 20€

Capture d’écran 2017-11-10 à 20.13.14

08 Nov

L’Écorce des choses : Cécile Bidault nous plonge avec émotion et pédagogie dans le quotidien d’une enfant sourde des années 70

Habituellement, les bandes dessinées muettes répondent à une recherche stylistique, l’album de Cécile Bidault paru aux éditons Warum? l’est par la force des choses, son personnage principal, une petite fille, est sourde et muette…

IMG_1412

Pas de bulles ou tout au moins des bulles blanches, vides, figurant les paroles échangées entre son père et sa mère qu’elle ne peut entendre. La petite fille de ce récit souffre de surdité sévère. Pas de bulles mais quelques mots tout de même de cette petite fille, et narratrice, en ouverture de l’album pour nous planter le décor. « Je n’ai jamais pu entendre. Quand j’avais neuf ans, mes parents ont déménagé à la campagne… ». Voilà pour l’essentiel!

C’est à ce moment précis du déménagement que l’histoire commence. Nous sommes en été, la petite fille, déjà isolée par son handicap, se retrouve sans repères, dans une nouvelle maison, un nouvel environnement, coincé entre une mère désemparée et un père au mieux maladroit, tentant de lui faire prononcer des lettres de l’alphabet, au pire complètement absent.

 © Warum? / Bidault

© Warum? / Bidault

Peu à peu, la petite fille explore sa nouvelle maison, le grenier tout d’abord où elle découvre un vieux poste radio qu’elle allume et serre contre sa poitrine pour ressentir les vibrations. Le jardin ensuite et ses alentours. C’est là qu’elle croise un jeune garçon qui va devenir son copain de jeu et partager son quotidien. Les saisons passent ainsi, les  bons moments, les mauvais aussi…

Elle voit qu’il se se dit des choses importantes autour d’elle, à la télévision, chez elle quand son père et sa mère se disputent, mais elle ne peut comprendre. Pire, elle ne peut intervenir.

Et la langue des signes me direz-vous ? Oui bien sûr, sauf que l’histoire se déroule dans les années 70 et que, comme nous le rappelle un bref historique placé à la fin de l’album, la langue des signes était interdite jusqu’en 1976 et qu’il faut attendre 1991 pour que la loi Fabius autorise son enseignement aux enfants sourds. Ça peut paraître dingue aujourd’hui mais c’est la réalité.

Le parti pris d’une bande dessinée muette place de fait le lecteur dans la peau et la tête de la petite fille. Alors forcément, le récit est troublant, riche en émotions, il est surtout très pédagogique. C’est « une invitations à la tolérance, au respect des différences et à l’ouverture aux autres… », écrit en préface Élodie Hemery, Directeur de l’institut national de jeunes sourds de Paris. Et on pourrait ajouter : sans être ennuyeux une seconde. Car L’Écorce des choses est avant tout un récit qui se lit comme une fiction, une très belle fiction, à la narration subtile et au graphisme délicat ! Lu et adoré.

Eric Guillaud

L’Écorce des choses, de Cécile Bidault. Éditions Warum?. 20€

 © Warum? / Bidault

© Warum? / Bidault

07 Nov

Elric : une nouvelle adaptation épique et grandiose chez Glénat

elric couvElric : enfin une adaptation à la hauteur de la légende de l’heroic fantasy, quarante-cinq ans après le premier coup de maître de Philippe Druillet

On va dire que c’est la faute de cette adaptation en jeu de rôles dans les années 80 qui lui a fait autant de bien que de mal au final. Du bien parce qu’elle a permis de populariser le personnage le plus flamboyant sorti de l’imagination pourtant luxuriante de l’auteur anglais d’heroic-fantasy Michael Moorcock. Mais du mal aussi parce qu’il a perdu au passage une partie de sa superbe car alors trop résumé à ses quelques traits les plus marquants et donc un chouia caricaturé. Car Elric de Melniboné n’est ni un héros ni un chevalier servant sur son blanc destrier mais bien un monarque sadique et égoïste que l’on pourrait plus rapprocher à la limite d’un Vlad Tepes et toute la force de cette nouvelle adaptation bédé est, justement, de lui rendre enfin justice.

 © Glénat / Blondel, Poli, Recht & Bastide

© Glénat / Blondel, Poli, Recht & Bastide

C’est loin d’être la première mais ce n’est pas pour rien que l’affiliation graphique avec Philippe Druillet – qui le premier tenta sa chance en 1971 en collaboration directe avec Moorcock – saute aux yeux d’entrée ici. Dès les premières planches du Trône du Rubis, on est propulsé dans un monde noir, acéré de partout, violent et sans pitié au bestiaire démoniaque, celui des Ménilbonéens, race aristocratique régnant sans pitié sur le monde mais en pleine décadence. Albinos et malade mais aussi cruel et raffiné, leur souverain Elric est malgré tout trahi par son ambitieux cousin Yrkoon. Pour se venger, il vend son âme à Arioch le Dieu du Chaos qui lie alors son destin à Stormbringer, épée magique et insatiable buveuse d’âme qui demande toujours de tueries et qui entraînera sa perte. Loin, très loin de l’univers limite Bisounours en comparaison d’un Seigneur des Anneaux ou même d’un Conan, ici on vit et on meurt au gré des désirs des rois et des dieux, sans justice ni pitié…

 © Glénat / Blondel, Poli, Recht & Bastide

© Glénat / Blondel, Poli, Recht & Bastide

Ils s’y sont pris à trois pour arriver à ce résultat – quatre si l’on compte le scénariste Julien Blondel – mais il est assez bluffant car épique et grandiose à la fois. Si de nombreuses pleines pages accentuent le souffle et la noirceur qui s’en dégagent, c’est bien le refus des auteurs de sombrer dans le manichéisme et leur façon assez subtile de tour à tour sublimer leur héros avant de le jeter dans des abîmes de doutes et de souffrances qui donne toute sa force au récit. Il y a toujours eu quelque chose de très Shakespearien chez ce personnage, notamment son côté maudit, et c’est la première fois où il transpire autant. Même s’ils se sont permis quelques libertés par rapport aux originaux (les fans doivent s’attendre à une belle surprise à la fin du tome 3), ils finissent quand même par sublimer l’œuvre de Moorcock plutôt que de la dénaturer, redonnant à Elric toute sa profondeur et sa complexité. Attendu pour le printemps prochain, le quatrième et dernier tome devrait donc être dantesque !

Olivier Badin

Elric 1. Le Trône de Rubis, 2. Stormbringer et 3. Le Loup Blanc, Glénat BD, 14,95 €