08 Avr

Les Ovniens : un bouquin venu d’ailleurs signé Jean-Luc et Philippe Coudray

Jamais vu des trombines pareilles, encore moins des soucoupes volantes de ce modèle-là. À se demander si cette bande dessinée parue à La Boîte à Bulles a bien été imaginée par des Terriens. On la dit signée par Jean-Luc et Philippe Coudray. Je demande à voir leurs passeports…

Depuis que j’ai ouvert Les Ovniens, impossible de me sortir de la tête une chanson de Pierre Vassiliu dont les paroles donnent à peu près ça…

« Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ? Complètement toqué, ce mec-là, complètement gaga Il a une drôle de tête ce type-là, Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a ?, Et puis sa bagnole les gars, Elle est drôlement bizarre les gars, ça s’passera pas comme ça… »

De fait, Les Ovniens nous offre un défilé d’extra-terrestres comme on n’en a jamais vu. Ils peuvent être verts, jaunes, oranges ou bleus, en un ou plusieurs morceaux, avec des jambes ou pas, des bras ou pas, une tête et rien d’autre ou pas vraiment de tête… Mais le pire est ailleurs, dans leur moyen de locomotion, des soucoupes volantes qui ressemblent ici à un couvercle de casserole, là à un presse-agrumes, plus loin à un bol, encore plus loin à un moulin à café. Bref, du grand n’importe quoi façon outils de cuisine !
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Et c’est justement ça qui est drôle, ce grand n’importe quoi alimente une soixantaine de gags avec des extra-terrestres parfois pacifiques, parfois belliqueux, toujours attérrés par notre mode de vie et ce que nous avons fait subir à notre planète. un récit léger et clairvoyant !
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Eric Guillaud

Les Ovniens, de Jean-Luc et Philippe Croudray. La Boîte à bulles. 9€

© La Boîte à bulles / Jean-Luc et Philippe Coudray

05 Avr

Trois questions à… Véro Cazot autour de son album Les Petites distances réalisé avec Camille Benyamina

Il y a à peine six mois, la scénariste Véro Cazot se faisait remarquer avec Betty Boob ou le parcours de reconstruction d’une jeune femme ayant perdu son sein gauche, son job et son mec, album mis en images par Julie Rocheleau. Elle revient avec Les Petites distances en compagnie cette fois de la dessinatrice Camille Benyamina, un récit un peu plus léger en apparence qui tient autant de la comédie sentimentale que du récit fantastique. Son titre : Les Petites distances. Interview…

Véro Clazot

Quel a été le déclic de cette histoire ?

Véro Cazot. Je voulais raconter une histoire d’homme invisible plus intime et plus psychologique que celles que j’ai pu lire ou voir jusqu’ici. J’avais envie d’écrire une histoire fantastique très ancrée dans le réel, le quotidien et sous forme de comédie sentimentale. Mon homme invisible n’est pas victime d’une expérience scientifique ou d’un phénomène spectaculaire. C’est juste quelqu’un qui n’arrive pas à s’affirmer, à trouver sa place dans le monde et qui sombre peu à peu dans l’oubli jusqu’à disparaître totalement de la vue et de la mémoire des gens. Il ne peut rien faire de magique et n’a pas de pouvoir sur les choses matérielles. (Par exemple, s’il prend un chapeau, on ne voit pas le chapeau se déplacer dans le vide : le chapeau ne fait que se dédoubler pour devenir une image immatérielle). Le seul pouvoir de Max est de toucher nos sens, notre inconscient, de provoquer par des actions subliminales des douleurs, des émotions, de la joie ou du désir, tout ce qu’on ne peut pas toujours expliquer.

© Casterman / Cazot & Benyamina

J’avais envie d’explorer les avantages et les limites d’être invisible d’un point de vue purement humain. Découvrir une personne dans toute sa vérité, débarrassée de tout masque social parce qu’elle ne nous voit pas est une expérience aussi merveilleuse qu’ambigüe. Tomber amoureux d’une personne qui ignore tout de notre existence est une limite. Éveiller en elle un désir que seul un corps matériel peut combler en est une autre.

C’est comme ça qu’est née l’idée de départ : Comment un homme effacé va apprendre à s’affirmer et se connaître en devenant invisible. Et comment une femme qui a peur de tout et de tout le monde va prendre confiance en elle et en l’Autre au contact de cet homme invisible. Et enfin comment cette relation ne peut être que bancale et incomplète quand le désir entre en scène et que Léonie commence à être attirée par d’autres hommes, physiques et palpables.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans l’écriture et peut-être dans la réalisation graphique de l’album ?

Véro Cazot. Être compréhensible dans mon concept de vie à deux à sens unique. Il fallait absolument que cette intrusion de Max dans l’intimité de Léo ne soit pas perçue comme (trop) malsaine. Il fallait qu’on aime ce personnage et qu’on le comprenne. Qu’il y ait un maximum d’humour et de bienveillance dans leur “relation“.

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retrouvez la chronique de l’album ici

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Mais le vrai casse-tête a été de rendre compréhensible ce principe de monde dédoublé dans lequel notre homme invisible évolue. Il a fallu établir des règles strictes sur ce qu’il peut faire ou ne pas faire pour que tout tienne et reste crédible. Je pars du principe que Max a basculé dans un monde superposé au monde réel. Qu’il est comme un écho du monde matériel et qu’il ne peut donc toucher que l’écho de tout ce qui l’entoure. Il fallait donc décider par exemple que tous les objets que Max utilise, n’ont qu’un seul écho et ne peuvent se dédoubler qu’une fois. Par exemple, la tasse de thé que Max prend à Léonie n’a qu’un seul écho, la chaise qu’il dédouble pour s’y asseoir aussi. Sinon, les objets se seraient entassés à l’infini dans l’appartement de Léo, il y aurait eu des centaines de tasses et de chaises accumulées dans la dimension de Max et la dessinatrice de l’album, Camille Benyamina, se serait arraché les cheveux.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Quel fantasme réaliseriez-vous si vous deveniez subitement, comme votre personnage, invisible ?

Véro Cazot. J’ai déjà réalisé tous mes fantasmes dans cet album ! Cette histoire est la moins réaliste et pourtant la plus personnelle que j’ai écrite jusqu’ici. Comme Léo, je n’ai pas vraiment de barrière entre le réel et l’imaginaire. Et comme Max, il m’arrive fréquemment de manquer de matière et de douter de mon existence.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 4 avril 2018

© Casterman / Cazot & Benyamina

Les Petites distances : Véro Cazot et Camille Benyamina revisitent le mythe de l’homme invisible dans une subtile comédie sentimentale

N’avez-vous jamais ressenti la désagréable sensation d’être transparent ? De n’exister pour personne ? Max, lui est tellement transparent qu’il le devient réellement, du jour au lendemain. Plus fort encore, les souvenirs qu’il aurait pu laisser ici ou là se sont eux aussi évaporés. Même ses parents n’ont souvenir de son existence…

Max n’a certes jamais été du genre m’as-tu-vu, mais devenir transparent à ce point de non-existence, il a du mal à se l’expliquer. Nous aussi. Mais quitte à être invisible, à ne plus avoir sa place nulle part, que ce soit sur son lieu de travail, chez ses parents ou dans sa coloc, autant en profiter et s’installer là où ça lui chante, et pourquoi pas chez la belle Léonie qu’il a croisé une fois dans la cage d’escalier de son immeuble. Et de partager son quotidien, ses repas, ses soirées, ses nuits, ses moments les plus intimes.

Et Léonie dans tout ça ? Bien qu’elle ne ressente aucune présence à ses côtés, la jeune femme finit par s’épanouir, son caractère change, elle qui avait peur de tout et de tout le monde, qui se faisait sans cesse des films avec des fantômes, gagne en assurance…

Récit fantastique ? Comédie sentimentale ? Les deux mon capitaine. L’album de Véro Cazot et Camille Benyamina mélange les genres et bouscule les codes pour mieux nous surprendre et nous interroger.

« J’avais envie d’écrire une histoire fantastique très ancrée dans le réel, dans le quotidien et sous forme de comédie sentimentale… », explique la scénariste Véro Cazot, « Mon homme invisible n’est pas victime d’une expérience scientifique ou d’un phénomène spectaculaire. C’est juste quelqu’un qui n’arrive pas à s’affirmer, à trouver sa place dans le monde et qui sombre peu à peu dans l’oubli jusqu’à disparaître totalement de la vue et de la mémoire des gens (…) C’est comme ça qu’est née l’idée de départ : comment un homme effacé va apprendre à s’affirmer et se connaître en devenant invisible. Et comment une femme qui a peur de tout et de tout le monde va prendre confiance en elle et en l’Autre au contact de cet homme invisible… ».

© Casterman / Cazot & Benyamina

Cette histoire a connu moult versions et rebondissements, un accouchement un peu difficile, reconnaît la scénariste dans un post Facebook. Il faut dire que dessiner ce qui ne se voit pas en le rendant visible pour la bonne compréhension du lecteur relève d’un pari un peu fou. Mais réussi dans ce cas! Car tout fonctionne, on y croit, on se glisse même facilement dans la peau des protagonistes, et notamment dans celle de l’homme invisible.

« Le vrai casse-tête a été de rendre compréhensible ce principe de monde dédoublé dans lequel notre homme invisible évolue. Il a fallu établir des règles strictes sur ce qu’il peut faire ou ne pas faire pour que tout tienne et reste crédible. Je pars du principe que Max a basculé dans un monde superposé au monde réel ».

Comédie légère en apparence, Les Petites distances aborde de façon très originale le thème de l’existence et de l’amour. Un récit subtil et séduisant !

Eric Guillaud

L’interview complète de Véro Cazot est à retrouver ici

Les Petites distances, de Benyamina et Cazot. Casterman. 20€

04 Avr

Akira : ne vous rongez plus les ongles, le tome 3 est arrivé en librairie !

L’éditeur nous avait pourtant assuré qu’il ne serait pas nécessaire d’attendre autant de temps pour le tome 3. Raté ! Il s’est passé dix mois entre le 2e et 3e volet, soit pratiquement autant qu’entre le 1er et le 2e. Mais que se passe-t-il ?

Presque un an entre chaque volume. À ce tarif-là, on risque de devoir patienter jusqu’en 2021 pour arriver à la conclusion de ce chef d’oeuvre de la science-fiction signé Katsuhiro Otomo. L’éditeur avait évoqué la fois précédent un problème technique, il parle cette fois de « nombreuses péripéties et échanges avec les éditeurs japonais » ainsi qu’un « problème chez l’imprimeur ».

Bref, armons-nous de patiente, visiblement cette réédition pilotée depuis le Japon par le patron himself, Otomo, n’a pas l’air d’être facile à gérer. Armons-nous de patiente et ne boudons pas notre bonheur. Même si la plupart d’entre nous connaissons l’histoire, c’est toujours un plaisir de se replonger dans les pages de ce manga absolument mythique.

Pas de changement de maquette sur ce troisième volume qui ressemble en tout point au deuxième. Et toujours une identique volonté de retour aux sources. Exit la couleur, nouvelle traduction, onomatopées sous-titrées, jaquette originale et sens de lecture initial respecté pour une édition que l’on dit définitive,

Bref, vous pouvez éteindre vos consoles vidéo et courir à la librairie la plus proche. La suite ? Très rapidement…

Eric Guillaud

Akira (tome 3), de Katsuhiro Otomo. Editions Glénat. 14,95€

01 Avr

Cintré(e), un roman graphique intimiste de Jean-Luc Loyer chez Futuropolis

Qui a dit que les auteurs de BD étaient fauchés ? Celui-ci l’est particulièrement. Plus un radis pour payer son loyer, du pain rassis en guise de repas… Et la spirale infernale ne fait que commencer. D’ailleurs, le dernier magazine à publier ses dessins vient de le remercier. Il ne ferait plus rêver les enfants…

Il est obèse, sans argent, sans boulot et depuis peu sans amour, sa maîtresse ayant préféré aller voir ailleurs. Bref tout va mal madame la marquise et les factures continuent de s’accumuler. La solution ? Signer un projet d’album chez un éditeur. Et pourquoi pas une bande dessinée documentaire sur les réfugiés bloqués à Sangatte, comme lui suggère un ami scénariste. Ni une ni deux, les voilà partis tous les deux dans le Nord avec l’espoir d’intéresser une maison d’édition.

« L’album de bande dessinée que nous pourrions réaliser racontera ce que nous avons vu (…) Notre projet comportera donc un fort aspect social… », écrivent-ils aux éditeurs. Est-ce l’aspect trop social ou le graphisme pas assez abouti, toujours est-il que personne ne veut du projet. Nos deux compères n’ont plus qu’à retourner à leur morne quotidien.

Mais après la pluie vient – parfois – le beau temps. Et de fait, notre dessinateur désargenté reçoit à sa grande surprise une proposition de travail dans une société de graphisme publicitaire où il sera chargé de former la fille du patron. Ce n’est pas vraiment son univers mais c’est mieux que rien et c’est plutôt bien payé. De quoi lui changer sa vie.

C’est surtout la fille du patron qui va lui changer sa vie. Éléonore, c’est son prénom, est une jeune fille un peu déjantée et totalement anorexique. Tout les oppose ou presque et pourtant le courant finit par passer entre ces deux personnages cintrés…

Une jeune écorchée vive d’un côté, un quarantenaire désabusé de l’autre, des blessures de part et d’autre et de l’amour au milieu… après Les Mangeurs de cailloux et La Boîte à un franc qui racontaient son enfance ch’ti, Jean-Luc Loyer s’attaque à un autre épisode de sa vie, Cintré(e) est une autobiographie romancée parfois drôle, souvent sombre, toujours tendre.

Eric Guillaud

Cintré(e), de Jean-Luc Loyer. Futuropolis. 20€

© Futuropolis / Loyer

30 Mar

Méga Spirou spécial Gaston Lagaffe

Qui a dit qu’on était foutu à 60 ans ? Notre Gaston national, enfin plutôt international, est la preuve flagrante du contraire. Soixante piges et toujours le même pull-over vert, les mêmes espadrilles, la même âme d’adolescent… et du boulot par dessus la tête !

Il est partout notre bon Gaston, en BD bien sûr avec la récente réédition de la série, 20 volumes au total qui intègrent toutes les planches réalisées par le maître André Franquin, dont certaines inédites, dans l’ordre chronologique de création avec restauration du trait et des couleurs. Et au cinéma avec la sortie le 4 avril du film de Pierre-François Martin-Laval qui mettra en scène un Théo Fernandez délicieusement gastonesque.

Tout ça valait bien un Méga Spirou hors-série, il est disponible en version magazine dans tous les kiosques du monde ou presque depuis le 21 mars et le sera en version album dès le 6 avril dans toutes les bonnes librairies.

Au copieux sommaire : des gags de Gaston signés Franquin mais aussi Erre et Fabcaro, Vizorek et Libon, Fabrice Tarrin ou encore Lewis Trondheim, un reportage sur le film avec interview du réalisateur Pierre-François Martin-Laval et des acteurs, un zoom sur la restauration des couleurs, les témoignages de Yann Arthus-Bertrand, José Bové, Hubert Reeves ou Philippe Etchebest à travers des dossiers portant sur la cuisine, la musique, l’écologie ou la désobéissance civique façon Gaston, sans oublier la sieste, l’une de ses activités… rrrôô… préférées… zzzzzzz…

Eric Guillaud 

27 Mar

L’Enfant et la rivière : l’adaptation du roman de Henri Bosco sous la plume et les pinceaux de Xavier Coste

L’auteur de Egon Schiele, Vivre et mourir, mais aussi de Rimbaud l’indésirable et plus récemment du Lendemain du monde s’attaque cette fois à un classique de la littérature jeunesse, le roman L’enfant et la rivière de l’écrivain Henri Bosco paru au lendemain de la deuxième guerre mondiale chez Gallimard…

Les interdits sont faits pour être transgressés dit-on. Celui-ci devait l’être. C’était même devenu une obsession pour Pascalet, aller voir cette fameuse rivière que sa mère lui interdisait d’approcher. « Amuse-toi où tu veux. Ce n’est pas la place qui te manque. Mais je te défends de courir du côté de la rivière », lui disait-elle. Il n’en fallait pas plus pour le faire rêver de la rivière, nuit et jour.

Une rivière, des cyprès, une ferme ici, une autre là… C’est le décor de ce roman écrit par Henri Bosco aujourd’hui devenu roman graphique sous la plume et les pinceaux de Xavier Coste. Un décor provençal écrasé par le soleil et qui malgré tout attriste le protagoniste principal, le jeune Pascalet. Son unique distraction ? les visites de Bargabot, un braconnier qui apporte régulièrement du poisson à ses parents, du poisson justement pêché dans la rivière interdite. De quoi définitivement attiser sa curiosité.

Si j’entendais arriver Bargabot, mon coeur se mettait à battre. Il s’était aperçu de l’intérêt que je portais à sa personne…

Profitant de l’absence de ses parents, Pascalet finit par craquer et aller du côté de la rivière, une première fois pour établir le contact, une deuxième pour finalement l’explorer… Et c’est au détour d’une île qu’il délivre un autre jeune garçon, Gatzo, prisonnier d’une bande de bohémiens. Ensemble, ils partent à la découverte de la rivière…

© Sarbacane / Coste

Xavier Coste dont on a déjà largement pu apprécier le talent dans ses albums précédents, notamment Egon Schiele, Vivre et mourir ou Rimbaud l’indésirable, offre indéniablement à ce roman de Bosco une nouvelle jeunesse. Comme si cette adaptation l’attendait. Comme si elle était une évidence.

Mais c’est pourtant à la demande de Frédéric Lavabre, éditeur chez Sarbacane qu’il s’est mis à l’ouvrage. « Je ne l’avais pas relu depuis le collège et c’est un roman qui m’avait vraiment marqué à l’époque. J’en avais retenu le côté contemplatif, poétique. Quand je l’ai relu ça a été comme une évidence, le ton onirique du roman m’a tout de suite donné envie de prendre les crayons. Mon éditeur a pensé que le ton du roman collait à mon univers et je pense qu’il ne s’est pas trompé ».

© Sarbacane / Coste

Se lancer dans une adaptation, qui plus-est d’un roman aussi connu, n’est pas la chose la plus aisée. Adapter, c’est souvent trahir, pour Xavier Coste c’est avant tout respecter le texte. 

« Le plus difficile a été de trouver le ton de cette adaptation. Le texte de Henri Bosco est remarquablement écrit mais certains aspects du roman paraissent un peu datés aujourd’hui, je voulais donc le moderniser mais sans le dénaturer. Car ce qui fait le charme de ce roman c’est aussi son côté hors du temps et légèrement retro. Au final, quasiment tous les textes de la bande dessinée sont de Henri Bosco, et j’y tenais beaucoup ».

© Sarbacane / Coste

C’est suffisamment rare pour le souligner, Xavier Coste a eu carte blanche de la part de l’éditeur et des ayants-droits. Aussi a-t-il choisi de ne pas situer formellement son adaptation dans le temps et l’espace, « J’ai dessiné une Provence imaginaire, et je n’ai pas dessiné d’objets qui permettent de situer l’époque à laquelle l’histoire se passe. On se doute que c’est dans un monde contemporain, mais j’ai voulu donner un côté universel à l’histoire. Je souhaitais aussi que cette bande dessinée s’adresse à tous les publics, aux enfants comme aux adultes, ce qui n’est pas évident. C’est un roman avec plusieurs niveaux de lecture, et je voulais que ça se retrouve dans ces pages ».

© Sarbacane / Coste

Dès la première page de L’Enfant et la Rivière, on est happé par le récit et émerveillé par les couleurs qui jouent ici un rôle important. « À chaque scène, j’ai essayé de trouver des jeux de lumière différents, et je suis sorti de ma zone de confort en utilisant des couleurs que j’emploie très peu. J’essaie au maximum de ne pas répéter une ambiance colorée que j’aurais déjà utilisée dans une scène. Les scènes de nuit m’ont causé du fil à retordre au début, mais au final ce sont les scènes que je préfère ».

La poésie des mots, la beauté des paysages, le mystère, l’aventure… Tout ce qui rend le livre de Bosco remarquable se retrouve dans les pages de cette adaptation, les images – magnifiques – et le regard de Xavier Coste en plus. Une grande bouffée d’oxygène !

Eric Guillaud

L’Enfant et la rivière, de Xavier Coste d’après le roman de Henri Bosco. Sarbacane. 19,50€ (en librairie le 4 avril)

25 Mar

Thor : le massacreur de dieux ou lorsque le héros de Marvel lutte pour sa survie et celle des siens avec une fougue wagnérienne

Déjà, rien que le titre et la couverture – où le fils d’Odin paraît menaçant avec du sang jusqu’aux genoux – tranchent avec les standards Marvel. Alors certes, cela fait déjà une bonne décennie (ou deux) que l’auguste super écurie à super-héros a décidé de prendre un ton plus ‘adulte’. Mais les sagas (c’est-à-dire une longue histoire qui s’est étalée initialement sur onze numéros) de l’acabit de ce Massacreur de Dieux impressionnant se comptent sur les doigts d’une main. Mais là, la barre est haute.

Ce qui fait la différence ici, c’est la présence de non pas un mais bien deux auteurs à part entière – on laisse de côté les quelques planches dessinées ici par Jackson Guice largement un créneau en dessous. Soit le scénariste Jason Aaron et surtout le dessinateur croate Esad Ribic : d’une cruauté et en même d’un mysticisme flamboyant, l’histoire inventée par le premier n’aurait jamais eu la même résonnance si elle n’avait pas été illustrée avec autant de maestria. Clairement influencé par les images viriles et épiques du grand Frank Frazetta mais aussi par Philippe Druillet, le trait étonnement fluide et en même temps puissant de Ribic, ainsi que son encrage très contrasté, est assez unique, successivement plein de couleurs puis très clair-obscur, où le mal sous-jacent est plus suggéré que montré.

Sous sa plume, les Dieux sont tour-à-tour suprêmes et pathétiquement humains, fragiles mêmes alors que le grand méchant Gorr apparaît aussi torturé qu’effrayant. C’est souvent dramatique mais jamais trop théâtral ou larmoyant. Alors certes, il y a du sang, beaucoup même, mais jamais la violence n’y paraît vraiment glorieuse, chaque personnage apparaissant presque comme désespéré car se battant pour une cause, semble t’il, perdue d’avance.

© Marvel/Panini Comics -Jason Aaron, Esad Ribic et Jackson Guice

Il faut dire que le point de départ est osé : Thor découvre qu’un être mystérieux décime avec sadisme à travers les galaxies et les âges les dieux de tous les mondes existants et part à sa recherche, bien décidé à l’empêcher de tuer tous les siens. Par la magie des paradoxes temporels, sa route finit par croiser celle de deux autres de ces incarnations, une première juvénile et bouillonnante, et l’autre vieille et usée mais bien décidée à relever une dernière fois la tête. C’est qu’il n’en faut pas moins de trois Thor pour oser affronter le massacreur de dieux…

© Marvel/Panini Comics -Jason Aaron, Esad Ribic et Jackson Guice

Au-delà du fait que le héros passe les trois quarts du volume à voir les autres se faire massacrer sans pouvoir rien faire et à douter de lui-même, la saga pose en filigrane une question quasi-philosophique : que serait un monde sans dieux, où l’homme serait seul responsable a priori de ses actes ? Ribic et Aaron ont leur réponse mais évitent d’être trop manichéens et n’oublient jamais de savamment doser l’intensité dramatique. Pour obtenir au final l’un des plus belles et meilleures sagas Marvel de ces dernières années, cruelle et terriblement belle qui révèle au passage un dessinateur qui avait déjà fait ses preuves, certes, sur Secret Wars ou Loki (avec, déjà, le dieu du tonnerre) mais qui gagne ici pour de bon ses galons de futur mégastar du genre.

Olivier Badin

Thor : le massacreur de dieux, de Jason Aaron, Esad Ribic et Jackson Guice, Marvel/Panini Comics, 30 euros

23 Mar

Mai 68 : La Veille du grand soir, une BD historique signée Rotman et Vassant

Quoi de mieux qu’un beau pavé pour célébrer les cinquante ans de mai 68, un beau pavé de 192 pages et d’un peu plus de 800 grammes signé Patrick Rotman et Sébastien Vassant, conjointement édité par les éditions Delcourt et Seuil. Retour sur des événements qui ont façonné la société française…

L’imagination au pouvoir, sous les pavés la plage, la beauté est dans la rue…

Que reste-t-il de mai 68 à part ces slogans que tout le monde connaît ? Pas mal de choses finalement. À l’instar des deux guerres mondiales, de la guerre d’Algérie ou encore de l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, les événements de mai 68 ont façonné la société française, ils ont même laissé dans la mémoire collective une onde de romantisme révolutionnaire encore vivace aujourd’hui.

Historien, auteur, réalisateur et scénariste, Patrick Rotman a  vécu les événements de 68 aux premières loges. Il était alors étudiant à la Sorbonne. Depuis, il les a racontés à plusieurs reprises dans des livres, des films et aujourd’hui, pour la première fois, en BD. Avec une double approche explique-t-il en ouverture du récit : « L’une faite de vécu, de souvenirs personnels, nourrie d’anecdotes et de dialogues pris sur le vif. L’autre relève d’une démarche distancée et historique. Le résultat est ce récit du mois de mai en bas et en haut, dans la rue et au sommet du pouvoir, dans la Sorbonne occupée et à l’Elysée aux abois, chez Renault en grève et à Matignon à la manoeuvre ».

La Veille du grand soir n’est pas un livre d’histoire au sens strict du terme, d’autant que Patrick Rotman a injecté une petite part de fiction en mêlant à la réalité des faits une poignée de personnages imaginaires. Mais il relève plutôt bien le mécanisme qui a poussé la jeunesse puis les ouvriers, les employés, les fonctionnaires… dans la rue. Plus qu’une révolte, Sire, c’est une crise existentielle qui secoue le pays.

De Gaulle, Pompidou, Cohn-Bendit, Krivine, Weber, les ouvriers de Renault… et les étudiants bien évidemment, Patrick Rotman et Sébastien Vassant dont on relèvera l’excellent travail graphique nous glissent aux côtés des principaux protagonistes des événements avec une seule volonté pour Rotman : offrir en BD « le récit des journées de mai à Paris, vues par les yeux d’un très jeune étudiant dont tout ressemblance avec l’auteur de ces lignes ne pourrait être qu’accidentelle ». Et de ce côté-là, c’est plutôt bien réussi !

Eric Guillaud

La Veille du grand soir, Mai 68, de Patrick Rotman et Sébastien Vassant. Delcourt. 24,95€

© Delcourt / Rotman & Vassant

18 Mar

La Ballade des dangereuses, journal d’une incarcération, une BD signée Delphine et Anaële Hermans d’après une histoire vécue par Valérie Zézé

À quelques lettres près, cette histoire-là aurait pu s’appeler La Balade des gens heureux. Encore aurait-il fallu des gens heureux parmi les protagonistes. Valérie Zézé, l’héroïne de Delphine et Anaële Hermans, appartiendrait plutôt à la catégorie dite des dangereuses, ces femmes qu’on enferme pour ne pas avoir respecter les règles de la société…

C’est une histoire vraie que nous racontent les soeurs Delphine et Anaële Hermans, l’histoire d’une femme, Valérie Zézé, professeur de français, qui se retrouve un beau jour embarquée dans une spirale infernale qui pourrait se résumer en trois mots : drogue, vols, prison.

Vingt-neuf flagrants délits de vol à son actif avec une méthode simple mais éprouvée : se laisser enfermer le soir venu dans un magasin et se servir. Parfois ça marche, parfois pas. Comme cette fois…

Deux policiers la surprennent dans un magasin, son butin dans une valise : des bouteilles de parfum.

Le récit commence le jour de son incarcération à la maison d’arrêt de Berkendael en Belgique. Valérie Zézé, numéro d’écrou 4827, n’y arrive pas en territoire inconnu. C’est la neuvième fois qu’elle y est incarcérée. Une habituée en somme… mais une habituée qui ne s’habitue pas ! Sur le trajet qui l’emmène vers le prison, Valérie photographie tout ce qu’elle voit…

Emmagasiner un maximum de belles images de l’extérieur, les mettre à l’abri dans ma mémoire. Ce sera mon petit palais, où je pourrais me réfugier

Si elle connaît les moindres recoins de la prison de Berkendael, chacun de ses séjours nécessite une lente et difficile réadaptation à l’atmosphère général, aux gardiennes et aux détenues, au bruit des clefs dans les serrures, à la promiscuité des cellules, il faut se refaire un masque, reprendre les attitudes qui la feront respecter des autres… et surtout faire face au manque.

Pas de coke en prison, juste quelques joints, pas de quoi en tout cas éviter les pétages de plomb !

Cela fait un mois et demi que je n’ai pas consommé de coke. Le manque me prend aux tripes. Ma seule manière de desserrer son emprise est de le transformer en colère

Et puis il y a ce fils resté dehors qui privilégie les visites au parloir à ses études, jusqu’à les arrêter totalement. Une douleur supplémentaire pour Valérie…

C’est le quotidien de cette incarcération que nous raconte La Ballade des Dangereuses, le quotidien et bien évidemment ce qui l’accompagne forcément mais ne se détecte pas, l’intime, les rêves et les angoisses, les joies et les blessures… Un témoignage tout en finesse et en humanité de ce que peut parfois nous réserver la vie. Une histoire touchante au graphisme aussi léger et fragile que la liberté !

Eric Guillaud

La Ballade des dangereuses, Journal d’une incarcération, de Delphine et Anaëlle Hermans d’après l’histoire vraie de Valérie Zézé. La Boîte à bulles. 20€

© La Boîte à Bulles / Delphine et Anaëlle Hermans – Valérie Zézé