23 Nov

Daho, l’homme qui chante : le portrait d’une grande figure de la pop signé Alfred et David Chauvel

daho-l-homme-qui-chanteJe commencerai cette chronique par une confidence : ça fait quelques années que je n’ai pas écouté un album de Daho, depuis en fait un concert insipide donné au Zéntih de Rouen il y a 11 ans. Et puis, je tombe sur ce documentaire « Etienne Daho, un itinéraire pop moderne » diffusé sur Arte le 21 novembre suivi d’un concert au Koko à Londres. Et là je me dis que j’ai du louper quelque chose, au moins son dernier album studio « Les chansons de l’innocence retrouvée » que j’écoute une première fois, puis une deuxième, puis en boucle. J’avais effectivement loupé quelque chose, un album incroyable et un artiste comme on en voit peu. L’album tournant en boucle sur ma platine, je pouvais maintenant me jeter sur la BD de Chauvel et Alfred qui traînait sur ma pile de choses à lire depuis des jours, pour ne pas dire des semaines. Et cette BD traitait justement de Daho…

Daho, l’homme qui chante n’est pas une biographie, pas vraiment un documentaire, non, il s’agit d’une rencontre, une belle rencontre entre deux auteurs de bande dessinée, Alfred et David Chauvel, et un chanteur musicien connu de tous, Etienne Daho. Et quand je dis connu de tous, ce n’est pas pour faire bien. Etienne Daho a réussi à réunir devant une scène un public extra large, depuis les fans de rock indé jusqu’aux amoureux de variété française.

@ Delcourt / Chauvel et Alfred

@ Delcourt / Chauvel et Alfred

Pendant trois ans, de 2012 à 2015, Alfred et David Chauvel ont suivi l’élaboration du dernier album studio du chanteur, depuis l’écriture des chansons jusqu’à la mise en place de la tournée, en passant par la sortie de l’album, l’enregistrement, le choix des visuels, la promo, les moments d’euphorie, les moments de doute aussi.

« J’ai réalisé que j’ignorais comment on fait un disque… », explique le scénariste David Chauvel, « et qu’un regard candide et précis pourrait donner un côté documentaire et technique, intéressant pour le lecteur, qu’il soit fan de Daho ou pas ».

Et de fait, peu importe que vous soyez un inconditionnel du chanteur ou pas. De page en page, on suit le travail de l’artiste mais aussi celui des producteurs, du directeur artistique, de l’ingénieur du son, du manager, du photographe, des musiciens… Chacun évoquant son travail, son apport au projet, par l’intermédiaire d’interviews ponctuant le récit.

On y parle création, inspiration, mais aussi marketing, image. « On peut rarement évoquer et montrer cela… » confie Etienne Daho, « Le travail mystérieux de la création, l’énergie folle que l’on y consacre, intéressent assez peu les médias, hors médias musique. L’axe est bien différent du traditionnel livre sur un artiste : ce livre saisit des instants avec beaucoup d’acuité, d’intimité sans voyeurisme ».

Et c’est vrai, il y a beaucoup d’intimité dans cet album et aucun voyeurisme. Même lorsque le chanteur se retrouve à l’hôpital. Avec beaucoup de finesse, les auteurs abordent le pépin de santé qui le cloue dans un lit d’hôpital pendant de longues semaines retardant la sortie de l’album et de la tournée. « Je pensais rester deux jours à l’hôpital et j’y suis resté deux mois (…) Je sentais la mort rôder, me frôler… mais je ne voulais pas mourir. Je ne pouvais pas laisser ce disque, cette tournée ».

Même si l’option choisie par Alfred pour le graphisme, majoritairement réalisé au crayon de couleur dans un esprit « carnet de notes » peut vous dérouter, faîtes un effort, laissez-vous emporter par l’histoire et vous serez finalement conquis. Un album et un artiste absolument passionnants !

Eric Guillaud

Daho, l’homme qui chante, de Chauvel et Alfred. Editions Delcourt. 18,95 €

21 Nov

Une Vie, adaptation du roman autobiographique de Winston Smith par Christian Perrissin et Guillaume Martinez

9782754808897Le hasard fait souvent bien les choses ! Il a en tout cas permis à Christian Perrissin de dénicher le roman autobiographique de Winston Smith intitulé Une Vie chez un bouquiniste de sa connaissance, très amateur semble-t-il d’auteurs ou de livres injustement oubliés. Sur le coup, le nom de Winston Smith ne dit rien à Perrissin, il ne devrait pas dire grand chose non plus à la plupart d’entre vous sauf que, comme le rappelle le bouquiniste à Christian Perrissin, Winston Smith est le nom du héros de 1984, le fameux roman d’anticipation d’Orwell.

Et dans ce livre, Une vie, Winston Smith raconte notamment sa grande amitié avec Orwell. « Il y a toute une partie consacrée à la genèse de 1984… », confie le bouquiniste, « Mais ce n’est pas le seul intérêt du livre, prenez-le, vous ne serez pas déçu ».

Et Christian Perrissin ne fut pas déçu en effet : « Ce fut même un enchantement. Une Vie raconte une de ces existences comme ont pu l’être celles d’Hemingway, de Graham Greene, de Kessel…« .

Une existence hors du commun que l’auteur de Martha Jane Cannary décide aussitôt d’adapter en BD avec Guillaume Martinez au dessin (Le Monde de Lucie, Motherfucker...). Six albums sont prévus, le premier est sorti en septembre et nous plonge au coeur de l’école privée Land Priors en Angleterre. Nous sommes en 1916. Sur le continent européen, la guerre fait rage. Winston Smith vient de gagner son sésame pour le prestigieux collège d’Eton. Plus tard, il deviendra un grand reporter. Il vivra de près la révolution en Chine, la guerre d’Espagne, la seconde guerre mondiale, s’installera un temps en Afrique équatoriale avant de devenir scénariste en Californie. Il mourra accidentellement en… 1984 dans les Alpes françaises. Une vie romanesque et un premier album en forme de teaser. Vivement la suite!

Eric Guillaud

Land Priors 1916, Une Vie (tome 1), de Perrissin et Martinez. Editions Futuropolis. 15 €

19 Nov

Mystères!, une biographie en images de Tibet aux éditions Daniel Maghen

50C’était son métier, c’était surtout sa passion, sa vie.

« Je ne fais que ça : dessiner. Tous les jours à ma table, avec la même joie qu’il y a vingt trente ou quarante ans. Qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, peu importe ! C’est mon bonheur de vivre. Ma chance. Tout simplement, je ne suis heureux qu’en dessinant »

Gilbert Gascard, dit Tibet, fait ses débuts à la fin des années 40 dans des studios graphiques, Walt Disney puis Tintin. Ses premières publications paraissent dans le magazine Héroïc-Albums. Mais sa reconnaissance dans le milieu vient un peu plus tard avec deux séries majeures du Neuvième art : Chick Bill en 1953 et Ric Hochet en 1955. Ces deux séries, un western et un policier, signées Duchâteau pour le scénario connaîtront une incroyable longévité, 70 albums pour Chick Bill, 78 pour Ric Hochet, plus de 50 ans d’aventures chacune. Jusqu’à sa disparition brutale en janvier 2010, l’auteur anime ses personnages avec la même passion.

Dans ce très beau livre de plus de 360 pages, Vincent Odin revient sur le parcours de l’homme et de l’artiste en s’appuyant sur les nombreuses interviews accordées par Tibet tout au long de sa carrière, en s’appuyant aussi sur ses créations bien sûr, mille illustrations présentées, à commencer par sa première véritable bande dessinée, jamais publiée, une histoire dont le héros s’appelait Alan Brawl.

Projets de couvertures, illustrations diverses, croquis, crayonnés, recherches graphiques, récits courts comme El Mocco le Terrible… cette biographie offre une somme inédite des travaux de l’artiste, une mine  d’informations et d’anecdotes sur le milieu du Neuvième art et une mise en perspective de son parcours, de son évolution graphique. Un magnifique cadeau pour les amoureux de Tibet et plus généralement du 9e Art.

Eric Guillaud

Mystères! Une biographie en images, de Vincent Odin. Editions Daniel Maghen. 59 €

L’info en +

Deux expositions autour des planches et illustrations originales tirées des séries mythiques de l’auteur. À la galerie Maghen à Paris jusqu’au 12 décembre et à La Maison de la Bande Dessinée à Bruxelles jusqu’au 5 janvier.

18 Nov

Brest : Vente d’originaux de bande dessinée au profit de la recherche sur la mucoviscidose

ZEFHIR_40X60_SANSLOGOS_low defPour la troisième année consécutive, l’association Gaetan Saleun organise samedi 28 novembre une exposition-vente d’originaux de BD et d’illustrations à Brest au profit de la recherche sur la mucoviscidose.

Zef’hir, c’est le nom de ce projet initié par Olivier Mignen, chercheur à l’INSERM. Plus de 300 auteurs et illustrateurs contribuent encore cette année à cette vente, parmi eux quelques stars de la BD comme Loisel, Druillet, Cosey, Baudouin, ou encore Bruno Bessadi et Emmanuel Lepage, qui sont tous deux les parrains de cette troisième édition.

Parmi les oeuvres mises en vente, certaines seront vendues à prix fixe, d’autres aux enchères. La vente sera accessible à distance. Toutes les infos nécessaires, tous les noms des auteurs contributeurs, toutes les oeuvres sont accessibles sur le site de zef’hir ici-même.

Dans le détail…

La vente aux enchères aura lieu le 28 novembre à Océanopolis dans l’auditorium à partir de 11h30. Les oeuvres seront visibles dès 10h le même jour, la vente des oeuvres à prix fixe commence également à 10h.

Eric Guillaud

@ Cosey / Une des oeuvres en vente le 28 novembre

@ Cosey / Une des oeuvres en vente le 28 novembre

15 Nov

Carthagène : Depardon et Loustal croisent leurs regards d’artistes sur la ville colombienne

UnknownCarthagène est le deuxième album conjointement édité par Magnum Photos et les éditions Dupuis. Le premier, Omaha Beach 6 juin 1944 portait sur l’une des photos de guerre les plus célèbres, La photo de Robert Capa sur le débarquement US en Normandie. L’album réunissait une bande dessinée de Morvan et Bertail ainsi qu’un dossier avec photos, archives et témoignages sur le célèbre photoreporter.

Très différent dans le fond et dans la forme, Carthagène reste cependant une monographie à la croisée de la photographie et de la bande dessinée ou plus précisément de l’illustration. Aux manettes cette fois, le photographe Raymond Depardon et l’illustrateur auteur de bande dessinée Jacques de Loustal qui ont choisi le temps d’une collaboration le ciel, la terre, la lumière, la vie d’une grande ville portuaire de Bolivie, Carthagène.

« Quand ils se sont rencontrés pour évoquer leur collaboration… », relate en introduction Louis-Antoine Dujardin des éditions Dupuis, « ils ont d’abord parlé de couleurs. Des bleus du ciel du Maroc, de la blancheur des façades de Bolivie. Comme s’il fallait qu’ils s’assurent de parler la même langage ». Et visiblement ces deux grands noms parlent un langage relativement proche même si chacun voit le monde à sa manière, le premier à travers un objectif, le deuxième à travers ses pinceaux, fusains et aquarelles.

Chacun avec ses outils, les voici partis en mars 2015 à l’assaut de Carthagène, ramenant chacun des matériaux qu’ils finalisent à leur retour, en chambre noire pour l’un, en atelier pour l’autre. Résultat ce beau livre qui confronte ou plus exactement juxtapose les deux regards, 50 photos et 38 illustrations qui nous emmènent des remparts du centre historique de la ville à la Plaza de Santo Domingo, lieu de la vie nocturne, en passant par la plage, les ruelles de la vieille ville…

« C’est un pays qui ne nécessite pas de visa… », explique Raymond Depardon, « on est donc à la hauteur d’un voyageur. On arrive, on disparait et on peut faire ce qu’on veut. J’aime bien cette idée d’une grande liberté, que je n’ai pas toujours en Afrique, où l’on est obligé de justifier pourquoi on est là« .

Et c’est bien ce qui ressort de ce livre, une très grande liberté de création chez les deux artistes. Leurs photos et illustrations ne nous enferment pas dans une visite guidée forcément restrictive mais nous invitent à imaginer la ville, à la rêver, à la fantasmer. Magnifique !

Eric Guillaud

Carthogène, de Depardon et Loustal. Editions Dupuis / Magnum Photos. 30 €

L’info en +

La Maison de l’Amérique latine à Paris accueille jusqu’au 12 décembre l’exposition Depardon/Loustal présentant le travail original d’une collaboration entre le photographe et l’illustrateur. Gratuit.

@ Dupuis / Loustal

@ Dupuis / Loustal

13 Nov

Journée mondiale de lutte contre le sida : Le Petit Spirou icône d’une campagne de prévention

25 ans, c’est l’âge du Petit Spirou, c’est aussi l’âge de Sida Info Service, un dispositif d’aide à distance (web et téléphone) qui oriente et accompagne les usagers dans la lutte contre le VIH/sida et les IST (infections sexuellement transmissibles).

À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida 2015, le 1er décembre, les éditions Dupuis et Sida Info Service s’associent pour faire du Petit Spirou l’icône d’une campagne de prévention contre le VIH/sida.

Comme toujours, Tome et Janry ont su trouver le ton juste et le dessin adéquat pour parler aux enfants comme aux adultes. Une double lecture qui devrait faire causer… en famille !

Eric Guillaud

Sida Info Service 0800 840 800 ou sur le web ici

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12 Nov

Choubi-Choubi : une nouvelle histoire de matou signée Konami Kanata, l’auteur de Chi une vie de chat

choubi-choubi-Mon-Chat-Tout-Petit-1-soleilSi vous êtes allergique au poil de chat, hostile aux réveils nocturnes, opposé au partage de votre fauteuil préféré, alors passez votre chemin. Pour les autres, tous les autres, voici le nouveau manga tout craquant de la Japonaise Konami Kanata, celle-là même qui est à l’origine de la série à succès Chi Une vie de chat publiée chez Glénat depuis 2010 et qui fait actuellement l’objet d’une réédition en grand format.

Changement de chat, changement de décor et changement d’éditeur, c’est chez Soleil Manga qu’on retrouve l’auteur et son nouveau matou, un chaton plein de vie comme Chi qui découvre au fil de ses aventures la canicule, la neige, les cerisiers en fleurs, les sapins de Noël, la vie quoi…501 CHI-UNE VIE DE CHAT GRAND FORMAT T03[MAN].indd

Choubi-Choubi parviendra-t-il à nous faire oublier Chi ? Pas si sûr même si on retrouve dans ce premier volet toutes les attitudes félines qui nous ont tant fait rire avec Chi ainsi qu’une histoire qui allie humour et tendresse. En bonus, un concours photo qui vous permettra peut-être de voir la photo de votre propre chat publiée dans le prochain tome. Le deuxième volet – douze sont prévus- est annoncé pour mars 2016.

Eric Guillaud

Chi Une vie de chat (grand format), de Kanata Konami. Editions Glénat. 9,99 € l’album

Choubi-Choubi mon chat tout petit, de Kanata Konami. Editions Soleil Manga. 7,99 €

11 Nov

Le Chat fait des petits, Philippe Geluck assume !

51r5csgy1hL._SX362_BO1,204,203,200_La dernière fois que nous avions aperçu le bout de sa queue, le chat de Geluck passait à table. Maintenant il fait des petits. Et il pose avec femme et enfants sur la couverture. Il y a même un chien. De quoi déstabiliser ses millions de fidèles, ses amoureuses éventuelles, ses maîtresses aussi peut-être. Le chat de geluck va-t-il vraiment se caser ? Arrêter de faire des bons mots ? Ne plus vivre ses aventures aussi trépidantes qu’immobiles ? Et passer ses dimanches à jouer au scrabble avec bobonne comme le fait dorénavant son maître Geluck ? Qui sait ?

En attendant, les lecteurs pourront retrouver leur animal préféré dans un album, le vingtième, qui a fait des petits lui-aussi. Trois. Le tout regroupé dans un coffret. Comme d’habitude, le chat passe en revue le monde et ses contradictions dans deux albums réunissant illustrations et strips. Un troisième opus intitulé Le Scrabble du dimanche révèle en 72 croquis à la mine de plomb comment Madame Geluck oblige son mari à partager une partie de scrabble tous les dimanches. Tragiquement drôle !

Eric Guillaud

Le Chat fait des petits, de Geluck. Editions Casterman. 17,95 €

Franquin, Morris, Jijé, Sempé… : 200 couvertures du Moustique

iSI0nbJqP6cJSRZ3j8q4LZGhkMxEm82K-couv-1200Franquin, Morris, Jijé, Sempé… mais aussi Delporte, Goscinny, Hubinon, Peyo, Roba, Rosy, Greg, Will, ce magnifique ouvrage paru aux éditions Dupuis réunit 200 couvertures de la revue belge Le Moustique publiées entre 1945 et 1964. Des noms familiers pour ceux qui s’intéressent un tant soit peu au Neuvième art, des noms qui ont fait le succès d’un autre journal belge, Spirou.

Le Moustique est lancé en 1924 de la volonté de l’imprimeur belge Jean Dupuis d’offrir « à toutes et à tous des lectures saines » rappellent Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault en introduction de ce livre. Des lectures saines et drôles, tel est effectivement le créneau du Moustique, équivalent masculin à une autre revue de l’imprimeur, Bonnes Soirées.

Cartoons, jeux, chroniques humoristiques, romans feuilletons et contes constituent l’essentiel du Moustique qui devint après la Seconde guerre mondiale « un banc d’essai pour tester les postulants au Journal de Spirou ». Et les postulants sont nombreux : « Will, Hubinon, Paape, Goscinny, Peyo, Greg, Rosy, Delporte, Remacle, Ryssack ou Deliège apparaissent dans le premier avant de s’épanouir dans le second ».

On comprend dès lors l’importance de cette revue et notamment de sa couverture dans l’histoire des éditions Dupuis et plus généralement dans l’histoire de l’illustration et de la bande dessinée. Publié à quelques semaines de Noël, Franquin, Morris, Jijé, Sempé… permettra aux passionnés d’illustrations et de bandes dessinées de retrouver les travaux de jeunesse de certains grands maîtres genre. 312 pages, 200 illustrations, 22 artistes, des remises en perspectives signées des spécialistes Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault et au bout du compte un très beau livre.

Eric Guillaud

Franquin, Morris, Jijé, Sempé… 200 couvertures inédites pour le journal Le Moustique. Editions Dupuis. 55 €

10 Nov

Maudit Allende ! Le douloureux passé du Chili retracé par Jorge González et Olivier Bras

Couv_259764Vingt-cinq ans après la fin de la dictature, le gouvernement chilien vient de reconnaître pour la première fois la possibilité que le poète Pablo Neruda ait été assassiné par le régime de Pinochet après le coup d’état qui a renversé le président socialiste Salvador Allende. Tout ça pour dire combien cette période est aujourd’hui encore ressentie par le peuple chilien comme une blessure profonde, une déchirure, un passé dont il se serait bien passé et qu’il aimerait parfois effacer. Impossible hélas!

Maudit Pinochet serait-on tenté de crier depuis notre vieille Europe. Maudit Allende! afffichent Jorge González et Olivier Bras en couverture de leur album publié chez Futuropolis. Une provocation ? Non. Impossible de taxer le scénariste Olivier Bras de sympathie pour le dictateur, bien au contraire. Il écrit d’ailleurs en postface que Salvador Allende continue d’incarner « pour beaucoup une personnalité politique inspirante, un homme aux convictions marquées qui mérite bien un piédestal« .

Alors pourquoi ce titre ? Tout simplement parce que l’album retrace la grande histoire du Chili à travers la petite histoire d’un gamin, Leo, dont la famille n’a pas fui comme beaucoup de Chiliens le coup d’Etat de 1973 marquant l’instauration de la dictature mais l’arrivée au pouvoir du socialiste Salvador Allende, trois petites années auparavant.

Éduqué dans le culte du général Augusto Pinochet, Leo grandit en Afrique du Sud avant de rejoindre l’Angleterre, se rapprochant sans le savoir du général Pinochet qui vient de subir une intervention chirurgicale en urgence dans une clinique londonienne. Et c’est là qu’il est arrêté pour génocides, tortures et disparitions, sur intervention de la justice espagnole. Une sacré coïncidence qui va amener Leo à retourner dans son pays lorsque Pinochet libéré retournera lui-même à Santiago. Leo y accompagne sa petite amie, une journaliste française chargée de couvrir l’événement. Au cours de ce séjour, le jeune homme va approcher la réalité de la dictature et remettre des années d’éducation, de croyances, en question.

Absolument passionnant et assurément émouvant. Maudit Allende! prépublié dans La Revue dessinée retrace une période très sombre du Chili avec force et précision. Rien d’étonnant, le scénariste Olivier Bras est journaliste et a notamment couvert le Chili pour Libération et RFI. Il signe ici son premier roman graphique – et quel roman! – avec un très grand dessinateur argentin Jorge González, dont on a déjà dit le plus grand bien dans ce blog. Il a notamment signé Bandoneon, Chère Patagonie et Retour au Kosovo. Comme dans chacun de ses albums, Jorge González nous invite  à vivre ici une nouvelle expérience graphique et narrative singulière, un va et viens entre des planches très sombres, parfois juste esquissées, correspondant à la période de dictature, et des planches en couleur plus légères, correspondant à l’après dictature. C’est beau, tellement beau qu’on en pleurerait !

Eric Guillaud

Maudit Allende!, de González et Bras. Editions Futuropolis. 20 €

En 2012, Jorge González nous avait accordé une longue et passionnante interview au moment de la sortie de l’album Chère PatagonieUne interview à retrouver ici !