14 Sep

Epiphania : une fiction génialement cauchemardesque signée Ludovic Debeurme chez Casterman

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Ludovic Debeurme est un auteur rare et précieux qui s’est fait connaître du public ou plus restrictivement du public amateur d’une bande dessinée exigeante et parfois dérangeante, voire déroutante, avec l’album Lucille paru chez Futuropolis, Prix Goscinny en 2006, Essentiel du festival d’Angoulême en 2007. Onze ans et quelques albums plus tard, Ludovic revient avec Epiphania, un récit fantastique qui nous parle d’écologie, de paternité, de tolérance et d’amour…

Jeanne veut un enfant, David n’en veut pas. Il préfère jouer de la musique que changer des couches. Rien que l’idée d’être père lui fait faire des cauchemars. Le couple est en péril. Pour sauver ce qui reste à sauver, Jeanne et David acceptent de s’inscrire à un « Love Training Camp », un camp d’entrainement à l’amour. Sur une île. Mais à peine débarqués, à peine exposé le souci qui les amène ici et les éloignent l’un de l’autre, un tsunami géant ravage l’île et globalement la planète.

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retrouvez l’interview de l’auteur ici

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Jeanne disparaît. David survit. Et lorsque les eaux se retirent, les survivants découvrent des millions de foetus plantés dans la terre. Des êtres hybrides, mi-hommes mi-bêtes. David en trouve un dans son jardin et l’adopte. Lui qui se refusait d’être père le devient, un père affectueux et protecteur d’un monde qui sombre dans la violence et la haine, prêt à s’autodétruire…

Si vous avez aimé comme moi Lucille et la suite, Renée, deux albums respectivement parus en 2006 et 2011 chez Futuropolis, ou ses deux derniers albums, Trois fils et Un Père vertueux chez Cornélius, alors vous aimerez logiquement Epiphania dont le premier des trois volets annoncés vient de sortir.

Avec son graphisme dépouillé, un univers que certains jugent proche de Charles Burns, avec une touche de Daniel Clowes serait-on tenté d’ajouter, Ludovic Debeurme marque le neuvième art d’une empreinte indélébile, fantasque et ambitieuse, à l’image des auteurs appartenant à ce qu’on qualifie de Nouvelle bande dessinée, apparue au tournant du siècle. Ludovic Debeurme n’utilise pas le médium bande dessinée, il le réinvente, explore de nouvelles voies. Et c’est bien là l’essentiel. Magnifique !

Eric Guillaud

Epiphania, de Ludovic Debeurme. Éditions Casterman. 22€

© Casterman / debeurme

© Casterman / debeurme

13 Sep

Pauvre Jean-Pierre et Les Gens honnêtes : deux intégrales rigoureusement indispensables

697JqbzDzEi5cX5Qo7ObbIJkUQ53RZGO-couv-1200Je sais, le porte-monnaie va être encore mis à rude épreuve ce mois-ci tant les sorties sont nombreuses et pour certaines indispensables. C’est le cas de Pauvre Jean-Pierre de Grégory Mardon et des Gens honnêtes de Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat, deux albums parus chez Dupuis…

On commence a avec le Pauvre Jean-Pierre, une intégrale qui réunit les trois premiers albums de Mardon chez Dupuis, parus entre 2004 et 2006, les trois albums qui m’ont en fait permis de découvrir l’auteur. Il avait à l’époque déjà publié Vagues à l’âme aux Humanoïdes Associés et Cycloman chez Cornélius mais la trilogie aujourd’hui rassemblée sous le titre Pauvre Jean-Pierre vont le faire connaître du grand public et le propulser au rang d’auteur incontournable. Après une bonne vingtaine d’albums parmi lesquels L’Echappée chez Futuropolis, L’Extravagante comédie du quotidien chez Dupuis ou encore et tout dernièrement Prends soin de toi chez Futuropolis, l’intégrale que voici permet de nous relancer dans les pas de Jean-Pierre, du pauvre Jean-Pierre.

« Je me présente, Jean-Pierre Martin, ni grand, ni petit, ni beau, ni moche, je suis un individu moyen. Je rêve d’excès et de démesure, de déséquilibre et de sensations fortes. Je rêve de me sentir en vie mais je reste là, bien au milieu, imperturbablement raisonnable ».

Personnage central mais pas unique, Jean-Pierre nous permet de croiser et de suivre les ADxLfYDjLuMEwGl74SAmhVMUZHPwzWEz-couv-1200trajectoires de tout un tas de protagonistes, des hommes et des femmes tou(te)s plongé(e)s dans le bain de la vie urbaine offrant une photographie de notre société sans pareille, à la fois caustique et souriante, douce et poétique, Il y a du Monsieur Jean dans l’esprit, du Blutch dans le trait, et du génie dans l’air ! (Pauvre Jean-Pierre, de Mardon, Dupuis, 32€)

On reste dans la chronique du quotidien avec l’intégrale Les Gens honnêtes qui réunit les quatre volets existants, autant de petits bijoux de sensibilité, de tendresse et d’humanité publiés originellement entre 2008 et 2016 et signés par deux grands messieurs de la BD, Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat.

En héros de l’ordinaire cette fois, Philippe, la cinquantaine, une vie paisible, une femme, des enfants, une maison… jusqu’au jour où il apprend son licenciement. Patatras, tout s’écroule autour de lui, sa femme le quitte, il perd sa maison, plonge dans l’alcool avant de finalement se raccrocher à la vie, d’enchaîner les petits boulots, de retrouver une petite amie…

Le parcours accidenté d’un homme honnête en près de 300 pages. C’est beau, c’est intelligent et c’est émouvant. (Les Gens honnêtes, de Durieux et Gibrat, Dupuis, 35€)

Eric Guillaud

12 Sep

La Vallée du diable d’Anthony Pastor : embarquement pour la Nouvelle-Calédonie des années 20

Capture d’écran 2017-09-06 à 22.41.27Impossible de passer à côté de cette magnifique couverture qui promet à elle-seule voyage et aventure. Et de fait, dès les premières pages du récit d’Anthony Pastor paru aux éditions Casterman nous voilà propulsés aux antipodes, dans la Nouvelle-Calédonie des années 20…

1925 exactement. En Europe, les blessures de la grande guerre ne sont toujours pas cicatrisées et la vie difficile pousse certains à émigrer vers d’autres horizons. Blanca, Florentin, Pauline et Arpin sont de ceux-là. Ils ont décidé de fuir leur Savoie natale où ils ne trouvent plus leur place pour rejoindre la Nouvelle-Calédonie, promesse d’une nouvelle vie.

Mais depuis cinq ans qu’ils y ont débarqué, Blanca, Florentin, Pauline et Arpin ont largement eu le temps de déchanter. La Nouvelle-Calédonie est toujours en phase de colonisation. La population indigène est dans sa grande majorité parquée dans des réserves d’où elle peut uniquement sortir pour travailler. Exploités dans les fermes par les colons, réquisitionnés par l’administration pour certains travaux de force, maltraités d’une façon générale, réprimés à la moindre rébellion, les Kanak assistent impuissants à la main mise des Blancs sur les terres calédoniennes.

Totalement étrangers à cet univers colonial, les quatre Savoyards ne supportent pas le climat de tension permanente, les violences, les injustices flagrantes et le racisme qui gangrènent la Nouvelle-Calédonie. Et le mariage entre Pauline et Arpin n’y change rien, la nouvelle vie tant espérée n’a franchement pas le goût du bonheur.

Au delà de l’histoire de ces quatre migrants savoyards que l’on avait déjà pu suivre dans un album précédent intitulé Le Sentier des reines (éd. Casterman), Anthony Pastor nous raconte toute l’horreur de la colonisation qui ne prendra fin finalement qu’après la seconde guerre mondiale. Un passé pas si lointain qui a forcément laissé des traces sur ces lointaines terres de France. Sur un peu plus de 120 pages, Anthony Pastor déroule un scénario habile emporté par un mise en scène assez classique mais efficace, un graphisme époustouflant et des couleurs qui nous restituent parfaitement l’atmosphère. Un récit judicieusement complété par un dossier d’Isabelle Merle, historienne au CNRS et conseillère historique sur l’album.

Eric Guillaud

La Vallée du diable, d’Anthony Pastor. Éditions Casterman. 20€

© Casterman / Pastor

© Casterman / Pastor

Puta Madre : suite et fin d’un parcours initiatique digne d’un Quentin Tarantino sous acide

Mutafukaz_Puta-Madre_06Mélange détonnant entre la série carcérale Oz, l’univers ultra-brutal des gangs chicanos et quête initiatique, on avait déjà vanté les mérites des trois premiers tomes de la série Puta Madre au printemps dernier qui ici finit, apparemment, en fanfare.

Comme c’est marqué sobrement en bas de la page de verso, toutes les cases sont ici cochées : violence, langage grossier, sexe, religion, drogues et… ‘original gangsters’. Avec toujours aux manettes les deux dessinateurs ‘stars’ de l’écurie MUTAFUKAZ, Run et Neyef et toujours ce pot-pourri de culture hip-hop, de mystiques, de croyances incas et d’ultra-violence urbaine où l’on suit le destin de Jésus, enfant envoyé en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis et éduqué derrière les barreaux par des codétenus qui lui ont appris à survivre dans un monde sans pitié.

© Ankama / Run & Neyef

© Ankama / Run & Neyef

Ce chapitre final a beau signifier la fin de la saga – du moins en surface car la dernière planche n’est pas vraiment définitive, comme si une éventuelle suite pouvait être envisagée – il n’y a pas vraiment de rédemption en vue. Même si c’est un personnage principal d’abord limite SDF et malade que l’on retrouve, éternellement à la recherche d’une famille de substitution et qui, cette fois-ci, jette son dévolu sur une drôle de troupes d’évangélistes (en même temps, avec un prénom pareil) dont tous les membres cachent leur visage derrière un masque de catcheur mexicain. Il fini d’ailleurs par en devenir un lui-même, s’inventant au passage une nouvelle identité (‘El Diablo’, le Diable) comme s’il voulait une bonne fois pour toute effacer le petit garçon apeuré qu’il avait été.

© Ankama / Run & Neyef

© Ankama / Run & Neyef

L’intérêt d’avoir deux dessinateurs au style si distinct est qu’ils apportent chacun un éclairage différent sur la même histoire : le style limite manga mais réaliste et stylé de Run (qui s’amuse même à incruster le temps de quelques cases son héros Lino !) contraste avec celui de Neyef, à la limite plus proche à la fois du graph et d’un Robert Crumb pris d’une soif de sang incontrôlable. Mais on reste toujours dans un style très comics US, ramassé et nerveux, parfait pour ce genre de format court même si cette fin qui n’en est pas vraiment une laisse pas mal de choses en suspens. Mais peut-être moins clivant qu’un Heartbreaker par exemple (trop de vampires ?) et plus ancré dans le réel que DoggyBags, ce dernier volume de Puta Madre est à la fois bien représentatif de l’état d’esprit de cette petite mais déjà costaude maison d’édition et en même temps assez à part. Le tout pour (seulement) le prix d’une bière fraîche…

Olivier Badin   

 Putra Madre #6, par Run et Neyef, Label 619, Editions Ankama, 3,90 euros

Big John Buscema : un gros pavé consacré à l’un des maîtres absolus de l’univers Marvel

CapturebigjohnIl aurait fêté ses quatre-vingt dix ans en décembre prochain. Décédé en 2002, John Buscema fut un monstre de la culture comics, lui qui a rencontré dès 1948 Stan Lee et qui entra chez MARVEL en 1966, juste au moment où après des années de crise, l’industrie redécolle à nouveau, lui offrant un nouvel âge d’or auquel, véritable stakhanoviste, il contribuera largement. Cet épais ouvrage retrace son parcours.

Alors hagiographique, ce livre l’est (forcément ?) un peu mais c’est un peu la nature de l’exercice. Autre bémol, histoire de vider nos tiroirs d’entrée : une traduction pas toujours bien adaptée, certes réussie sur le plan grammaticale bien sûr mais dont certaines tournures de phrases un chouia rigides gâche parfois la lecture. Mais on chipote. Parce que pour le reste, à part ses toutes premières publications (pour d’obscures raisons de droit ?), visuellement c’est un véritable festin où planches définitives et colorisées et croquis plus ou moins finalisés du maître de toutes les séries par lesquelles il est passé se côtoient, parfois sur une pleine page. Et c’est du lourd.

Déjà, on retrouve cette exigence dans le choix du papier, bien épais, et dans les iconographiques. De plus, l’auteur connaît à fonds son sujet et cela se voit. On revient notamment sur son enfance, son entrée (difficile) dans le monde des comics et comment cet admirateur absolu de Michel-Ange et fils d’immigrés italiens s’est fait tout seul. Certes, le ‘style’ Buscema reste pour toujours attaché à un certain état d’esprit des années 70. Et on voit combien le grand manitou de l’esprit MARVEL des origines Jack Kirby l’a influencé, même s’il a su s’en détacher par la suite. Mais ses références culturelles (l’homme ayant toujours affirmé préférer les récits mythologiques à la BD traditionnelle), son style très emphatique et son sens du dramatique ont marqué toute une génération de lecteurs, surtout qu’il a dessiné bon nombre de personnages emblématiques, des Avengers aux Quatre Fantastiques, en passant par Spider-Man ou Captain America.

Mais tout l’intérêt de ce superbe objet, en plus de pouvoir mesurer sur plus de 300 pages comment ce boulimique de travail a évolué en près de 50 ans de carrière, est de pouvoir réévaluer certains de ses travaux, comme cette trop brève série sur Le Surfeur D’Argent écrite avec Stan Lee, abandonnée au bout de dix-huit numéros par manque de succès. Ou comment ses années en tant que graphiste dans la pub aux débuts des 60’s ou avec Roy Thomas sur la série Conan le Barbare lui a permis progressivement de s’affranchir du style parfois trop policé des super-héros (qu’il affirmait, apparemment, d’ailleurs détester !) pour quelque chose de plus brut, sensuel et sombre, bref adulte. On découvre même que pendant un temps, ce type qui visiblement ne savait pas dire non, a donné dans les romans graphiques à l’eau de rose… Alors certes, le terme est un peu galvaudé mais on peut vraiment parler d’ouvrage exhaustif. Ou, traduction un chouia moins lettrée, juste un truc foutrement d’indispensable pour tout fan de comics digne de ce nom.

Olivier Badin

Big John Buscema, collectif, Urban Comics, 328 pages, 39 euros

10 Sep

Kérosène : le photographe Alain Bujak et l’auteur de BD Piero Macola donnent la parole aux manouches

Couv_307948C’est un endroit où personne ne devrait logiquement vivre, coincé entre une déchetterie et la base militaire aérienne B118 de Mont-de-Marsan, la plus active de France. 3000 soldats, 20 000 mouvements d’avions par an et du kérosène qui vous dégringole dessus en permanence. Non, personne ne devrait y vivre, pourtant la maison de Marie s’y trouve, et à côté d’elle d’autres familles, d’autres maisons, formant le plus ancien camp de gitans de France…

« De la graine de vauriens, des cambrioleurs, des voleurs de cuivre, des bagarreurs mal rasés qui sillonnent les routes de France et de Navarre à bord de grosses bagnoles tractant d’énormes caravanes. Des gens peu fréquentables, dont il faut se méfier et qui n’apportent que des ennuis… ».

Ces mots-là, nous les avons tous entendus un jour ou l’autre. Claquant comme une évidence. Alors, beaucoup d’entre eux se sont isolés et beaucoup d’entre nous les ont évités. Au point aujourd’hui de vivre chacun dans l’indifférence totale, deux mondes qui ne se voient pas, ne se parlent pas, d’un côté les manouches, de l’autre les gadjos et au milieu une rivière de préjugés, de méfiances et d’ignorances.

En arrivant au camp, le photographe Alain Bujak se remémore lui aussi ces mots. Et d’autres encore. Il est venu ici pour enquêter sur le prochain démantèlement du camp arès le rachat du terrain par l’armée et le relogement des manouches dans des habitations plus traditionnelles pour une vie forcément plus standardisée.

Marie est la première personne que rencontre Alain Bujak. Un passage obligé. Elle vit dans le camp de rond depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle y a vécu le racisme ordinaire, la misère, l’exclusion, la solitude. Mais elle y a aussi vécu de belles choses. En 60 ans et plus, Marie a largement eu le temps d’installer ses petites habitudes et d’engranger les souvenirs.

Comment réagit-elle à ce déménagement ? Comment tous voient-ils l’avenir ? Pourront-ils conserver leur manière de vivre, leur identité ? Leur culture ne risque-t-elle pas de se diluer dans un quotidien « normalisé » ? C’est à toutes ces questions et beaucoup d’autres que le photographe espère trouver des réponses en interrogeant les manouches.

Kérosène nous raconte cette enquête avec les dessins de Piero Macola, les photographies – une trentaine – d’Alain Bujak et un objectif clair : donner la parole aux manouches et garder la trace de cette histoire humaine. Une bande dessinée soutenue par Amnesty International.

Eric Guillaud

Kérosène, par Alain Bujak et Piero Macola. Éditions Futuropolis. 21€

© Futuropolis / Bujak & Macola

© Futuropolis / Bujak & Macola

03 Sep

Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied : une petite gourmandise poétique signée Pascal Rabaté et Alain Kokor

Couv_306446Plutôt que la déprime, Alexandrin a choisit la rime. Et même si la rue est son quotidien, la mendicité son gagne-pain, rien jamais rien ne peut l’empêcher de trouver le bon mot, le bon vers, au bon moment. Plus qu’un exercice, c’est une discipline, une façon de vivre…

« C’est ce jeu avec les mots qui me tient debout… C’est cette quête du beau qui m’évite de rester à genoux… ». Alexandrin ne parle pas en alexandrins mais en vers assurément, et ce du matin au soir, quelques soient les circonstances, le contexte et l’orientation du vent. Sans domicile fixe, Alexandrin fait du porte à porte pour proposer sa poésie contre quelques menues monnaies, il arpente ainsi les rues de la ville au hasard des rencontres, en change lorsque plus rien ne l’y retient.

Faire sonner les mots est devenu son obsession et son unique richesse.

« Bonjour mon brave monsieur, j’espère ne point vous déranger sous ces cieux. Je me présente, Alexandrin de Vanneville, poète des campagnes et des villes, arpentant les chemins de terre et de bitume, par le vent et par la pluie, sans me taire et sans amertume, je survis en proposant ma poésie »

Vendre sa poésie, rester libre, sans attaches, sans femme, sans enfants… Alexandrin est seul et heureux de l’être jusqu’au jour où son chemin croise celui de Kevin, un jeune garçon qui a fui son foyer pour cette même envie de liberté. Alexandrin en fait pour un temps son auxiliaire, son « contrat à durée indéterminée en mendicité » comme il l’appelle.

C’est un drôle de personnage que nous ont imaginé Alain Kokor et Pascal Rabaté, oui un drôle de gus que l’on croirait arrivé tout droit d’un autre siècle avec son accoutrement, ses bonnes manières et ses vers. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une histoire contemporaine, une ode à la poésie, une invitation à la vie, un album magnifiquement écrit et mis en image par deux auteurs de très grand talent, réunis pour la première fois. Les rimes sont sublimes et drôles, le trait de Kokor comme toujours délicat et presque évanescent se marie à merveille avec l’histoire. Bref, pour ne plus être chagrin, lisez Alexandrin!

Eric Guillaud

Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied, de Pascal Rabaté et Alain Kokor. Éditions Futuropolis. 22€

© Futuropolis / Rabaté & Kokor

© Futuropolis / Rabaté & Kokor

02 Sep

Broussaille : le deuxième et dernier tome de l’intégrale est dans les bacs

9782800170190_1_75Un peu de poésie pour la rentrée. Et ce sont les éditions Dupuis qui s’y collent avec le deuxième volet de l’intégrale consacrée au héros de Frank Pé et Bom : Broussaille.

Un deuxième et dernier volet hélas puisque la série lancée dans les pages de Spirou en 1978 compte uniquement cinq albums et deux hors-série, tous désormais réunis dans cette intégrale avec en bonus de nombreuses illustrations, des récits courts ainsi qu’un dossier.

En parlant de rentrée, c’est justement sur une histoire courte consacrée à l’école que s’ouvre cette intégrale, une histoire publiée en septembre 1987, il y a tout juste 20 ans, mettant en scène un Jean Rostand jeune, déjà très brillant et curieux de la vie. Il n’est pas encore le biologiste et écrivain célèbre mais les auteurs rappellent qu’il écrira quelques années plus tard :« La recherche scientifique est la seule poésie qui soit rétribuée par l’état ». 

Entre Jean Rostand et Broussaille, il n’y aurait que quelques pas selon l’éditeur. En tout cas, c’est toujours un immense plaisir de se replonger dans les histoires de ce personnage attendrissant qui quitte la bande des gros nez à partir de l’album La Nuit du chat pour une physionomie beaucoup plus réaliste. Il perd notamment son énorme touffe de cheveux très 70’s pour une coupe pétard beaucoup plus branchée à l’époque.

Le look de Broussaille évolue mais les histoires gardent leur magie, Frank Pé et Bom explorant le territoire de l’intime, de la poésie et du merveilleux avec une infinie délicatesse. Unique !

Eric Guillaud

Broussaille, L’Intégrale tome 2 (1988 – 2002), de Frank Pé et Bom. Éditions Dupuis. 35€

© Dupuis / Frank et Bom

© Dupuis / Frank et Bom

31 Août

Book of Death : le livre des géomanciens

bookLes ‘crossovers’ (collusion de plusieurs univers au sein d’un même volume) étant l’une des grandes spécialités des comics, on voyait mal comment l’éditeur spécialisé dans le genre Valiant allait y échapper, surtout à l’heure où ses productions sont ENFIN traduites en Français. Paradoxalement, cet imparfait Book of Death à la conclusion hélas un peu bâclée vaut presque plus par ses (généreux) bonus.

Au centre de ce tome une nouvelle fois volumineux (300 pages) se trouve le Guerrier Éternel, peut-être le personnage le plus maudit de l’univers Valiant car condamné, comme son nom l’indique, a ne jamais mourir et à traverser les âges pour protéger Gaia (en gros, la Terre mais perçue comme une entité consciente) et surtout sa géomancienne, sorte de mystique à laquelle elle est liée et dont la survie et qui ici apparaît sous a forme d’une jeune fille boudeuse et impatiente. Au passage, cette idée d’une humanité dont le destin dépend de la planète sur laquelle elle vit sans que cela l’empêche pour autant de la piller sans compter est d’ailleurs l’une thématique récurrente chez Valiant, sorte de variante écolo aux pays des super-héros si vous préférez…

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

Ici, les rôles sont quasi-inversés vu que le gentil est le méchant, enfin, ce que en tous cas les autres héros de l’écurie Valiant que l’on retrouve ici (X-O Manowar, Ninjak et Live Wire entre autres) croient : que le Guerrier Éternel défend une géomancienne qui ne contrôle pas ses pouvoirs et qui sème donc mort et destruction sur son passage, alors qu’en fait ce sont là les agissements d’un autre géomancien, capturé par un sorcier maléfique. Un scénario assez manichéen donc mais transfiguré par ces visions d’un possible futur apocalyptique si les prophéties du livre des géomanciens s’accomplissent. Des images chocs avec pas mal de combats au programme qui ne rattrapent pas, hélas, la faiblesse de certains personnages (Ninjak, par exemple, à qui Valiant a consacré trois volumes dont on parlera bientôt, apparaît aussi bourrin que buté) et une fin ratée car bien trop facile et surtout expédiée en quelques planches, comme si la montagne accouchait un peu d’une souris.

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

Non, une fois n’est pas coutume, c’est dans les bonus que ‘Book of Death’ fait la différence. Pas forcément avec cette opulente galerie de croquis ou ce petit prologue de trois pages initialement paru sur le web, non, mais bien dans ces quatre ‘spin-off’ d’une vingtaine de planches qui, individuellement, imagine la mort de quatre des héros de la galaxie Valiant. Or si celui consacré à Harbinger par exemple est trop bavard, le récit de la fin de Bloodshot est à classer parmi les meilleurs de cet éditeur car à la fois beau, mélancolique et d’une incroyable force émotionnelle. Vingt-cinq pages qui valent presque à elles seules l’achat, même si la porte d’entrée pour néophytes au vaste monde Valiant attendue n’est pas hélas vraiment au rendez-vous.

Olivier Badin

Book of Death par Robert Venditti, Robert Gill, Doug Braithwaite, David Baron et Brian Reber, Valiant Comics, éditions Bliss. 24,50€

La révolte des terres : Koza et Marion Mousse mettent en image le premier acte collectif de résistance à l’occupant nazi

Capture d’écran 2017-08-29 à 14.36.01 Je ne sais pas vous mais moi j’aime bien que les choses soient claires. Quand on m’annonce un album de Maximilien le Roy et de Félix Brune, j’aime assez à l’arrivée qu’il soit signé Maximilien le Roy et Félix Brune, et non Koza et Marion Mousse. Sinon, ça me perturbe !

Ça me perturbe et me donne envie d’en savoir plus. Une recherche rapide sur internet permet de constater que tout le monde est aussi perdu que moi. Selon les sites, l’album est attribué à Le Roy et Brune, Koza et Mousse ou encore – une variante – à Le Roy et Mousse. Du côté réseaux sociaux, pas plus d’infos. S’agit-il d’un simple changement de noms? Et si oui pourquoi ? Ou d’un changement d’auteurs ? Mystère…

Bon, assez perdu de temps comme ça, la « blague », s’il s’agit d’une blague, échappera de toute façon à la plupart des lecteurs qui s’intéresseront surtout – ou pas – à l’histoire de cet album. Et de côté-là, elle – l’histoire – a au moins le mérite d’être plus simple. La Révolte des terres nous raconte le premier acte collectif de résistance français à l’occupant nazi. Il ne s’agit pas d’un guet-apens, ni d’un sabotage mais d’une grève, tout simplement serais-je tenté d’écrire, une grève qui va toutefois bloquer un secteur industriel stratégique pour l’armée allemande car c’est tout le bassin minier du Pas de Calais qui va se révolter à la fois contre les conditions de travail et par patriotisme.

Pas de bras ? Pas de charbon. Pas de charbon ? Pas d’énergie pour faire tourner la machine de guerre ! Les ouvriers le savent et prennent le risque de violentes représailles qui ne vont d’ailleurs pas tarder. Direction les camps de déportation et pour certains la mort…

En un peu plus d’une centaine de pages, Koza et Mousse ou Le Roy et Brune – vous choisissez – nous racontent un acte d’héroïsme incroyable, surtout en ce début d’occupation allemande où les résistants sont encore très très rares. Une idée intéressante mais une mise en image et une narration pas toujours convaincantes. Dommage !

Eric Guillaud

La Révolte des terres, de Koza et Mousse. Éditions Casterman. 18€

© Casterman / Koza & Mousse

© Casterman / Koza & Mousse