Un homme tranquille, tranquille et heureux. C’est l’impression que m’a tout de suite donné Éric Henninot lors de notre rencontre au festival international de science fiction de Nantes. Un homme tranquille et heureux d’avoir enfin réalisé après deux ans et demi d’un travail parfois difficile le premier volet d’une adaptation qui lui tient particulièrement à cœur, celle de La Horde du Contrevent, un roman d’Alain Damasio…
Tranquille et heureux de découvrir également l’exposition consacrée à son travail et présentée dans le grand hall impersonnel de la cité des congrès à Nantes. Des reproductions de planches à la fois en noir et blanc et en couleurs, un écran vidéo, le tout dans un décor sobre mais efficace pour qui veut s’immerger dans l’univers de cette aventure profondément venteuse parue aux éditions Delcourt il y a quelques jours.
Né à Rouen d’une famille originaire du Nord, Éric Henninot vit aujourd’hui à Marseille où souffle le mistral, ce qui n’a rien d’anecdotique comme nous le comprendrons dans cette interview. Il nous a parlé du vent mais aussi et bien sûr du roman, de son travail d’adaptation, de la science fiction, des Utopiales et de plein d’autres petites choses…
Éric, peux-tu nous présenter l’histoire en quelques mots ?
Éric Henninot. C’est l’histoire de personnes parties à la recherche de l’origine du vent. Ces personnes vivent dans un monde où le vent souffle en permanence, il ne s’arrête jamais, il peut être calme parfois, il peut être surtout violent, voire très violent. Ces gens vivent dans ce monde sans savoir d’où le vent vient même s’il souffle toujours d’est en ouest. Alors, régulièrement, ils forment une espèce de troupe d’élite pour aller en quête de l’Extrême-Amont à la recherche de la source du vent et trouver une solution aux problèmes qui lui sont liés. En effet, les récoltes s’ensablent sans arrêt, les maisons sont sans cesse à reconstruire…
Oui, la vie dans ce monde est semble-t-il insupportable…
E.H. Insupportable, je ne sais pas, elle est difficile en tout cas. Ça fait huit siècles que ces gens cherchent la source du vent, on suit ici la 34e horde qui atteindra peut-être l’Extrême-Amont.
Au delà ce cette simple lutte contre les éléments, peut-on y voir, peut-on y lire autre chose ?
E.H. Oui, ça me semble assez évident, c’est pour moi une métaphore. Ce qu’il y a d’intéressant dans l’histoire, c’est que sous cet aspect assez simple d’une quête, et d’un trajet assez linéaire finalement puisque la Harode se dirige toujours contre le vent, il se trouve que pour chaque personnage, l’Extrême-Amont est une quête intime. C’est ce qui m’a plu dans le roman d’Alain Damasio, avec aussi la cohérence de l’univers et son extrême richesse où tout est bâti autour du mouvement, de la turbulence, du vortex.
Comment as-tu découvert le roman ?
E.H. C’est un ami qui me l’a fait lire en me disant que c’était extraordinaire. Et de fait…
As-tu tout de suite imaginé l’adapter en BD ?
E.H. Non non, ça a pris du temps. Déjà, il a fallu que je digère le bouquin parce qu’il m’a accompagné un bon moment, et puis, petit à petit, je me suis dit que je pourrai en faire une BD. j’ai des amis qui connaissent Alain Damasio, il est marseillais comme moi, il n’est donc pas inaccessible, il gravite dans mon entourage, alors peu à peu l’idée a germé. Et puis, je me voyais bien passer du temps avec cette horde.
Et en l’occurrence, tu vas passer beaucoup de temps en compagnie de cette horde…
E.H. Oui, j’ai déjà passé un bon moment avec elle et je vais en passer encore pas mal, 5 ou 6 albums, à raison d’un an, d’un an et demi par album…
Oui, le calcul est vite fait. Combien de temps a été nécessaire pour la réalisation de ce premier volet ?
E.H. C’est difficile à quantifier parce que j’ai commencé le projet en étant sur autre chose. Il faut dire aussi que c’est la première fois que j’écris le scénario, il a donc fallu apprendre les mécanismes de l’écriture, écrire un premier scripte, le réécrire, travailler, retravailler, pendant 2 ans, 2 ans et demi. L’album fait 74 pages, presque un album et demi. il fallait mettre en place l’univers et entamer l’histoire, créer le design, les univers graphiques, ça prend beaucoup de temps. Mais tout ça, je n’aurai plus à la faire pour les prochains tomes.
Est ce que le résultat aujourd’hui correspond à ce que tu avais en tête au moment de ta première lecture du roman ?
E.H. Non pas du tout. Dans la préface, Alain Damasio écrit que si on lui avait posé la question de savoir à quoi ressemble Golgoth, à quoi ressemble Caracole, il aurait répondu que non. Et moi c’est pareil, j’ai des idées, des sensations, j’ai eu des impressions diffuses en lisant le roman, mais les images apparaissent vraiment en dessinant. Ça se modèle comme une pâte. C’est pour ça qu’il faut faire et refaire des croquis, parfois aller dans de mauvaises directions, se tromper, revenir en arrière, essayer d’autres choses, avant de se dire, oui là c’est bon c’est Golgoth. Il n’y a pas cette forme d’évidence même si je travaille dans l’image. Quand je lis des romans, je n’ai jamais en tête une image du personnage principal, je me fais une idée mais c’est très vague, juste une impression.
Adapter, c’est forcément trahir, suggère Alain Damasio dans la préface de l’album. As-tu le sentiment d’avoir suffisamment trahi le roman ?
E.H. C’est vraiment difficile à dire. Au départ, quand j’ai voulu adapter le roman, je me suis vraiment posé la question de savoir si il y avait un intérêt à faire l’adaptation d’un bouquin que je trouve formidable. Que pouvais-je y apporter de plus ? Et puis, est-ce que faire une adaptation, c’est ajouter quelque chose. Finalement, c’est en la réalisant que je me suis rendu compte de ce qu’était une adaptation. Il se trouve que le roman d’Alain est une polyphonie, chaque personnage de la horde parle et le lecteur recompose l’histoire comme un kaléidoscope. Dans la bande dessinée, j’ai fait un choix différent qui s’est fait assez spontanément, i’ai choisi Sov (le scribe, ndlr) comme personnage principal. J’ai dû redramatiser toute l’histoire autour de lui, c’est un personnage qui me touche à titre personnel. Bien sûr, j’ai continué de raconter l’histoire de la horde mais avec Sov en fil rouge.
Le fait de passer d’une polyphonie à un récit plus classique avec un personnage principal, un héros, change déjà considérablement les choses. Alain Damasio dit que je suis trop fidèle au roman mais bon, moi j’ai l’impression d’avoir modifié pas mal de choses déjà. J’essaie de créer une oeuvre en tant que telle même si je pars d’un roman. La Horde du Contrevent est mon premier scénario. C’est la première fois que j’ai l’impression de signer une oeuvre personnelle. Ça peut paraître paradoxal mais à force de travailler sur l’adaptation, je me suis en quelques sortes approprié l’histoire.
Justement, à qui pensais-tu t’adresser en adaptant ce livre : aux fans d’Alain Damasio, aux fans de SF, aux fans de BD ? As-tu l’impression d’avoir rendu l’oeuvre plus accessible ?
E.H. C’était une volonté, J’avais fait une première version qui était un peu abrupte comme le roman. Dans les premiers retours, tous les gens qui ne connaissaient pas le roman m’ont dit qu’ils ne comprenaient rien. Moi, je voulais que ce soit comme dans le roman, qu’on soit aveuglé, qu’on se prenne du vent dans la figure, du sable, qu’on ne comprenne rien. Mais ce qui fonctionne en roman ne fonctionne pas toujours en BD où on est plus proche du théâtre et du cinéma. La dramaturgie y est extrêmement importante. De fait, cette simplification est simplement dû à un changement de média, non à l’éventuelle complexité du roman.
J’imagine que le travail fut énorme (univers complexe, écriture particulière, personnages). Qu’est-ce qui a été le plus compliqué pour toi ?
E.H. Deux choses, d’abord ce moment des premiers retours. Ça faisait plus d’un an que je bossais, 30 pages étaient encrées, et tout d’un coup on me dit que c’est trop compliqué. Là je me suis effondré, j’ai pense arrêté. Un vrai moment d’abattement. C’est dur de se dire qu’il faut recommencer. Mais je l’ai fait… et je suis content de l’avoir fait. L’adaptation doit finalement beaucoup à ces retours. La deuxième chose très difficile, c’est la création des design, une longue recherche. Je ne devais pas me planter parce que j’allais dessiner les personnages pendant quelques années.
Et le vent ? Traiter le vent en BD n’est pas vraiment simple. Comment t-y es-tu pris ?
E.H. C’est venu assez facilement, peut-être par le fait d’habiter à Marseille, d’être régulièrement confronté à cette présence du vent, du mistral. Et puis, il y a eu un déclic assez important un jour de grand vent , je me suis aperçu que non seulement le vent nous obligeait à nous incliner, qu’il tirait un peu sur les vêtements, mais qu’en plus il avait une présence sonore incroyable. Je me suis dit que le son était fondamental et qu’il fallait le rendre. Je n’avais pas le son mais j’avais les onomatopées, elles sont très présentes dans l’album.
Que représente les Utopiales pour toi ? Et la SF d’une façon générale ?
E.H. C’est la première fois que je viens aux Utopiales, je découvre, je trouve ça passionnant. Ensuite, la SF, est un univers dans lequel j’ai toujours navigué, même si je ne suis pas un grand spécialiste. Il y a plein de livres, plein d’auteurs que je n’ai pas lus mais c’est une littérature qui me fascine et me passionne.
Quel livre, quel auteur, a pu te décider à faire ce métier ?
E.H. Bonne question mais il m’est impossible de donner un nom précis, la BD a toujours été très présente dans mon enfance, mon adolescence. J’ai toujours voulu dessiner.
À quoi va ressembler l’avenir proche d’Éric Henninot ?
E.H. Je vais replonger dans l’écriture, le deuxième volet est en cours…
Propos recueillis par Eric Guillaud le 4 novembre 2017 aux Utopiales.
La horde du Contrevent (tome 1), Éditions Delcourt. 16,95€