Sujet très peu, pour ne pas dire jamais, abordé dans la fiction, le STO est au centre de cet album signé Nadar et Julien Frey chez Futuropolis. Retour sur les années noires de l’Occupation et le funeste Service du Travail Obligatoire instauré par le régime de Vichy en février 1943…
Historien, spécialiste de l’histoire de la collaboration et auteur d’un livre sur le STO, Raphaël Spina présente en postface l’album de Nadar et Julien Frey comme « la toute première bande dessinée consacrée au Service du Travail Obligatoire (STO) ». Cela peut paraître étonnant mais une recherche rapide sur internet permet de confirmer ses propos, en tout cas, ne permet pas de les infirmer. Seul un récit en BD daté de 1942 et signé Frick, L’aventure de Célestin Tournevis, parle du STO, en termes élogieux dans ce cas puisqu’il s’agit d’une brochure de propagande pro-allemande.
Une absence des écrans radar étonnante d’autant que, comme le souligne Raphaël Spina, rares sont les familles françaises à ne pas avoir compté dans leurs rangs un membre concerné par le STO, qu’il soit requis ou volontaire. Il faut dire que le STO fût vécu comme un traumatisme par ceux qui sont partis et comme une trahison pour ceux qui sont restés, au point que ces derniers ont un peu facilement assimilé les premiers à des collabos. Quoiqu’il en soit, le sujet est longtemps resté sensible au sein de la population française. Ceci explique cela.
Dans ce récit, Justin est l’un de ces gars de la STO, pas un volontaire, un requis. Bien sûr, comme un grand nombre de requis sur la fin de la guerre, il aurait pu choisir le maquis, « se battre au lieu de cirer les pompes des Allemands », mais la trouille ou l’éventualité de mettre un peu de beurre dans les rutabagas l’en dissuade. À 22 ans, Justin se retrouve en Allemagne, ouvrier dans une usine de locomotives avec des conditions de vie difficiles, un hébergement collectif et spartiate dans le camp d’Hennigsdorf, une absence totale d’hygiène et un encadrement allemand brutal et sadique. Alors, à la première occasion, Justin prend la poudre d’escampette pour retrouver les bras de sa dulcinée à Paris, où il vit dans la clandestinité jusqu’à la Libération sans argent, sans ticket de rationnement…
Nadar et Julien Frey racontent le quotidien de Justin au STO, « conforme à ce que les historiens en connaissent » précise Raphaël Spina. Ils racontent aussi ce poids du passé qui lorsque la paix fut revenue, ne le laissa guère tranquille, honteux de ne pas avoir choisi le camp de la Résistance, honteux de ne pas avoir servi la patrie. Au moment de prendre sa retraite, Justin dit non à la pension qui lui revient pourtant de droit sur cette période de STO. Tout simplement parce qu’il a cette fois le choix, le pouvoir de dire non, ce non qu’il aurait tant aimé prononcer autrefois.
Non seulement, L’oeil du STO a assurément une valeur pédagogique de par son approche très documentée de la période, mais il offre aussi une bonne dose d’émotion avec notamment, au milieu de tous ces bruits de bottes, de toutes ces haines et rancœurs, une belle histoire d’amour et de famille. Côté dessin, l’auteur espagnol Nadar, qui a déjà déjà fait sensation de ce côté-ci des Pyrénées (Papier froissé, Salud!…), propose une mise en images en noir et blanc sobre et efficace. Chaudement recommandé !
Eric Guillaud
L’œil du STO, de Nadar et Julien Frey. Futuropolis. 24€ (en librairie le 5 février)