13 Jan

Sélection officielle Angoulême 2021. Le Mystère de la maison brume : le polar énigmatique sans cadavre et sans meurtrier de Lisa Mouchet

C’est l’un des récits de bande dessinée les plus surprenants de la sélection officielle 2021, un récit entièrement réalisé en vue subjective avec le décor d’une maison pour unique personnage visible et un mystère aussi épais que la brume ambiante…

La couverture annonce la couleur. Et la forme. Le Mystère de la maison brume n’est pas un album ordinaire avec un découpage en forme de gaufrier, des bulles pour les dialogues, une belle galerie de personnages et une aventure à la Spirou et Fantasio, pleine de rebondissements, d’actions et d’humour.

Ici, pas de personnages. Ou plutôt si. Trois. Mais vous ne les verrez jamais. Ils portent des numéros, n°2, n°5 et n°8, ont en commun d’habiter le même lotissement d’un hameau perdu quelque part entre l’hémisphère sud et l’hémisphère nord, un hameau généralement noyé sous une brume épaisse jusqu’au jour où le soleil décide de faire une percée et dévoile la grande maison d’un certain Mr.zéro que vous ne verrez pas non plus. Et que les trois autres numéros n’ont jamais vu.

Une maison bien curieuse, immense, moderne, abandonnée, un personnage en soi, de quoi attiser la curiosité des voisins et notamment des n°2, n°5 et n°8 qui par une belle nuit d’été décident de franchir le pas et de s’aventurer dans la fameuse maison, au risque de s’y perdre ou de faire une mauvaise rencontre…

Surprenant par sa forme, ce premier livre de Lisa Mouchet se révèle franchement séduisant, l’autrice s’y autorisant une belle exploration des possibilités du médium, une expérimentation narrative et graphique tous azimuts avec une histoire entièrement en vue subjective, de quoi nous plonger corps et âme dans le récit. Il y a de l’Agatha Christie dans tout ça et bien plus encore… Captivant !

L’album figure dans la sélection officielle du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême 2021 et il est en compétition pour le Prix du Public France Télévisions

Eric Guillaud

Le Mystère de la maison brume, de Lisa Mouchet. Magnani. 24€

Atom Agency, un polar comme au bon vieux temps dessiné par le Nantais Olivier Schwartz

Valeur sûre en bande dessinée et en littérature d’une façon générale, le polar bien noir reprend des couleurs avec le scénariste Yann et le dessinateur Olivier Schwartz. Enquêtes criminelles, recherches de personnes disparues, filatures diverses… Atom Agency relève le défi.

Le Choucas, Jérôme K. Jérôme Bloche, Gil Jourdan, Nestor Burma, Canardo, Blacksad, Ric Hochet, Dick Tracy…  Les détectives privés sont légion dans le monde du neuvième art, preuve de l’extrême fascination que peut exercer ce métier vieux comme le monde. Qui n’a jamais effectivement rêvé de partir sur une filature et de démasquer le méchant. Rien qu’en France, aujourd’hui, il existe plus de 1000 agences en activité. 

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11 Jan

X-O Manowar : Wisigoth et fier de l’être !

Deuxième édition (après une première en 2017) pour cette intégrale en trois volumes d’Aric le wisigoth, guerrier du 4e siècle devenu par erreur un demi-dieu grâce à une armure extra-terrestre et dont le destin le pousse à d’abord sauver son peuple puis l’humanité entière. Une preuve supplémentaire que le petit Poucet Valiant en a revendre face aux mastodontes DC Comics et Marvel.

D’accord, on vous voit venir à trois kilomètres. Et oui, vous avez raison sur le papier, le point de départ ici est disons capilotracté, même du point de vue d’un fan de comics pourtant habitué aux trucs un peu tiré par les cheveux : en l’an 402, Aric, impétueux héritier du trône des Wisigoths, se fait kidnapper par des extra-terrestres qui l’emmènent sur leur vaisseau spatial en orbite pour y devenir leur esclave. Lorsqu’il réussit enfin à provoquer une révolte, il fusionne avec une sorte d’armure consciente érigée en relique sacrée par ses geôliers qui le transforme en une arme surpuissante et quasi-indestructible. Mais une fois de retour sur Terre, il se rend alors compte que seize siècles sont passés et que les choses ont bien changées…

Les héros torturés, l’écurie VALIANT aime ça : BLOODSHOT, LE GUERRIER ETERNEL, RAI etc. Mais celui-ci est à part car on a d’abord du mal à être en empathie avec cette grande gueule, arrogante toujours prompt à répondre avant tout par les poings. Et puis au début, son monde paraît bien monochrome, avec les méchants clairement identifiés d’un côté et les gentils de l’autre. Or vu que comme d’habitude VALIANT ne fait dans la dentelle lorsqu’elle parle d’intégrale – plus de 800 pages ici, et encore ce n’est que le premier volume ! – on se demande d’abord comment tout cela va tenir sur la longueur…

© Valiant/Bliss – Venditti, Kindt, Nord, Garbett & Braithwaite

Sauf que la première moitié du volume est assuré au dessin par le grand, que dis-je l’immense Cary Nord, prix Eisner 2004 connu pour son travail sur THOR et surtout CONAN THE BARBARIAN. Même si son trait n’est peut-être pas aussi profond ici, il sait apporter à la fois de l’humanisme et des couleurs qui donnent du corps à l’histoire. Et surtout, le scénariste Robert Venditti prend son temps pour installer sa mythologie en quelque sorte, tout en multipliant les aller-retours entre le passé et le présent pour mieux expliquer comment son personnage central s’est construit.

Mieux : en le faisant revenir sur Terre avec son peuple pour essayer de se réapproprier leurs anciennes terres, provoquant l’ire des armées du monde, il se permet même une métaphore sur le sort actuel des réfugiés apatrides et leurs difficultés à trouver leur place dans le monde moderne.

Certes, cela fait beaucoup, beaucoup à encaisser. Et le cahier des charges imposé de façon systématique par VALIANT avec un héros, quel qu’il soit, devant impérativement à un moment ou à un autre croiser d’autres personnages maison (ici NINJA K, LE CHAMPION ETERNEL ou encore la saga UNITY) ne fait pas toujours des merveilles. Mais grâce au talent Cary Nord et au côté compacte/économique de l’objet (autant de pages qu’avec les Omnibus de son grand frère MARVEL mais deux fois moins cher presque), au bout du bout, X-O MANOWAR s’impose comme l’un des héros les plus atypiques de VALIANT, petite mais costaude alternative aux géants du circuit.

Olivier Badin

X-O Manowar – Intégrale tome 1 de Robert Venditti, Matt Kindt, Cary Nord, Lee Garbett & Dough Braithwaite, Valiant/Bliss, 49 euros    

© Valiant/Bliss – Venditti, Kindt, Nord, Garbett & Braithwaite

10 Jan

Nouveauté 2021. A Fake story, Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon au coeur du mensonge

La plupart d’entre nous n’étions pas nés en 1938 lorsque le prodigieux Orson Welles fit trembler l’Amérique dit-on avec une pièce radiophonique adaptée de son roman La Guerre des Mondes. Mais nous connaissons tous cette histoire, cette fausse histoire, qui peut en cacher beaucoup d’autres..

États-Unis, le 30 octobre 1938. La radio américaine CBS vient de l’annoncer et le retransmet en direct, les extra-terrestres envahissent notre bonne vieille Terre. C’est la panique dans les foyers, l’hystérie collective, la presse écrite parle d’émeutes à travers le pays. Mais tout ceci est faux. Aucun extra-terrestre à l’horizon, nulle invasion, pas de scène de panique… Rien si ce n’est une fiction signée Orson Welles et une légende qui s’est écrite avec le temps.

C’est de cet épisode malgré tout mythique de l’histoire radiophonique que sont partis Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon pour écrire ce récit publié chez Futuropolis. Ils y abordent le thème du fake à travers les médias en déroulant une sombre histoire de meurtre que certains auraient voulu maquiller en suicide collectif en réaction à cette arrivée imminente d’extra-terrestres. Mais c’était sans compter sur la diligence de Douglas Burroughs, journaliste vedette de la CBS, qui débarque dans le bled paumé où a eu lieu l’affaire pour enquêter et démêler le vrai du faux.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’histoire tient sacrément bien la route grâce à un scénario parfaitement huilé et des planches aux atmosphères finement travaillées. De ce qui aurait pu faire une bonne SF bascule rapidement dans le polar et nous tient en haleine jusqu’à la dernière page avec en sus un regard affuté et assez pessimiste sur la société américaine ségrégationniste, raciste, prête à croire celui qui parle le plus fort ou ment le plus effrontément, ce qui en tout cas l’arrange, comme on a pu encore le voir très récemment avec Trump et ces fake news produites à la chaine.

Un récit adapté du roman de Douglas Burroughs à en croire la couverture. Mais même là, rien n’est moins sûr !

Eric Guillaud

A Fake story, de Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon. Furutopolis. 17€ (en librairie le 13 janvier)

07 Jan

Passion femmes : l’hommage de Manara à la féminité

Si vous vous demandez encore où sont les femmes comme un certain chanteur populaire du siècle précédent, ne cherchez plus, elles sont là, dans ce magnifique ouvrage des éditions Glénat sorti en décembre, plus de 300 pages et autant de représentantes de la gente féminine goulûment croquées par Manara…

Certains dessins se passent de commentaires, c’est le cas ici. Tout au long des 300 pages de ce livre, pas un mot, pas une phrase, pour expliquer l’immense talent de l’auteur, l ‘extrême beauté du graphisme, en un mot ou presque le génie de la chose, mais des illustrations, autant que de pages, des illustrations effectivement signées par un auteur hyper-talentueux, l’un des géants de la bande dessinée européenne passé maître en bande dessinée érotique, adepte d’un trait réaliste d’une très grande clarté, Manara.

Le Déclic, Le Parfum de l’invisible, Candide caméra, L’été indien, El Gaucho… l’auteur italien a signé plusieurs albums qui appartiennent d’ores et déjà au patrimoine mondial de l’imaginaire et du fantasme avec toujours, au centre de tout, la femme. Ce livre réunit des illustrations qui couvrent toute sa carrière et seraient, à en croire l’éditeur, majoritairement inédites en livre en France, des portraits d’actrices, des projets d’affiches, des créations pour la presse ou la publicité… Sensuel jusqu’au bout du trait !

Eric Guillaud

Passion femmes, de Manara. Glénat. 39€

06 Jan

Mirages et folies augmentées : du Druilllet pour la nouvelle année

Quand on évoque Philippe Druillet, on pense immédiatement à La Nuit ou Salammbô, deux albums qui ont, il est vrai, révolutionné le neuvième art en leur temps. Mais Druillet, c’est beaucoup plus que ça. Les éditions Glénat nous le rappellent aujourd’hui à travers ce magnifique ouvrage de plus de 360 pages réunissant des récits peut-être moins connus, certains oubliés, mais tout aussi révélateurs d’un certain génie…

Un dessin de couverture flamboyant et fantastique sur fond argenté, des pages de garde d’un noir profond… bienvenue dans l’univers du grand, de l’immense, de l’unique Philippe Druillet. Impossible de le confondre avec un autre, même de loin, même de nuit, un dessin du créateur de Lone Sloane se reconnaît facilement par tous, bien au-delà du seul cercle des férus de bandes dessinées.

L’auteur est de retour avec une nouvelle édition de Mirages, une édition revue et judicieusement sous-titrée Et folies augmentées. Mais que trouve-t-on exactement dans ses – presque – 400 pages ? Des oeuvres de jeunesse, des documents inédits dont même l’auteur avait oublié l’existence tels que La faune de l’espace réalisé avec Jean-Pierre Dionnet, des histoires courtes inscrites dans sa période noir et blanc, Le garage à vélo, Vuzz, Le Messager des ombres avec Lob, Demain peut-être, Le Mage acrylic… en couleurs cette fois Firaz et la ville fleur avec Picotto au dessin et Druillet au scénario, de nombreuses illustrations et couvertures de livres, de magazines et d’albums.

Forcément indispensable pour tous ceux qui aiment Druillet, pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du neuvième art, à son évolution, notamment à cette période des années 70 où tout était à inventer, à transgresser, où tout était finalement possible. Magnifique !

Eric Guillaud

Mirages et folies augmentées, de Philippe Druillet. 35€

03 Jan

Deadpool ou le joyeux de la couronne

Deadpool, le héros, est un mercenaire aux capacités régénératrices aussi infinies que son sens de la tchatche. Deadpool, la série, ne cesse elle aussi de mourir pour mieux ressusciter. Après son crossover très réussi avec Spiderman et son passage chez les Avengers, sa nouvelle série le voit… monter sur le trône.

 

Alors pas de panique : bien sûr qu’il y a de grosse bagarre et bien sûr que MARVEL n’oublie pas de sortir de son placard plein à craquer de bad guys quelques jolis représentants, comme par exemple ici Kraven le chasseur dont la première apparition remonte, quand même, à 1965. On a même droit à Captain America et aux X-Men en fin de parcours… Mais on ne va pas se mentir, ce n’est pas vraiment cela que l’on va chercher du côté de Deadpool. Non, ce que l’on aime chez le mercenaire disert c’est son débit mitraillette, son attitude goguenarde, sa tchatche perpétuelle, son humour ultra-grinçant et son sens de la réparti. Sans parler de ces 8795 clins d’œil, cette façon qu’il a de tout le temps charrier ses copains super-héros, son manque de moral assumé ou même cette façon qu’il a de briser le quatrième mur en s’adressant directement au lecteur.

Oui, c’est tout cela que l’on vient chercher chez Deadpool. Pour chacun des nombreux scénaristes et dessinateurs qui se sont succédés à son chevet, la feuille de route est donc très claire et à ce petit exercice, la scénariste Kelly Thompson s’en sort plutôt pas mal, notamment en démarrant cette nouvelle série sur un pitch improbable : engagé pour occire le ‘roi des monstres’ qui occupe Staten Island à côté de New York, il réussit tellement bien son boulot qu’il est élu souverain à sa place par tous ses sujets… Avec toutes les emmerdes qui ont avec. Et oui, la présence d’un requin de terre (ne posez pas de question) en guise d’animal de compagnie et d’un mutant nommé Gerbe dont la particularité est de vous téléporter en vous, et bien, gerbant dessus ne sont que deux des (très) nombreuses loufoqueries que l’on retrouve ici. 

C’est du n’importe quoi ? Presque, oui mais justement, c’est pour ça que cela marche. Surtout avec un dessinateur comme Chris Bachelo qui s’amuse beaucoup avec les cadrages et les couleurs, sans oublier de semer plein de micro-détails sur ses pages et surtout d’accentuer le côté loufoque du personnage. D’ailleurs, c’est surtout drôle, très drôle même. Â condition, certes, de connaître les codes et d’apprécier la surabondance de joutes verbales qu’est l’une des images de marque de cet anti-héros qui détonne toujours autant au sein du monde sinon trop souvent très politiquement correct de MARVEL.

Olivier Badin

Deadpool – Longue Vie Au Roi de Kelly Thompson, Chris Bachalo, Gerardo Sandoval et Kevin Libranda, Marvel/Panini Comics, 18€

© Marvel/Panini Comics – Thompson, Bachalo, Sandoval & Libranda

Nouveauté 2021. Ion Mud, la première odyssée d’Amaury Bündgen

Mieux vaut tard que jamais ! Plus encore lorsqu’on a le talent d’Amaury Bündgen qui publie en ce début d’année sa toute première bande dessinée, un récit de science fiction influencé par le manga, le comics et la bande dessinée européenne. L’homme a 48 ans et visiblement un bel avenir dans le milieu…

Vingt minutes. C’est le temps dont disposait Amaury Bûndgen pour convaincre un éditeur à l’occasion d’une rencontre jeunes talents organisée par le festival Lyon BD en 2018. Pas certain qu’il en ai eu besoin ! Enthousiasmé par son univers, l’éditeur en question, Casterman pour ne pas le citer, le signe pour un premier roman graphique de près de 300 pages en noir et blanc, entièrement réalisé sur ordinateur et influencé par le manga crépusculaire Blame! de Tsutomu Nihei.

Unité de lieu et de temps, l’action se déroule dans un immense vaisseau spatial perdu on ne sait trop où, dans l’immensité intersidérale ou simplement sur Terre. Avec à son bord des monstres, beaucoup de monstres, des extra-terrestres, des drones, et Lupo, un être humain qui n’aura de cesse tout au long du récit de vouloir rejoindre – et franchir – les toranas, d’immenses portes noires derrière lesquelles se seraient réfugiés des aliens qui pourraient bien avoir quelques explications à lui fournir sur sa présence ici. Car oui, Lopo ne sait pas ce qu’il fait dans ce vaisseau. Il aurait été enlevé il y a une cinquantaine d’années et doit faire face depuis à une contamination qui transforme toutes formes de vie en créatures mutantes.

Cette exploration du vaisseau est bien évidemment prétexte à de nombreuses rencontres, pas toujours amicales, pas toujours hostiles non plus. Une odyssée parfois intérieure, bluffante par son graphisme fait de milliers de hachures. Les gamers, mais pas que, apprécieront !

Eric Guillaud

Ion Mud, d’Amaury Bündgen. Casterman. 25€ (en librairie le 20 janvier)

© Casterman / Bündgen

31 Déc

Dix albums, dix regards sur notre passé avant d’entamer une nouvelle année

En cette veille de nouvelle année, petit retour en arrière avec une sélection d’histoires avec un petit h autour de l’histoire avec un grand H…

On commence avec le premier volet d’Hitler est mort !, un récit de Jean-Christophe Brisard mis en images par Alberto Pagliaro revenant sur l’un des plus grands mystères du vingtième siècle : le suicide du Führer. Depuis plus de 70 ans, les théories du complot se suivent et se ressemblent. Est-il vraiment mort en 1945 ? A-t-il fui en Amérique du Sud ? Jean-Christophe Brisard, écrivain, journaliste et réalisateur de documentaires, a sérieusement enquêté sur l’affaire, touché du bout des doigts des restes d’Hitler, sorti un livre aux éditions Fayard avant d’en offrir aujourd’hui une adaptation en BD dans laquelle on découvre la guerre entre deux services soviétiques, le NKVD d’un côté et le Smerch de l’autre, pour récupérer et conserver le cadavre du Führer. Un récit parfaitement documenté et raconté qui peut mettre un terme à tous ces doutes savamment entretenus par certains… (Hitler est mort!, de Brisard et Pagliaro. Glénat. 14,95€)

Si Hitler est bel et bien mort en 1945, il aurait pu l’être quelques années auparavant pour le plus grand bien de l’humanité, en 1938 précisément lorsque le Suisse Maurice Bavaud tenta de l’assassiner à l’occasion d’une marche commémorative à Munich. Il n’y parvint pas, tenta sa chance de nouveau dans les jours qui suivirent, sans succès, avant de se faire arrêter, cuisiner par la Gestapo, guillotiner le 14 mai 1941. Il faudra presque 20 ans à sa famille pour réhabiliter sa mémoire et en faire un héros. C’est cette histoire incroyable mais vraie que raconte La Part de l’ombre à travers l’action d’un autre personnage, fictif celui-ci, Guntram Muller, journaliste pour le quotidien Berliner Zeitung, bien décidé à faire oublier son passé dans l’Abwehr, service de renseignement de l’état-major allemand. Un graphisme élégant, une histoire rondement menée. 2 tomes prévus. (La part de l’ombre, de Perna et Ruizge. Glénat. 14,50€)

D’une guerre à l’autre, Jean-Pierre Pécau au scénario, Maza au dessin, Jean-Pierre Fernandez aux couleurs et Manchu au dessin de couverture, la même équipe que sur les séries Luftballons et USA Über Alles, nous entraînent dans les pas d’Armand Baverel, engagé dans l’Air Force pendant la deuxième guerre mondiale avant de rejoindre l’Armée de l’air à son épilogue avec pour horizon immédiat l’Indochine. Véritable tête brûlée le jour à bord de son coucou, Don Juan et guitariste la nuit, Armand Baverel se retrouve plongé au coeur d’un trafic d’opium avec des gueules d’atmosphère. Trois tomes prévus. De l’aventure au coeur de l’histoire. (Indochine, de Jean-Pierre Pécau et Maza. Delcourt. 14,95€)

On reste en Indochine avec l’une des batailles les plus déterminantes de la guerre, Diên Biên Phu, trois syllabes qui résonnent dans la mémoire collective comme une défaite cuisante, une humiliation pour les troupes françaises, un traumatisme pour tout le pays et un réveil pour les luttes révolutionnaires et nationalistes à travers la planète. À la façon de l’émission radiophonique de France Inter Rendez-vous avec X, un ancien agent des services secrets explique comment on en est arrivé là, comment cette défaite eut de réelles répercussions sur les conflits à venir. Une BD très documentée servie par un dessin réaliste de bonne facture et accompagnée d’un dossier de huit pages avec photos. (Rendez-vous avec X – Diên Bien Phu, de Dobbs et Mr Fab. Glénat / Comix Buro. 14,95€)

Petit retour en arrière avec Nez de cuir, une adaptation en bande dessinée du roman de Jean de la Varenne, par Jean Dufaux et Jacques Terpant. L’action se déroule cette fois en 1814 au lendemain de la Campagne de France qui a abouti à l’abdication de Napoléon 1er et à son exil sur l’île d’Elbe. Partout des gueules cassées, des estropiés et parmi eux le jeune comte Roger de Tainchebraye défiguré par plusieurs coups de sabres et de lances ainsi qu’un tir de pistolet à bout portant. De quoi revenir avec le visage d’un diable. Lui qui plaisait tant aux femmes est aujourd’hui obligé de se cacher derrière un masque. On le surnomme dès lors Nez de cuir mais ses rivaux n’auront guère le temps de s’en féliciter, même masqué, le comte attire encore à lui toutes les femmes de la noblesse de cette verdoyante Normandie magnifiquement reproduite ici sous le trait de Jacques Terpant. (Nez de cuir, de Dufaux et Terpant. Futuropolis. 16,90€)

Suite et fin de la série De Gaulle aux éditions Glénat. Tout avait commencé dans le premier volet en 1916 lorsque l’armée l’eut cru mort pour la France et en informa ses parents. Tout s’achève ici avec sa mort, bien réelle cette fois, en 1970. Après une traversée du désert, Charles de Gaulle revient au pouvoir sur fond de guerre d’Algérie. Il incarne l’homme qui a sauvé la France par le passé et qui pourrait bien la sauver à nouveau avec notamment la mise en place d’une nouvelle constitution et le règlement de la question algérienne. Mais de Gaulle, c’est aussi les premiers essais de la bombe atomique française ou encore Mai 68. Une période riche et complexe que l’on peut approfondir par la lecture du dossier d’une petite dizaine de pages en fin d’ouvrage. Une très belle biographie co-éditée par Glénat et Fayard dans la collection Ils ont fait l’histoire (De Gaulle tome 3, de Gabella, Regnault, Malatini et Neau-Dufour. Glénat / Fayard. 14,50€)

Beaucoup plus près de nous dans le temps, la guerre de Bosnie-Herzégovine est le contexte de l’album Des Bombes et des hommes paru aux éditions Futuropolis. Estelle Dumas y relate son passé d’humanitaire en ex-Yougoslavie, un passé à se faufiler entre les bombes justement pour venir en aide aux hommes, aux femmes et aux enfants, tous meurtris par ce conflit. Des villes en ruine, des snipers un peu partout, des bombardements incessants, des corps sans vie ici et là, un danger permanent… et des ONG qui tentent de sauver ce qui peut encore l’être, en distribuant des vivres mais pas seulement, Isabelle, aka Estelle, s’est juré d’apporter aussi un peu de rêve à ces populations qui en avaient bien besoin. « Les gens de Sarajevo et de Gorazde m’ont démontré que l’art est essentiel, tout autant que la nourriture, pour l’être humain. Quelle gifle, violente et magnifique à la fois, ce fut pour moi! ». (Des Bombes et des hommes, de Dumas, Ricossé et Godart. Futuropolis. 21€)

On change d’hémisphère pour rejoindre l’Australie du XIXe siècle en compagnie de Robert O’Hara Burke et William John Wills, deux explorateurs chargés par la Royal Society of Victoria de traverser en 1860 le continent du sud au nord, de Melbourne au golfe de Carpenterie, 2800 kilomètres, une expédition de tous les dangers dont ils ne reviendront d’ailleurs pas vivants. Personne ne l’avait réalisé avant eux, ils seront stoppés à quelques kilomètres de la côte par une zone de mangrove. C’est sur la route du retour que les choses se sont envenimées comme le raconte très bien cet album paru dans la collection Explora des éditions Glénat, rejoignant ainsi Marco Polo, Darwin, Magellan et autre Livingstone. (Burke & Wills, de Pezzi et Sergeef. Glénat. 14,95€)

Quel prix doit payer un étranger pour cesser de l’être et devenir transparent dans la société française ? C’est toute la question à laquelle tente de répondre ce livre de Baru dont le titre est emprunté au chant de révolte, devenu avec le temps un hymne à la résistance dans le monde entier, Bella Ciao. Après Quéquette Blues, publié dans les années 80, puis Les Années Spoutnik au tournant du siècle, l’auteur continue de nous raconter une histoire de l’immigration italienne et de l’intégration, en noyant comme il l’écrit « quelques éléments autobiographiques à un océan de fiction » et en adossant le tout sur une réalité historique souvent violente, à l’image de ce massacre d’Aigues-Mortes en 1893 sur lequel s’ouvre l’album et qui avait fait dix mort et cinquante blessés parmi des Italiens simplement venus en France pour travailler. (Bella Ciao, de Baru. Futuropolis. 20€)

On termine cette sélection comme on l’a commencée, au coeur des années noires du nazisme mais avec cette fois une fiction, une fiction qui sonne juste et fait tout aussi froid dans le dos. La Désobéissance d’Andreas Kuppler raconte l’histoire d’un journaliste sportif qui n’a jamais partagé les valeurs nazies, toujours ramé contre le courant, seul contre – presque – tous. Et de s’interroger. Comment un peuple entier a-t-il pu être ainsi converti ? Pour Andreas Kuppler, le seul chemin possible sera la désobéissance…  (La Désobéissance d’Andreas Kuppler, de Corbeyran et Garcia, d’après le roman de Michel Goujon. Delcourt. 17,50€)

Eric Guillaud

BD : les vingt coups de coeur de l’année 2020

On aurait pu en sélectionner 2020 ou plus, on s’est limité à 20. Malgré le virus, les confinements, les femetures de libairies, les festivals annulés, le monde du neuvième art est resté actif et créatif. La preuve avec ces albums, nos coups de coeur de l’année…

L’année 2020 avait pourtant bien commencé avec la promesse d’une Année de la bande dessinée décrétée par le Ministère de la Culture.

Et patatras, une méchante pandémie décida d’envahir le monde faisant passer cette célébration mais aussi la contestation des auteurs qui connaissent une précarité grandissante au second plan.

L’année avait de même bien commencé côté albums avec de belles surprises…

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