12 Sep

Big John Buscema : un gros pavé consacré à l’un des maîtres absolus de l’univers Marvel

CapturebigjohnIl aurait fêté ses quatre-vingt dix ans en décembre prochain. Décédé en 2002, John Buscema fut un monstre de la culture comics, lui qui a rencontré dès 1948 Stan Lee et qui entra chez MARVEL en 1966, juste au moment où après des années de crise, l’industrie redécolle à nouveau, lui offrant un nouvel âge d’or auquel, véritable stakhanoviste, il contribuera largement. Cet épais ouvrage retrace son parcours.

Alors hagiographique, ce livre l’est (forcément ?) un peu mais c’est un peu la nature de l’exercice. Autre bémol, histoire de vider nos tiroirs d’entrée : une traduction pas toujours bien adaptée, certes réussie sur le plan grammaticale bien sûr mais dont certaines tournures de phrases un chouia rigides gâche parfois la lecture. Mais on chipote. Parce que pour le reste, à part ses toutes premières publications (pour d’obscures raisons de droit ?), visuellement c’est un véritable festin où planches définitives et colorisées et croquis plus ou moins finalisés du maître de toutes les séries par lesquelles il est passé se côtoient, parfois sur une pleine page. Et c’est du lourd.

Déjà, on retrouve cette exigence dans le choix du papier, bien épais, et dans les iconographiques. De plus, l’auteur connaît à fonds son sujet et cela se voit. On revient notamment sur son enfance, son entrée (difficile) dans le monde des comics et comment cet admirateur absolu de Michel-Ange et fils d’immigrés italiens s’est fait tout seul. Certes, le ‘style’ Buscema reste pour toujours attaché à un certain état d’esprit des années 70. Et on voit combien le grand manitou de l’esprit MARVEL des origines Jack Kirby l’a influencé, même s’il a su s’en détacher par la suite. Mais ses références culturelles (l’homme ayant toujours affirmé préférer les récits mythologiques à la BD traditionnelle), son style très emphatique et son sens du dramatique ont marqué toute une génération de lecteurs, surtout qu’il a dessiné bon nombre de personnages emblématiques, des Avengers aux Quatre Fantastiques, en passant par Spider-Man ou Captain America.

Mais tout l’intérêt de ce superbe objet, en plus de pouvoir mesurer sur plus de 300 pages comment ce boulimique de travail a évolué en près de 50 ans de carrière, est de pouvoir réévaluer certains de ses travaux, comme cette trop brève série sur Le Surfeur D’Argent écrite avec Stan Lee, abandonnée au bout de dix-huit numéros par manque de succès. Ou comment ses années en tant que graphiste dans la pub aux débuts des 60’s ou avec Roy Thomas sur la série Conan le Barbare lui a permis progressivement de s’affranchir du style parfois trop policé des super-héros (qu’il affirmait, apparemment, d’ailleurs détester !) pour quelque chose de plus brut, sensuel et sombre, bref adulte. On découvre même que pendant un temps, ce type qui visiblement ne savait pas dire non, a donné dans les romans graphiques à l’eau de rose… Alors certes, le terme est un peu galvaudé mais on peut vraiment parler d’ouvrage exhaustif. Ou, traduction un chouia moins lettrée, juste un truc foutrement d’indispensable pour tout fan de comics digne de ce nom.

Olivier Badin

Big John Buscema, collectif, Urban Comics, 328 pages, 39 euros

31 Août

Book of Death : le livre des géomanciens

bookLes ‘crossovers’ (collusion de plusieurs univers au sein d’un même volume) étant l’une des grandes spécialités des comics, on voyait mal comment l’éditeur spécialisé dans le genre Valiant allait y échapper, surtout à l’heure où ses productions sont ENFIN traduites en Français. Paradoxalement, cet imparfait Book of Death à la conclusion hélas un peu bâclée vaut presque plus par ses (généreux) bonus.

Au centre de ce tome une nouvelle fois volumineux (300 pages) se trouve le Guerrier Éternel, peut-être le personnage le plus maudit de l’univers Valiant car condamné, comme son nom l’indique, a ne jamais mourir et à traverser les âges pour protéger Gaia (en gros, la Terre mais perçue comme une entité consciente) et surtout sa géomancienne, sorte de mystique à laquelle elle est liée et dont la survie et qui ici apparaît sous a forme d’une jeune fille boudeuse et impatiente. Au passage, cette idée d’une humanité dont le destin dépend de la planète sur laquelle elle vit sans que cela l’empêche pour autant de la piller sans compter est d’ailleurs l’une thématique récurrente chez Valiant, sorte de variante écolo aux pays des super-héros si vous préférez…

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

Ici, les rôles sont quasi-inversés vu que le gentil est le méchant, enfin, ce que en tous cas les autres héros de l’écurie Valiant que l’on retrouve ici (X-O Manowar, Ninjak et Live Wire entre autres) croient : que le Guerrier Éternel défend une géomancienne qui ne contrôle pas ses pouvoirs et qui sème donc mort et destruction sur son passage, alors qu’en fait ce sont là les agissements d’un autre géomancien, capturé par un sorcier maléfique. Un scénario assez manichéen donc mais transfiguré par ces visions d’un possible futur apocalyptique si les prophéties du livre des géomanciens s’accomplissent. Des images chocs avec pas mal de combats au programme qui ne rattrapent pas, hélas, la faiblesse de certains personnages (Ninjak, par exemple, à qui Valiant a consacré trois volumes dont on parlera bientôt, apparaît aussi bourrin que buté) et une fin ratée car bien trop facile et surtout expédiée en quelques planches, comme si la montagne accouchait un peu d’une souris.

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

Non, une fois n’est pas coutume, c’est dans les bonus que ‘Book of Death’ fait la différence. Pas forcément avec cette opulente galerie de croquis ou ce petit prologue de trois pages initialement paru sur le web, non, mais bien dans ces quatre ‘spin-off’ d’une vingtaine de planches qui, individuellement, imagine la mort de quatre des héros de la galaxie Valiant. Or si celui consacré à Harbinger par exemple est trop bavard, le récit de la fin de Bloodshot est à classer parmi les meilleurs de cet éditeur car à la fois beau, mélancolique et d’une incroyable force émotionnelle. Vingt-cinq pages qui valent presque à elles seules l’achat, même si la porte d’entrée pour néophytes au vaste monde Valiant attendue n’est pas hélas vraiment au rendez-vous.

Olivier Badin

Book of Death par Robert Venditti, Robert Gill, Doug Braithwaite, David Baron et Brian Reber, Valiant Comics, éditions Bliss. 24,50€

30 Août

Le néo-Japon de Rai : le cauchemar de Philip K. Dick réinventé au XXXXIe siècle

rai 1Pas facile de se faire une place au soleil quand la plage est squattée depuis plusieurs décennie par deux géants qui n’ont laissé que des miettes aux autres. Après, les écuries MARVEL et DC COMICS pèsent un tel poids dans l’imaginaire populaire US depuis si longtemps qu’il faut limite être maso pour se lancer dans l’aventure… Pourtant, Valiant Comics réussit cet exploit et Rai est sûrement l’une de ses plus belles créations.

Pourtant, maso, VALIANT COMICS l’a été et il l’a payé cash, avec des débuts difficiles et une mise en sommeil forcé à la fin des années 90 pour cause de dettes abyssales. Au point qu’il a fallu attendre 2013 pour en voir les premières traductions françaises et 2015 pour qu’un nouvel éditeur, BLISS, prenne enfin les choses en main comme il se doit, aboutissant depuis peu à de nombreuses sorties attestant de la richesse d’un catalogue au milieu duquel Rai – attention, avis purement subjectif ! – trône presque sans pareil.

Nous sommes en 4001 et au Néo-Japon, sorte de gigantesque satellite crée à partie d’une portion de la Terre arrachée à la gravité et qui tourne autour d’une planète désormais ravagée par les guerres successives, règne Père, intelligence artificielle suprême devenue indépendante. Pour protéger une population asservie sans vraiment sans rendre compte, il a crée le Rai, ‘gardien du peuple’ en partie humain qui peut instantanément se téléporter partout pour sauver la veuve et l’orphelin. Sauf qu’après avoir découvert la vérité sur ses origines et que derrière cette belle façade se cache un monde totalitaire où chaque désir est cadenassé, le dernier de sa lignée décide de se rebeller…Rai 2

La thématique très Freudienne du ‘tuer le père’ est très populaire dans les comics donc en soit, Rai ne sort pas, a priori des sentiers battus et son univers cyberpunk rappelle invariablement ‘Blade Runner’ dont on attend d’ailleurs bientôt la suite au cinéma. Sauf que même si cette saga conséquente (deux fois 300 pages) étalée en douze chapitres sur deux volumes (plus un nombre négligeable de bonus revenant, entre autres, sur les origines du héros) met un certain temps à vraiment décoller, elle révèle un souffle sans pareil. Une grande partie du mérite revient à l’illustrateur Clayton Crain qui avait déjà repeint en noir la sage ‘Ghost Rider’ et dont le style épique et en même temps racé entre yakuza intergalactique et science-fiction crépusculaire a l’emphase nécessaire. Surtout qu’il est soutenu par un très intéressant travail sur les couleurs, à la fois éclatantes et en même temps avec toujours cette sous-teinte bleue froide, presque digitale qui colle si bien à cet univers post-apocalyptique, même cette approche quasi-numérique et parfois un peu trop figé ne sera pas du goût de tout le monde.

© Valiant Comics / Kindt & Crain

© Valiant Comics / Kindt & Crain

Et puis il y a aussi ce scénario d’abord faussement manichéen qui prend petit-à-petit pas mal d’épaisseur et s‘amuse à brouiller les cartes. On ne sait plus assez vite par exemple si l’on est désolé ou dégoûté par ces citoyens qui acceptent sans sourciller d’être abreuvé de propagande abrutissante ou de se voir imposer en guise de compagnons des androïdes nous ressemblant en tous points les ‘positrons’ pour mieux juguler la natalité. Ou encore comment aborder ce personnage principal qui apparaît d’abord comme une sorte de figure christique complice involontaire d’un système totalitaire, surtout le storytelling met donc un certain temps à prendre sa vitesse de croisière. Mais une fois dedans, difficile d’en sortir, même si les références abondent (Isaac Asimov, Philip K. Dick). Surtout qu’on a droit à quelques combats absolument dantesques qui auraient eu toute la place sur le film ‘Pacific Rim‘ de Guillermo del Toro, notamment les duels entre Rai et son créateur, pour parler à nos plus bas instincts.

Bref, de la science-fiction ambitieuse ET à la patte graphique assez unique. On vous disait bien qu’il y avait quelques belles pépites du côté de ce petit poucet, alias Valiant…

Olivier Badin

Rai (en deux volumes) de Matt Kindt et Clayton Crain, Valiant Comics, éditions Bliss. 28€

15 Juin

Wonder Woman : La première super-héroïne de l’histoire a bien grandi…

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l'édition française

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l’édition française

Profitant de la sortie le 7 Juin dernier de sa première adaptation cinématographique, plusieurs séries consacrées à Wonder Woman sont opportunément (ré)édités, histoire de ce rendre compte que ce personnage plus complexe qu’il n’y paraît est à chaque fois un bon reflet de son époque et de la lutte pas toujours gagnée pour l’égalité des sexes…

Dès ses débuts en 1941, Wonder Woman est une sorte de paradoxe : créée à la base avant tout pour répondre à ceux qui (déjà) accusaient les comics d’être sexistes et de n’offrir aucun modèle féminin, la première super-héroïne de l’histoire avait beau être une pin-up capable de soulever un tank ou de défendre l’univers, son identité secrète la reléguait au simple rôle de secrétaire, comme si une femme ne pouvait au final n’être que la subalterne d’un homme dans la vraie vie. La sortie simultanée de ‘Dieux et Mortels’ (en deux tomes) et de ‘Terre-Un’ (cinq tomes) est d’autant plus intéressante qu’on tient là deux réécritures clefs de son histoire, témoignant de l’évolution de la société depuis la seconde guerre mondiale, de notre vision de la femme et des comics en général.

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l'édition française

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l’édition française

Le premier est le plus gros morceau : signé par Georges Pérez au dessin, il revient sur ses origines sur l’ile de Themyscira, refuge d’amazones immortelles à l’écart des hommes depuis plus de 3,000 ans et comment l’intrusion accidentelle d’un pilote de l’US Air Force va tout chambouler et l’obliger à se confronter au monde réel et à Arès, le dieu de la Guerre. Le tout est sorti initialement en 1986 et cela se sent car baignant dans une certaine tradition (noblesse des sentiments, patriotisme, héros forcément bien intentionnés). Reste qu’en plus d’être un bon co-scénariste et d’être un fin connaisseur de la mythologie grecque qu’il a injecté ici à fortes doses, Pérez vit avec son temps et ose donc pour la première fois aborder certaines thématiques plus adultes, en premier lieu le féminisme et la prolifération des armes atomiques mais sans jamais que cela ne prenne le pas sur ce qui fait toute la saveur d’un comics classique. Mais son héroïne reste bien sage et limite asexuée, ce qui est loin d’être le cas de la dernière incarnation en date de Wonder Woman signée Yanick Paquette…

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l'édition française

TM & © 2017 DC Comics. All Rights Reserved. Urban Comics pour l’édition française

Même si l’histoire est à la base la même, avec le dessinateur canadien au crayon flamboyant et haut en couleur, la princesse Diana a des courbes renversantes digne d’un mannequin, tombe amoureuse d’un Steve Trevor ici à la peau noire tout en laissant aussi fortement sous-entendre sa possible bisexualité et n’est plus la petite fille sage respectueuse des règles érigées par les dieux. Quant aux hommes, ils ne sont plus seulement bêtes mais aussi et surtout violents et dangereux. Ce premier épisode tient donc limite plus du pamphlet anti-phallocrates que d’un comics plein de pif, paf et boum. Il est surtout en phase avec le ton du film qui vient de lui être consacré et qui est sur les écrans depuis le 7 Juin dernier, bien loin de l’image un peu kitsch mais ô combien culte de celui de son adaptation télé entre 1976 et 1979 dont l’actrice principale était devenue une icône gay. Oui, en trente ans, la vision de la femme a bien évolué. Et Wonder Woman aussi.

Olivier Badin

Wonder Woman : Dieux et Mortels, de George Pérez, Greg Potter et Len Wein, Urban Comics, 35 euros

Wonder Woman : Terre-Un,  de Yanick Paquette et Grant Morrison, Urban Comics, 15 euros

08 Juin

Les Losers : la seconde guerre mondiale vue par le créateur des « 4 Fantastiques », Jack Kirby

Capture d’écran 2017-06-08 à 23.32.26Une bande de faux bras cassés dont la main ne tremble jamais et qui donne du fil à retordre aux méchants, sauf qu’ici les héros portent le casque et l’insigne de l’US Army avec en face, les forces de l’Axe. Nourri par sa propre expérience de soldat lors de la phase finale du conflit, Jack Kirby donne ici SA vision de la seconde guerre mondiale, forcément pleine de fureur et de bravoure

Le nom de Jack Kirby, qui aurait fêté ses cent ans cette année, évoque tout un pan de la culture, pardon de la mythologie comics, l’homme ayant contribué avec le dessinateur Steve Dikto et surtout Stan Lee a jeter dans les années 60 toutes les bases de l’empire MARVEL dont il a alors lancé toutes les franchises qui encore aujourd’hui en constituent les bases : ‘Les 4 Fantastiques’, ‘Spider-Man’, ‘X-Men’… En gros, si vous étiez un gamin américain à cette période là passionné de comics, plus la moitié de votre collection portait sa signature. En langage commun, on appelle ça un monument, voilà.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Mais même s’il a passé toute sa carrière à faire la navette entre DC et MARVEL, Kirby a aussi tâté autre chose que les aventures de types en spandex et à cape, dont le comics de guerre, héritage des années 40 où le patriotisme à tout va avaient poussé les autorités à embaucher les héros de BD pour combattre le nazisme. Certes, la série ‘Les Perdants’ (‘les Losers’ en VO, titre ô combien ironique bien sûr) consacrée aux aventures de quatre baroudeurs de la Seconde Guerre Mondiale aux noms dignes de ‘L’Agence Tout Risques’ (capitaine Storm, Sarge, Johnny Cloud et Rafale !) existait avant que Kirby en prenne, brièvement, les rênes en 1975 et a d’ailleurs perduré après lui. Mais dès le premier des douze épisodes qu’il a réalisé (scénarios inclus), le alors vétéran de 58 ans l’a tout de suite retravaillé pour la faire entre dans son moule.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Dans le monde de Kirby, que l’on soit en haut d’un gratte-ciel de Manhattan en train de combattre un super-méchant ou au corps-à-corps dans la jungle au prise avec des fantassins japonais, le trait est le même. Les hommes ont des carrures de golem, les sentiments – bons ou mauvais – sont tous exacerbés et les héros n’écoutent que leur courage alors que leurs ennemis, eux, ne connaissent que la traitrise. Peu d’explications sur le pourquoi-du-comment ni de moments de répit avec lui : en général, dès les premières cases, les membres de ce commando spécial à qui on demande de faire le sale job pour les autres est souvent largué en plein terrain miné et en général, ça canarde très vite derrière.

Même si le style assez figé et très emphatique de Kirby avait déjà pris un petit coup de vieux au milieu des 70’s, il a su garder une vraie force dramatique. Et puis on ne passe pas autant d’années à dessiner des super-héros sans que, forcément, cela ressurgisse d’une façon ou d’une autre et même si ‘Les Perdants’ n’ont à leur actif aucun super pouvoir, ils ont en eux quelque chose de surhumain, dépassant leur nature de ‘simples’ mortels pour devenir ‘plus’. Dans le meilleur épisode du lot (‘Les Partisans’), il ajoute même un doigt de surnaturel histoire un petite touche macabre particulièrement efficace. Et puis aussi manichéen que soit le résultat, Kirby distille par ci et là un brin de poésie voire même d’ironie dans le choix de ses personnages secondaires, comme avec Panama Fattie mafieuse au look de Fat Mamma sentimentale ou celui de ‘Pumpkin le Martien’, soldat gringalet amateur… De comics.

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

© 1974, 1975, 2009 DC COMICS. Urban Comics pour la version française, sous licence DC Comics

Pour les amateurs éclairés de Kirby, le résultat vaut donc le détour, surtout que ce recueil sort à l’occasion de plusieurs évènements en partenariat avec le conseil général de Moselle et centrés autour de la thématique des relations entre BD et guerre. D’ailleurs, en plus d’avoir organisé entre le 3 et le 5 Juin dernier un festival consacré au neuvième art, le château de Malbrouck accueille jusqu’au 29 Octobre prochain une exposition ‘Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles’ dont une partie est spécialement dédiée à Jack Kirby, lui-même soldat de l’US Army lors de la bataille de Dornot en Septembre 1944. Bref, une page d’histoire couplée à l’une des pièces manquantes de l’héritage de l’un des (très) grands maîtres du comics dont on attendait la traduction depuis quarante ans.

Olivier Badin

Les Losers, de Jack Kirby, Urban Comics, 22,50€

Plus d’infos sur l’expo « Les Héros Dessinés – de la Guerre de Troie à la Guerre des Étoiles » ici

02 Juin

Hate, chroniques de la haine : rencontre avec l’auteur Adrian Smith à l’occasion de son passage à Paris

© Fef 2017

© Fef 2017

Baroque, épique, homonyme d’un des guitaristes d’iron Maiden (ceci expliquant cela ?) et bien connu des fans de jeux de plateaux, l’un des maîtres de la ‘dark fantasy’ Adrian Smith voit son premier livre intégralement signé de sa main paraître en français, alors qu’une exposition à la galerie Glénat à Paris salue son talent d’illustrateur…

« De toutes façons, je ne me considère pas comme un dessinateur de comics. Cela ne m’intéresse pas plus que ça et je ne crois pas que les fans du genre aiment beaucoup ce que je fais non plus de toute façon… », lâche Adrian Smith avant de se marrer doucement, avec ce mélange de punk sur le retour (t-shirt noir, cheveux longs blancs, regard amusé) et de flegme typiquement britannique. Mais d’une certaine HATE_couverturemanière, il a raison. C’est avant tout comme illustrateur que cet Anglais né en 1969 dans le Sussex est connu, notamment pour son travail pour Games Workshop, célèbre boîte de figurines pour jeux de plateaux dont les stars incontestées restent ‘Warhammer’ et son extension futuriste ‘Warhammer 40,000’. Soit des mondes imaginaires autour desquels des millions de nerds armés tout juste d’un dé et de quelques pots de peinture se retrouvent régulièrement pour écharper du troll à tout-va à coups de sort d’épées à double main ou de sort de boule de feu niveau 14. Des mondes peuplés de créatures hypertrophiées, aux muscles proéminents et armées jusqu’aux dents à faire passer le bestiaire du ‘Seigneur des Anneaux’ pour le village des Bisounours et où Smith à faire voler les têtes, un peu comme un John Frazetta des temps modernes gonflé aux OGM.

 

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

‘Les Chroniques de la Haine’ ne sont pas exactement ses premiers pas dans les comics. Avant cela, il avait déjà fait des couvertures pour le magazine anglais ‘Toxic’ avant de signer en 2005 ‘Broz’ (sorti en deux tomes chez éditions Nickel). Sauf que ‘Hate’ se révèle être une œuvre beaucoup plus personnelle dont la réalisation s’est étalée sur près de trois ans. « Tout est parti d’une illustration toute bête de celui qui allait devenir le personnage central de l’histoire. C’était vraiment sous le coup de l’inspiration du moment et je l’ai faîte sans vraiment savoir ce que j’allais en faire, juste pour mon plaisir. Mais je ne sais pas, il y avait quelque chose en elle qui me disait que derrière, il y avait tout une histoire à raconter. J’ai donc commencé à dessiner page par page l’histoire, chacune m’entraînant car je ne suis pas scénariste ! C’était très organique et quelque chose de très égoïste en même temps car je l’ai vraiment faîte avant tout pour moi, souvent entre minuit et cinq heures du matin lorsque j’avais fini mon ‘vrai’ boulot, tu sais, celui qui permet de payer le loyer… » rajoute t’il en souriant. « C’est un peu comme une maîtresse que ma femme m’autorise à avoir, du moins à certaines heures. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Smith n’y croit pourtant tellement pas qu’une fois fini, il décide de mettre gratuitement l’intégralité à disposition via les réseaux sociaux, jusqu’à ce qu’un éditeur américain décide d’en faire une première sortie papier sur le continent américain il y a trois ans, avant que Glénat ne s’en empare en 2016 afin d’en publier les deux volumes pour le territoire français. Une transcription rendue encore plus facile grâce par la facilité de la traduction, vu le peu de dialogue. « Et encore, je n’en voulais pas du tout ! C’est un ami qui m’a conseillé d’en mettre un petit peu, histoire de donner quelques repères aux lecteurs. Et puis le héros est muet et en partie sourd donc je voulais que le lecteur ressente et vive l’aventure de la même façon que lui. Et puis le plus important pour moi était l’atmosphère. C’est aussi pour cette raison que j’ai décidé de tout faire en noir et blanc, j’avais peur que la couleur ne devienne une trop grande distraction. Et puis pour être honnête, cela m’a aussi permis de travailler plus vite. »

À l’inverse de ses nombreux confrères américains dont les héros gigotent comme s’ils étaient atteints de la maladie de Parkinson, Smith est très avare en mouvement. Il y en a ici très peu, l’action devenant presque comme les vignettes de pellicule d’un film muet d’heroic fantasy oublié de la grande époque du cinéma expressionniste allemand. « Je n’ai pas besoin de faire quinze planches pour décrire une bataille, je trouve beaucoup plus fort de dessiner l’avant et l’après. On revient toujours à cette notion d’atmosphère, je préfère suggérer plutôt que tout montrer. Et puis je trouve beaucoup plus fort mettons une simple image des piles de corps et des vautours tournant autour une fois que les armes se sont tues. »

© Glénat / Adrian Smith

© Glénat / Adrian Smith

Monochrome et parfois plus proche du concept-art que la BD pure, ‘Hate’ n’est pas fait pour tout le monde. Autant immersif que contemplatif, son monde est aussi ahurissant de beauté que laid car cruel et sans pitié. Pas de grande explication, pas de philosophie cosmique ni d’ode à l’aventure ici mais juste des créatures parfois grotesques et effrayantes qui vit par l’épée et meurt par l’épée. Son trait incroyablement précis est un condensé de l’essence même de la dark fantasy, celle sublimée par les écrivains Robert E. Howard (‘Conan’) ou Karl Edward Wagner (‘Kane’). Bonne nouvelle : il commence tout juste à travailler à la suite, ou plutôt à un préquel dont l’action se situera donc avant celle de ‘Hate’.

Histoire de compléter votre lecture, un petit conseil : passer dans le 3e arrondissement à Paris jeter un œil à l’exposition consacrée à l’auteur jusqu’au 21 Juin. Soit la douzaine de planches originales réalisées entièrement à la main (le reste a été fait à l’aide d’outils numériques) plus que quelques acryliques peintes spécialement pour l’occasion qui permettent de se rendre compte de la masse de travail accomplie.

Olivier Badin

Hate : Chroniques de la Haine d’Adrian Smith, Glénat, 30 euros

Exposition Adrian Smith, jusqu’au 21 Juin, 22 Rue de Picardie, 75003 Paris. Plus d’infos ici

01 Mai

Starve : Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es

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Et si le contenu de notre assiette devenait à la fois un objet de pouvoir ET le symbole de notre propre déliquescence? Ici, tout est passé à la moulinette, avec du rab’ de gras à foison : télé-réalité, abrutissement des masses ou encore destruction de la famille et de la société, dessiné d’une plume rageuse et très grasse comme un combat où chacun se bat pour sa survie.

Il y avait déjà ‘Soleil Vert’ – d’abord un livre d’Harry Harrison puis un film tout aussi visionnaire avec Charlton Heston en 1973 – il y aura désormais Starve, véritable roman noir dans le sens graphique du terme, la plume du Serbe Danijele Zezejl y étant toujours très sombre, comme si elle reflétait d’une façon excessive du propos qu’elle illustre.

Cette histoire, c’est celle de Gavin Cruikshank, à la fois chef de génie et trash, méga-star de la réalité culinaire que l’on force à sortir de sa retraite pour retourner aux fourneaux devant les caméras histoire de rebooster l’audimat de l’émission qu’il avait crée et qui passionne les foules dans un futur cauchemardesque où 99,9% de la population ne peut plus s’offrir de repas digne de ce nom avec une faune ravagée par des siècles de pillage.

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

Sauf qu’en plus d’une descente en flèche du ‘spectacle à tout prix’ et de la description d’un futur désespéré où les masses abruties en sont réduites à saliver devant leur écran pour tromper leur ennui et la faim qui les ronge et oublier leur misère, c’est avant tout l’histoire d’une rédemption. Mais aussi d’une revanche. En fait, plus les arrière-cuisines deviennent des sortes de tranchées sous le feu nourri des canons et plus Cruishank renoue avec sa fille, dont la garde lui avait été arrachée à son divorce. Au point d’en faire la complice de son ultime pied de nez à cette gigantesque farce macabre télévisuelle.

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

© Urban Comics / Brian Wood, Danijel Zezelj & Dave Stewart

Noir, très noir même, Starve tranche dans le vif et frappe par son parti-pris nihiliste assumé mais rebute aussi un peu avec son côté bavard et son manichéisme. Reste que son anti-héros destroy, entre rock-star décharné et la version outrancière du Joker tel que le campait Heath Ledger dans le film ‘The Dark Knight’, vaut à lui seul la lecture…

Olivier Badin

Starve, de Brian Wood, Danijel Zezelj et Dave Stewart, Urban Comics. 22,50 euros

23 Mar

Puta Madre : un monde sans pitié signé Run et Neyef pour le Label 619

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Plongée dans le monde des gangs latinos et de l’univers carcéral pour le créateur de Doggybags, plus désespéré que jamais et en même temps, nouvelle baffe graphique au rythme frénétique.

Tout est parti d’un constat, aussi véridique qu’effrayant : aux Etats-Unis, un mineur peut-être jugé comme un adulte et condamné à la prison à vie. Marqué par la vision d’un documentaire de 2011 consacré à un fait divers sordide (un gamin de douze ans inculpé pour le meurtre de son petit frère), le chef d’orchestre de Doggybags s’est lancé en compagnie de Neyef, avec lequel il signe les dessins, dans cette nouvelle série où l’on retrouve pas mal de ses thèmes récurrents comme la prédestination sociale, la propension irrésistible de l’être humain à céder à la violence ou encore la faillite du système.

Présenté comme un ‘spin off’ de Muthafukaz, la série phare de label 619, dont il reprend certaines des références (la culture mexicaine, le hip-hop), tout est centré ici autour d’un seul et même personnage, Jésus que l’on suit donc tout le long de sa vie depuis ses douze ans, âge auquel il se retrouve en prison et où il doit apprendre à survivre au milieu des différents gangs ethniques, des matons corrompus et des trafics en tout genre.

© Label 619 - Run et Neyef

© Label 619 – Run et Neyef

Forcément, impossible de ne pas penser à la série américaine du début des années 2000 Oz sur les deux premiers volumes (sur six à paraître) qui se passent derrière les barreaux. Comme elle, Puta Madre est sans fard, ni happy end. Les faibles finissent mal, les salauds raflent la mise et les autres font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir. En gros, si Jésus finit assez rapidement par franchir le Rubicon, ce n’est parce qu’il est foncièrement mauvais, c’est parce qu’il n’avait juste pas le choix. « J’étais entré en prison comme un agneau / J’en sortais comme un loup »

Une fois dehors à partir du troisième album, il a beau tenter de reprendre le cours d’une vie (à peu près) normale, très rapidement il est rattrapé par son destin. Et la violence, encore et toujours.

© Label 619 - Run et Neyef

© Label 619 – Run et Neyef

Désespéré ? Sûrement. Mais aussi très documenté et véritable road trip dans une Californie du sud désertée et laissée aux mains des laissés pour compte du rêve américain qui s’entredéchirent entre eux pour survivre. Comme Abel et Caïn, modèle revendiqué de Jésus…

Oliver Badin

Puta Madre, volumes 1 à 3 de Run et Neyef, Label 619, 3,90 euros

21 Mar

Doggybags : that’s all folks ?!

Doggybags_13Comme annoncé depuis le début, le treizième volume de la série Doggybags sera le dernier dans tous les sens du terme. Même si, comme l’un de ces nombreux monstres de série B qui finissent toujours par mourir sous les coups de vertueux héros, la bête pourrait peut-être revenir d’entre les morts d’une façon ou d’une autre…

Trois ‘grosses’ histoires indépendantes bourrées de références à la trash culture 80’s à gogo (en vrac : Sos Fantômes, La Rue Sésame, 40 Jours de Nuit, Spiderman, ça de Stephen King et encore on en oublie) réalisées par trois équipes différentes, chacune peuplée de beaux perdants qui ont tout à perdre, rien à gagner et beaucoup, mais alors beaucoup d’hémoglobine. Pour sa dernière virée en Enfer, ce qui se situe toujours à mi-chemin entre le magazine trois étoiles et le livre – imaginez une sorte de version mutante d’Egoïste avec beaucoup plus de zombies dedans ! – a décidé d’éclabousser les murs. Pourtant, l’objet en lui-même reste superbe avec sa tranche cartonnée, ses fausses pubs cyniques et sa mise en page bien dense mais jamais étouffante.

© Doggybags - Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

© Doggybags – Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

Sauf qu’au-delà du pastiche et/ou de la déclaration d’amour à la culture ‘pulp’ américaine on y décèle une angoisse nettement plus sérieuse que ne cherche d’ailleurs même pas à cacher leur mentor et scénariste/illustrateur/gourou Run. Ici, il signe l’histoire la plus destroy du lot, ‘Times Scare’ dont le point de départ d’ailleurs, bien que conçu des mois avant, rappelle d’une manière assez prophétique l’affaire Théo. Et dans les deux éditos qu’il signe dans ce numéro, ce tout juste quadra confesse qu’au-delà du plaisir de charcuter à tout va, mettre ainsi en dessin cette débauche de bidoche était sa façon à lui d’exorciser le traumatisme post-Charlie Hebdo.

© Doggybags - Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

© Doggybags – Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

Bon, ça, c’est pour la partie psycho. Parce que pour ce qui est du reste, que les histoires soient ancrées dans le fantastique, dans le réel ou versent carrément dans l’onirique, ça charcute, ça trucide, ça découpe et – allez, on est entre nous alors on vous confie un secret – cela ne finit souvent par un gros éclat de rires (noir) mais JAMAIS bien.

Jason, le tueur à la machette et au masque de hockey, ayant quand même accouché de onze films, on se dit que treize volumes, c’est bien trop peu pour épuiser le créneau et dixit sa postface, l’esprit Doggybags devrait désormais se décliner via deux nouvelles séries indépendantes. Oui, ça va (encore) gicler.

Olivier Badin

Doggybags Volume 13, de Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset, Label 619, 13,90 euros