Pas facile de se faire une place au soleil quand la plage est squattée depuis plusieurs décennie par deux géants qui n’ont laissé que des miettes aux autres. Après, les écuries MARVEL et DC COMICS pèsent un tel poids dans l’imaginaire populaire US depuis si longtemps qu’il faut limite être maso pour se lancer dans l’aventure… Pourtant, Valiant Comics réussit cet exploit et Rai est sûrement l’une de ses plus belles créations.
Pourtant, maso, VALIANT COMICS l’a été et il l’a payé cash, avec des débuts difficiles et une mise en sommeil forcé à la fin des années 90 pour cause de dettes abyssales. Au point qu’il a fallu attendre 2013 pour en voir les premières traductions françaises et 2015 pour qu’un nouvel éditeur, BLISS, prenne enfin les choses en main comme il se doit, aboutissant depuis peu à de nombreuses sorties attestant de la richesse d’un catalogue au milieu duquel Rai – attention, avis purement subjectif ! – trône presque sans pareil.
Nous sommes en 4001 et au Néo-Japon, sorte de gigantesque satellite crée à partie d’une portion de la Terre arrachée à la gravité et qui tourne autour d’une planète désormais ravagée par les guerres successives, règne Père, intelligence artificielle suprême devenue indépendante. Pour protéger une population asservie sans vraiment sans rendre compte, il a crée le Rai, ‘gardien du peuple’ en partie humain qui peut instantanément se téléporter partout pour sauver la veuve et l’orphelin. Sauf qu’après avoir découvert la vérité sur ses origines et que derrière cette belle façade se cache un monde totalitaire où chaque désir est cadenassé, le dernier de sa lignée décide de se rebeller…
La thématique très Freudienne du ‘tuer le père’ est très populaire dans les comics donc en soit, Rai ne sort pas, a priori des sentiers battus et son univers cyberpunk rappelle invariablement ‘Blade Runner’ dont on attend d’ailleurs bientôt la suite au cinéma. Sauf que même si cette saga conséquente (deux fois 300 pages) étalée en douze chapitres sur deux volumes (plus un nombre négligeable de bonus revenant, entre autres, sur les origines du héros) met un certain temps à vraiment décoller, elle révèle un souffle sans pareil. Une grande partie du mérite revient à l’illustrateur Clayton Crain qui avait déjà repeint en noir la sage ‘Ghost Rider’ et dont le style épique et en même temps racé entre yakuza intergalactique et science-fiction crépusculaire a l’emphase nécessaire. Surtout qu’il est soutenu par un très intéressant travail sur les couleurs, à la fois éclatantes et en même temps avec toujours cette sous-teinte bleue froide, presque digitale qui colle si bien à cet univers post-apocalyptique, même cette approche quasi-numérique et parfois un peu trop figé ne sera pas du goût de tout le monde.
Et puis il y a aussi ce scénario d’abord faussement manichéen qui prend petit-à-petit pas mal d’épaisseur et s‘amuse à brouiller les cartes. On ne sait plus assez vite par exemple si l’on est désolé ou dégoûté par ces citoyens qui acceptent sans sourciller d’être abreuvé de propagande abrutissante ou de se voir imposer en guise de compagnons des androïdes nous ressemblant en tous points les ‘positrons’ pour mieux juguler la natalité. Ou encore comment aborder ce personnage principal qui apparaît d’abord comme une sorte de figure christique complice involontaire d’un système totalitaire, surtout le storytelling met donc un certain temps à prendre sa vitesse de croisière. Mais une fois dedans, difficile d’en sortir, même si les références abondent (Isaac Asimov, Philip K. Dick). Surtout qu’on a droit à quelques combats absolument dantesques qui auraient eu toute la place sur le film ‘Pacific Rim‘ de Guillermo del Toro, notamment les duels entre Rai et son créateur, pour parler à nos plus bas instincts.
Bref, de la science-fiction ambitieuse ET à la patte graphique assez unique. On vous disait bien qu’il y avait quelques belles pépites du côté de ce petit poucet, alias Valiant…
Olivier Badin
Rai (en deux volumes) de Matt Kindt et Clayton Crain, Valiant Comics, éditions Bliss. 28€