01 Nov

Le retour de la revanche du fils du méchant Doggybags, deuxième partie !

Après 13 numéros remplis d’hémoglobine en forme d’hommage aux pulps et aux films d’horreur des années 70, la série collégiale Doggybags s’était arrêtée, pour ne pas tomber dans la redite. Mais il faut croire que ses patrons avaient conservé au frigo quelques kilos de bidoche en stock car elle revient finalement d’entre les morts pour un nouveau triptyque d’histoires qui revisitent, chacune à leur manière, un pan de la culture horrifique.

Vendredi 13Les Griffes de la NuitSaw… Autant de sagas qui ont enchaîné les opus qui s’achevaient invariablement par la soi-disante mort du personnage principal… qui revenait systématiquement quelques années après. Freddy Krueger, Jason, Leatherface… Tous comme les grands héros, les grands méchants ne meurent jamais. Cela tombe bien, Doggybagsnon plus.

Lancée presque en catimini en 2011 par un petit studio indépendant, cette revue à la périodicité indéfinie fut la première en France a revisiter ce kaléidoscope de sous-genres qu’est l’exploitation. Un terme un peu barbare volé à la contre-culture anglo-saxonne des années 70 que des gens comme Quentin Tarantino (avec les films Grindhouse) ou Roberto Rodriguez (avec Une Nuit En Enfer) se sont mis en tête de ressusciter. Il désigne divers supports (BD, livres, films), réalisés en général avec peu de moyens et dédiés à un sous-genre bien précis de la culture bis. Ils vont jusqu’à revendiquer les clichés inhérents pour mieux, justement, les exploiter. On y retrouve en vrac des histoires de zombies ou de vampires, des récits post-apocalyptiques, des polars occultes etc.

@ Doggybags Ankama/Label

On a clairement affaire ici à de gros fans d’horreur qui connaissent les dialogues de Massacre à la Tronçonneuse par cœur. Doggybags est donc certes bourré de références plus ou moins subtiles mais il reste assez osé, aussi bien sur le plan visuel qu’éditorial. Ses auteurs vont d’ailleurs piocher aussi bien dans le manga que dans le street-art, aboutissant au final à quelque chose d’assez unique. On est donc content que Run, le papa de la série Mutafukaz et patron de Label 619, soit revenu sur sa décision, il en parle d’ailleurs avec pas mal d’humour dans l’édito qui ouvre ce numéro. 

Et puis on sait d’entrée qu’on va être entre gens de bonne compagnie en reconnaissant cette couverture signée Ed Repka. Un artiste américain que les métalleux connaissent bien, vu qu’il est responsable de la moitié des pochettes de thrash-metal dans la seconde moitié des années 80. Les plus cultes étant celles réalisées pour le groupe Megadeth pour lequel il a donné corps à leur squelette mascotte, Vic Rattlehead.

@ Doggybags Ankama/Label

Pour cette ‘saison 2’ comme ils le disent, on retrouve tout de suite nos marques avec cette mise en page colorée pleine de punchs. Entre deux histoires, on retrouve également le courrier des lecteurs, de fausses publicités pour, par exemple, « des masques mortuaires ». Mais aussi des articles on ne peut plus sérieux en forme de mise en point historique sur tel ou tel sujet abordé dans le numéro. Run lui-même nous la joue Alain Decaux en signant un article très instructif sur les différents moyens de torture depuis l’antiquité jusqu’à la dernière guerre par exemple…

Mais les joyaux de la couronne restent les trois histoires du jour, trois contes noirs où l’on retrouve des habitués de la maison comme Prozeet, Ivan Shavrin et Neyef. Trois variations assez distinctes : si la première, presque réaliste, utilise comme décor l’ex-bloc de l’Est livré à la pègre, la deuxième est beaucoup plus hallucinatoire et suffocante avec son personnage central emprisonné dans son propre corps. Quant à la dernière histoire, elle reprend (un peu) à son compte l’idée déjà développée par la série L’Amateur de Souffrances chez Glénat d’un exécuteur qui se nourrit de l’agonie des condamnés pour rester immortel.

@ Doggybags Ankama/Label

Les trois, bien que ne jouant pas sur le même registre, sont non seulement réussies mais elles s’inscrivent aussi en plus parfaitement dans le style Label 619. Un éditeur en passe de devenir une vraie marque de fabrique, un gage de qualité avec certes des bouts de dents cassées et quelques viscères dessus, de la BD d’horreur ‘à la française’ que les fans peuvent désormais acheter les yeux fermés. À condition d’aimer quand ça tache…

Olivier Badin

Doggybags 14, Saison 2, Ankama/Label 619. 13,90€

19 Oct

Nemesis le Sorcier ou la délirante guerre cosmique des aliens et des humains, version 2000 AD

Presque quarante ans après le début de sa parution dans la revue culte anglo-saxonne 2000 AD, voici une série déjantée qui reprend certains éléments de son copain Judge Dredd et le plonge dans un bain steampunk ébouriffant. Attention, chef d’œuvre !

Cela fait quelques temps que le petit mais costaud éditeur français Delirium s’acharne a enfin faire traduire en français les plus grands héros sortis des pages cultissimes de 2000 AD, l’équivalent en Angleterre du magazine Métal Hurlant dans les années 80.

Sauf que si certains, comme bien sûr Judge Dredd, ont dépassé les frontières, d’autres comme Nemesis Le Sorcier ont inexplicablement disparu du paysage. Cette réédition sera une découverte totale pour la majorité des lecteurs. Et là, attention, c’est le choc, aussi bien graphique que conceptuelle.

L’équipe de 2000 AD nous avait pourtant déjà habitués à ce genre de mélange détonnant entre steampunk, heroic fantasy, satire politique et science-fiction psychédélique. Mais ici, on franchit un cap et on tombe dans le délirant absolu que même le choix de ce sobre noir et blanc ne réussit pas à cadenasser.

Et le pire est que l’on ne tient là ‘que’ le premier tome de trois annoncés… Nemesis est un alien doublé d’un sorcier au physique surréaliste, sorte de centaure que l’on aurait pu croiser dans un rêve de HR Giger. Sa mission ? Sauver ses frères extra-terrestres du Grand Inquisiteur Torquemada qui a décidé de ‘purifier’ la galaxie et que rien, même la mort, ne semble en mesure d’arrêter dans sa croisade sanguinaire.

@ Delirium / Mills, O’Neill, Redondo & Talbot

Le long de ces 368 pages engoncées dans une couverture ‘en dur’ de qualité supérieure, on croise des vaisseaux spatiaux en forme de galions, des ‘terminators’ (terme utilisé des années avant le film de James Cameron) fanatisés, des combats de joutes, des cérémonies nécromanciennes et on en pense. Le tout n’hésitant pas parfois à s’étaler sur une seule case prenant toute une page pour laisser parler au mieux le stylo épique de Kevin O’Neill qui s’était déjà illustré avec La Ligue Des Gentlemen Extraordinaires.

Les corps, les bâtiments, les décors… Tout est acéré, chaotique et en même temps, bizarrement beau, baroque même. Même si deux histoires complètes signées Bryan Talbot et Jesùs Redondo ont été rajoutées en bonus en quelque sorte, c’est vraiment O’Neill et son style fin, inventif et en même temps presque décharné qui marque le plus, de loin.

@ Delirium / Mills, O’Neill, Redondo & Talbot

Et puis sous cette lutte sans merci entre deux montres dont aucun des deux n’est vraiment ni tout noir ni tout blanc, on retrouve aussi l’humour très grinçant du scénariste Pat Mills. Difficile d’ailleurs de ne pas voir dans cette série parue initialement dans la première moitié des années 80 une critique acerbe de l’Angleterre Thatcherienne, une société conservatrice, arc-boutée sur ses illusions d’ex-grand empire, sourde aux changements et xénophobe.

Certes, la parution originelle en épisode de quatre ou cinq pages donne lieu bout-à-bout à un rythme très haché, avec de sempiternels retours en arrière mais cela ne gâche absolument pas le plaisir, tant ici l’absurde côtoie le superbe. Délire cosmique et chef d’oeuvre méconnu, ce Nemesis est ce que l’on appelle une claque inratable, une baffe cyberpunk.

Olivier Badin

Nemesis Le Sorcier de Pat Mills, Kevin O’Neill, Jesùs Redondo et Bryan Talbot. Delirium. 35€

04 Oct

Noô ou la réhabilitation en BD d’un grand auteur français de SF des années 50

La carrière d’écrivain de Stefan Wul – alias Pierre Pairault, un dentiste ( !) parisien – a finalement été assez courte. Mais il a malgré tout marqué de son empreinte la science-fiction française des années 50. Son œuvre est aujourd’hui de nouveau célébrée par une nouvelle adaptation en bande dessinée…

La science-fiction francophone a toujours eu mauvaise presse. Moins grandiloquente que celle de ses confrères américains, moins biberonnée aux combats intergalactiques plein de ‘piou, piou’ et de bonds dans l’hyperspace mais par contre plus humaine et, limite, plus philosophique par moment, elle plonge ses racines dans les écrits fondateurs de Jules Verne, JH Rosny Ainé ou encore René Barjavel. Des auteurs dont l’héritage voue un culte à une science salvatrice et non pas destructrice et auquel Stefan Wul a rajouté une certaine poésie.

La reconnaissance, elle, est venue d’abord de Roland Topor puis, huit ans plus tard, de Moebius, qui ont respectivement signé l’adaptation en dessin animé de deux de ses romans, La Planète Sauvage (1973) et Les Maîtres du Temps (1981). Puis à partir de 2012, ce fut au tour de la BD de s’emparer de son œuvre. D’abord par l’intermédiaire de l’éditeur Ankama puis aujourd’hui via le Comix Buro. Soror, le premier volume d’une trilogie annoncée s’attaque à un gros morceau, l’ultime livre de Wul, sorti en 1977.

L’éditeur aime parler ici autant de ‘space opera’ que de ‘voyage initiatique’. ‘Space opera’ car le tout se passe de l’autre côté de l’univers, dans un monde où l’ultra-moderne se mélange à la nature la plus sauvage et où les hommes côtoient de drôles créatures évoquant des sortes d’oiseaux . Et ‘initiatique’ car tout tourne autour d’un jeune homme du nom de Brice. Arraché à la mort sur Terre par son père adoptif, il se retrouve, malgré lui, au plein cœur d’une rébellion qui l’oblige à fuir Grand’Croix, la capitale où il vivait, pour échapper aux forces gouvernementales lancées à sa poursuite.

L’intérêt de Noô, c’est d’avoir permis la rencontre entre un dessinateur assez rôdé à la SF (Alexis Sentenac) avec un auteur (Laurent Genefort) qui évoluait dans la même sphère mais, lui, en tant qu’auteur de romans et de nouvelles. C’est d’ailleurs sa première adaptation BD. Une relative inexpérience qui se ressent parfois dans le rythme général, des dialogues assez verbeux succédant parfois à des scènes plus graphiques sans trop crier gare, comme si en voulant rester le plus possible fidèle à l’esprit original du livre il avait tenu absolument à faire rentrer presque trop de choses dans ce premier volume. En même temps, dans toute trilogie digne de ce nom, le rôle de celui qui ouvre le bal est de justement ‘poser le décor’ comme on dit et c’est ce que fait Soror. Et puis autant Sentenac semble, limite, manquer de place pour s’exprimer durant les (longues) phases de dialogues, autant lors des passages plus contemplatifs qui s’étalent parfois sur une pleine page, il donne alors toute l’ampleur de son talent. Un essai donc peut-être imparfait donc mais transfiguré par quelques moments de pure beauté et qui donne surtout envie de (re)découvrir Stefan Wul.

Olivier Badin

 Noô, volume 1 : Soror de Laurent Genefort et Alexis Sentenac. Comix Buro/Glénat. 14,50€

@ Comix Buro/Glénat / Laurent Genefort & Alexis Sentenac

27 Sep

Tank Girl démonte la deuxième guerre mondiale !

Foutraque, anar, punk et avec toutes les aiguilles de la déconne dans le rouge : Tank Girl traîne ses Rangers et ses mégots depuis plus de trente ans. Et sa dernière aventure est toujours aussi déglingos.

Création du scénariste Alan Martin et du dessinateur Jamie Hewlett, elle a débarqué dans le monde la BD outre-Manche en 1988 comme un hippopotame en tutu au milieu d’une convention de dentistes. Alors que le règne de Margaret Thatcher touchait à sa fin et que le rock indépendant envahissait la culture grand public, son style très dense et bourré de références à la pop culture fut une sacrée baffe… Quitte à parfois laisser un peu de côté ceux qui n’aiment pas forcément ce côté limite hystérique. Surtout que malgré une désastreuse adaptation cinématographique que tout le monde a heureusement oubliée, ce personnage féministe, punk et surtout complètement destroy ne s’est toujours pas mis au bridge et à la couture.

Rien que le point de départ de ce Xe avatar d’une série désormais longue comme le bras bien que désertée par Hewlett (bien plus occupé avec le très lucratif Gorillaz qu’il a monté avec Damon Albarn) est volontairement digne d’un épisode des Monty Python. Enfin si John Cleese était fan des Clash… Pour faire simple, Tank Girl et son gang (dont son petit ami, un kangourou !) doivent remonter le temps jusqu’à la deuxième guerre mondiale pour retrouver l’une des leurs qui en a profité pour devenir une starlette d’Hollywood.

Tout ce petit monde a fini par se retrouver pour ce troisième et dernier épisode dans les Ardennes, coincé entre l’armée anglaise et toute une compagnie de chars allemands. Ah, et le détail qui tue : on est en plein hiver et bien sûr, Tank Girl commence l’aventure toute nue. Spoiler : tout ça se termine sur une île au milieu du Pacifique, avec plein de cocktails. Oui, on sait, c’est n’importe quoi. Et c’est drôle. Très drôle, à condition d’aimer les armes, les virages scénaristiques à 90° et la déconne à tout va. Ça plus un paquet de références plus ou moins cachées aussi bien aux grands films de guerre de la grande époque (avec en tête, La Grande Évasion) qu’à la série Stalag 13 ou même… Happy Days.

Bref, c’est le film ‘Inglorious Bastards’ de Quentin Tarantino mais à un rythme d’enfer et avec plus de paires de fesses. En gros, c’est du ‘Tank Girl’ survitaminé et c’est pour ça que c’est bon !

Olivier Badin

World War Tank Girl par Alan Martin et Brett Parson. Ankama / Label 619. 13,90 €,

Ankama / Alan Martin & Brett Parson

09 Sep

Oblivion Song : le papa de The Walking Dead se lance dans la science-fiction

Un monde parallèle, des scientifiques qui ont trop voulu jouer avec mère Nature, des militaires cyniques, un homme en quête de rédemption… Voici quelques-uns des ingrédients de cette nouvelle série qui verse certes dans le spectaculaire mais qui n’oublie jamais l’humain.

Oblivion Song pourrait presque être une série de science-fiction comme les autres, avec ses histoires de mondes parallèles et ses monstres terrifiants et démesurés régnant sur un monde cauchemardesque. Sauf que derrière tout ça, on retrouve le scénariste de la série mondialement connue The Walking Dead, Robert Kirkman dont on reconnaît d’ailleurs très vite le style. Et ça fait toute la différence.

Sa patte ? Imbriquer de l’horreur pure, mais galvanisée par le champ des possibles offert par la science-fiction, dans un contexte malgré tout très humain où chaque personnage a le temps de prendre de l’épaisseur et de laisser paraître ses forces mais aussi ses fragilités.

Le point de départ de la série est assez ambitieux : dix ans auparavant, sans crier gare, toute une partie de la ville de Philadelphie a disparue dans une autre dimension, ses 300,000 habitants avec. Des scientifiques ont malgré tout réussi à fabriquer une sorte de pont entre les deux mondes. Depuis, l’un d’entre eux fait quotidiennement le voyage pour tenter de ramener des gens parmi ceux qui ont réussi à survivre dans ce monde surnommé ‘Oblivion’ (‘oubli’), bien que cernés par des monstres de cauchemar et des moyens limités. Mais il cherche avant tout son frère, disparu corps et âme depuis la catastrophe…

@ Delcourt / Kirkman, de Felici & Leoni

Très réussie visuellement, cette nouvelle saga post-apocalyptique (dont les droits ont déjà été vendus au cinéma) est tout-à-tour bouillonnante et mélancolique. Certes, le tout met un certain temps à démarrer mais ensuite, cela va à un train d’enfer. Trop parfois, (surtout dans le tome 2, sorti cet été) et on a parfois un peu du mal à suivre. Mais cela vaut le coup de s’accrocher car Oblivion Song a les qualités de ses défauts. Notamment cette obsession qu’a toujours eu Kirkman de tout miser sur ses personnages et d’en faire les derniers espoirs d’une société sinon en pleine décadence. Ici, la clef de voûte de son récit reste l’opposition régnant entre ces deux frères qui ont tous les deux fait deux choix de vie très différents mais qui vont devoir, malgré tout, s’entraider.

À travers leur quête commune, on découvre donc une réflexion à peine voilée sur la notion de résilience, de rédemption mais aussi de culpabilité. On peut aussi y coller plein d’autres choses comme une métaphore sur un monde post-11 Septembre ou les Etats-Unis sous Trump mais bon, chacun y verra ce qu’il veut. Reste que tout cela faisait, justement, déjà la saveur de The Walking Dead et que cette double-lecture marche de nouveau très bien ici. Surtout qu’avec son épilogue aussi inattendu que frustrant, malgré ce que le deuxième tome laisse initialement croire, on en a visiblement pas fini avec Oblivion Song, bien parti pour prendre le même chemin que son illustre grand frère.

Olivier Badin

Oblivion Song tome 1 & 2, de Robert Kirkman, Lorenzo de Felici et Annalisa Leoni, Delcourt, 16,50€

@ Delcourt / Kirkman, de Felici & Leoni

02 Sep

Conan chez Marvel : Quel souffle par Crom !

Les plus grands héros ne meurent jamais. Et surtout pas Conan. La maison mère des Quatre Fantastiques et d’Iron Man a jeté une nouvelle fois son dévolu sur le cimmérien et le résultat est aussi sanglant qu’énorme…

On a déjà eu l’occasion plusieurs fois de le dire dans ce blog : bien que méprisé en Europe, et surtout en France, chez lui aux Etats-Unis, le personnage de Conan le Barbare reste synonyme de business. De gros business même. Notamment dès que l’on touche à son adaptation BD, dont les premières esquisses remontant aux années 60 furent d’ailleurs à l’avant-garde de sa reconnaissance. Or vu que sur le vieux continent ses droits sont tombés dans le droit commun, n’importe qui peut aujourd’hui se le réapproprier et on assiste depuis peu, notamment à travers la récente série d’adaptation lancée par Glénat avec des auteurs français, à une timide mais réelle campagne de réhabilitation.

Enfin ça, c’est chez nous. Parce que de l’autre côté de l’Atlantique, ces droits sont encore gérés par les descendants de Robert E. Howard et cela reste une histoire de gros sous. D’où une licence ayant plusieurs fois changé de mains depuis un demi-siècle. Et après des années chez Dark Horse, elle est revenue aujourd’hui du côté du Marvel, qui l’avait déjà exploitée entre 1970 et 1993 avant de l’abandonner sur un coup de tête. Histoire de fêter son retour au bercail, la maison à idées comme on l’appelle a donc décidé de mettre le paquet ! D’où l’annonce immédiate de quantités de ‘spin-off’, de produits dérivées et de divers projets, avec en guise de tête de gondole la résurrection de la série Conan The Barbarian (‘Conan le Barbare’ en VF) qui avait été brillamment lancée par le duo Roy Thomas Barry Windsor-Smith en 1970.

@ Marvvel – Panini Comics / Aaron, Asar & Zaffino

Alors si l’on se base sur les six premiers épisodes réunis dans un premier tome vendu pour le prix imbattable de dix euros, histoire d’attirer les curieux, on peut déjà dire que c’est une réussite. Déjà parce qu’au-delà la couverture signée par le désormais trop rare Esad Ribic, on retrouve ici au scénario Jason Aaron, vétéran des X-Men. Et le gars a visiblement bossé son sujet, profitant de l’occasion pour le ‘réactualiser’ tout en collant au plus près à l’esprit originel de son créateur. Ici, Conan est plus que jamais frustre, très physique, sans remord et pourtant nanti d’une sorte de moral bien à lui. Bref, un barbare dans le sens noble du terme et que l’on retrouve ici à plusieurs stades de sa vie, même si le fil rouge est cette nouvelle méchante qui promet, cette ‘crimson witch’ en VO (‘sorcière cramoisie’) qui veut à tout prix voler son sang pour réveiller son dieu malfaisant.

Épique, très graphique et en même temps proche du souffle quasi-cinématographique des récits originels, cette pourtant xième adaptation donne juste envie d’empoigner son glaive et d’aller tailler dans le gras en hurlant ‘croooooom’, tant elle est entraînante. Vivement la suite nom de Zeus, surtout que le titre est volontairement pessimiste et que, bien sûr, le tout se termine sur un cliffhanger difficilement supportable…

Olivier Badin

Conan le Barbare, tome 1 : Vie et Mort de Conan, de Jason Aaron, Mahmud Asar et Gerardo Zaffino, Marvel/Panini Comics, 10 €

07 Août

Amazing Grace : un récit initiatique et sanglant dans un monde en ruine

En voilà un marqué à la culotte comme on dit : recommandé par LE magazine du cinéma bis ‘Mad Movies’ et avec donc cette étiquette de ‘Grindhouse Stories’ (en référence à la série de films que Quentin Tarentino voulait lancer en hommage aux films d’horreur et d’action de série B des années 70) dont il est le premier avatar, Amazing Grace fait plus que poser toutes ses influences sur la table, il les revendique ouvertement.

D’ailleurs, impossible aussi de ne pas penser à la BD The Walking Dead à la lecture de ce récit racontant la cavale d’un père et d’une fille mutante dans un monde post-apocalyptique en 2035. S’ils n’utilisent pas comme leur grand frère les zombies comme croquemitaines, lui préférant un monde plongé dans le chaos par la menace atomique, les auteurs s’intéressent aussi plus à braquer les projecteurs sur une société en pleine déliquescence, où la nature humaine se révèle au final bien plus monstrueuse… Avec toujours cette éternelle même question au bout : êtes vous prêt à survivre à tout prix ?

@ Glénat / Ducoudray, Bessadi & Alquier

BD de genre qui s’assume donc, Amazing Grace embrasse tous les codes du genre. Bien sûr que l’on se prend facilement d’affection pour ce duo qui essaye tant bien que mal de survivre et d’avoir une relation père/fille normale bien que cette dernière soit à moitié recouvert de poils et capable d’une violence animale si poussée à bout. Et bien sûr que l’on sait que tout cela va finir très mal, même si un tome 2 est déjà en préparation. Parfois assez violent mais pas exempt non plus de quelques longueurs à force de prendre son temps à installer une scène qui, on le sait, va s’écrouler comme un château de cartes, le tout transpire quand même l’amour sincère des films de George Romero et de tous les disciples qu’il a suscité, surtout que cette belle édition compte quantité de bonus non négligeables, comme des croquis ou des interviews de ses créateurs – où l’on retrouve entre autres le scénariste Aurélien Ducoudray qui a participé à l’aventure Doggybags chez Ankama – assez éclaircissantes. Et puis il y a ce slogan, digne d’une affiche écornée de 1973, ‘le futur n’est pas pour les enfants sages’…

@ Glénat / Ducoudray, Bessadi & Alquier

Appelé à embrasser tous les ‘sous-genres’ trop souvent négligés que sont l’horreur, le fantastique, la science-fiction ou même le western, ces ‘Grindhouse Stories’ partent plutôt du bon pied, surtout qu’il y a déjà deux autres livres (Silencio et L’Agent) dans les bacs. Toi qui a passé des heures entières à fouiller les étagères des vidéos-clubs dans les années 80 à la recherche d’obscurs films maudits à regarder ou qui adore se gaver de séries horrifiques, tu vas être gâté.

Olivier Badin

Amazing Grace– tome 1 d’Aurélien Ducoudray, Bruno Bessadi et Fabien Alquier, Glénat, 25€

02 Août

Marvel fan des sixties

Lorsqu’on est assis sur un trésor de guerre comme la maison Marvel peut l’être, on aurait tort de se priver. D’où une nouvelle série thématique de ses meilleurs récits, décennie par décennie, avec en première ligne un volume consacré à cette période charnière que furent les sixties…

Donc, même si les éditions et les rééditions se multiplient au point qu’il est parfois assez dur de s’y retrouver, l’éditeur américain profite de son quatre-vingtième anniversaire (en tous cas, si l’on se réfère à sa première existence sous le nom de Timely Comics) pour sortir des recueils thématiques sensés réunir, à défaut des meilleures histoires (notion de toutes façons trop subjective et donc sensible), les plus représentatives, toutes séries confondues. Le tout, décennie par décennie, des années 40 aux années 2000 et donc déclinées en sept volumes. Avec à chaque fois, en guise de fil rouge, un héros bien précis.

Si les volumes consacrés aux 40s et aux 50s ont plus un intérêt historique qu’autre chose avec leur style rétro très daté et leurs scénarios souvent bien trop manichéens, on attaque vraiment les choses sérieuses avec celui dédié aux 60s, avec Spider-Man en guise de fil conducteur. D’abord parce qu’on est là dans le deuxième âge d’or de la bande dessinée et qu’outre-Atlantique, la guerre froide, la peur atomique et l’essor de la conquête spatiale ont donné naissance à un public certes toujours avant tout juvénile mais plus exigeant et qu’il faut toujours plus impressionner.

@ Panini Comics/Marvel – Stan Lee, Jack Kirby & Steve Ditko

Cela dit, le vrai plus de ce volume-ci est son casting légendaire. À part une, toutes les histoires ont droit à des scénarios signés Stan Lee. Et au dessin, ce sont les trois têtes d’affiche du panthéon Marvel qui se partagent le gâteau : Steve Ditko, Jack Kirby et Roy Thomas. Niveau casting, pas vraiment de super-héros d’arrière-garde non plus avec, donc, Spider-Man mais aussi les Quatre Fantastiques, Daredevil, Docteur Strange (dans un épisode psychédélique à souhait car se passant dans une autre dimension), les X-Men etc. 

Réalisées entre 1964 et 1968, toutes ces histoires ont en commun de voir Spidey rencontrer voire combattre tous ses copains supers. Elles aussi restent marquées par le sceau de leur époque, avec un manichéisme qui a encore la peau dure. Mais au-delà des actes de bravoure obligatoires et des postures héroïques commencent malgré tout à poindre une forme plus subtile de pessimisme et des thématiques plus adultes, comme l’acceptation de soi-même, assumer son choix d’être différent etc. Après, une remise dans le contexte et un peu d’explication sur pourquoi tel épisode a été choisi plutôt qu’un autre aurait été apprécié, laissant les philistins hélas un peu hors-jeu. Mais tout fan de comics digne de ce nom ne peut jamais refuser a priori un 8765èmerencard avec Messieurs Kirby, Ditko et Lee, jamais. Surtout dans une aussi belle édition…

Olivier Badin

Décennies, Marvel dans les années 60 par Stan Lee, Jack Kirby & Steve Ditko, Panini Comics/Marvel, 35 euros

@ Panini Comics/Marvel – Stan Lee, Jack Kirby & Steve Ditko

05 Juil

2112 : la société trop parfaite du XXIIème siècle et ses secrets par le dessinateur de comics culte John Byrne

Si Jack Kirby fut la star de Marvel des années 60 et John Buscema celle des années 70, la décennie suivante fut tout acquise à John Byrne. Ce dessinateur né en Angleterre mais qui a d’abord émigré au Canada à l’âge de huit ans avant d’être naturalisé américain a tout fait chez le géant américain, en commençant par Iron Fist avant d’enchaîner avec les X-Men, Spiderman ou Les Quatre Fantastiques. Une fois passé chez le concurrent DC, il s’est alors attaqué à Miss Hulk, Wonder Woman ou encore Superman. Il est surtout responsable de certains épisodes les plus mythiques de ces différentes sagas. Rien que ‘La Mort de Phoenix’ publié en 1984, point d’orgue de l’histoire des X-Men où Jean Grey se sacrifie pour éviter de détruire l’univers, est entré au Panthéon des meilleurs comics jamais sortis (si).

En France, les lecteurs assidus de Strange et Spidey connaissent aussi bien ce nom mais l’ont ensuite un peu perdu de vue, la seconde partie de carrière étant moins connue de ce côté-ci de l’Atlantique. Pourtant, là où d’autres vétérans auraient accepté un poste en or de chef artistique où directeur de collection histoire de se couler douce après des années de travail acharné, lui a préféré prendre dans les années 90 la tangente en faisant plusieurs aller-retour entre DC et Marvel tout en s’autorisant quelques apartés chez des éditeurs plus modestes, dont ce 2112 paru initialement en 1991 et jusqu’à lors jamais traduit en français.

Byrne a toujours vu Kirby comme son modèle et consciemment ou pas, il a essayé avec 2112 en gros de suivre à peu près la même voie que le maître avec Le Quatrième Monde. Comme lui, si en tant que dessinateur son style reste ici immédiatement reconnaissable avec son trait très droit et ses personnages au physique très rectiligne, en tant que scénariste ce fut vraiment sa première tentative de prendre un peu de distance avec le monde parfois Bisounours de Marvel/DC et d’ébaucher une critique sociale. Et quoi de mieux que cette description acide d’une société ultra-moderne a priori parfaite mais où les ratés et erreurs du passé ont été mises sous le tapis comme de la poussière. Comme le lecteur, le personnage principal, un jeune cadet des forces de l’ordre issu de la bonne société et plein de bons sentiments, va découvrir petit-à-petit l’envers du décor et le mensonge sur lequel tout ce monde soi-disant utopique s’est bâti.

Histoire indépendante servant aussi de prologue à la série des Next Men (qui devrait elle aussi avoir enfin droit bientôt à sa première traduction française) 2112 met certes un peu de temps à démarrer et souffre parfois d’un scénario un chouia linéaire. Mais c’est aussi le lien, manquant jusqu’à lors, entre la première et la seconde partie de la carrière d’un grand auteur de comics toujours actif de nos jours et qui a su se remettre en question au bon moment. Le tout sortant bien sûr on a presque envie de dire sur Delirium, petit mais (très) costaud éditeur indé français qui, décidément, a le chic pour combler nos lacunes…

PS : pour l’anecdote, Byrne a toujours su glisser dans ses œuvres des références à ce Canada si cher à ses yeux, dixit la Division Alpha chez les X-Men. Le fan de musique et notamment de musique des années 70 aura donc reconnu la date symbolique, 2112. Soit aussi le nom du quatrième album du groupe de rock progressif canadien Rush sorti en 1976…

Olivier Badin

2112 par John Byrne, 15 euros, Delirium

@ Delirium / Byrne

15 Juin

The Killmasters : la Norvège, ses fjords, ses démons, ses huis clos sanglants…

L’été arrive, cela commence à sentir fortement les vacances, les shorts de bain, les paires de tongs… Et le Hellfest. Alors quoi de mieux que de se mettre dans l’ambiance avec The Killmasters ?

Le 21 Juin prochain, tous les chevelus de France et de Navarre (et d’ailleurs !) vont se retrouver du côté de Clisson pour célébrer la grande messe du metaaaaaaaal. Histoire de se chauffer un peu, certains ont opportunément (non ? Si !) choisi cette période pour sortir des one-shot comme ce Killmasters. Malgré tout, attention, on ne tient pas là une BD sur le metal, mais disons que le décor et une bonne partie des personnages sont issus de cet univers et parleront donc à ses fans.

D’ailleurs, dès la première page, le groupe norvégien de black-metal Darkthrone est cité. Le black-metal (‘le métal noir’), c’est la branche la plus extrême de la grande famille du metal, dans le sens musical et conceptuel on va dire, née en Scandinavie au début des années 90 et qui a connu son paroxysme en 1993 et 1994, époque tourmentée qui a vu plusieurs musiciens de cette micro-scène brûler des églises, se suicider voire s’entretuer entre eux. Vous voyez l’ambiance et cela colle pile-poil à celle de cette BD aux couleurs rouge-sang… C’est justement en 1995 et en Norvège que l’action démarre ici, quelque part sur une route solitaire entre deux pics enneigés où un groupe de quatre musiciens de metal esseulés essayent de retrouver leur chemin après un concert, avant qu’une rencontre fortuite avec un camion roulant à tombeau ouvert et d’où s’écoule du sang chamboule tout…

Si The Killmasters était un film, ce serait une série B d’horreur sans prétention, du genre qu’on loue en VOD le samedi soir, histoire de se vider la tête avec un seau de popcorns et un soda frais à portée de main. Sorte de huis clos mâtiné de fantastique où nos héros doivent s’allier avec des locaux d’abord pas très accueillants pour faire face à un démon particulièrement coriace (ah merde, on en a déjà trop dit !), l’accent est ici volontairement sur l’action. Pas de grande théorie, pas de grand scénario non plus il faut avouer, une fin un peu en queue de poisson (histoire de préparer la suite ?) : les deux auteurs, tous les deux originaires de Barcelone, misent tout ici sur l’action et y vont à fond ! D’ailleurs le style graphique de Javier est très dynamique et bizarrement anguleux, comme s’il dessinait toujours dans l’urgence, ses choix d’angles biscornus trahissant souvent sa culture cinématographique et les amateurs de la franchise espagnole friande de zombies ‘Rec’ s’y retrouveront par exemple. À lire en écoutant le dernier Darkthrone (Old Star) qui vient de sortir d’ailleurs, comme par hasard…

Olivier BADIN

The Killmasters de Damian et Javier, Ankama, 14,50 euros