Quatre-vingt deux ans après sa mort, l’auteur américain et père du ‘mythe de Cthulhu’ continue de fasciner. Deux de ses textes sont aujourd’hui réédités par Bragelonne et mis en images par deux illustrateurs français aux approches différentes mais complémentaires.
Bien qu’il soit mort en 1937, Howard Phillips Lovecraft n’a jamais été aussi vivant. Cet auteur de fantastique et de science-fiction a pourtant vécu toute sa vie dans la quasi-misère, survivant péniblement en corrigeant les textes des autres. D’ailleurs, très peu de ses écrits, essentiellement des nouvelles, ont été publiés de son vivant. Pourtant, un peu comme son ami Robert E. Howard le créateur de Conan qui a subi le même sort, il est devenu progressivement une référence absolue du genre. Mille fois cité voire carrément plagié, il est surtout reconnu comme le créateur de Cthulhu et des Grands Anciens, ces êtres monstrueux venus d’une autre dimension avant l’avènement de l’homme et qui attendent de régner à nouveau sur terre.
Décédé sans héritier, son œuvre est tombée dans le domaine public. Aujourd’hui, tout le monde peut se l’approprier, ce que n’ont pas manqué de faire un bon paquet d’éditeurs. Les librairies regorgeant désormais de x version différentes des mêmes textes, chacun y va donc de sa propre petite exclusivité, histoire de se différencier. Cela passe souvent par de nouvelles traductions ou des notes écrites par exemple. Mais du côté de Bragelonne, on a choisi le créneau ‘belles éditions’ et les deux sorties du jour l’illustrent chacune à leur façon.
Il y a d’abord cette version ‘deluxe’ prévue en deux tomes de l’une de ses rares romans Les Montagnes Hallucinées. Alors déjà, on tient là peut-être l’un des tous meilleurs textes de ce grand maître macabre, à ranger à côté de ceux rédigés par Edgar Allan Poe à ses heures les plus hallucinées. Pour les chanceux qui n’ont pas encore entrepris ce voyage aux confins de l’horreur cosmique, on rappellera juste que le film de John Carpenter The Thing avec Kurt Russell est fortement inspiré de ce récit paru en 1936, un an avant sa mort… Écrit à la première personne, il raconte le destin tragique d’une expédition scientifique aux confins du monde, dans un désert glacé sur les traces d’une civilisation venue des étoiles pas tout à fait éteinte. Disponible en grand format, cette version profite surtout des illustrations du français François Baranger qui s’était déjà frotté au maître avec L’Appel de Cthulhu il y dix-huit mois. ’Concept artist’ pour le cinéma et les jeux vidéos, son style paraîtra peut-être un peu trop digital et froid pour certains mais il excelle vraiment lorsqu’il s’agit de faire revivre des décors grandioses de l’Antarctique. Et surtout, son trait réussit à conserver par moment un côté presque visqueux et organique, parfait pour suggérer les créature de cauchemars invoquées par Lovecraft.
La Cité Sans Nom est un texte moins connu, d’abord publiée en 1921 dans un petit fanzine. Il est malgré tout assez passionnant car même si plus court, il pose pas mal de jalons essentiels de l’œuvre lovecraftienne. D’abord c’est là que l’auteur a exploré pour la première fois l’idée d’une cité ancienne désertée, thème qui sera ensuite repris plusieurs fois, dont pour Les Montagnes Hallucinées. Et surtout, c’est ici qu’est cité pour la première fois Abdul al-Hazred, dit l’arabe dément, personnage fictif à l’origine du Necronomicon, ouvrage de magie noire à ne pas mettre entre toutes les mains et qui réapparaitra dans pas moins de treize de ses nouvelles par la suite.
Comparée à celle choisie pour Les Montagnes Hallucinées, l’approche est ici assez différente. Deuxième parution, après Dagon, de la série Les Carnets Lovecraft, on a opté cette fois-ci pour un petit format. Les illustrations, signées par un autre français du nom d’Armel Glaume, sont dans le même état d’esprit, c’est-à-dire des croquis réalisés en noir et blanc au crayon à papier, plus attachés à l’idée de mettre en valeur des petits détails qu’à dépeindre de grandes fresques. Le résultat est peut-être moins grandiloquent mais tout aussi envoûtant…
Alors si les fins connaisseurs de l’oeuvre de Lovecraft réfléchiront peut-être à deux fois avant d’investir de nouveau dans des textes qu’il connaissent par cœur, le néophyte qui hésitait encore à descendre dans cette crypte maintes visitée mais toujours aussi terrifiante, lui, aura du mal à résister à la tentation…
Olivier Badin
Les Montagnes Hallucinées, tome 1 illustré par François Baranger. Bragelonne. 29,9€
Les Carnets Lovecraft : Dagon, illustré par Armel Gaulme. Bragelonne. 15,9€