19 Oct

Nemesis le Sorcier ou la délirante guerre cosmique des aliens et des humains, version 2000 AD

Presque quarante ans après le début de sa parution dans la revue culte anglo-saxonne 2000 AD, voici une série déjantée qui reprend certains éléments de son copain Judge Dredd et le plonge dans un bain steampunk ébouriffant. Attention, chef d’œuvre !

Cela fait quelques temps que le petit mais costaud éditeur français Delirium s’acharne a enfin faire traduire en français les plus grands héros sortis des pages cultissimes de 2000 AD, l’équivalent en Angleterre du magazine Métal Hurlant dans les années 80.

Sauf que si certains, comme bien sûr Judge Dredd, ont dépassé les frontières, d’autres comme Nemesis Le Sorcier ont inexplicablement disparu du paysage. Cette réédition sera une découverte totale pour la majorité des lecteurs. Et là, attention, c’est le choc, aussi bien graphique que conceptuelle.

L’équipe de 2000 AD nous avait pourtant déjà habitués à ce genre de mélange détonnant entre steampunk, heroic fantasy, satire politique et science-fiction psychédélique. Mais ici, on franchit un cap et on tombe dans le délirant absolu que même le choix de ce sobre noir et blanc ne réussit pas à cadenasser.

Et le pire est que l’on ne tient là ‘que’ le premier tome de trois annoncés… Nemesis est un alien doublé d’un sorcier au physique surréaliste, sorte de centaure que l’on aurait pu croiser dans un rêve de HR Giger. Sa mission ? Sauver ses frères extra-terrestres du Grand Inquisiteur Torquemada qui a décidé de ‘purifier’ la galaxie et que rien, même la mort, ne semble en mesure d’arrêter dans sa croisade sanguinaire.

@ Delirium / Mills, O’Neill, Redondo & Talbot

Le long de ces 368 pages engoncées dans une couverture ‘en dur’ de qualité supérieure, on croise des vaisseaux spatiaux en forme de galions, des ‘terminators’ (terme utilisé des années avant le film de James Cameron) fanatisés, des combats de joutes, des cérémonies nécromanciennes et on en pense. Le tout n’hésitant pas parfois à s’étaler sur une seule case prenant toute une page pour laisser parler au mieux le stylo épique de Kevin O’Neill qui s’était déjà illustré avec La Ligue Des Gentlemen Extraordinaires.

Les corps, les bâtiments, les décors… Tout est acéré, chaotique et en même temps, bizarrement beau, baroque même. Même si deux histoires complètes signées Bryan Talbot et Jesùs Redondo ont été rajoutées en bonus en quelque sorte, c’est vraiment O’Neill et son style fin, inventif et en même temps presque décharné qui marque le plus, de loin.

@ Delirium / Mills, O’Neill, Redondo & Talbot

Et puis sous cette lutte sans merci entre deux montres dont aucun des deux n’est vraiment ni tout noir ni tout blanc, on retrouve aussi l’humour très grinçant du scénariste Pat Mills. Difficile d’ailleurs de ne pas voir dans cette série parue initialement dans la première moitié des années 80 une critique acerbe de l’Angleterre Thatcherienne, une société conservatrice, arc-boutée sur ses illusions d’ex-grand empire, sourde aux changements et xénophobe.

Certes, la parution originelle en épisode de quatre ou cinq pages donne lieu bout-à-bout à un rythme très haché, avec de sempiternels retours en arrière mais cela ne gâche absolument pas le plaisir, tant ici l’absurde côtoie le superbe. Délire cosmique et chef d’oeuvre méconnu, ce Nemesis est ce que l’on appelle une claque inratable, une baffe cyberpunk.

Olivier Badin

Nemesis Le Sorcier de Pat Mills, Kevin O’Neill, Jesùs Redondo et Bryan Talbot. Delirium. 35€