Après 13 numéros remplis d’hémoglobine en forme d’hommage aux pulps et aux films d’horreur des années 70, la série collégiale Doggybags s’était arrêtée, pour ne pas tomber dans la redite. Mais il faut croire que ses patrons avaient conservé au frigo quelques kilos de bidoche en stock car elle revient finalement d’entre les morts pour un nouveau triptyque d’histoires qui revisitent, chacune à leur manière, un pan de la culture horrifique.
Vendredi 13, Les Griffes de la Nuit, Saw… Autant de sagas qui ont enchaîné les opus qui s’achevaient invariablement par la soi-disante mort du personnage principal… qui revenait systématiquement quelques années après. Freddy Krueger, Jason, Leatherface… Tous comme les grands héros, les grands méchants ne meurent jamais. Cela tombe bien, Doggybagsnon plus.
Lancée presque en catimini en 2011 par un petit studio indépendant, cette revue à la périodicité indéfinie fut la première en France a revisiter ce kaléidoscope de sous-genres qu’est l’exploitation. Un terme un peu barbare volé à la contre-culture anglo-saxonne des années 70 que des gens comme Quentin Tarantino (avec les films Grindhouse) ou Roberto Rodriguez (avec Une Nuit En Enfer) se sont mis en tête de ressusciter. Il désigne divers supports (BD, livres, films), réalisés en général avec peu de moyens et dédiés à un sous-genre bien précis de la culture bis. Ils vont jusqu’à revendiquer les clichés inhérents pour mieux, justement, les exploiter. On y retrouve en vrac des histoires de zombies ou de vampires, des récits post-apocalyptiques, des polars occultes etc.
On a clairement affaire ici à de gros fans d’horreur qui connaissent les dialogues de Massacre à la Tronçonneuse par cœur. Doggybags est donc certes bourré de références plus ou moins subtiles mais il reste assez osé, aussi bien sur le plan visuel qu’éditorial. Ses auteurs vont d’ailleurs piocher aussi bien dans le manga que dans le street-art, aboutissant au final à quelque chose d’assez unique. On est donc content que Run, le papa de la série Mutafukaz et patron de Label 619, soit revenu sur sa décision, il en parle d’ailleurs avec pas mal d’humour dans l’édito qui ouvre ce numéro.
Et puis on sait d’entrée qu’on va être entre gens de bonne compagnie en reconnaissant cette couverture signée Ed Repka. Un artiste américain que les métalleux connaissent bien, vu qu’il est responsable de la moitié des pochettes de thrash-metal dans la seconde moitié des années 80. Les plus cultes étant celles réalisées pour le groupe Megadeth pour lequel il a donné corps à leur squelette mascotte, Vic Rattlehead.
Pour cette ‘saison 2’ comme ils le disent, on retrouve tout de suite nos marques avec cette mise en page colorée pleine de punchs. Entre deux histoires, on retrouve également le courrier des lecteurs, de fausses publicités pour, par exemple, « des masques mortuaires ». Mais aussi des articles on ne peut plus sérieux en forme de mise en point historique sur tel ou tel sujet abordé dans le numéro. Run lui-même nous la joue Alain Decaux en signant un article très instructif sur les différents moyens de torture depuis l’antiquité jusqu’à la dernière guerre par exemple…
Mais les joyaux de la couronne restent les trois histoires du jour, trois contes noirs où l’on retrouve des habitués de la maison comme Prozeet, Ivan Shavrin et Neyef. Trois variations assez distinctes : si la première, presque réaliste, utilise comme décor l’ex-bloc de l’Est livré à la pègre, la deuxième est beaucoup plus hallucinatoire et suffocante avec son personnage central emprisonné dans son propre corps. Quant à la dernière histoire, elle reprend (un peu) à son compte l’idée déjà développée par la série L’Amateur de Souffrances chez Glénat d’un exécuteur qui se nourrit de l’agonie des condamnés pour rester immortel.
Les trois, bien que ne jouant pas sur le même registre, sont non seulement réussies mais elles s’inscrivent aussi en plus parfaitement dans le style Label 619. Un éditeur en passe de devenir une vraie marque de fabrique, un gage de qualité avec certes des bouts de dents cassées et quelques viscères dessus, de la BD d’horreur ‘à la française’ que les fans peuvent désormais acheter les yeux fermés. À condition d’aimer quand ça tache…
Olivier Badin
Doggybags 14, Saison 2, Ankama/Label 619. 13,90€