02 Mai

Il Fallait que je vous dise : un témoignage rare et capital sur l’IVG signé Aude Mermilliod

Près de 220 000 femmes avortent chaque année en France. C’est beaucoup. Pourtant, que sait-on vraiment de l’IVG, de ce droit acquis chèrement il y a maintenant 45 ans et régulièrement remis en question ici ou là ? Pas grand chose. Les témoignages de femmes qui y ont eu recours sont très rares. Celui d’Aude Mermilliod est en cela essentiel…

56 millions d’avortement à travers le monde, 216 700 en France, 5 millions de femmes hospitalisées suite à un avortement à risque… voilà pour les chiffres aussi froids que peuvent l’être des chiffres. Et après ? Comment une femme en vient-elle à choisir l’IVG ? Comment le vit-elle ? Comment est-elle prise en charge ? Comment se passe l’acte en lui-même ? Autant de questions qui restent sans réponse pour la plupart d’entre nous.

« Ce qui était important pour moi… », explique Aude Mermilliod, « c’était d’être la plus honnête possible par rapport à des sentiments qui ne sont pas facilement audibles. Je me suis dit : Si tu décides de raconter, il faut vraiment tout dire, même si cela pourra faire lever un sourcil à certains ou que d’autres se diront que tu es un peu givrée sur les bords ».

Et elle raconte tout Aude Mermilliod dans cet album. Depuis le test de grossesse jusqu’à l’avortement. Elle raconte ses états d’âme, ses colères, les jugements des uns, les maladresses des autres. Elle raconte surtout sa détermination à avorter, dès le premier instant et ce sentiment de culpabilité qui ne la quittera pas de si tôt. Elle dit tout, ne cache rien, jusqu’aux scènes les plus intimes. C’est ce qui rend finalement son récit passionnant.

Ce qui le rend également passionnant, c’est la deuxième partie de l’album consacrée à Martin Winckler aka Marc Zaffran, connu comme romancier et essayiste mais surtout comme médecin féministe. Aude raconte cette fois l’histoire de cet homme, les chemins qui l’ont amené à pratiquer l’IVG, son apprentissage… D’un témoignage personnel, Il Fallait que je vous dise se fait dès lors témoignage universel.

« L’arrivée de Martin dans cet album en fait d’avantage un livre sur l’avortement, avant c’était un livre sur « mon » avortement. Mais avant tout, cela reste un album relatant deux témoignages. J’ai vécu l’avortement comme un deuil. J’ai vraiment personnifié cet enfant que je n’ai pas eu, ce qui est souvent un problème pour autrui. On est supposée être un peu triste, parce que sinon, cela veut dire que l’on n’a pas pris la mesure de ce qu’on a fait, mais si on l’est trop, on va s’entendre dire : « Mais c’est toi qui l’a choisi, c’est quoi ton problème ? » Comme si c’était si simple… ».

Pas si simple effectivement. Les 167 pages de l’album au graphisme plutôt sobre et efficace pour ce genre de récit l’attestent. Mais l’ambition d’Aude va plus loin encore : « J’ai l’espoir que ce livre puisse amener du réconfort et aussi donner des clés aux hommes qui accompagnent les femmes. C’est un moment où elles sont rarement dans la verbalisation ou l’explication. Elles sont dans l’émotionnel pur, alors si je peux donner quelques pistes… ».

Eric Guillaud

Il Fallait que je vous le dise, d’Aude Mermilliod. Casterman. 22€ (en librairie le 7 mai)

@ Casterman / Mermilliod

27 Avr

L’Hiver en été : un artbook exceptionnel consacré au travail de Jean-Pierre Gibrat

Que celui ou celle qui ne s’est jamais laissé(e) aller à la rêverie devant un dessin de Jean-Pierre Gibrat se dénonce immédiatement ou se taise à jamais. Mattéo, Le Vol du corbeau, Le Sursis, Les Gens honnêtes… En une quarantaine d’années et un chapelet d’albums, l’auteur a profondément marqué le neuvième art d’une écriture romanesque et d’un trait bigrement raffiné…

C’est un peu Noël à Pâques, un beau cadeau au milieu des œufs, une petite douceur printanière qui a pour nom L’Hiver en été et pour auteur Jean-Pierre Gibrat. C’est un artbook, que dis-je un sublime artbook comme on en voit peu, comme on en rêve souvent, mis en forme par l’auteur lui-même pour les éditions Daniel Maghen.

Il suffit de découvrir la couverture et ce grand format pour comprendre qu’on risque de passer du temps à admirer le travail, détailler les illustrations, ausculter les planches et se perdre dans les croquis réunis ici, un survol de ses 20 dernières années de création, du Sursis à Mattéo, en passant par Le Vol du corbeau.

C’est beau, forcément, mais ce n’est pas tout. L’ouvrage est aussi passionnant, instructif. Bâti autour d’un entretien avec la journaliste Rebecca Manzoni, Jean-Pierre Gibrat se dévoile, parle de son travail, de son trait, de ses personnages, de sa famille, de la musique, de Jimi Hendrix dont il est un fan absolu, de sa passion pour la première moitié du XXe siècle, du communisme et de ceux qui y ont cru… Bien sûr, il évoque aussi très longuement LA femme dont il ne se lasse de dessiner les contours avec ce trait « comme personne » et cette légère dissymétrie qui donne du caractère, du relief, de la vie à ses personnages.

« J’utilise la dissymétrie pour booster l’expression… », explique Jean-Pierre Gibrat, « parce que l’expression ne vient pas de la forme elle-même. La structure d’un visage raconte un caractère, mais ce qui le renforce, c’est la dissymétrie. Elle contribue à augmenter la beauté, alors qu’on pourrait penser le contraire. On n’imagine pas forcément que, dans l’esthétique d’un visage touchant, il faut mettre de la dissymétrie ».

Un magnifique ouvrage qui associe intelligence du propos et beauté du trait. Ça fait du bien !

Eric Guillaud

L’Hiver en été, de Gibrat. Editions Daniel Maghen. 39€

25 Avr

Stray Bullets : le polar culte de David Lapham en version intégrale

Clairement, on nous avait mis l’eau à la bouche. C’était à la fin du siècle précédent, Dark Horse France publiait deux volumes de Stray Bullets et puis… plus rien ! Fort heureusement, les éditions Delcourt reprennent aujourd’hui les choses en main et nous promettent une édition digne de ce polar choc de David Lapham. Quatorze histoires se trouvent d’ores et déjà réunies dans ce qui constitue le premier volume d’une intégrale, de quoi se sustenter largement cette fois et envisager la vie en noir…

La sortie des deux premiers recueils de Stray Bullets chez Dark Horse France eut l’effet d’un uppercut, pas moins, pour tous les amoureux du comics. C’était en 1996. On découvrait sous nos yeux ébahis le talent de ce jeune auteur américain David Lapham et ses histoires noires et radicales qui nous entraînaient dans les bas-fonds de le société américaine. Deux volets, une petite réédition chez Bulle Dog au début des années 2000 et plus aucune nouvelles de ce côté-ci de l’Atlantique, tandis que de l’autre côté l’aventure se poursuivait avec aujourd’hui une bonne quarantaine d’histoires au compteur.

Mais les choses devraient rentrer dans l’ordre grâce à l’intervention salvatrice de la maison d’édition Delcourt, laquelle vient de publier le premier volume d’une intégrale, quatorze histoires courtes au programme, dont sept inédites en France. C’est un bon début, poursuivons le combat!

Amateurs et amatrices d’histoires moralement correctes, passez votre chemin. Ces aventures ne s’appellent pas Stray Bullets, Balles perdues en français, pour rien. Des balles perdues, il y en a à toutes les pages, ça flingue comme jamais, souvent sans raison véritable, offrant une vision noire, très noire, de la société américaine. Rien que dans le premier récit, on dénombre pas moins de huit cadavres entassés dans une voiture, plus une place dans le coffre ou sur la banquette arrière. Et on nous dit que Ça ressemble à de l’amour, c’est en tout cas le titre de cette ouverture.

Stray Bullets, ce sont des histoires noires à la Tarantino mâtinées d’Ellroy, un plongeon sans fin dans la criminalité avec un casting de malade, une galerie de personnages plus tarés les uns que les autres, triés sur le volet de la dégénérescence la plus totale, camés, escrocs, dingues et paumés, c’est violent, c’est macabre, c’est noir, c’est nihiliste à souhait mais il y a un sens à tout ça, explique l’auteur, « intensifier l’émotion de choses que j’ai vécues ou de choses assez universelles que nous pouvons tous comprendre ». Touché en plein coeur !

Eric Guillaud

Stray Bullets, de Lapham. Delcourt. 34,95€

@ Delcourt / Lapham

21 Avr

Ni vu ni lu de Jean-Christophe Mazurie : l’important est d’argumenter

Peut-on parler de tout et surtout de ce qu’on ne connaît pas ? Pour Jean-Christophe Mazurie, c’est oui. Dans ce petit livre paru dans la collection Pataquès des éditions Delcourt, l’auteur dit tout le mal – ou parfois le bien – qu’il pense de livres ou de films sans en avoir lu une ligne ou vu une image…

Vous avez lu Elle & Lui de Marc Levy ?  Non ? Jean-Christophe Mazurie non plus, ce qui ne l’empêche pas d’avoir son opinion et de la partager ici, « à chier! ». Et d’argumenter. « Dire q’on aime pas Marc Levy, c’est afficher une certaine exigence quant à la littérature, la vraie ». Imparable.

Et tout y passe, films ou livres, séries ou retransmissions sportives, depuis Intouchables d’Olivier Nakache et Eric Toledano jusqu’à Soumission de Michel Houellebecq, en passant par Les Nouvelles familles de Christine Boutin, Un Tournant  de la vie de christine Angot, 50 nuances de grey de E.L. James ou encore Star Wars de George Lucas. Même la Coupe du monde de football a sa petite chronique : « La coupe du monde, c’est comme la mort : impossible d’y échapper ».

Non seulement, Jean-Christophe Mazurie argumente mais il nous apprend les techniques pour briller en société sans lire en tenant d’entrée une position, « c’est à chier », et en anticipant une éventuelletuelle contradiction : « N’importe quel imbécile le voit tout de suite ».

Que rajouter à ça ? Rien, c’est drôle et ça vous rappellera peut-être certaines personnes qui ont toujours un avis sur tout même sur des sujets qu’ils ne connaissent absolument pas. Le livre qu’il faut avoir lu – ou non – pour briller dans les soirées mondaines.

Eric Guillaud

Ni vu ni lu, de Jean-Christophe Mazurie. Delcourt. 12€

@ Delcourt / Mazurie

Shazam ou comment un super-héros boy-scout des années 40 revient sur le devant de la scène

Malgré sa très belle couverture un peu sombre signée Alex Ross, la série Shazam est un pur produit de son époque, celle des années 40 où le alors nouveau business des comics était perçu quasiment comme un outil d’éducation vertueux outre-Atlantique. À l’occasion de la sortie de l’adaptation cinéma, retour sur un héros très (trop ?) propre sur lui oublié du public…

La manne des super-héros ne semblant pas vouloir se tarir, pourquoi Hollywood s’en priverait-elle ? Le schtroumpf, c’est que l’on ne peut pas avoir un film des Avengers ou de Batman tous les trimestres donc il faut bien taper dans le bas de l’étagère pour essayer, malgré tout, de récupérer quelques miettes à moindres frais. Et puis l’astuce a eu un succès inespéré avec Black Panther donc pourquoi se gêner ? D’où la surabondance de jadis seconds rôles désormais propulsés au premier rang (Docteur Strange, Aquaman, Miss Marvel etc.) alors qu’il ne le méritait pas vraiment…

Le cas de Shazam est encore plus problématique : non seulement ce héros là est-il complètement inconnu du grand public français mais en plus, il ne colle pas vraiment à l’état d’esprit actuel car on tient là le reliquat d’une époque depuis longtemps révolue dite de ‘l’âge d’or’ des comics américain. Aujourd’hui, le comics est devenu bien souvent adulte, avec les thématiques qui vont avec, sombres et torturées. Shazam apparaît donc presque anachronique avec sa vision du monde très monochrome, où les gentils sont très gentils et les méchants très méchants. C’est là la force de cette anthologie mais aussi sa limite, même si la parution originale de ces quinze épisodes s’étale sur près de quatre vingt ans. À ce propos, ce volume est sous-titré ‘les récits les plus magiques’ et ce n’est pas anecdotique : sur quinze épisodes, un bon tiers datent des années 40 et 50 et d’une certaine façon, le personnage n’est jamais vraiment sorti de ces codes-là.

Une première précision linguistique : avant d’être le nom d’une célèbre application pour téléphone portable, ‘shazam’ est surtout l’équivalent anglo-saxon de ‘abracadabra’, soit le mot que le jeune Billy Batson doit prononcer pour se transformer en Mister Marvel, le véritable nom de notre héros du jour mais qui n’a pas conservé pour la titraille, histoire probablement d’éviter la confusion avec le héros de Marvel portant déjà ce sobriquet un tantinet pompeux il est vrai. Shazam est aussi le nom du sorcier vieux de trois mille ans à la longue barbe digne de Merlin l’Enchanteur qui vit, reclus, dans une caverne et qui a décidé de donner au jeune homme le pouvoir de se transformer à sa guise en super-héros pour, évidemment, défendre la veuve et l’orphelin.

Vous l’avez compris à ce pitch presque enfantin, on est ici bien loin de la violence gratuite et du tragique à tous les étages. Mister Marvel et ses sidekicksMarvel Junior ou Mary Marvel (oui, toute la famille !) sont politiquement très corrects, remplis de bons sentiments et lâchent à peine ‘saperlipopette’ voire ‘flute et reflute !’ lorsque leurs ennemis leur échappent, même s’ils finissent toujours pas gagner bien sûr. Mais avec ses couleurs quasi-pop art avant l’heure, son mélange des genres complètement foutraque par moments (le mythe de l’Atlantide, un message écolo avant l’heure avec ce combat entre Mister Marvel et la Terre elle-même fatiguée d’être maltraitée par l’homme etc.) et son charme suranné, il y a quelque chose d’assez rafraichissant dans tout ça, même si d’un autre temps. Cela dit, pour les fans de la BD US de l’époque, on retrouve quand même quelques figures, dont l’un des scénaristes de Superman et surtout l’un des dessinateurs phares de la saga ‘Flash Gordon’ en la personne de Manuel ‘Mac’ Raboy.

Initialement, Shazam était la série d’une petite maison d’édition concurrente qui décida de jeter l’éponge au milieu des années 50, interrompant ainsi sa parution. Il faudra attendre Janvier 73 et son rachat par DC (Batman, Superman) pour qu’il retrouve le chemin des marchands de journaux, presque inchangé. Sauf qu’entretemps, les comics, eux, ont beaucoup changé et plutôt intelligemment, son nouveau propriétaire a décidé de le recentrer vers un public plus jeune, notamment via une adaptation en dessin animé et c’est encore cette orientation qui prime aujourd’hui, mais sans le charme vintage de sa première version. Une BD de super-héros destiné aux fans mais au final qui plaira surtout donc aux grands enfants aux cheveux gris amateurs de serials de la grande époque.

Olivier Badin

Shazam Anthologie, collectif, Urban Comics/DC, 25 €

@ Urban Comics/DC

20 Avr

L’âge de Pierre : une histoire pas du tout préhistorique signée Davy Mourier et Héloïse Solt

Non, L’âge de Pierre n’est pas un nouvel épisode des aventures de Rahan, Pierre est tout simplement le nom du héros de cette histoire et l’âge, l’une de ses grandes préoccupations, une thématique qui n’a rien de préhistorique…

Vous allez me dire : on ne les compte plus les albums traitant des trentenaires, généralement parisiens, qui n’arrivent pas à quitter le monde de l’adolescence. Et vous avez raison. Mais peu importe le nombre, chaque auteur a sa propre vision de la chose. Et celle de Davy Mourier au scénario et d’Héloïse Solt au dessin est plutôt originale.

Avec un vrai Tanguy pour le coup, un gars qui n’habite plus chez lui, certes, mais qui retourne sous les jupes de sa maman au moindre coup dur, au moindre pet de travers. Et une mère capable d’appeler fiston aux moments les moins opportuns, dans le train par exemple qui le ramène à Paris.

« Je ne sais pas quand je redescends en Ardèche… Je viens d’en partir. Oui, j’ai mangé la tartiflette ».

« Monsieur. Contrôle des billets ». Un peu Tanguy sur les bords mais pas insensible au charme féminin. La contrôleuse SNCF du jour, Manon de son prénom, finira dans son lit le soir même. Comme pas mal de conquêtes de ses conquêtes. Mais de là à s’investir plus d’une nuit, renoncer à sa tranquillité, à sa liberté, pas question. Sauf si…

@ Delcourt / Mourier & Solt

Sauf si un éditeur lui propose de raconter en BD le début de son engagement avec une femme. Oui, Pierre est un auteur de BD. enfin jusqu’ici, il s’est contenté de raconter ses histoires de fesses sur un blog. Cette fois, on lui propose un vrai album en papier avec une vraie histoire.

Mais quelle histoire ? Manon bien sûr. Contre toute attente, il accepte de se mettre en couple avec elle… dans le seul but de mettre son quotidien en images.

Une chose est sûre, ça sent le vécu ! D’ailleurs, l’éditeur ne se prive pas de préciser que toute ressemblance avec la vie de Davy Mourier serait purement volontaire. L’âge de Pierre est une autofiction. À la fois homme de télé, de théâtre et auteur de BD, Davy Mourier développe ici un scénario drôle et intelligent initialement écrit pour un projet de film. Il en fera quand même un court métrage disponible ici…

À noter pour firnir l’excellent travail d’Héloïse Solt qui signe ici son premier album de bande dessinée. Transfuge de l’illustration jeunesse, Héloïse développe en a ramené un trait vivifiant qui colle parfaitement à l’approche à la fois intimiste et léger du récit.

Eric Guillaud

L’âge de Pierre, de Solt et Mourier. Delcourt. 17,95€

17 Avr

Les esclaves oubliés de Tromelin : une nouvelle édition enrichie à l’occasion d’une exposition au Musée de l’Homme à Paris

Publié en 2015 sous le parrainage du Château des Ducs de Bretagne à Nantes qui proposait déjà une réflexion sur cette tragédie de l’histoire, l’album Les esclaves oubliés de Tromelin a récemment été réédité en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturel à Paris qui à son tour présente une exposition…

L’île de Tromelin ne vous dit peut-être pas grand chose. Et c’est normal. Tromelin est un caillou ou plus précisément un banc de sable posé au milieu de l’océan indien à 500 kilomètres de la terre la plus proche.

1700 m du nord au sud, 700 m d’est en ouest, une végétation assez réduite, des oiseaux, des Bernard-L’Hermite par dizaines de milliers et les traces presque imperceptibles mais bien réelles d’une présence humaine ancienne.

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L’interview de l’auteur en 2015

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L’île a en effet été habitée au XVIIIe siècle pendant 15 ans par des esclaves laissés là après le naufrage du navire qui devait les emmener vers un destin tout aussi funeste. 15 ans à tenter de survivre et au bout du compte, huit rescapés, 7 femmes et un enfant de 8 mois sauvés en 1776 après plusieurs tentatives de sauvetage. Une histoire incroyable mais bien réelle que nous raconte avec passion et talent l’auteur de bande dessinée Savoia, déjà connu du grand public pour avoir mis en images le récit autobiographique de la Polonaise Marzena Sowa, Marzi (éd Dupuis).

© Dupuis / Savoia

© Dupuis / Savoia

Et plus que le simple mais déjà conséquent récit de ce naufrage et des quinze années passées sur l’île, Savoia met également en images la mission archéologique qu’il a accompagnée sur l’île de Tromelin en 2008, mission chargée justement de comprendre comment avait pu être la vie de ces naufragés.  Et c’est passionnant de bout en bout, le lecteur suit les découvertes de l’équipe d’archéologues en même temps qu’il vit la lente tragédie silencieuse des esclaves.

Publié initialement en 2015, Les esclaves oubliés de Tromelin fait partie de ces albums essentiels sur l’histoire du monde, un témoignage puissant et intemporel. La preuve avec cette édition enrichie (nouvelle jaquette et chronologie de l’esclavage et de son abolition) publiée à l’occasion de l’exposition présentée au Musée de l’Homme à Paris.

L’exposition est visible jusqu’au 3 juin 2019. Une rencontre avec l’auteur Sylvain Savoia s’y déroulera le Jeudi 23 mai à 15h.

Eric Guillaud

Les esclaves oubliés de Tromelin, de Savoia. Editions Dupuis. 22€

@ Dupuis / Savoia

15 Avr

Le Patient, le nouveau récit de Timothé Le Boucher au scénario savoureusement hitchcockien

Après le très beau et légitime succès rencontré par Ces jours qui disparaissent paru aux éditions Glénat, nombreux sont ceux à attendre de pied ferme le nouvel album de Timothé le Boucher tant il est censé apporter une réponse à une question essentielle : l’auteur aurait-il été victime d’un coup de génie sans lendemain ou est-il capable de récidiver et donc de s’inscrire comme une nouvelle grande signature de la bande dessinée ? Réponse ici et maintenant.

Et la réponse est sans détour. A star is born, dirait-on dans le milieu du cinéma ou de la musique. Un auteur est né dira-t-on plus sereinement et modestement ici. En une poignée d’albums, deux seulement signés chez un grand éditeur, Timothé le Boucher est devenu l’une des nouvelles grandes signatures de la bande dessinée.

Dans Ces Jours qui disparaissent publié en 2017 chez Glénat, l’auteur raconte l’histoire d’un jeune acrobate, Lubin, dont le corps est habité par deux personnalités différentes, l’une prenant peu à peu le dessus sur l’autre. Un récit fantastique dans lequel il est question de dissociation identitaire et de schizophrénie. 

Avec Le Patient, toujours chez Glénat, Timothé Le Boucher nous offre un thriller psychologique littéralement époustouflant, au dessin toujours aussi joliment épuré et au scénario hitchcockien à souhait, comme le suggère la magnifique illustration de couverture.

@ Glénat / Le Boucher

L’histoire ? Celle de Pierre Grimaud, un jeune-homme de 21 ans qui se réveille après 6 ans de coma et découvre que toute sa famille a été massacrée. « Il n’a plus rien dans la vie et doit réapprendre à vivre, se reconstruire, et il va être aidé en cela par une psychologue… », explique Timothé.

La psychologue, c’est Anna Kieffer, spécialisée sur les questions de criminologie et de victimologie. Avec elle, le jeune Pierre parvient à se remémorer peu à peu les circonstances du drame. Il se révèle être aussi  une personnalité attachante qui ne laisse pas Anna insensible. Entre les deux naîtra une relation ambiguë.

Raconter une relation comme celle-ci a été le point de départ du Patient. D’abord imaginée dans le milieu universitaire, Timothé Le Boucher décide finalement de transposer l’histoire dans le milieu hospitalier à la suite d’une balade dans un hôpital.

« C’était un dimanche, les longs couloirs étaient déserts, ça créait une atmosphère assez terrifiante. J’ai imaginé de longs travellings en plan-séquence à la manière de Stanl dans Shining ou Gus Van Sant dans Elephant… C’est comme ça que j’ai décidé de transposer mon histoire dans le milieu hospitalier. J’ai ensuite eu l’idée de ce personnage qui se réveille après 6 ans de coma suite à un drame, et c’est en mélangeant  ces trois points de départ qu’est née l’histoire du Patient ».

@ Glénat / Le Boucher

Ancré dans le réel, Le Patient partage avec Ces Jours qui disparaissent des personnages d’une grande profondeur psychologique et quelques thématiques chères à l’auteur. « Il y en a plusieurs qui s’imbriquent. Quand j’écris une histoire, c’est comme si je réalisais un tissage de toutes les thématiques qui m’intéressent ». Et de fait, le nouvel album de Timothé Le Boucher est une oeuvre dense qui aborde une fois encore les thématiques de l’identité, de la mémoire ou du rapport à l’autre.

Bref, Le Patient est comme Ces Jours qui disparaissent un chef d’oeuvre, n’ayons pas peur des mots, qui nous maintient sous tension de la première à la dernière page et plus encore, révélant au passage un auteur complet au talent immense. Gros gros coup de coeur !!

Eric Guillaud

Le Patient, de Timothé le Boucher. Glénat. 25€

12 Avr

Le coin des mangas : Chi mon chaton, Un Shiba en plus!, Globule, Polar bear in love, La Fille du temple aux chats, Une Drôle de famille, Candy & Gigarettes, Ranma 1/2, La lanterne de Nyx

Succès commercial oblige, Chi, le chaton imaginé par Konami Kanata, n’en finit plus de faire des petits. Après l’adaptation de ses aventures en roman, en manga grand format, en dessin animé 3D diffusé sur Piwi, Canal+ et Amazon Prime, le voici sous un nouveau format au sens de lecture européen, huit cases par page à lire de haut en bas. Rien de nouveau sous le soleil côté histoire, il s’agit toujours d’illustrer les pitreries du félin…. (Chi mon chaton, de Konami Kanata. Glénat. 10,75€)

Vous préférez les chiens aux chats ? J’ai ce qu’il vous faut. Il s’appelle Shibako, n’est pas réellement le chien idéal, il est même plutôt moche et n’arrive pas à trouver un maître. Alors, dans l’animalerie où il vit depuis des mois, on imagine un stratagème : l’offrir pour l’achat d’un adorable chiot. Et ça marche, une mamie finit par craquer et emmène les deux chiens pour le prix d’un… (Un shiba en plus!, de Mayumi Muroyama. Soleil Manga, 6,99€)

Et pourquoi pas un lapin ? Celui-cil ou plutôt celle-ci s’appelle Globule et vous la connaissez peut-être déjà. En 2015, le mangaka Mamemoyashi nous racontait son expérience de vie avec cet animal dans un one-shot vendu à plusieurs milliers d’exemplaires. Il y révélait les secrets les plus intimes sur la vie de ce lapin domestique et sur leur colocation dans l’appartement. Il revient avec Globule une vie de jeune lapin, où il raconte les premiers jours de son animal… (Globule une vie de jeune lapin, de Mamemoyashi. Soleil Manga. 6,99€)

Plus embarrassant qu’un chat, qu’un chien ou qu’un lapin, un ours. Bon, celui-ci ne vit pas dans l’appartement de son créateur, le mangaka Koromo. Il vit dans son milieu naturel, la banquise, où il tombe follement amoureux d’un jeune phoque. Oui, ça peut paraître étrange quand on connaît l’attirance du premier pour le second lorsqu’il s’agit de manger mais Koromo souhaite à travers cette histoire impossible lancer un message d’amour universel… (A Polar Bear love, de Koromo. Soleil Manga. 15€)

On change de style même si il est encore ici question de chats. Deuxième volet d’une série en six volumes, La Fille du temple aux chats raconte l’histoire de Gen, un jeune garçon qui visiblement ne supporte plus ses parents. « Du moment que c’était loin de mes vieux, j’étais prêt à vivre n’importe où », clame-t-il. Même dans la cambrousse la plus reculée, même dans un endroit vétuste. Et le voilà débarquant dans le temple où vit sa grand-mère mais aussi… surprise… une jeune-femme d’une vingtaine d’années, Chion, qu’il a connue enfant. De quoi rendre la campagne agréable à ce pur citadin… (La Fille du temple aux chats, de Makoto Ojiro. Soleil Manga. 7,99€)

Aucun animal en vue cette fois mais une drôle de famille, les Honda. Drôle ? Pas tant que ça en fait, plutôt une famille ordinaire, un couple et deux enfants, dont on suit le quotidien forcément mouvementé avec ses bons et moins bons moments. Après Un Drôle de père, la mangaka Yumi Unita explore ici dans une succession d’histoires courtes la vie d’une jeune-femme partagée entre sa vie professionnelle, sa vie de mère et sa vie amoureuse. un premier volume très réussi ! (Une Drôle de famille, de Yumi Unita. Delcourt Tonkam. 9,35€)

Avec sa misérable retraite de flic, Raizo ne peut déjà pas subvenir à ses besoins. Alors, lorsqu’il apprend la maladie de son petit-fils et les frais astronomiques nécessaires pour le soigner ou plus exactement le maintenir en vie, Raizo n’a pas le choix. Il doit trouver un job très rémunérateur. Et il le trouve grâce à une rencontre improbable avec la jeune Miharu, 11 ans, tueuse à gage au service d’une organisation secrète. Un changement de vie radical. (Candy & Cigarettes, de Tomonori Inoue. Casterman. 8,45€)

Et de huit pour Ranma 1/2, un manga signé Rumiko Takahashi publié chez Glénat dont les jeunes garçons raffolent. Au menu, une bonne dose d’histoires d’amour, des personnages qui se transforment en animaux au contact de l’eau et des arts martiaux à gogo. (Ranma 1/2 tome 7, de Rumiko Takahashi. Glénat. 10,75€)

On termine avec La Lanterne de Nyx et les aventures de Miyo, jeune orpheline qui n’a aucun talent, elle ne sait ni lire ni écrire, sauf celui de voir à qui a appartenu ou va appartenir un objet rien qu’en le touchant. Bon, sur le marché de l’emploi, ce n’est pas très vendeur mais Miyo finit par trouver un job chez Momotoshi, un marchand d’objets importés d’Europe. Il revient d’ailleurs tout juste de l’Exposition universelle de Paris. Nous sommes en 1878, la France rayonne et le Japon s’ouvre au monde après 200 années d’isolationnisme. Pour la petite Miyo, cette nouvelle vie qui commence l’emmènera jusqu’à Paris… Une série prévue en six tomes au graphisme de caractère. (la Lanterne de Nyx, de Kan Takahama. Glénat. 10,75€)

10 Avr

La citadelle écarlate, une autre vision de Conan le barbare, plus posée, plus grand public et plus controversée aussi

Des cinq volumes de la série d’adaptation par des auteurs français des aventures du héros emblématique de l’heroic fantasy crée en 1932 par le texan Robert E. Howard sortis en un an, ce dernier avatar est peut-être le plus curieux…

Déjà à cause de son parti-pris graphique qui ne plaira pas forcément aux fans les plus conservateurs du barbare. Et ensuite parce que cette histoire, parue à la base en 1933, ose prendre le contre-pied en montrant un Conan vieillissant qui a abandonné sa carrière de mercenaire pour monter sur le trône d’Aquilonie où il règne non pas comme un tyran mais comme un homme proche des aspirations de son peuple. Un Conan presque plus humain donc, bien que souffrant clairement sous le poids de ses responsabilités.

Après, chassez le naturel… Car La Citadelle écarlate est l’histoire d’une traîtrise, celle des nobles locaux qui n’ont jamais accepté que ce va-nu-pieds se retrouve sur le trône, quitte à s’allier avec leurs ennemis de toujours pour lui ravir la place. Inutile de dire que rien ne se passe comme prévu et que le Cimmérien aura sa vengeance.

Dans cette série plutôt réussie jusqu’à maintenant, La Citadelle écarlate est paradoxalement peut-être celui que l’on conseillera le plus aux néophytes. Parce que malgré sa couverture explicite et guerrière, le trait y est plus doux, plus coloré aussi, limite grand public. Les deux auteurs se sont d’ailleurs permis quelques libertés avec le texte original pour en aplanir les attributs les plus nihilistes et sauvages et ainsi faciliter la lecture pour les non-convertis.

Leur approche de l’univers d’Howard est moins rugueux et plus dans un moule heroic fantasy et médiéval classique. Et c’est justement pour les mêmes raisons qu’à l’inverse on suggéra aux gardiens du temple de faire l’impasse, surtout qu’eux ont eu droit aux cours des décennies à quantités d’adaptations devenues légendaires depuis, avec en tête de gondole celle réalisée par l’immense John Buscema pour Marvel dans les années 70. Même si la première édition a droit en bonus à un cahier explicatif de dix pages assez touffu qui permet judicieusement de donner pas mal de clefs de lecture et autres références cachés dans le texte. Il est temps de choisir ton camp camarade !

Olivier Badin

La Citadelle écarlate par Luc Brunschwig et Etienne Le Roux d’après l’oeuvre de Robert E. Howard, Glénat, 14,95 euros

@ Glénat / Brunschwig Leroux & Robert E. Howard