17 Juil

Chronique d’été. Comme une envie de prendre le large ?

Prix et températures qui s’envolent, guerre qui tonne, épidémie qui joue les prolongations… il y a des moments où on aimerait être ailleurs, embarquer pour l’aventure sous d’autres horizons. En attendant, voici déjà six albums qui vont vous permettre de lever l’ancre sans bouger l’orteil gauche…

On commence par un album paru aux éditions Delcourt en mai dernier. Vent Debout est son nom, un récit inspiré de faits réel et notamment des voyages de Sabine Merz et Jurgen Kantner, deux navigateurs allemands au destin tragique. Kidnappés une première fois par des terroristes au large de la Somalie, libérés contre une rançon, ils reprendront la mer avant d’être finalement assassinés par l’État islamique en 2017 au large – cette fois – de la Malaisie. Mais ce n’est pas là les seuls personnages du livre. Les auteurs, Grégory Jarry, Nicole Augereau et Lucie Castel, mettent en scène trois histoires parallèles, celle de ce couple de navigateurs, celle aussi d’une famille partie à la découverte du monde et celle enfin d’un vieux baroudeur installé en Indonésie. Avec pour point commun entre tout ce beau petit monde : l’amour de la liberté. (Vent debout, de Augereau, Jarry et Castel. Delcourt. 29,95€)

En deux volumes publiés en février et juin de cette année, Un Capitaine de quinze ans n’est autre que l’adaptation en bande dessinée du roman de Jules Verne. Adapté plusieurs fois au cinéma et à la télévision, il ne l’avait bizarrement pas été en BD. C’est chose faite donc, direction le port d’Auckland où le capitaine Hull du brick-goélette Le Pilgrim s’apprête à larguer les amarres avec une cargaison bien singulière à son bord : l’épouse de l’armateur ainsi que son fils et son cousin. Hull est chargé d’emmener tout ce beau monde à Boston. Mais au milieu de l’océan, une pêche à la baleine vire au drame. Les Cinq marins du navire et le capitaine sont projetés à la mer et disparaissent. C’est à DIck Sand, un jeune mousse resté à bord du Pilgrim, que revient alors la lourde charge de ramener tout le monde à bon port contre vents et marées… De l’aventure avec un grand A magnifiquement mis en images par Christophe Picaud. (Un Capitaine de quinze ans, de Picaud et Brrémaud. 2 volumes parus. Vents d’Ouest. 14,50€)

On connait tous cette histoire des révoltés du Bounty magnifiquement portée à l’écran par Lewis Milestone en 1962, avec Marlon Brando dans le rôle du lieutenant Fletcher et adaptée maintes fois en roman, notamment par Jules Verne en 1879 et plus récemment par Sébastien Laurier. Pitcairn en est l’adaptation en BD, une adaptation signée Mark Eacersall, qui s’est récemment fait remarquer avec l’album Tananarive, et le dessinateur hongrois Gyula Németh dont le trait expressif fait ici parfaitement l’affaire. (Pitcairn, L’île des révoltés du Bounty, de Eacersall, Laurier et Németh. glénat. 14,95€)

Publié en octobre 2020 pour le premier volet, en novembre 2021 pour le second, ce diptyque nous raconte la vie de l’un des pirates les plus célèbres des océans, Edward Teach, plus connu sous le nom de Barbe Noire, Blackbeard en anglais. Quand je vous aurais dit que l’auteur Jean-Yves Delitte est peintre officiel de la Marine, membre titulaire de l’Académie des Arts & Sciences de la mer, qu’il a réalisé précédemment les aventures de Black Crow, relaté l’histoire du Belem, de la frégate Hermione ou encore, on y revient, de la mutinerie de la Bounty, vous aurez compris qu’on n’a pas affaire là à un marin d’eau douce. Un diptyque essentiel pour tous les amoureux de la mer et de la marine. (Black Beard – 2 tomes parus, de Jean-Yves Delitte. Glénat. 13,90€)

Cette histoire-là est aujourd’hui devenue légendaire et le voilier qui l’a permis un monument historique. C’est dire ! Damien, c’est le nom de ce voilier, a parcouru le monde d’est en ouest, du nord au sud, pendant cinq ans avec à son bord deux mordus de la voile, Jérôme Poncet et Gérard Janichon, deux mordus de liberté aussi, désireux de découvrir notre belle planète et ses populations les plus reculées. Partis de La Rochelle en mai 1969, ils y reviendront en septembre 1973 après avoir parcouru plus de 55 000 miles, remonté l’Amazone, affronté le Cap Horn, abordé le continent Antarctique, traversé les tempêtes, survécu à plusieurs chavirages… « À la fin, il reste un témoignage… », écrit Isabelle Autissier en préface de l’album, un témoignage repris aujourd’hui en bande dessinée qui pourrait faire naître de nouvelles vocations. (Damien, l’empreinte du vent, de Vincent et Janichon. Vents d’Ouest. 25€)

C’était en 2012 sur le ponton du Vendée Globe. Sébastien Destremau décidait de prendre le départ de la future édition. Lui, le néophyte de la course au large, de la navigation en solitaire, sans un sou, s’embarquait dans une aventure au longs cours dont il ne savait s’il verrait le bout. Pourtant, quatre ans plus tard, en novembre 2016 le skipper toulonnais est bien sur le départ de la mythique course autour du monde à bord de son voilier FaceOcéan. Après 124 jours 12 heure 38 minutes et 18 secondes de navigation, de tempêtes, de pétoles, d’avaries, de joies et de frayeurs, Sébastien Destremau remonte le chenal des Sables-d’Olonne, 18e, bon dernier au classement, avec un titre, celui de coqueluche de la huitième édition. De cette aventure hors-norme, le skipper en tire un livre paru en juin 2017 chez Xo Editions, Seul au monde, 124 jours dans l’enfer du Vendée Globe. En 2019, Serge Fino lance une adaptation en bande dessinée, fidèle au roman, sensible et humaine dont le troisième tome est sorti en début d’année … (Seul au monde, de Serge Fino d’après le livre de Destremau – 3 tomes parus. Glénat. 14,50€)

15 Juil

Dark Vador en 10 histoires

La citation est archi-connue mais ô combien appropriée : comme le disait Alfred Hitchcock, « plus réussi est le méchant, plus réussi est le film ».  Le big boss de Star Wars Dark Vador méritait donc bien sa petite anthologie à prix cassé en dix volumes !

Extrait de la couverture de : Le Neuvième Assassin, par Siedell, Fernàndez et Thompson

 Allez, avouez-le, vous aussi vous avez gamin éprouvé un vague sentiment de culpabilité en vous rendant compte que sous son casque teutonique de la Première Guerre Mondiale et avec sa respiration de plongeur sous-marin, Dark Vador était quand même le méchant le plus cool de l’histoire de la science-fiction. Et tout le buzz autour de la dernière série en date de la chaine Disney + consacrée à Ob-Wan Kenobi, où il se taille une part de lion, l’a encore prouvé…

Donc oui, très tôt les éditeurs de comics, et en premier lieu MARVEL qui récupéra en premier la licence, ont compris tout l’intérêt qu’il pouvait tirer d’un personnage aussi hors norme. Donc sur le modèle de la série de dix récits sortis à prix d’amis il y a quelques mois pour célébrer les soixante ans de Spider-Man, leur distributeur français sort aujourd’hui (l’excuse officielle étant la sortie il y a quarante-cinq ans du premier film de la saga) dix histoires individuelles, publiées à l’origine entre 1999 et 2013, chacune au prix défiant toute concurrence de 6,99€.

@ Panini Comics/Marvel

Comme toujours dans ces cas-là, il y a boire et à manger. Mais pris dans son ensemble, cette célébration permet de se rendre compte des possibilités quasi-infinies offertes par le seigneur Sith. Déjà, si l’on suit la chronologie Star Wars, entre sa création à la naissance de ses deux enfants (cf La Revanche Des Sith) et sa mort (cf Le Retour Du Jedi), quasiment trois décennies se sont écoulées. Liberté totale donc aux auteurs de situer telle ou telle aventure soit, par exemple, au début de l’expansion de l’Empire ou, au contraire, bien plus tard. Autre avantage : pouvoir faire intervenir d’autres personnages connus du grand public, comme par exemple Chewbacca et Han Solo (Vol. 10, Dans L’Ombre De Yavin) ou le chasseur de primes Boba Fett (Vol. 7 : L’Ennemi De L’Empire). Et dans ces récits plutôt ramassés (en général autour de 120 pages), autant dans certains cas toute l’aventure est centrée autour de Dark Vador, autant dans d’autres il presque comme en retrait mais pourtant omniprésent, preuve de sa puissance absolue.

Cerise sur le gâteau : le panel hallucinant de scénaristes et de dessinateurs qui ont voulu se frotter au Côté Obscur – de la superstar Alex Ross à Dave Gibbons de Watchmen en passant par l’illustrateur culte récemment décédé Ken Kelly – et qui, chacun, apporte leur patte propre au mythe.

 ce prix-là, cela ne refuse pas !

Olivier Badin

La Légende de Dark Vador, dix volumes. Panini Comics/Marvel. 6,99€.

@ Panini Comics / Marvel

06 Juil

En lutte : trois récits de résistance, autant de reflets du monde, consignés par Fabien Toulmé

Il y était parti pour un salon du livre, il n’y verra finalement pas le bout du nez d’un lecteur mais n’échappera pas aux poings levés des milliers de manifestants appelant à la révolution. Beyrouth en plein thawra est le point de départ de ce nouveau récit de Fabien Toulmé qui nous emmène du Liban au Bénin en passant par le Brésil pour des histoires de résistance populaire…

En lutte – extrait de la couverture

S’il manie aussi bien la fiction que le témoignage, l’autobiographie ou le documentaire, c’est bien dans le reportage de terrain que Fabien Toulmé trouve sa raison de vivre, sa vocation d’auteur.

« La bande dessinée que vous vous apprêtez à lire… », explique-t-il d’ailleurs en avant-propos « est née de mon envie de faire du reportage de terrain, pour voir la façon dont vivent les gens aux quatre coins de la planète, pour les écouter me raconter leurs histoires et pour comprendre ce qui les anime et par extension, peut-être ce qui fait notre monde ».

Après Ce n’est pas toi que j’attendais, Les deux vies de Baudouin, L’odyssée d’Hakim ou plus récemment Suzette ou le grand amour, Fabien Toulmé nous emmène ici sur des terrains de lutte avec des hommes et des femmes en résistance contre des rouleaux compresseurs en tout genre.

Le récit commence à Beyrouth où Fabien Toulmé devait se rendre initialement à un salon du livre, salon annulé à cause des immenses manifestations qui secouent alors le pays. C’est la Thawra, la révolution, Fabien maintient tout de même son voyage pour essayer de comprendre la situation. D’observations en rencontres, il tente de comprendre et de nous transmettre ce qui se joue alors dans les rues de la capitale à la lumière de ce qui s’est joué hier pendant la guerre civile.

Autre lieu, autre lutte, Fabien nous emmène ensuite à João Pessoa au Brésil où il a un temps vécu et où il est question d’expulser une communauté, autrement appelée favela, pour construire un pôle touristique. Un processus de gentrification qui ne plait pas à tout le monde. Enfin, direction le Bénin où il rencontre des militantes de la cause féminine, une gageure dans un pays qui est, comme le rappelle l’auteur, 158e sur 189 dans le classement des inégalités hommes-femmes établi par les Nations unies.

Si Fabien Toulmé se met en scène dans ces trois récits, ce n’est que pour mieux laisser la parole aux hommes et – principalement d’ailleurs –  aux femmes qu’il a rencontrés. Et c’est ce qui est passionnant ici, la parole de gens ordinaires en lutte contre des causes à portée locale ou internationale. Trois luttes, autant de reflets du monde, de notre monde, et déjà une suite envisagée dans les dernières pages de l’ouvrage qu’il dessine au moment même où les Ukrainiens se retrouvent eux-aussi en lutte contre un rouleau compresseur, russe cette fois.

« J’aimerais pouvoir ajouter un nouveau chapitre pour parler d’eux et de leur courage ». Mais il faut savoir s’arrêter… pour mieux reprendre. Un très bel album de plus de 330 pages dans lesquelles on retrouve le trait délicatement naïf – ou l’inverse – de l’auteur associé à un propos d’une grande finesse. La marque Toulmé !

Eric Guillaud 

En lutte, Les reflets du monde, de Fabien Toulmé. Delcourt. 24,95

@ Delcourt – Toulmé

04 Juil

Vacances : 10 BD à lire sous le soleil exactement

Polar, fantastique, autobiographie… voici rien que pour vous une petite sélection de bandes dessinées à glisser dans la valise la plus proche et à lire les doigts de pied en éventail sur votre plage ou au sommet de votre montagne préférées…

Freiner, respirer, se détendre et lire, c’est l’été, bientôt l’heure des grandes migrations, le moment largement venu de préparer sa pile de livres à emporter. On vous y aide avec ces dix bandes dessinées dans des styles très variés…

La suite ici

30 Juin

Spirou, L’espoir malgré tout : suite et fin de la saga menée de main de maître par Émile Bravo

Unanimement saluée par la presse, les professionnels et le public, couronnée d’un Fauve Prix de la série lors du festival d’Angoulême 2022, la saga d’Émile Bravo trouve son dénouement dans un quatrième album qui parie sur l’espoir, malgré tout…

Spirou et Fantasio responsables du déraillement d’un train allemand convoyant une unité de blindés ? Ils auraient pu. Ils en étaient chargés. Mais même en temps de guerre, la chose reste inconcevable de la part de ces deux personnages. Et pourtant, un train va effectivement dérailler et tomber au fond d’un ravin devant leurs yeux emplis d’effroi. Tout ça grâce à un concours de circonstance et à la finesse du scénario d’Émile Bravo qui sauve ici l’honneur des deux personnages sans pour autant les mettre à contre-courant de l’histoire.

Les Allemands en déroute, les Alliés défilant dans Bruxelles, ce cinquième album est placé sous le signe de l’espoir. La victoire n’est plus qu’une question de temps et Spirou fait tout pour rester humain, face à l’ennemi nazi, face aussi aux collaborateurs d’hier devenus par enchantement des résistants de la première heure.

Rester humain, c’est bien là son objectif, aujourd’hui comme hier. Au début de la guerre et donc au début de cette très belle saga, Émile Bravo lui faisait dire dans un dialogue avec Fantasio : « Tu sais bien qu’une guerre est un abattoir. Nous aurions pour devoir de retourner à la barbarie ? Tuer nos semblables, tu te rends compte ? »

Après cinq années de guerre, d’horreurs en tout genre, Spirou n’a pas changé, il reste un fanatique oui mais un fanatique de la vertu, un héros ordinaire plongé dans l’extraordinaire avec pour mission d’aider les autres, pas un super-héros, pas un super-résistant, juste un super-humaniste.

À l’instar du Journal d’un ingénu, cette saga permet à Émile Bravo d’apporter certaines réponses concernant le personnage. Qu’a-t’il fait pendant la guerre ? Comment s’est-il comporté et positionné ? Aurait-il pu être résistant ? Dans la vraie vie, le journal Spirou a continué de paraître pendant la guerre jusqu’à son interdiction par les Allemands en septembre 1943.

Est-ce cette interdiction ou autre chose, quoiqu’il en soit, les éditions Dupuis ne seront pas inquiétées par l’épuration et pourront rapidement reprendre la publication du journal, avec un héros-titre aussi irréprochable que le Spirou de Bravo.

Une saga magnifique, une fiction à haute valeur de témoignage sur les heures les plus sombres de notre histoire contemporaine.

Éric Guillaud

Spirou, L’espoir malgré tout, d’Émile Bravo. Dupuis. 13,50€

@ Dupuis / Bravo

28 Juin

Copra de Michel Fiffe ou la réinvention baroque et inattendue des comics de super-héros

Après le très étonnant festival de ‘body horror’ qu’était Panorama, DELIRIUM reprend une nouvelle fois son bâton de pèlerin et publie pour la première fois en France LE chef d’œuvre du ‘renégat’ Michel Fiffe, son Suicide Squad à lui (les références y sont légions) avec sa vision, forcément torturée et bizarre, d’une équipe de super-héros.

Il n’est pas si étonnant que ça d’apprendre qu’en 2012 Michel Fiffe a dû auto-publier les premiers épisodes de cet OVNI. Le postulat de départ est pourtant presque classique – une équipe de super-héros foutraques employés en sous-marin par le gouvernement tombe dans un traquenard dans une mission foireuse et se retrouve bombardés ennemis publics numéro un. Mais aussi bien dans le fonds que dans la forme, rien ne l’est vraiment.

C’est surtout le trait qui secoue, d’abord : atypique, presque enfantin par moments mais avec ses choix d’angles complètement biscornus et surtout sa mise en couleur à même le papier, le résultat prend un malin plaisir à prendre le contrepied totale d’une industrie où la standardisation à marche forcée et la mise en couleur par ordinateur a fini par tout uniformiser. Fiffe, lui, a repris les choses là d’où elles étaient parties. Â sa façon, il rend ainsi hommages aux maîtres comme Steve Ditko (le papa de Spiderman en 1962) dont il retrouve le sens de l’épuré à l’extrême. Oui, le résultat risque d’en déboussoler certains mais la patte, unique, est là.

@ Delirium / Fiffe

Même traitement de cheval avec la narration ou même dans le cadrage. Il n’y a pas de règles. Fiffe peut ainsi passer sept pages à illustrer une course-poursuite endiablée sans ajouter une seule ligne de dialogue ni même un seul bruitage, tout comme il peut aussi sans vergogne ‘tuer’ l’un de ses personnages principaux quasiment sans prévenir, comme pour mieux rappeler au lecteur que c’est lui le maître du jeu. Ces ‘héros’ n’en sont d’ailleurs pas vraiment, ont des sales gueules, un passé parfois troubles, des super-pouvoirs pas tout le temps si supers et ne semblent pas comprendre qu’ils sont ballotés par le destin.

Copra de Michel Fiffe

Facile de comprendre le coup de cœur de Laurent Lerner de DELIRIUM pour l’œuvre de Michel Fiffe : dans une industrie de comics où à part quelques rares exceptions les petits nouveaux sont condamnés à trop souvent à vivre dans l’ombre des géants d’hier, Fiffe lui trace sa voie et montre qu’avec les mêmes ingrédients, une autre voie est possible. La preuve avec ces deux premiers volumes, traduits pour la première fois en français alors que la série originale, elle, est toujours en cours de publication sur le continent Nord-Américain.

Olivier Badin

Copra de Michel Fiffe, volume 1 & 2. Delirum. 24€

22 Juin

Une vie en dessins : Tome et Janry à l’honneur de cette très belle collection de monographies

Dans la Série Une Vie en dessins, voici plus exactement deux vies en dessins, un très beau livre des éditions Dupuis associées à Champaka consacré au tandem longtemps indissociable Tome & Janry, animateurs de la série Spirou pendant de longues années et créateurs de l’enfant terrible de la bande dessinée, Le Petit Spirou…

Bien sûr, Franquin restera Franquin et sa griffe primordiale dans les aventures de Spirou et Fantasio et plus largement dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge mais Tome et Janry ont eux aussi imprimé de très belle façon les aventures du héros en costume de groom.

Tout d’abord, en en reprenant les rênes au début des années 80 pour quatorze albums, moins que Franquin mais plus – pour l’instant – que tous les autres auteurs s’étant risqués à l’entreprise, quatorze albums qui ont marqué les lecteurs de l’époque avec des personnages rajeunis qui nous embarquaient pour des péripéties à travers le monde, de New York à Moscou en passant par l’Australie. Ensuite, en imaginant un nouvel héros qui allait très très vite connaître un immense succès, Le Petit Spirou, le vieux Spirou en somme mais quand il était petit.

Dix-huit albums au compteur, des titres qui nous font encore rire, Dis bonjour à la dame !, Tu veux mon doigt ? ou T’as qu’à t’retenir !, et surtout une galerie de personnages de génie pour des gags bien évidemment irrésistibles, autant de regards à la fois tendres et critiques sur notre société et ses tabous. Une BD jeunesse assez révolutionnaire à l’époque !

Dans cet ouvrage co-édité par Dupuis et Champaka sont réunis plus de 200 planches originales scannées, nombre d’illustrations couleur et bien évidemment des extraits d’interviews des auteurs, le dessinateur Janry et le scénariste Tome décédé en 2019. Un très beau livre, un travail de présentation remarquable et une collection qui s’étoffe sans fautes de goût avec des volumes consacrés à Chaland, Walthéry, Frank Pé, Hubinon, Batem et donc aujourd’hui Tome & Janry.

Eric Guillaud

Une Vie en dessins, de Tome & Janry. Dupuis – Champaka Brussels. 55€

© Dupuis – Champaka / Tome & Janry

13 Juin

Overseas highway : Fred Druart et Guillaume Guéraud à fond la caisse

Un garagiste aux tendances suicidaires, une gamine qui multiplie les petits boulots dans une vie qui n’a rien d’un long fleuve tranquille, une rencontre au sommet pour une descente en enfer, attachez vos ceintures, Overseas highway pourrait bien vous secouer un peu….

Extrait de la couverture © Glénat / Druart & Guéraud

Elle n’a pas son permis, n’y connaît rien en mécanique, peu importe, Sarafian, ex-pilote automobile à la tête d’un petit garage à Miami a décidé de l’embaucher. Il faut dire que la jeune femme, Stacy de son prénom, vient de le sauver d’une tentative de suicide dont on évitera ici de raconter le déroulé tant cela vous paraitrait improbable.

Mais Stacy, préposée dans un premier temps au nettoyage des voitures, va rapidement prendre du galon et le volant dans cette histoire qui sent plus l’argent sale que l’huile de vidange. Le garage sert en effet de façade au blanchiment d’argent de la Cuban American National Foundation, une puissante fondation de l’extrême droite cuba-américaine, « une organisation terroriste… », précise Sarafian, « financée par l’argent de la drogue et le trafic d’armes avec le soutien logistique de la CIA et la bénédiction du Congrès des Etats-Unis ».

Bref, le petit business de notre homme vivote tant bien que mal jusqu’au jour où par un concours de circonstance, Stacy se retrouve au volant d’un bolide sur l’overseas highway direction Key West avec un paquet de flouze dans le coffre et de sombres gugusses aux fesses…

Dans la lignée de Il Faut flinguer Ramirez ou de Valhalla Hotel, voici Overseas highway, sur un scénario de Fred Druart et Guillaume Guéraud et une mise en images de Fred Druart, un polar plein d’embrouilles et de gens peu fréquentables, de caisses américaines et de course-poursuites sur l’autoroute qui relie Miami à Key West par-delà la mer. Divertissant !

Eric Guillaud

Overseas highway, de Fred Druart et Guillaume Guéraud. Glénat. 19,95€

© Glénat / Druart & Guéraud

10 Juin

Dans la boîte : un récit autobiographique de Lénaïc Vilain dans les coulisses d’Amazon, pardon Zamazon

Après RAS en 2013, Sécurité Open Your Bag en 2017, l’auteur Lénaïc Vilain retrouve une nouvelle fois l’autobiographie et le récit d’une expérience professionnelle, hier le quotidien d’un veilleur de nuit dans un hôtel ou celui d’un agent de sécurité à la Tour Eiffel, aujourd’hui le quotidien d’un préparateur de commandes chez le leader de la vente en ligne. De quoi retrouver le sourire ?

Extrait de la couverture – @ Delcourt – Vilain

Oui, il a le sourire… le carton. Pour Lénaïc, c’est une autre histoire. Il faut dire que le nouveau job qu’il vient de dégoter n’est pas à proprement parler un job de rêve. Packer, c’est le nom du poste, autrement dit préparateur de commandes chez Zamazon. Zamazon avec un Z comme vous l’aurez noté, une lettre très à la mode en ce moment et surtout une lettre qui évite à l’auteur de préciser que toute ressemblance avec une entreprise existante ou ayant existé serait purement fortuite.

Bon, Zamazon avec un Z donc, est leader dans le domaine du e-commerce et emploie dans ses immenses entrepôts des centaines de petites mains pour préparer, envelopper et envoyer avec amour vos petits achats. Le boulot n’est effectivement pas emballant, la fiche de paie pas vraiment non plus, quant à la vie de l’entreprise, n’en parlons pas. c’est proche du zéro… avec un Z !

Mais l’expérience de Lénaïc a au moins l’avantage de nous faire rentrer dans les coulisses d’un monde tant décrié où l’on retrouve la culture des start-up à l’américaine avec par exemple quelques « messages motivants » placardés sur les murs tels que « work hard, have fun, make history ». Bon, pour le « fun » on repassera, pour le « make history », ce n’est pas gagné, par contre pour le « work hard » là pas de souci, c’est bon.

Ours en peluche, ampoules basse consommation, smartphones, disques ou vibromasseurs, c’est bien le seul aspect varié du taf, pour le reste, Lénaïc emballe à tour de bras, pardon packe du verbe packer, seul devant son poste en respectant les règles sanitaires, deux mètres de distance, le masque sur le nez, covid oblige. Et quand il y a une sous-charge de travail, pas de souci, on vous donne un balai…

Avec légèreté et humour, Lénaïc Vilain dépeint, de son trait vif façon croquis et de son immense talent d’observateur des petits riens qui font le grand tout, le quotidien de cet entrepôt et de ces employés en nous interrogeant par la même occasion sur le monde merveilleux de l’entreprise et de la consommation de masse. On rit mais pas que…

Eric Guillaud 

Dans la boîte, de Lénaïc Vilain. Delcourt. 14,95€

@ Delcourt – Vilain

 

05 Juin

Spawn, trente ans passés au service du démon

Méga-star de la BD ‘dark fantasy’ des années 90, SPAWN fête cette année son trentième anniversaire. L’occasion de revenir là où tout a commencé avec cette parfaite mise en bouche pour les néophytes de plus de 400 pages dantesques, dans tous les sens du terme.

Extrait de la couverture © Delcourt / Todd McFarlane

Le neuvième art adore regarder dans le rétroviseur. Mais autant la BD des années 40 aux années 70 a désormais une patine indéniable et un vrai public, autant les deux décennies qui ont suivi sont encore un peu bloquées dans le triangle des Bermudes, comme si on refusait de se dire que, oui, tout cela s’est passé il y a désormais plus de trente ans… On a donc un peu oublié que le canadien Todd McFarlane et surtout son personnage fétiche SPAWN (‘rejeton’ dans la langue de Shakespeare) a régné sans partage dans la première moitié des 90’s sur le monde de la BD indé US. Un rayonnement dû aussi bien à la capacité de ce démon à bousculer les codes très politiquement correct d’alors (le ‘héros’ était à la base un salaud vérifié dont le boulot était d’assassiner pour le compte du gouvernement avant de signer un pacte avec le Diable) qu’à l’excellent sens du business de McFarlane qui, très tôt, a diversifié ses activités avec du merchandising, des jeux vidéo, des pochettes d’albums de rock/metal (Korn, Iced Earth etc.) et autres.

© Delcourt / Todd McFarlane

Bon, au final, cette insolente domination n’a pas vraiment dépassé les années 2000. Beaucoup pense d’ailleurs que sa chute a été provoquée par une très foireuse (et encore, on reste poli) première adaptation ciné en 1997. McFarlane lui-même l’a avoué à moitié et il n’a de cesse de vouloir réparer ce tort depuis. Décidé à repasser par la case ciné (il aurait un nouveau script de prêt, avec l’acteur Jamie Foxx dans le rôle-titre) il profite du trentième anniversaire de la ‘marque’ pour la relancer. D’où ce beau recueil réunissant les quinze premiers épisodes de la série. Et c’est la baffe.

Certes, il y a d’abord ce casting prestigieux, McFarlane ayant invité ses ‘copains’ Alan Moore, Neil Gaiman ou Frank Miller a scénarisé chacun un épisode. Mais surtout c’est dans la forme qu’on se rend compte à quel point SPAWN a complètement redistribué les cartes des comics de super-héros : couleurs foisonnantes, pleines pages dantesques et sens du récit grandiloquent s’autorisant de nombreuses sorties de pistes. Le style McFarlane, c’est celui de tous les superlatifs. En même temps, comment faire autrement avec une telle matière ?

© Delcourt / Todd McFarlane

Le plus frappant chez lui, c’est le décalage entre le style graphique parfois presque cartoonesque et le propos ultra-nihiliste. Entre une société pourrie jusqu’à la moelle, des méchants plus pervers les uns que les autres (le dessinateur ose même briser un tabou en mettant en scène un tueur d’enfants, clairement inspiré par le tueur-en-série John Wayne Gacy) et un gouvernement corrompue, SPAWN en devient presque beauté avec sa plastique maléfique envoûtante. Mais avant d’être revêtu de ce costume intégral, de cette longue cape rouge et de ses chaînes volantes, il était Al Simmons, super soldat qui avait accepté de faire le sale job sans trop se poser de questions. Assassiné par les siens, il a alors passé un marché de dupe avec le démon Malebolgia : son âme et la promesse de mener les troupes de l’enfer lors du prochain Armageddon, à condition de pouvoir revoir sa femme. La série commence par sa renaissance et la découverte progressive de ses pouvoirs mais aussi du prix qu’il va devoir payer…

© Delcourt / Todd McFarlane

Violent aussi bien sur le plan psychologique que graphique, voire carrément gore dans certains cas, SPAWN a imposé d’entrée un style bien à lui, encore très actuel trente ans après. Tout est acéré, criard, hypertrophié avec des personnages qui ont des ‘gueules’ comme on dit. Mieux : on se rend compte à quel point avec sa patte a priori outrancière ce petit poucet de l’édition a fini par imposer une nouvelle norme que les géants MARVEL et DC COMICS, d’abord réfractaires, vont finir par adopter, faisant prendre à leur tour à leurs séries un virage plus ‘adulte’.

SPAWN, c’est la nouvelle BD indé des 90’s, noire et ultra-réaliste, qui prend le pouvoir. Mais aussi le parfait reflet de la génération X qui l’a porté aux nues. C’est surtout l’avènement d’un auteur et d’un style XXXL très excessif qui résonne encore aujourd’hui. Â noter pour les collectionneurs que contrairement à la première réédition en intégrale de 2006, cette version contient les épisodes 9 et 10, plus une postface assez révélatrice où McFarlane a ressorti des placards les tous premiers croquis de travail du personnage, alors qu’il était encore adolescent.

Olivier Badin

Spawn – édition spéciale 30ème anniversaire, de Todd McFarlane. Delcourt. 39,95