09 Juin

Choc, les méchants ne meurent jamais !

album-cover-large-22662Je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent connaître, un temps où les héros de BD se retrouvaient invariablement confrontés à des méchants capables des pires atrocités. C’était l’époque de la guerre froide, la peur d’une troisième guerre nucléaire, une vision manichéenne divisait le monde en deux, les bons d’un côté, les méchants de l’autre.

Bien entendu, ces méchants n’étaient pas des personnages principaux, plutôt des faire-valoirs permettant à nos héros de toujours, forcément du côté des gentils, de briller en société et dans nos yeux. D’ailleurs, sans eux, sans ces méchants, nos gentils Tintin, Spirou et autre Superman auraient-ils pu exister tout simplement ?

Et parmi tous ces méchants, certains l’étaient plus que d’autres. Choc par exemple. Apparu dans les aventures de Tif et Tondu au milieu des années 50 sous le pinceau du génialissime Will et la plume aiguisée de Maurice Rosy, alors scénariste de la série, M. Choc devint l’ennemi juré du duo de justiciers, un être machiavélique reconnaissable à sa queue-de-pie et son visage dissimulé sous un heaume. Pendant des années, des dizaines d’années même, il fut LE méchant idéal de la BD.

Mais qui était-il vraiment ? C’est ce que nous proposent aujourd’hui de découvrir Stéphane Colman et Eric Maltaite, le propre fils de Will, dans ce récit prévu en deux volumes. Un album indispensable pour tous les amoureux de la série et les autres !

Eric Guillaud

Choc, Les Fantômes de Knightgrave, de Maltaite et Colman. Editions Dupuis. 16,50 €

© Dupuis - Maltaite @ Colman

© Dupuis – Maltaite @ Colman

05 Juin

Le Tirailleur ou l’histoire vraie d’un Marocain engagé dans la Deuxième guerre mondiale

COUVE_TIRAILLEUR_WEBAlain Bujak n’est pas auteur de bande dessinée, il est photographe. Et c’est à l’occasion d’un reportage au coeur d’une résidence sociale à Dreux qu’il fait la rencontre d’Abdesslem, un ancien tirailleur marocain.

Que faisait-il ici dans une situation de total dénuement ? Pourquoi ce vieil homme n’était-il pas au Maroc au milieu des siens, de sa famille ? C’est ce qui intrigua Alain Bujak qui lui rendit régulièrement visite bien après la fin du reportage pour partager avec lui un peu de café et beaucoup de souvenirs. Et c’est l’histoire de cet homme, une histoire incroyable que raconte Le Tirailleur.

Tout commence en 1939 quelque part au Maroc, Abdesslem s’engage dans le 4e Régiment des Tirailleurs Marocains un peu pour sauver la France, beaucoup pour fuir la misère du bled et le désoeuvrement. Il n’a alors que 17 ans et ne quittera l’armée que 15 années plus tard après avoir connu la Drôle de guerre, la déroute, les camps de prisonniers, le débarquement des Américains en Afrique, la bataille du Garigliano en Italie… et finalement le retour sur ses terres. Mais avec la fin du protectorat de la France sur le Maroc et le gel des pensions d’anciens combattants, la vie devint de plus en plus difficile. Abdesslem se résigna alors à rejoindre la France et y habiter, condition sine qua non pour bénéficier d’une allocation vieillesse. D’où sa présence à Dreux, loin de sa terre, de ses oliviers, de ses proches.

C’est une histoire absolument émouvante et captivante que nous livrent Alain Bujak et le dessinateur italien Piero Macola, dont on avait déjà pu apprécier l’intelligence graphique dans une histoire parue aux éditions Vertige Graphic et intitulée Aller simple. Un album à mettre entre toutes les mains histoire de rappeler à certains « bons Français » que notre beau pays ne s’est pas sauvé seul des griffes nazies.

Eric Guillaud

Le Tirailleur, de Macola et Bujak. Editions Futuropolis. 20 €

© Macola & Bujak

© Futuropolis – Macola & Bujak

02 Juin

Bientôt le mondial et vous ne comprenez toujours rien au foot ? Alors voici un livre fait pour vous : Le foot expliqué aux filles, à ma mère et à Didier Deschamps

9782756055077vC’est une réalité, les filles en général détestent le foot…

Mais elles ne sont pas les seules, quelques garçons aussi, une poignée certes, et j’en fais partie, n’ont toujours pas compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir à regarder 22 autres garçons courir pendant 90 minutes après un ballon. Mais le Mondial qui débute le 12 juin devrait réconcilier tout le monde, les passionnés de la première heure comme les réfractaires les plus acharnés. Car oui, le Mondial a un petit quelque chose de magique, souvenez-vous de 1998, qui réveille toutes les passions, qu’elles soient purement sportives ou un tantinet chauvines.

Mais voilà, si vous faites partie de ceux qui détestent le foot en temps normal, il sera peut-être difficile d’être crédibles dès les prochains matchs. Pas de panique, nous vous avons dégoté le livre qui va vous rendre intelligent, un livre logiquement intitulé Le Foot expliqué aux filles, à ma mère et à Didier Deschamps. Bon, je ne suis pas certain que Didier Deschamps, notre sélectionneur national, en ait réellement besoin mais pour les autres, ce ne sera pas inutile.

Car le livre de Sophie-Marie Larrouy et Marc Hervez, illustré par l’inégalable Guillaume Bouzard (Moi auteur de BD, Mégabras…) est drôle mais pas que. Il est aussi instructif et très complet. On y apprend la base du jeu, depuis le nombre de joueurs sur le terrain jusqu’aux gestes techniques les plus complexes, en passant par le nom des joueurs les plus célèbres ou des clubs les plus prestigieux, les différentes zones du terrain de jeu, la typologie des fans, les fautes, les irrégularités, les stratégies…

Un livre totalement indispensable pour vous préparer physiquement et moralement !

Eric Guillaud

Le Foot expliqué aux filles, à ma mère et à Didier Deschamps, de Larrouy, Hervez et Bouzard. Editions Delcourt. 14,95 €

© Delcourt / Larrouy, Hervez & Bouzard

© Delcourt / Larrouy, Hervez & Bouzard

29 Mai

La Mort blanche, une chronique de la Der des ders signée Robbie Morrison et Charlie Adlard chez Delcourt

Couv_215601Comme on pouvait s’y attendre en cette année marquée par la commémoration du centenaire de la Première guerre mondiale, les bandes dessinées portant sur cette thématique se suivent… mais ne se ressemblent pas !

Nouvel exemple en date, La Mort blanche, un récit de Robbie Morrison et Charlie Adlard, qui nous emmène sur le front italien en 1916 pour une « partie relativement obscure de ce conflit aujourd’hui connue sous le nom de Guerre Blanche », précise le scénariste en préface.

Après La Grande guerre (Futuropolis) de Joe Sacco qui nous dévoilait façon Tapisserie de Bayeux la bataille de la Somme côté britannique, nous voici donc rendus sur le front italien pour cette guerre blanche, aussi connue sous le nom de guerre de montagne ou guerre de glacier, tout simplement parce qu’elle se déroula sur les sommets glacés des montagnes du Trentin, des Dolomites et du Caporetto, à la frontière entre l’Italie et l’empire austro-hongrois. Là, à 2 ou 3000 mètres d’altitude, des milliers d’hommes s’affrontèrent dans des conditions extrêmes et moururent pour beaucoup ensevelis sous les nombreuses avalanches déclenchées notamment par les tirs de canons.

Le scénariste Robbie Morrison et le dessinateur Charlie Adlard, qui assure la partie graphique de la série Walking Dead depuis 2004, signent ici un récit particulièrement fort transpirant à chaque page la peur, la brutalité, l’horreur de la situation, la bêtise humaine et… bien sûr la mort blanche. Magnifique et effrayant en même temps !

Eric Guillaud

La mort blanche, de Morrison et Adlard. Editions Delcourt. 15,95 €

© Delcourt / Morrison & Adlard

© Delcourt / Morrison & Adlard

26 Mai

« Match » ou comment lire une bande dessinée de Grégory Panaccione tout en regardant un match de tennis ?

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C’est la dernière facétie de l’Italien Grégory Panaccione, raconter en BD et sans un mot l’intégralité d’un match de tennis point après point, set après set. Et cette bande dessinée s’appelle Match tout simplement…

Un peu moins de 300 pages et uniquement deux personnages, l’Anglais Rod Jones d’un côté, le Français Marcel Coste de l’autre. Bon autant vous le dire tout de suite, si l’Anglais a le physique et le tempérament d’un winner, le Français serait plutôt du genre looser, arborant fièrement un certain embonpoint en même temps qu’un penchant pour l’alcool et les cigarettes.

D’ailleurs, à la célèbre boisson à bulles présente sur les courts de tennis, Grégory Panaccione a préféré pour tenir le rôle du sponsor une non moins célèbre boisson alcoolisée de couleur jaune. Et Marcel n’est pas venu seul sur le court. Il a apporté avec lui son poisson rouge et son chien. Pourquoi ? Aucune idée. Peut-être n’avait-il pas trouvé à les faire garder. Ils n’interviendront finalement que très peu dans ce duel au soleil et sur terre battue, aussi peu que le public relégué à un élément de décor figé ou que les arbitres et ramasseurs de balles carrément absents.

Non, l’essentiel est bien ici le match et rien que le match. De quoi piquer un bon roupillon me diront les plus fatigués et les moins passionnés d’entre-vous ? Eh bien non. Non parce que Grégory Panaccione, qui nous avait déjà surpris avec ses deux premiers albums, Toby mon ami et Âme perdue, est un champion toutes catégories de l’album qu’on lit à toute vitesse, un as de la narration en même temps qu’un expert de l’écriture automatique sans crayonné préliminaire, une technique qui lui permet de garder un maximum de dynamisme au graphisme. Un mot, un seul, bravissimo !

Eric Guillaud

Match, de Grégory Panacionne. Editions Delcourt. 11,50 €

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24 Mai

Une planche de Tintin dessinée en 1937 par Hergé vendue 2,519 millions d’euros à Paris aujourd’hui, un record

C’est un record et un sacré record ! Jamais une planche de BD n’avait atteint une telle somme : 2,5 millions d’euros.

L’affaire s’est jouée aujourd’hui à Paris au cours d’une vente aux enchères organisée par la maison de ventes ArtCurial autour de l’univers du créateur de Tintin.

Parmi les nombreux lots proposés à la vente, on trouvait beaucoup d’albums en première édition ou en tirages de tête, mais aussi des dessins et des planches originales dont celle-ci, une double page réalisée en encre de chine pour les pages de gardes des albums de Tintin publiés de 1937 à 1958, estimée à 700 000 – 900 000 euros.

Le catalogue en ligne d’ArtCurial précise : « Très légères traces de pliures à certains endroits ». A ce prix-là c’est sûr, mieux vaut être précis !

Eric Guillaud

copie d'écran site Artcurial

copie d’écran site Artcurial

 

23 Mai

70e anniversaire du Débarquement : rencontre avec Jean-David Morvan et Dominique Bertail auteurs d’une BD sur l’une des photographies les plus célèbres de Robert Capa

© Dupuis

© Dupuis & Magnum Photos

C’est l’une des photos les plus symboliques du Débarquement, l’une des plus mythiques de Robert Capa et plus largement de la photographie de presse.

Comme pour toutes les icônes, on lui a attribué un nom, le sien est « The Face in the surf ». Elle représente un soldat américain rampant sur la plage d’Omaha Beach. On y lit toute l’urgence, toute la violence de cet événement historique déterminant pour la suite du conflit.

« Si tes photos ne sont pas bonnes, c’est parce que tu n’es pas assez près », disait Robert Capa. Toute sa vie, le photographe n’eut de cesse de se glisser aux premières loges, parfois au péril de sa vie comme ici sur la plage d’Omaha Beach et plus tard en Indochine où il trouva la mort en marchant sur une mine. C’était il y a exactement 60 ans !

Les photos qu’il prit ce fameux jour du 6 juin 1944, il en reste onze, sont les seules à témoigner du premier assaut sur les plages normandes.

Dans « Omaha Beach, 6 juin 1944 », premier album d’une série de monographies co-produite par les les éditions Dupuis et l’agence Magnum, le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail reviennent sur la genèse de cette photo. Interview…

© Robert Capa - International Center of Photography/Magnum Photos

© Robert Capa – International Center of Photography/Magnum Photos

Pourquoi ce photographe ? Pourquoi cette photo ?

Jean-David Morvan. Parce qu’elle a été prise il y a presque 70 ans et que c’est une des 11 photos (aujourd’hui 10) qui existent d’un moment connu dans le monde entier : le débarquement à Omaha Beach. Mais même si cette photo est icônique, c’est tout le reportage sur le débarquement qu’il était intéressant de traiter. Soit l’avant et l’après, à travers l’œil de Robert Capa.

Comment prépare-t-on, se prépare-t-on, à un album comme celui-ci, qui n’a rien à voir avec la fiction ?

J-D. M. La première chose que j’ai faite fut de lire  » Slighty out of factums », l’autobiographie de Capa. Et puis l’ICP (International Center of Photography, ndlr) m’a dit : la plupart de ce que vous avez écrit est faux. J’ai répondu que ce n’était pas possible puisque justement c’était Capa qui l’avait écrit. Et justement m’a-t-on dit : il a beaucoup transformé le réel. Capa était un joueur, sa vie aussi, il en a fait une martingale. Il m’a fallu piocher des infos dans tous les livres sur sa vie. Ce fut passionnant de démêler la vérité de la légende.

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

Vous êtes-vous rendu sur la plage d’Omaha ? Qu’avez-vous ressenti ?

J-D. M. Une fois, il y a très longtemps.

Dominique Bertail. Oui, J’y étais déjà allé plus jeune. Mais quand j’y suis retourné  seul à l’occasion de cette album, l’émotion était beaucoup plus  forte. Je me suis concentré sur ce que l’on voit de chacun des endroits de la plage et de la falaise, quand on a le nez dans le sable, les pieds dans l’eau ou quand on est enfermés dans un bunker sombre, pour pouvoir en dessiner tous les points de vue. Ça crée une très forte empathie de s’imaginer la perception de chacun de ces soldats. Le sol est encore très chargé de toute cette souffrance. J’avais ressenti la même sensation sur le site de la bataille d’Austerlitz. Ce n’est pas innocent de mettre en scène et dessiner une bataille; on prend conscience que ce n’est ni un événement historique ni stratégique mais bien une multitude de drames humains. Pour peu qu’on prenne le temps et l’attention, les fantômes apparaissent et racontent.

La réalisation de l’album a-t-elle changé votre vision du Débarquement ? D’ailleurs, quelle vision en aviez-vous ?

J-D. M. J’avais la même vision que tout le monde je pense : « le jour le plus long », « il faut sauver le soldat Ryan », « Band of brothers », « Apocalypse ».  Je pense qu’il y a peu de mensonges historiques sur cet évènement. Cependant c’était très intéressant d’avoir le point de vue d’un photographe si brillant (à tous les points de vue) que Capa. Il y ajoute des détails qui décadrent ou recadrent un peu le regard.

D.B. Je n’avais pas bien pris la mesure de l’entreprise humaine et technologique. L’instant dramatique et la dimension militaire du débarquement masquent un peu l’immense travail en amont de ces centaines de milliers de stratèges, d’architectes, d’ingénieurs, d’artistes… Ces hommes ont conçu, construit et transporté – dans des conditions météorologiques extrêmes – d’immenses ports maritimes. C’est ahurissant et magnifique!

Et de Capa, que connaissiez-vous ?

J-D. M. Ses monographies et l’histoire de la valise Mexicaine, que nous devrions traiter en 2016. Comme je disais, je connaissais la légende. Et je suis entré dans le réel.

D.B. Je connaissais très peu le personnage, je ne connaissais que ses clichés. C’était une très belle occasion de le découvrir.

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

Quelle a été la principale difficulté rencontrée pendant la réalisation de l’album ?

J-D. M. Trouver la bonne documentation et surtout faire ressentir le personnage et sa vision du monde. Car cet album est basé sur SA vie autour du débarquement. C’est un récit personnel sur l’histoire, pas un récit historique contenant des personnages. Capa était unique, tout comme ce qu’il a vécu et ressenti.

D.B. Pour moi, ça a sans doute été de retrouver dans le dessin l’urgence, le drame et la spontanéité des clichés de Capa. Je l’ai dessiné très vite, dans un grand effort de concentration, en ne pensant qu’à l’énergie, avec le trac de se planter. D’habitude, la réalisation d’une BD, c’est une course de fond, là, c’était un sprint.

De quelle manière l’agence Magnum vous a-t-elle aidée ?

J-D. M. De toutes les manières ! Ce livre et cette collection n’existent que par l’écoute que Magnum nous a offerte. Sans eux, rien n’aurait été possible. Vivement les nouveaux livres d’ailleurs !

Quel regard portez-vous sur la photo d’une manière générale et sur la photo de presse en particulier ?

J-D. M. Je suis passionné par la photo et le reportage car il faut en une image faire ressentir le poids de l’histoire, la grande et la petite dans le même 160e de seconde. Évènement, regards, mouvement, lumière, cadrage, tout doit se coordonner au moment du déclenchement. Alors que pour arriver là, à cet instant décisif comme disait Cartier-Bresson, le photographe a dû passer par de nombreuses épreuves. C’est cela que la collection veut raconter.

D.B. J’ai toujours énormément regardé de photos de reportages, surtout les clichés des pionniers du XIXe, de Brady, de Curtis, les clichés de l’Ouest, de la guerre de Crimée, de la guerre de Sécession, de la Commune etc… Ça a toujours été pour moi un déclencheur à rêverie, une porte ouverte au voyage dans le temps et dans l’espace. J’aime redessiner ces clichés anciens, croiser les regards de toutes ces personnes désormais disparues, essayer de deviner leur vies, leurs pensées…

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

Selon vous, une BD peut-elle avoir autant de force qu’une photo ?

J-D. M. Les deux médias ne sont pas vraiment comparables. Et c’est justement ce qui les rend complémentaires. Mais la règle la plus importante de cette collection est : on ne redessine pas une photo telle qu’elle. Ce serait en tuer l’essence. On peut faire varier le point de vue au moment du shoot, mais jamais refaire le même cadrage. Les photos elles-mêmes sont publiées dans les pages qui suivent la partie bande-dessinée, avant un cahier « pédagogique » replaçant l’ensemble dans son contexte.

D.B. L’immense force de la photo, c’est l’instant qui révèle des espaces, des événements, des personnes qui ont existé. On voit ce que le photographe a vu. La photo est une preuve indiscutable. Elle est universellement compréhensible.

La puissance de la BD, elle, est plus complexe, plus pénétrante. La bande dessinée requiert une très forte participation du lecteur. Il doit imaginer une voix aux personnages qui n’appartiendront qu’à lui. Il doit reconstituer un mouvement et un espace à partir d’un dessin bidimensionnel et intemporel et sera seul maître de cette spacio-temporalité.

La photographie, c’est l’accès au monde extérieur. La BD, c’est l’enrichissement d’un monde intérieur.

Mourir pour une idée, mourir pour une photo. Quel commentaire vous suggère le décès très récent de la photographe Camille Lepage qui comme Capa est morte en faisant son travail ?

J-D. M. Le courage d’avoir assumé ce qu’ils avaient décidé de faire de leur vie jusqu’au bout.

D.B. Je ne peux pas savoir, je ne suis pas photographe reporter. Mais j’ai l’impression que c’est une forme dure de sport extrême. On dirait une façon de vivre plus vite, plus fort, de nombreuses vies, nourries de danger et d’adrénaline. J’imagine que la mort doit continuellement accompagner les photographes reporter. C’est un métier merveilleusement beau et romantique. Cependant, je ne perçois pas les photographes comme des martyrs de l’information, mais comme des aventuriers au très grand appétit de vie et de réel.

Merci Jean-David et Dominique

Propos recueillis par Eric Guillaud le 20 mai 2014. L’album « Omaha Beach, 6 juin 1944 » sera disponible en librairie le 30 mai

A lire aussi l’interview de Clément Saccomani, directeur éditorial, chargé des nouvelles productions au sein de Magnum Photos

22 Mai

Rencontre avec Joe Sacco à la médiathèque Marguerite Yourcenar à Paris (15e) le samedi 14 juin

© Michael Tierney

© Michael Tierney

Le journaliste américain Joe Sacco, précurseur de la bande dessinée documentaire, auteur notamment de « Palestine : une nation occupée », « Gaza 1956, en marge de l’histoire« , « Reportages » sera présent à la médiathèque Marguerite Yourcenar dans le 15e à Paris le samedi 14 juin à 15h30 pour une rencontre autour de son nouvel album « La Grande guerre, le premier jour de la bataille de la Somme » en compagnie de Vincent Marie, historien, auteur de « La Grande guerre dans la bande dessinée », et de Jean-Christophe Ogier, journaliste spécialisé BD…

Réservations indispensables par mail (mediatheque.marguerite-yourcenar@paris.fr) ou téléphone (01 45 30 71 41). Plus d’infos ici.

Eric Guillaud

© Sacco - Futuropolis/Arte Editions

© Sacco – Futuropolis/Arte Editions

20 Mai

Cinq questions au journaliste Michaël Sztanke, auteur avec Alexis Chabert de La Faute chez Delcourt

 

Michaël Sztanke à Pyongyang

Michaël Sztanke à Pyongyang

Comment vous est venue l’idée de l’album La Faute ?

Michaël Sztanke. La première chose qui frappe l’oeil en posant le pied en Corée du Nord c’est l’omniprésence des portraits des leaders Kim Il-sung et Kim Jong-il. Les Nord-Coréens portent sous forme de badge les visages souriants de leur leader sur leur veston à l’endroit de leur cœur. J’ai posé la question à mon guide : « Comment faites-vous et que se passe-t-il si vous égarez votre badge ? » La réponse fut « On n’égare pas notre badge ». A partir de cette anecdote j’ai construit un scénario imaginant la perte d’un badge et tous les évènement qui pouvaient en découler. L’idée m’est venue dans l’avion du retour lors de mon premier voyage.

La BD est le médium le plus adéquat pour raconter justement ce qu’on ne peut pas filmer.

9782756047256vSelon vous, en quoi l’album peut-il être complémentaire de votre documentaire?

M.S. Tourner un documentaire en Corée du Nord est extrêmement complexe. Que montrer et comment le montrer étant donné le contrôle très serré sur place et l’impossibilité d’interroger qui vous souhaitez ou de se déplacer librement… Pour le documentaire j’ai pu me rendre deux fois à Pyongyang en septembre 2012 et février 2014. J’ai filmé beaucoup de sites officiels ou touristiques et beaucoup de nouvelles infrastructures récemment construites sous Kim Jong-un, le leader arrivé au pouvoir à la mort de son père. Un festival de cinéma, un parc d’attractions, une patinoire, une station de ski à 200 km de Pyongyang, une nouvelle bibliothèque universitaire, un nouvel hôpital etc… uniquement des lieux neufs. Comment comprendre ce qu’il se joue derrière cette sorte de village Potemkine ? La BD est le médium le plus adéquat pour raconter justement ce qu’on ne peut pas filmer. Il permet une vraie liberté de ton et donc de plonger le lecteur dans l’atmosphère de ce pays.

Comment percevez-vous la BD et plus précisément la BD reportage ?

M.S. Je conçois le BD reportage comme un médium plus libre et moins formaté pour aborder une question que la télévision. Les cases reportages ou documentaires de la télévision laissent peu de place à la liberté créative. Avec le dessin et le récit tout est permis en terme de forme, tout en gardant le fond, l’essentiel, c’est à dire l’information. Il est vrai que la BD reportage est devenue un peu à la mode chez les journalistes qui y voient une possibilité de s’échapper des formes auxquelles ils sont habitués. Il y a également un public très réceptif à la BD reportage ou documentaire qui aime à la fois la BD et l’information…

Quel est le souvenir le plus fort que vous gardez de vos séjours en Corée du nord?

M.S. Je crois que l’arrivée en voiture dans la nouvelle station de ski flambant neuve et vide qui a coûté au régime 300 millions de dollars est impressionnante quand on sait qu’un tiers de la population a du mal à se nourrir… La visite d’une famille modèle où une petite fille de 2 ans chante la gloire au leader Kim Jong-un est aussi glacial que l’hiver nord coréen.

Pensez-vous renouveler l’expérience avec d’autres pays  ?

M.S. Pourquoi pas sur un autre pays. Mais pour le moment j’ai en tête une BD sur la Corée du Nord mais d’un autre point de vue…

propos recueillis le 20 mai 2014 par Eric Guillaud

Découvrez la chronique de l’album sur ce blog

© Delcourt / Sztanke & Chabert

© Delcourt / Sztanke & Chabert

17 Mai

La Faute, histoire d’un séjour en Corée du Nord

9782756047256vDécidément, l’intérêt pour la bande dessinée documentaire ne se tarit pas, bien au contraire…

Après Les Larmes du seigneur afghan que nous avons chroniqué précédemment sur ce blog, voici La Faute, un album paru dans la collection Mirages des éditions Delcourtréalisé par le dessinateur Alexis Chabert et le journaliste Michaël Sztanke.

On quitte l’Afghanistan, les chefs de guerre et les Talibans pour plonger cette fois dans l’atmosphère glaciale de l’un des pays les plus mystérieux, les plus fermés et les plus totalitaires au monde, la Corée du Nord.

Bâti sur des faits réels rapportés par le journaliste de ses différentes visites dans le pays pour les besoins d’un documentaire, La Faute raconte la damnation, la descente en enfer d’un Coréen, Chol-Il, guide touristique pour les quelques étrangers qui parviennent à obtenir un visa. Sa faute ? Avoir omis de porter sur son veston le badge officiel à l’effigie des leaders de la Corée, le jour des funérailles de Kim Jong-Il. Chol-Il aura beau jouer les bons « petits soldats » et le guide parfait auprès du journaliste Michaël Sztanke  rien n’y fait, sa hiérarchie le considère comme un traite. Sa famille doit fuir le pays…

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L’interview de l’auteur à découvrir ici

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« Seule la perte du badge est de l’ordre de la fiction… », précise Michaël Sztanke, « Les dialogues, les situations et les informations sont vrais ». Et ça fait peur ! Le journaliste dépeint un pays totalement asphyxié, coupé du monde extérieur, un peuple bâillonné, tenu par la terreur et parfois la faim… On savait déjà tout ça mais La Faute nous permet de toucher cette vérité du bout des doigts et des yeux grâce à un scénario intelligent, un graphisme délicat, épuré, des couleurs ternes et froides, à l’image qu’on se fait du pays !

Eric Guillaud

La Faute, Une vie en Corée du Nord, de Sztanke et Chabert. Editions Delcourt. 15,95 €

Le documentaire de Michaël Sztanke sera diffusé sur France 5 en septembre prochain. Le 28 février dernier, le journaliste était invité sur France Culture pour évoquer son séjour en Corée du Nord…