Imaginer un récit sans héros n’est déjà pas chose aisée. Mais imaginer un récit sans héros et sans histoire, alors là… Enfin, quand je dis sans héros et sans histoire, c’est un peu exagéré. Simplement, notre bon Julius Corentin Acquefacques qui a encore rêvé trop fort se réveille et constate que l’histoire a démarré… sans lui. Les personnages secondaires font ce qu’ils peuvent pour assurer un fond d’action mais Julius ne peut intervenir dans le récit. Il y a comme un décalage, un glissement spatio-temporel. Tandis que certains évoquent une entourloupe existentialiste, d’autres se gargarisent de l’absence d’aventure : « Parler pour en rien dire ne nous avance à rien. Improvisons ! ». Et c’est parti pour une avancée dans le rien, dans l’infiniment rien, jusqu’au moment où les protagonistes parviennent à recaler l’histoire…
Si Marc-Antoine Mathieu n’existait pas, il faudrait de toute urgence l’inventer ! Chacun de ses albums est un régal d’expérimentations narratives, une exploration sans fin des possibilités offertes par le médium. Vingt-trois ans après L’Origine, le premier volet de cette série (souvenez-vous de la case en moins), et neuf ans après Le Processus, voici donc Le Décalage. Et ce sixième opus nous réserve bien des surprises à commencer par une couverture purement et simplement remplacée par une planche du récit, la septième pour être précis. Et ne croyez pas à une astuce de l’éditeur pour faire des économies sur le nombre de pages, bien au contraire. Le décalage est à la fois virtuel, dans le récit, et bien réel, sur l’album. Mais shut ! Comme toujours, Marc-Antoine Mathieu joue sur l’effet de surprise et nous n’allons pas gâcher votre plaisir en dévoilant plus que nécessaire. Le Décalage nous plonge corps et âme dans le fantastique et l’absurde, un univers qui ne cache pas ses références à l’oeuvre de Winsor McKay, de Francis Masse ou même d’un Raymond Devos ! EGuillaud
Le Décalage, Julius Corentin Acquefacques (tome 6), de Marc-Antoine Mathieu. Editions Delcourt. 14,30 euros