Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…
Connaissez-vous le syndrome d’Hikikomori ? Apparu au Japon dans les années 1990, ce phénomène qui se caractérise par un isolement social extrême concernerait un million de personnes dans ce pays et, depuis la pandémie de Covid, toucherait un nombre croissant de Français, en particulier des hommes. Ce sujet est au coeur de cette bande dessinée de Jérôme Dubois !
Le protagoniste, reclus chez lui depuis des mois, vit au milieu des déchets qu’il ne se résout plus à sortir. Ses journées se résument à attendre des livraisons de repas. Jusqu’au jour où il s’effondre, victime d’un malaise fatal ! Quelques temps plus tard, une équipe de nettoyage investit son appartement pour le débarrasser. Mais, même une fois vidé et parfaitement lessivé, l’âme de l’ancien locataire continue de hanter les lieux…
Jérôme Dubois propose ici, comme dans chacun de ses albums, une expérience à la fois visuelle et narrative, invitant à une profonde réflexion existentielle. On se souvient notamment de Citéville et Cinéville, deux œuvres indissociables sélectionnées au Festival d’Angoulême en 2021. Ces récits nous interrogeaient sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur. Avec cette nouvelle histoire, l’auteur explore le syndrome d’Hikikomori pour nous questionner sur la mémoire que les lieux peuvent conserver de leurs habitants. Un sentiment d’étrangeté se dégage de cet album, accentué par l’alternance entre le noir et blanc et les couleurs vives de certaines cases. (Immatériel, de Jérôme Dubois. Cornélius. 34,50€)
Lucky Luke n’aime pas les enfants. Une révélation ? Un postulat qui permet à Blutch de nous embarquer dans une nouvelle aventure du célèbre personnage de Morris et Goscinny et de retrouver toute la saveur comique qui a fait le succès de la série. Il n’aime pas les enfants donc mais va pourtant devoir composé avec deux représentants du genre et pas franchement des anges. Il faut dire qu’ils ont de qui tenir. Leur père est un bandit des grands chemins, disparu depuis peu, avec un butin sous le bras et quelques collègues assez mécontent aux fesses. Lucky Luke aussi est à sa recherche pour le coller en prison mais Casper et Rose, les deux fameux gamins, ne vont pas lui faciliter la tâche…
On connait l’amour de Blutch pour les Tuniques Bleues, série dont il tire son nom d’artiste mais il rend ici un sacré hommage à Lucky Luke et donc à Morris et Goscinny avec une histoire gonflé à l’humour, à la fois fidèle à l’esprit de la série originelle, dans ses codes graphiques et couleurs, et porté par une certaine liberté, celle d’un auteur qui sans cesse remet son art en question. De quoi dépoussiérer l’affaire ! (Les Indomptés, de Blutch. Dargaud. 13€)
C’est une histoire comme on en voit malheureusement beaucoup, une histoire de relation toxique qui aurait pu mal finir mais s’est arrêtée à temps. Carole Lobel en témoigne aujourd’hui à sa manière dans une bande dessinée baptisée En Territoire ennemi. Les mots sont forts mais justes tant cette expérience aurait pu être un voyage sans retour.
Fille d’une militante chrétienne anti-avortement, Carole rencontre Stéphane, étudiant aux Beaux-Arts, d’extrême gauche, fumeur de joints. Elle en tombe éperdument amoureuse. Pourtant, très vite, elle perçoit un malaise dans leur relation, notamment dans leur relation intime. Bien qu’elle ne souhaite pas d’enfants, elle finit par en avoir deux.
De son côté, Stéphane, sans emploi, s’isole progressivement de la vie sociale, sombre dans la paranoïa, le complotisme, la misogynie, adopte les idéologies d’extrême droite, apprend l’hymne officiel des SA et du Parti national-socialiste des travailleurs allemands et devient violent avec ses propres enfants qu’il souhaite « endurcir » !
Face à cette spirale destructrice, Carole décide de le quitter mais des années de vie commune ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Et ses enfants vont le lui rappeler…
Réalisé au stylo-bille quatre couleurs avec un graphisme et une narration très actuelles, En Territoire ennemi n’est pas un témoignage de plus, c’est un témoignage essentiel qui décrit comment naissent les relations toxiques et peut-être comment les repérer pour s’en extraire au plus vite. En Territoire ennemi est la première bande dessinée de Carole Lobel. Un livre à mettre entre toutes les mains ! (En Territoire ennemi, de Carole Lobel. L’Association. 26€)
Eric Guillaud