26 Avr

« Appels en absence » de Nora Dåsnes : un récit bouleversant sur les attentats du 22 juillet 2011 en Norvège

Le 22 juillet 2011, sur l’île d’Utøya, un homme armé ouvre le feu sur des jeunes venus participer à l’université d’été du Parti travailliste. Un peu plus tôt, une voiture piégée explosait dans le centre d’Oslo. Un seul homme est responsable de ces deux événements, l’extrémiste de droite Anders Behring Breivik. Avec un bilan tragique : des dizaines de morts, des centaines de blessés et des milliers de traumatisés pour la vie. Nora Dåsnes avait 16 ans en 2011. Cette histoire est un peu la sienne, un peu celle de tous les Norvégiens…

Le 11 septembre 2001 à New York, le 22 juillet 2011 à Oslo, le 13 novembre 2015 à Paris… Comme si l’histoire hoquetait, avec à chaque fois son cortège de victimes directes ou indirectes et un pays traumatisé. Au moment des attentats sur l’île d’Utøya et dans la capitale norvégienne en 2011, Nora Dåsnes a 16 ans et s’apprête à rentrer au lycée.

C’est son histoire, son ressenti, sa douleur et son incompréhension face à de tels actes qu’elle raconte aujourd’hui à travers les pages de ce roman graphique qui débute un mois après les faits et met en scène une jeune héroïne prénommée Rebekka.

Comme Nora sans doute, comme beaucoup d’enfants et d’adultes, Rebekka fait beaucoup de cauchemars, de crises d’angoisse et cherche par tous les moyens à comprendre pourquoi ? Pourquoi cette tuerie ? Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ?

J’ai l’impression qu’il manque la fin. La conclusion. J’essaie de la trouver mais… je sais pas si c’est possible.

Entre sa mère, déprimée et scotchée devant les infos en continu, son frère ainé pris d’accès de violence, ses journées au lycée où chacun joue à paraître le moins affecté possible et ses soirées sur internet à espérer trouver des explications à la tragédie, Rebekka ne parvient pas à reprendre le cours normal de sa vie d’ado. Elle ne fait que penser à cette journée, encore et encore.

Je pense aux premières heures quand on savait pas encore qui était sur place, ni si on connaissait quelqu’un, au lendemain matin, à tous ces morts, au fait que personne n’a réussi à l’arrêter.

Rebekka fait partie des traumatisés pour la vie, même si elle n’était pas sur place au moment des faits et ne connaissait aucune des victimes, aucune des personnes présentes sur l’île. Rebekka est ce qu’on pourrait appeler une traumatisée par procuration qui devra comme tant d’autres trouver le chemin de la reconstruction…

Trois couleurs dominent ce récit, le bleu-gris pour le temps présent, le noir pour les cauchemars et le rouge pour les flashbacks sur la journée du 22 juillet 2011. Appels en absence est un récit bouleversant, qui vous serre la gorge, tant le témoignage est fort, tant les interrogations, les doutes, sont palpables, tant enfin, la peur de l’oubli ou pire encore le peur de la répétition de l’histoire est présente.

Après L’année où je suis devenue ado, son premier roman graphique traduit en 11 langues et sélectionné au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2022 dans la catégorie jeunesse 8-12 ans, Nora Dåsnes confirme ici un talent hors norme.

Eric Guillaud

Appels en absence, de Nora Dåsnes. Casterman. 25€ (en librairie le 1ᵉʳ mai)

25 Avr

Borboleta de Madeleine Pereira : pour que la mémoire du Portugal ne s’envole pas

Il y a cinquante ans aujourd’hui, la révolution des Œillets renversait la dictature salazariste au Portugal. Madeleine Pereira, issue de l’immigration portugaise, née en France, ne l’a pas connue, ne l’a pas subie, mais tente ici, dans ce qui est son tout premier album, d’en cerner les contours et de rétablir une connexion avec un pays, un peuple et une culture qu’elle aime…

Quarante-huit ans ! La dictature au Portugal est la plus longue que l’Europe ait connue au XXe siècle. Dépassant de loin celles instaurées par Hitler, Mussolini ou même le voisin espagnol, Franco. Et malgré tout, cette dictature-là est la moins connue de toutes, la moins enseignée dans les écoles.

Madeleine Pereira est née en France, vit à Angoulême, mais ses racines familiales sont portugaises. Elle-même ne connaissait pas grand-chose à cette histoire avant qu’elle décide d’utiliser son art, la bande dessinée, pour recueillir des témoignages, ici des membres de sa famille, là des amis de son père, et les réunir dans cet album baptisé Borboleta, papillon en français.

À travers ces témoignages, Madeleine Pereira retrace l’histoire de sa famille et au-delà celle de tout un pays. Elle raconte aussi son parcours personnel et intime, depuis la jeune fille refusant tout signe d’appartenance à la communauté franco-portugaise jusqu’à la jeune femme curieuse et fière de ses origines. 

Avec un dessin faussement naïf et un découpage très simple, Madeleine Pereira nous invite à remonter le temps, partager la vie de ces hommes et femmes qui ont accepté de témoigner, de raconter leur parcours, le poids de la dictature, le départ pour la France, la difficile intégration, et parfois, après des décennies d’exil, le retour au pays.

Eric Guillaud

Borboleta, de Madeleine Pereira. Sarbacane. 24€

© Sarbacane / Pereira

21 Avr

Une Vie en dessins : un nouveau volume consacré à la belle chevauchée de Willy Lambil et Raoul Cauvin aux côtés des Tuniques bleues

Après François Walthéry, Yves Chaland, Frank Pé ou encore Tome et Janry, c’est au tour de Willy Lambil et Raoul Cauvin de recevoir les honneurs de la très belle collection de monographies Champaka Brussels des éditions Dupuis…

Raoul Cauvin et Willy Lambil ont commencé leur carrière comme lettreurs aux éditions Dupuis. Une entrée par la toute petite porte, comme nous le rappelle dès les premières pages de ce très beau livre l’auteur Didier Pasamonik. C’était au début des années 50. Ils y feront la carrière qu’on leur connait aujourd’hui, le premier comme scénariste, le second comme dessinateur. Avec un bébé en commun, un beau bébé qui va bientôt fêter ses 65 ans : Les Tuniques bleues.

Sa recette magique, un mélange d’aventure, d’humour et d’antimilitarisme,  a permis à la série de connaître un immense succès. Elle compte aujourd’hui 67 volumes et enregistre 21 millions d’albums vendus. Inutile de préciser qu’elle a marqué plusieurs générations de lecteurs et inspiré quantité d’auteurs. Et pourtant, comme le rappelle également Didier Pasamonik, Cauvin et Lambil sont restés « largement ignorées des cercles académiques ».

Mais qu’importe, Lambil et Cauvin appartiennent avant tout à leurs fans et ils sont nombreux ! Didier Pasamonik est visiblement l’un d’eux. Ce neuvième volet de la série Une Vie en dessins leur rend en tout cas un bel hommage.

Avec plus de 250 pages d’illustrations, de planches originales, de dessins de couvertures, de photographies et d’extraits d’entretiens, Didier Pasamonik remet en perspective le travail de ces deux immenses signatures de la bande dessinée franco-belge et nous permet d’apprécier au plus près le fabuleux coup de crayon de l’un, l’écriture de l’autre, et le génie d’une série qui aura incontestablement marqué l’histoire de la bande dessinée.

Eric Guillaud

Une Vie en dessins tome 9, Lambil et Cauvin. Dupuis / Champaka Brussels. 69€ (en librairie le 26 avril)

© Dupuis – Champaka Brussels / Lambil et Cauvin

08 Avr

Doc Savage, le Bob Morane américain est de retour en BD

Enfin une réédition digne de ce nom des premières adaptations en bande dessinées des aventures d’un héros XXL sorties à l’origine dans la seconde moitié des années 70 avec le grand John Buscema au dessin…

Aux côtés de The Phantom, The Shadow, Green Lama et quantités d’autres, Doc Savage fait partie de ces héros caractéristiques aux aptitudes intellectuelles et physiques quasi-surhumaines ayant dédié sa vie à défendre la veuve et l’orphelin apparu dans les années 30 aux Etats-Unis dans les pages de pulps, ces magazines bon marché regorgeant d’aventures bon marché. Dixit son créateur Lester Dent, Savage était censé être un mélange de Tarzan pour ses qualités physiques, de Sherlock Holmes pour son sens de la déduction et d’Abraham Lincoln pour a droiture. Grâce à des fonds illimités et l’équipe de scientifiques qui l’entoure, il a voué sa vie à combattre l’injustice, niché dans au 86ème étage d’un luxueux gratte-ciel new-yorkais.

Savage est l’archétype même du héros sans peur et sans reproches, sorte de super-héros avant l’heure malgré son absence de pouvoir. Le tout pourrait forcément paraître un peu caricatural vu avec nos yeux du XXIème siècle mais il a cette naïveté et ce charme désuet propres aux héros de cette époque, féconde pour l’imaginaire où une Amérique dévastée par la Grande Dépression de 1929 avait terriblement besoin de s’évader.

La France le découvre à la fin des années 60, dans des versions édulcorées et plus « adaptées au jeune public » de ses aventures , d’abord parues dans le Journal De Mickey puis ensuite en poche via l’éditeur Marabout, où l’on retrouvait déjà son pas si lointain que ça cousin européen, Bob Morane.

De l’autre côté de l’Atlantique, au même moment, grâce au succès-surprise de Conan, Marvel commence à réfléchir à ressusciter d’autres héros de l’ère pulp. Suite à de nombreux courriers de lecteurs, l’éditeur de comics achète les droits de Doc Savage et publie ses premières aventures dès 1972 avec, déjà, le grand John Buscema (Thor, Conan, Les 4 Fantastiques etc.) aux pinceaux pour la couverture. Les lecteurs français, eux, découvrent le personnage dans les pages du magazine Titans en 1976.

Les quatre longues aventures réédités ici (une soixantaine de pages chacune) sont parues en France dans l’éphémère revue La Planète Des Singes, chez le même éditeur. Si le contexte a été modernisé, l’action se passant désormais dans les années 70 plutôt que dans les années 30, les bases restent les mêmes : Savage est un colosse à sang froid, homme aussi cérébral que physique, presque dénué d’affect et accompagné d’une bande hétéroclite stéréotypée (l’avocat snob toujours prompt aux bons mots, la brut au look simiesque, l’intello à lunettes faisant de grandes phrases etc.) lui obéissant au doigt et à l’œil. Les méchants sont assez caricaturaux et pour les combattre, Savage a droit à un attirail semblant sortir d’un film de James Bond, avec sous-marin de poche, hélicoptère etc. Clairement, le tout était à destination du jeune public et cela se sent.

Mais c’est justement tout ce qui fait le charme de ces aventures légèrement teintées de fantastique et n’hésitant pas à emmener les lecteurs aussi bien dans les bas-fonds de ‘Big Apple’ qu’au milieu du Pacifique dans une île inconnue. Il y a ce côté un peu foufou et épique, justement très proche de l’esprit d’un Bob Morane.

Et puis surtout, il y a dans ce premier volume (un second est déjà prévu) le grand, le très grand John Buscema aux dessins, assisté par le tout aussi talentueux Tony Dezuniga pour la finition. Son trait iconique, sa façon instantanément reconnaissable de tisser les traits ou de donner à chaque mouvement une dynamique quasi-féline est indissociable de la légende Marvel, sublimé ici par le très beau travail de reproduction de ces planches en noir et blanc. Pour les amateurs de comics 70s mais aussi du ‘Big John’, c’est quasi-indispensable.

À noter que le tout sort en tirage limité sur un petit éditeur marseillais, déjà responsable de quelques belles rééditions dans le même genre, comme Voltar ou Red Sonja.

Olivier Badin

Doc Savage – L’Intégrale 1875-1976 de Doug Moench, John Buscema et Tony Dezuniga. 38€. Neofelis.

Neofelis / Doug Moench, John Buscema & Tony Dezuniga

07 Avr

Mon Infractus : Hervé Bourhis à cœur ouvert !

Allons-nous devoir nous cotiser pour payer un correcteur orthographique aux éditions Glénat qui ont laissé passer cette monumentale faute d’orthographe en couverture ? Mon infractus ? On aurait pu le croire si Hervé Bourhis, dès les premiers pages, ne nous en donnait l’explication et nous racontait à sa manière sa vie de Dj et de survivant à un infarctus, avec le R au bon endroit !

Généralement, on ne s’y attend pas ! Pour Hervé Bourhis, auteur de BD et Dj amateur, ça s’est passé en juin 2022 à l’âge de 48 ans. Au réveil, il ressent le poids d’un éléphant sur son thorax, appelle les urgences et se retrouve à l’hôpital. Le diagnostic est sans appel : un infarctus ou un infractus comme dirait son médecin généraliste. Oui, c’est troublant pour une professionnelle de prononcer infractus plutôt qu’infarctus, se dit Hervé Bourhis, mais c’est ainsi. Et finalement, ça fait un bon titre !

De toute façon, ça ne change pas grand-chose. Hospitalisation, opération, réadaptation, médicaments pour la vie… le quotidien s’en trouve forcément bousculé.

De quoi faire une BD de tout ça ? Qui rejoindra la pléthorique production de livres dans le genre ? Hervé Bourhis s’y refuse mais en même temps consent à évoquer son accident cardiaque d’une manière détournée.

« Ne comptez pas sur moi pour entrer dans les détails. Ça relève de l’intime, n’insistez pas, j’ai ma dignité. Voilà pourquoi je vais plutôt vous raconter mes souvenirs de Dj amateur ». Et d’ajouter : « Mais ne partez pas, voyons ! Il y aura des anecdotes amusantes ! Et de nombreuses connexions avec ce qui m’est arrivé… »

Avec un lien entre les deux, le BPM, le nombre de battements par minute. « Tempo musical ou cardiaque, le cœur sera toujours le cœur du sujet ».

Et de fait, Hervé Bourhis livre ici un témoignage original et intime sur sa vie de Dj, une centaine de pages rythmées par les soirées, la musique, les disques, les pochettes, les amis, les rencontres… et cette aventure médicale dont il se serait à vrai dire bien passé. C’est léger, très drôle, bourré de références musicales comme tous ses livres depuis Le Petit livre rock paru en 2007, et graphiquement bien senti.

Eric Guillaud

Mon infractus, d’Hervé Bourhis. Glénat. 20€

© Glénat / Bourhis

06 Avr

INTERVIEW. Gwen de Bonneval signe « Philiations », une œuvre profondément sensible qui interroge notre relation au monde

Il n’y avait pas de mot pour exprimer ce qu’il souhaitait raconter dans cet album. Alors, Gwen de Bonneval l’a tout simplement inventé. Philiations, de Philia et filiations, un néologisme assumé évoquant une histoire aussi universelle et collective qu’intime et introspective, une histoire de lien, d’héritage et de transmission dans un monde pas très loin de l’effondrement.

La couverture de ce nouvel album de Gwen de Bonneval paru aux éditions Dupuis est à elle seule une source de réflexion et de questionnement. L’auteur s’y représente au travail sur sa table à dessin tandis que la forêt brûle derrière lui. Une façon d’illustrer un éventuel déni ? Sans doute. Et surtout le déni d’un monde qui court à sa perte si rien ne change rapidement.

Mais si Gwen de Bonneval a un temps refusé ou plus exactement sous-évalué l’ampleur du désastre, le réveil ne fut que plus brutal lorsqu’il commença à s’intéresser plus sérieusement aux questions environnementales et notamment à la théorie de l’effondrement selon laquelle notre société est vouée à disparaître du fait de l’enchaînement de crises environnementales, économiques, géopolitiques et sociétales. 

Plongé dans une profonde éco-anxiété, Gwen de Bonneval se devait de réagir, s’imaginant dans un premier temps lanceur d’alerte à travers son art, la bande dessinée, avant de se rendre à l’évidence que réaliser une œuvre didactique ou pédagogique sur cette thématique n’était pas vraiment son truc !

Au travail militant, Gwen préfère alors partager avec le public une « expérience sensible », ce sera Philiations, une première véritable autobiographie pour l’auteur qui lui permet de s’interroger à travers son parcours de vie sur notre monde et cette obsession qu’on a à vouloir le détruire. Une façon de nous interpeller sur notre place, sur la place du collectif et de l’individu dans la lutte contre l’effondrement annoncé, tout un processus qu’il nous explique ici et maintenant…

La suite ici

29 Mar

Délivrance : la douleur rend-t-elle libre ?

Premier roman graphique d’un auteur français influencé par le manga, Délivrance a la forme d’une quête existentielle où la seule raison de survivre dans un monde en déliquescence est de trouver un moyen… de mourir en paix. Âpre et désespéré mais atypique !

En ouvrant les champs du possible, la science-fiction a toujours été l’un des terrains très fertiles pour les allégories. En ouvrant une brèche sur un univers très lointain ou un futur parallèle, tout devient possible, sans qu’on ait forcément besoin d’avoir ni un pourquoi ni un comment.

Aucune explication ici donc. Pourquoi la Terre est-elle devenue aride ? Qu’est-ce qui a déclenché cette apocalypse écologique ? Pourquoi les hommes n’arrivent plus à mourir mais finissent, invariablement, par se transformer en des espèces d’êtres difformes et violents sans volonté propre ? Comment Graham, son frère ainé Ikar et la femme mutique se sont retrouvés à errer comme cela au milieu des ombres ? Que cherchent-ils vraiment ? On ne sait presque rien au début du récit, à part l’évocation d’un endroit où ils pourront tous les trois mettre fin à leurs souffrances et être en paix, sous-entendu mourir.

© Glénat / Kim Gérard

En attendant, ils fuient, tout simplement. Le monde (ou ce qu’il en reste) autour d’eux, les autres devenus synonymes de violence, et eux-mêmes. Jusqu’à ce qu’ils rencontrent cette petite fille sans nom et sans voix autour de laquelle la nature moribonde semble revivre et au contact de laquelle ils redeviennent humains, retrouvant leurs souvenirs enfouis mais aussi leurs blessures. Sauf qu’elle suscite les convoitises…

© Glénat / Kim Gérard

Même si Délivrance est sa première BD, Kim Gérard, qui signe ici les dessins et le scénario, a d’abord fait carrière dans le graphisme et cela se sent ici. Plutôt avare en dialogue, sur le plan visuel le tout rappelle pas mal le trait inspiré du manga de l’écurie Label 619. Au diapason, le récit en lui-même est en perpétuel mouvement, comme ses héros dont on lit les émotions comme dans un livre ouvert à grâce à de nombreux gros plans. Cette idée de mouvement, on la retrouve d’ailleurs dans les nombreuses scènes de combat : pleines d’onomatopées, elles sont aussi soudaines que crues, sans jamais pour autant glorifier la violence. Au contraire, leur absurdité ne fait que souligner un peu plus l’inhumanité des rares survivants de ce monde à l’agonie.

© Glénat / Kim Gérard

Très symboliquement, pour ne pas ‘sombrer’ dans l’apathie précédant cet état de semi-conscience dont on ne sort plus et devenir ainsi prisonnier en quelque sorte de leur propre corps, les deux personnages principaux doivent régulièrement se tabasser mutuellement. En gros, ici, les survivants doivent se faire souffrir, se martyriser si l’on veut, pour ne pas tomber dans une torpeur devenue synonyme de condamnation sans retour.

© Glénat / Kim Gérard

C’est autant la force que la limite de cette épopée entre Mad Max et Le Fils de L’Homme. Kim Gérard jette ses personnages dans une quête désespérée et passe plus de 300 pages à les faire souffrir, littéralement, dans leur chair, la douleur était l’une des clefs de leur rédemption. Maso Délivrance ? Peut-être un peu, les chairs étant ici autant triturées que dans un film de body horror, malgré une fin ouverte laissant (enfin) un tout peu d’espoir filtrer.

Olivier Badin

Délivrance de Kim Gérard. Glénat. 25€

Murmures des sous-bois du Canadien Kengo Kurimoto : une véritable ode à la nature

Premier roman graphique de Kengo Kurimoto, Murmures de sous-bois nous susurre à l’oreille les bonheurs simples de la nature, à qui sait prendre le temps d’observer. Un album aussi beau que tendre !

Comme tous les jours, Poppy promène son chien dans le quartier. Mais ce jour-là, Pepper, c’est son nom, fausse compagnie à sa maîtresse, se faufile sous une barrière et s’enfonce dans les sous-bois. Poppy se lance à sa poursuite, finit par le retrouver avec l’aide d’un jeune garçon, Rob, qui semble bien connaître l’endroit.

Le lendemain, rebelote, Poppy toujours accompagnée de Pepper rejoint Rob dans le sous-bois. Et le lendemain encore. Au fil des jours, Poppy et Rob se lient d’amitié, Rob faisant découvrir à Poppy les merveilles de la nature, ici un troglodyte mignon, là un bourgeon, une fleur, un tronc sur lequel court le lierre, et puis un jeune cerf, un hibou…

Poppy est aux anges et elle aimerait par-dessus tout partager ce bonheur avec sa mère qui déprime dans son canapé depuis des jours, depuis que sa mère à elle est décédée. Mais acceptera-t-elle de la suivre ?

Si beaucoup de romans graphiques demandent aujourd’hui un temps de lecture assez conséquent, Murmures des sous-bois peut se lire rapidement… mais pas trop tout de même ! Profitez justement du peu de dialogues et du peu de personnages pour admirer le paysage comme on dit, vous régaler de cette nature si délicatement et poétiquement mise en images par Kengo Kurimoto dans un bel album au doux format à l’italienne. C’est le but recherché par l’auteur, nous faire apprécier la magie de la nature, retrouver des sens qu’on a peut-être perdus dans notre monde contemporain et de plus en plus urbain.

À la manière d’un Taniguchi ou d’un Miyazaki, dont il se dit influencé, l’auteur canadien, ex-étudiant en éco-construction et écologie profonde, ceci explique cela, explore ici la relation de l’homme avec la nature à travers un tas de petits détails, un peu comme des gros plans sur une nature généreuse et magique. Il n’en oublie pas les relations humaines avec notamment cet amour d’une fille pour sa mère. Beau et tendre à la fois l

Eric Guillaud

Murmures des sous-bois, de Kengo Kurimoto. Rue de Sèvres. 18€

© Rue de Sèvres / Kengo Kurimoto

23 Mar

La Vengeance de David Wautier : une sacrée chevauchée dans l’Ouest sauvage

Si la vengeance est un thème récurrent dans le western, il s’accommode formidablement à toutes les sauces, comme ici à travers le prisme de la famille. Avec cette question : le désir de vengeance, aussi naturel soit-il, peut-il être plus fort que tout, plus fort que l’amour de ses enfants ?

Ah mais oui, un bon petit western de derrière les fagots ! En voilà une bonne idée. Non pas que le genre se fasse rare en bande dessinée, bien au contraire, il a toujours été et est encore aujourd’hui plébiscité par nombre d’auteurs et de lecteurs, mais il permet finalement d’aborder pas mal de thématiques contemporaines, comme l’écologie, les droits de la femme ou encore les droits des opprimés, le tout sous couvert d’une fiction et d’action.

Alors oui, la thématique de la vengeance est récurrente, dans le western et ailleurs, mais elle permet ici à l’auteur d’en détailler le mécanisme dans un pays et à une époque où la loi se faisait à coup de colt calibre 36 et non de 49.3.

Qui dit récurrent dit rabattu ! Oui, en cela, on peut dire que l’album de David Wautier n’a pas grand-chose d’original. À ceci près que le vengeur de service, un certain Richard Hatton, désireux de voir mourir les « ordures » qui ont tué sa femme, a embarqué dans l’aventure ses enfants, Anna et Tom, qui n’aspirent dans leur cas qu’à une chose, rentrer chez eux et retrouver ce père qu’ils aimaient tant…

Un autre grand classique dans les westerns est bien évidemment la nature ! Avec un style graphique qu’il a développé sur des carnets de voyage, vif et proche du croquis, relevé d’une touche d’aquarelle, David Wautier nous offre une sacrée chevauchée entre montagnes enneigées et déserts rocailleux. Et rien que pour ça, ça vaut le détour !

Eric Guillaud

La Vengeance, de David Wautier. Anspach. 19,50€

© Anspach / Wautier