22 Jan

La Fabrique de héros, 100 ans d’édition chez Dupuis… et l’éternité pour horizon

Il n’y a pas que les héros qui sont immortels, on aimerait penser que certaines maisons d’édition le sont tout autant tant elles nous ont offert et nous offrent encore du rêve, de l’évasion, de l’aventure… En attendant, Dupuis a 100 ans, le début de l’éternité, et publie un beau petit livre sur son histoire en complément d’une exposition à Charleroi…

Comment évoquer les 100 ans d’une maison d’édition comme Dupuis ? Et par où commencer ? Par le début tout simplement lorsque Jean Dupuis achète sa première presse à pédale et s’improvise imprimeur-éditeur. Nous sommes en 1896.

Quelques photos en noir et blanc du patriarche et de la famille et on arrive au lancement de la revue Les Bonnes soirées en 1922, de l’hebdo Le Moustique en 1924 et bien évidemment du fameux Journal de Spirou en 1937 qui offrira très vite à la maison d’édition belge une reconnaissance internationale.

Après, tout s’enchaine très vite, la création du héros-titre, les ADS, Amis de Spirou, Tif et Tondu, la guerre, l’Almanach 1947, Jijé, Valhardi, Lucky Luke, Gaston, les gags de poche, Yoko Tsuno, le Trombone illustré, Aire Libre, Largo Winch…

100 ans en 200 pages, une véritable gageure quand on connait un peu l’histoire de la maison mais le but de ce livre n’est pas d’être exhaustif, plutôt d’offrir aux amoureux du 9e art et plus spécifiquement des éditions Dupuis un panorama le plus large possible de la création en son sein en s’appuyant sur de nombreuses anecdotes et illustrations.

Héros, auteurs, expériences éditoriales… l’essentiel est ici et dans l’exposition qui se tient au Musée des Beaux-Arts de Charleroi jusqu’au 30 juillet 2023.

Eric Guillaud

La Fabrique de héros, 100 ans d’édition chez Dupuis, de José-Louis Bocquet et Sergio Honorez. Dupuis. 34€

© Dupuis

19 Jan

Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023 : coup d’œil sur les huit BD en lice

J-10. Pour la quatrième année consécutive, France Télévisions s’associe au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême pour décerner le Prix du public. Huit albums ont été sélectionnés. Le lauréat sera connu le samedi 28 janvier. Qui sont les auteurs ? Que racontent leurs livres ? Réponse ici et maintenant…

La suite ici

 

Dormir dans les transports en commun : Quand Emmanuel Guibert croque la petite mort !

Quelle tête faites-vous lorsque vous dormez à poings fermés ? Peut-être ressemblez-vous à l’un ou l’autre de ces endormis croqués sur le vif dans les transports en commun par Emmanuel Guibert. Peut-être même allez-vous vous reconnaître ou reconnaître l’un de vos proches…

Voilà bien une drôle d’idée : tirer le portrait des gens tombés dans les bras de Morphée entre deux stations de métro, deux arrêts de bus ou deux gares. Cette idée-là vient d’Emmanuel Guibert, le même qui nous avait embarqué en 2020 dans les musées et autres lieux de culte et réuni dans le premier volet de Légendes une série de croquis et dessins réalisés au cours de ses pérégrinations.

Le Grand Prix de la ville d’Angoulême 2020, auteur du Photographe ou de La guerre d’Alan, pour ne citer que ces titres-là, revient avec un deuxième volet où il croque sur le vif, avec des techniques variées et dans des styles différents, son voisin voyageur plongé dans un profond sommeil, une « petite mort » bien réparatrice, l’occasion pour lui de s’interroger, de nous interroger sur notre rapport à la mort, la vraie, entre anecdotes personnelles et considérations philosophiques.

Un beau et bon petit bouquin, un peu cher certes, mais qui se lit avec grand plaisir malgré la thématique et nous amène à réfléchir sur notre existence. Et ça, ça n’a pas de prix !

Eric Guillaud

Légendes tome 2, Dormir dans les transports en commun, d’Emmanuel Guibert. Dupuis. 38€

© Dupuis / Guibert

15 Jan

Sélection officielle Angoulême 2023 : Ils brûlent de Aniss el Hamouri aux éditions 6 Pieds sous Terre

Repéré dès son premier album, Comme un frisson, prix révélation ADAGP du festival Quai des Bulles, Aniss el Hamouri revient en 2022 avec un récit de dark fantasy en trois tomes résolument sombre et tourmenté…

Ne cherchez pas une once d’espoir dans les pages de cet album, il n’y en a pas. Ou si peu. L’univers médiéval élaboré par Aniss el Hamouri est désespérément sombre et violent. Pour un rien, vous pouvez finir sur un bûcher ou le ventre transpercé d’un coup d’épée.

Le seul rayon de lumière, le seul élan de bonté, vient d’une amitié, celle qui unit le jeune et bienveillant Georg à Pluie et Ongle, deux adolescentes dotées de pouvoirs surnaturels qui ont décidé de s’enfuir du Sanctuaire, une prison de l’inquisition. Depuis, elles sont pourchassées par Le Mage, un inquisiteur sans pitié, et rejetées partout où elles passent. Georg fera tout son possible pour les aider à fuir les soutanes et à surmonter les traumatismes physiques et psychiques endurés par le passé et qu’il découvre au fil de leur périple…

Plus qu’une fuite, c’est une quête que l’auteur belgo-marocain Aniss el Hamouri met ici en images, une quête d’identité pour nos trois personnages, autant de caractères inadaptés à ce monde de brutes épaisses et de croyances obscures.

Avec son trait hyper nerveux et expressif, quasiment habité, et une narration musclée, l’auteur parvient à nous happer jusqu’au bout de son histoire même si les premières pages nécessitent peut-être un petit temps d’acclimatation à l’univers.

Ils brûlent figure dans la sélection des albums en lice pour le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023

Eric Guillaud

Ils brûlent tome 1, Cendre et rivière, de Aniss el Hamouri. 6 Pieds sous Terre. 20€

© 6 Pieds sous Terre / Aniss El Hamouri

14 Jan

Sélection officielle Angoulême 2023 : Roxane vend ses culottes de Maybelline Skvortzoff aux éditions Tanibis

Rejetée de toutes les écoles d’art françaises pour son trait un peu trop calqué sur celui de Robert Crumb, Maybelline Skvortzoff a fini par trouver refuge dans un master en bande dessinée à l’institut Saint-Luc à Bruxelles avant de finalement nous revenir avec une première bande dessinée sacrément culottée…

Roxane est plutôt du genre à croquer la vie à pleines dents, à se droguer un peu, à faire l’amour beaucoup, à faire la fête énormément. Et bien évidemment, tout ça coûte cher. Alors, histoire d’arrondir ses fins de mois et peut-être de pimenter un peu plus encore sa life, Roxane décide de vendre ses culottes sales sur internet. Et ça rapporte ! 60 euros la culotte, plus encore quand elle accepte de la remettre en main propre.

Mais de fil en aiguille, Roxane se retrouve embringuée dans un monde qui n’est pas le sien, un monde étrange, voire glauque, dérangé et dérangeant, qui lui fait faire des choses qu’elle ne se serait jamais autorisée auparavant, au risque de se perdre, au risque aussi de perdre tous ceux et toutes celles qui l’entourent et l’aiment.

Mère, amants, copines, ses relations ne sont d’ailleurs pas au beau fixe et Roxane n’hésite pas à se débarrasser des gens comme elle le fait de ses culottes sales au moindre changement d’humeur. Une fuite en avant tête baissée, jusqu’au jour où elle se retrouve face à un point de non-retour…

Des dialogues crus, des séquences trash, un personnage pas toujours sympathique, assez égoïste, un trait parfois un peu rêche… ce premier roman graphique ne peut pourtant pas laisser indifférent tant la jeune autrice y a mis du sens et un peu de sa vie, abordant au passage des questions aussi essentielles que l’amitié, l’amour, la famille, le sexe ou le pouvoir de l’argent. Un récit au ton résolument libre, moderne, à la fois tragique et comique, sous une couverture très réussie offrant un touché peau de pêche bien agréable.

Roxane vend ses petites culottes figure dans la sélection des albums en lice pour le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023

Eric Guillaud

Roxane vend ses culottes, de Maybelline Skvortzoff. Tanibis. 19€

© Tanibis – Skvortzoff

12 Jan

Pim Pam Poum, retour en enfance et à la naissance des comics strips

Après Hagar Dunor, c’est au tour des petits vauriens de Pim Pam Poum de revenir dans une réédition de qualité du même acabit, après avoir fait le bonheur des lecteurs du Journal de Mickey pendant des décennies. Un vrai bout d’histoire du neuvième art et un premier volume classieux de 250 pages.

Il y a deux niveaux d’intérêt avec ce très beau livre au format ‘à l’italienne’, c’est—dire s’étalant dans le sens de la largeur. Le premier est avant tout historique : sous sa première forme et sous le nom de The Katzenjammer Kids ce strip fut publié à partir de 1897, ce qui en fait l’un des tous premiers de l’histoire. L’autre est purement nostalgique car certains d’entre nous les ont connu dans les pages du Journal De Mickey, magazine où ils sont apparus pour la première fois en 1935-36 avant de revenir trente ans plus tard de façon épisodique, jusqu’en 1989. 

Renommée en VF Pim Pam Poum, cette bande dessinée a contribué à établir certaines des bases sur lesquelles le genre se repose encore aujourd’hui : un cadre unique (l’île imaginaire de Bongo), deux garnements toujours à la recherche de nouvelles bêtises à faire (Hans et Fritz), un souffre-douleur attitré (le Capitaine) plus la petite morale qu’il faut à la fin de chaque épisode.

© Urban Comics / Harold Knerr

Accessoirement, c’est aussi un cas d’école car suite à un désaccord entre leur créateur Rudolph Dirks et son premier éditeur, ce dernier l’a confié à partir de 1912 à un autre dessinateur Harold Knerr. Furieux, Dirks décide de continuer de publier sa version chez un éditeur concurrent. S’en suit un procès dont le jugement fait depuis jurisprudence, statuant qu’un personnage appartient à son éditeur, non pas à son créateur. Ce qui n’a pas empêché les deux séries de continuer d’exister, en parallèle.

© Urban Comics / Harold Knerr

Ce premier volume reprend la version de Knerr et les planches publiées à partir du 20 septembre 1936, soit les plus anciennes retrouvées dans un état jugé suffisamment acceptable. Dirks étant un immigré allemand, il avait glissé dans la version originale pas mal de références à sa culture germanique, notamment dans le choix des prénoms des héros ou dans les dialogues, mélange d’argot américain et allemand. Dans l’excellente introduction de ce volume, le spécialiste Tristan Lapoussière explique que ces traits ont dû être gommés dans la version française pour des raisons pratiques : impossible de retranscrire correctement nombre d’expressions intraduisibles de patois, à moins de les dénaturer. Les héros, aussi, ont été rebaptisés, devenant Pam et Poum, leur tante devenant, elle, Pim. 

© Urban Comics / Harold Knerr

Ces recadrages n’entachent en rien le rendu, bien au contraire. Grâce notamment au superbe travail de reproduction (du même niveau que celui effectué par le même éditeur pour les Dailies de Batman signés Bob Kane) et au séquençage étonnement moderne et dynamique pour un comics des années 30, le tout garde une fraicheur et une simplicité qui transcende assez vite son caractère historique. Oui, peut-être que la façon dont des personnages secondaires, comme le roi Bongo et ses sujets, sont décrits est un chouia caricaturale et cela fera peut-être tiquer ceux qui aujourd’hui considèrent qu’une BD comme Tintin Au Congo est trop colonialiste. Mais il faut remettre les choses dans leur contexte et ne pas oublier que la série s’adressait avant tout à des enfants des années 30, ni occulter le superbe travail de restauration effectué.

Olivier Badin

Pim Pam Poum – 1936 – 1942  de Harold Knerr. Urban Comics. 29 euros.

10 Jan

Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions 2023 : Naphtaline de Sole Otero aux éditions çà et là

Il n’y a pas que des footballeurs arrogants en Argentine, il y a aussi des auteurs de bande dessinée aussi modestes que talentueux. On en a eu la preuve par le passé avec notamment Jorge González, on l’a à nouveau aujourd’hui avec Sole Otero et son album Naphtaline, une épopée familiale qui débute quelque part en Italie au moment de l’accession au pouvoir d’un certain Mussolini…

L’histoire débute par la fin. La fin d’une vie. Un cimetière, trois personnes en tout et pour tout devant un cercueil, un dernier adieu et c’est la vie qui continue. Pourtant, RocÍo n’en revient pas qu’il y ait si peu de monde à l’enterrement de sa grand-mère Vilma.

En attendant, elle hérite de sa maison ou du moins est-elle autorisée à l’habiter en attendant qu’elle soit un jour vendue. Après la crise ! Nous sommes en 2001 en Argentine et le pays se trouve dans une situation économique et politique catastrophique.

Une fois dans la maison, RocÍo se remémore les rares fois où elle est venue visiter cette grand-mère. Elle n’était pas très proche d’elle ou plus exactement, la grand-mère n’était proche de personne. Un sacré caractère, solitaire, acariâtre, colérique, qui a réussi à se fâcher avec tous les membres de la famille. Sauf RocÍo. Il faut dire que sa vie n’a rien eu d’un long fleuve tranquille.

Et de se remémorer l’histoire de cette grand-mère, une histoire qu’elle connaît finalement par cœur pour l’avoir entendue par bribes, à commencer par l’installation de la famille en Argentine après avoir fuit l’Italie fasciste, sa jeunesse bridée par une éducation patriarcale rigoriste, son premier flirt, son mariage forcé avec un voisin lorsqu’elle tombe accidentellement enceinte, sa fausse-couche, son frère qui cache son homosexualité…

Avec un ton et un esthétisme résolument modernes, originaux, l’autrice Sole Otero nous offre la photographie d’une Argentine en crise en même temps qu’elle nous raconte la destinée d’une famille d’immigrés italiens fuyant l’horreur fasciste et tentant de se reconstruire à l’autre bout du monde entre sacrifices et désillusions. C’est aussi l’histoire de deux femmes, Vilma et RocÍo, qui, chacune à sa manière et à son époque, s’interrogent sur la vie, leur vie de femme dans une société patriarcale. Une très belle découverte et une autrice à suivre !

Eric Guillaud

Naphtaline, de Sole Otero. çà et là. 25€

© çà et là / Otero

08 Jan

Ce livre devrait me permettre de réduire les inégalités entre les riches et les pauvres, d’écrire une symphonie et de rembourser ma femme : un mini format au titre qui en dit long signé Sylvain mazas

Les deux premiers volets n’ont jamais permis de résoudre le conflit au Proche-Orient, le troisième tiendra-t-il ses promesses ? Une seule solution pour le savoir : l’acheter, le lire et attendre le suivant…

La barre était haute, l’objectif ambitieux et le résultat forcément incertain. Non, les deux premiers volets de cette série, parus chez Vroum en 2012, 2014 et 2016 pour l’intégrale n’ont pas permis de résoudre le conflit au Proche-Orient, on le saurait, mais ils ont tout de même permis à leur auteur de décrocher un diplôme et accessoirement de trouver une femme. C’est déjà pas mal !

Avec un taux de réussite de 66%, Sylvain Mazas méritait bien d’écrire un troisième volet, c’est chose faite en ce mois de janvier 2023 avec de nouveaux objectifs affichés dès la couverture. Exit le règlement du conflit au Proche-Orient, place à la réduction des inégalités entre les riches et les pauvres, à l’écriture d’une symphonie et au remboursement de sa femme.

Pour permettre à l’auteur de réaliser au moins un de ces objectifs, c’est très simple, jetez-vous sur l’album, ça lui permettra d’empocher un peu d’argent et d’éponger ses dettes. Quant à vous, ça vous permettra de rigoler un bon coup. Car oui, au-delà de son titre à rallonge et son bavardage à tous les étages, ce livre est un concentré d’humour et de réflexions tous azimuts sur notre monde contemporain. 

Vous avez loupé les deux premiers tomes ? Pas de panique, les éditions Delcourt rééditent l’ensemble dans un élan de générosité contrôlé.

Eric Guillaud

Ce livre devrait me permettre de réduire les inégalités entre les riches et les pauvres, d’écrire une symphonie et de rembourser ma femme, de Sylvain Mazas. Delcourt. 10,50€

© Delcourt / Mazas

05 Jan

Sélection officielle Angoulême 2023 : La Dernière reine de Jean-Marc Rochette aux éditions Casterman

Il a annoncé il y a quelques jours son intention de se retirer du monde de la bande dessinée. Peut-être le fera-t-il, peut-être changera-t-il d’avis. En attendant, Jean-Marc Rochette nous livre avec La Dernière reine un livre magnifique dans lequel la montagne, sa montagne, joue une fois encore un rôle primordial…

« J’ai 67 ans, ça fait 45 ans que je fais ce métier. Je suis fatigué. J’ai expliqué que La Dernière reine serait mon dernier bouquin. C’est le cas. Il m’a demandé trop d’énergie », a déclaré Jean-Marc Rochette, à nos confrères de France 3 Alpes.

Lancée dans la foulée de la polémique Bastien Vivès en réaction à ce qu’il appelle dans un post « une surveillance de l’édition par des commissaires politiques« , cette annonce a fait plusieurs fois le tour de la planète BD avant de se poser comme une évidence, l’homme est fatigué physiquement et fatigué de l’ambiance « liberticide qui est en train de se répandre », pour reprendre une fois encore ses propres mots.

© Casterman / Rochette

L’affaire n’est pas classée mais la BD doit reprendre ses droits et La Dernière reine paru en octobre dernier nous invite forcément à prendre un peu de hauteur. « Que la montagne est belle… » chantait Ferrat. La montagne ardéchoise pour Ferrat, la montagne iséroise pour Rochette, la beauté de la nature à l’état sauvage dans les deux cas.

Car oui, après Ailefroide, altitude 3954 et Le Loup, l’auteur retrouve ici une fois encore la montagne, sa montagne, celle où il vit été comme hiver, avec cette fois une double histoire, celle d’abord du dernier ours du Vercors abattu en 1898 par la bêtise humaine, celle ensuite qui fait se croiser les destinées d’une gueule cassée de la guerre de 14, Édouard Roux, et d’une artiste sculptrice animalière parisienne, Jeanne Sauvage.

© Casterman / Rochette

Entre les deux c’est le coup de foudre, une histoire d’amour à La Belle et la Bête, lui le défiguré descendu de son plateau du Vercors natal le temps d’une guerre et d’une salle blessure, elle, qui sera lui rendre un aspect humain en lui remodelant un visage.

Elle l’introduit dans le milieu artistique parisien de l’entre-deux-guerres où l’on croise Soutine, Picasso, Cocteau, François Pompon ou encore Aristide Bruant. Lui l’encourage à réaliser SON œuvre et lui fait découvrir la montagne, la beauté ultime…

Si Jean-Marc Rochette confirme et partage dans les 240 pages que fait l’album son amour pour la montagne, avec des paysages absolument magnifiques habités par de nombreux animaux dont bien sûr cet ours, la dernière reine, il explore aussi les sentiments qui peuvent se nouer au-delà de l’apparence physique. La gueule cassée et la jeune artiste s’aiment et s’aimeront jusqu’à la mort.

© Casterman / Rochette

Magnifique, émouvant, beau, sauvage, intense, sombre, ce nouveau récit de Jean-Marc Rochette est une pure merveille, une ode à la montagne, à l’amour et à l’art, avec des questionnements écologiques profonds et sincères.

Un seul petit regret, que les albums de la trilogie alpine que forment Ailefroide, altitude 395, Le Loup et La Dernière reine, n’aient pas été publiés dans un plus grand format, histoire de profiter pleinement du trait charbonneux de l’auteur et de ces magnifiques paysages de montagne. Mais serait-ce là l’occasion d’un nouveau récit, d’un nouveau dernier récit ? On le souhaite et on croise les doigts…

La Dernière reine figure dans la sélection des albums en lice pour le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023

Eric Guillaud

La Dernière reine, de Jean-Marc Rochette. Casterman. 30€

04 Jan

Sélection officielle Angoulême 2023 : Hoka Hey! de Neyef aux éditions Rue de Sèvres Label 619

Attention, le western est de retour ! Vous allez me dire qu’il n’a jamais vraiment quitté la planète BD. Et c’est vrai ! La conquête de l’Ouest américain fait partie des valeurs sûres du médium. Mais quand un album comme celui-ci se retrouve entre nos petites mains fébriles, il devient difficile de modérer son enthousiasme…

Inutile de tourner autour du pot pendant des heures, inutile de noircir des centaines de lignes pour finalement le reconnaître, cet album est un chef d’œuvre, du genre à vous laisser scotché pour l’éternité ou presque, un concentré d’aventure et d’ouverture sur le monde qui commence dès la couverture avec le dessin d’un indien masqué habillé comme un blanc et un titre qui ressemble à un cri de guerre : Hoka Hey!.

Et c’est bien un cri de guerre, celui des Indiens Lakotas, un cri qui était censé leur donner le courage et la force nécessaires pour aller combattre l’ennemi et défendre leurs territoires de chasse sacrés.

© Label 619 / Neyef

Au moment où débute ce récit, la hache de guerre est enterrée et le fameux cri mis en sourdine. Les États-Unis et les indiens Lakotas ont signé en 1868 le traité de Fort Laramie prévoyant la protection de la population amérindienne et de sa culture au sein d’une réserve ainsi qu’une promesse de terres à cultiver.

Bien évidemment, le traité fut violé à maintes reprises provoquant la colère du peuple indien. Little Knife, personnage central de cette bande dessinée, habillé comme un blanc mais avec des nattes et affublé d’un masque rouge sur le haut du visage, est l’expression même de cette colère contre le rouleau compresseur blanc.

© Label 619 / Neyef

Accompagné d’une Indienne baptisée No Moon et d’un Irlandais prénommé Sully, Little Knife est à la recherche du meurtrier de sa mère mais c’est sur un gamin qu’il tombe, un Lakota arraché aux siens, élevé comme un blanc et baptisé George en l’honneur de George Washington.

George rejoint le drôle d’équipage dans sa quête de vengeance, chacun dévoilant tour à tour ses peines, ses blessures, ses espoirs, souvent déçus.

SI vous rêviez d’une ode au rêve américain ou à la virilité telle qu’on peut les trouver dans nombre de westerns, alors passez votre chemin, Romain Maufront aka Neyef, s’efforce de montrer ici la face à peine cachée mais assurément sombre de l’Amérique, l’extermination organisée des minorités indiennes, l’asphyxie de leur culture. Et de nous interroger sur notre rapport à la nature quand les Indiens eux visaient l’harmonie, toujours soucieux de respecter leur environnement et d’en prélever que le stricte nécessaire. De nous questionner enfin sur la place de la femme dans ce monde de brutes gonflé à la testostérone.

© Label 619 / Neyef

Si l’auteur égratigne le rêve américain, il nous offre néanmoins des illustrations de toute beauté de l’Ouest sauvage. Montagnes, plaines, rivières, forêts… l’histoire est prétexte à enchainer et varier les décors les plus incroyables, les plus sauvages, avec un trait d’une subtile élégance, dont les influences sont à chercher autant du côté de la BD européenne que du manga. Ajoutez à cela des couleurs et des ambiances somptueuses, des cadrages qui maintiennent le lecteur au cœur de l’action, une galerie de personnage aux caractères bien trempés, une économie de dialogues pour viser l’essentiel et vous obtenez un album en tout point époustouflant !

Hoka Hey! figure dans la sélection des albums en lice pour le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023

Eric Guillaud

Hoka Hey!, de Neyef. Rue de Sèvres Label 619. 22,90€