Des tournages maudits, il y en a eu quelques-uns depuis que le cinéma existe mais des comme celui-ci, rarement. Apocalypse now est entré dans la légende bien avant de rejoindre les salles obscures. Florent Silloray nous raconte cette incroyable aventure dans un roman graphique relativement captivant…
Si le film est en lui-même une légende, son tournage ne l’est pas moins. Et ni Francis Ford Coppola, ni les acteurs, ni les techniciens ne pouvaient se douter de ce à quoi ils allaient être confrontés lorsqu’ils s’envolèrent en 1976 pour la jungle philippine où les plateaux de tournage avaient été établis.
Outre des problèmes récurrents de financement, Coppola dut se résoudre à changer son acteur principal au bout de quelques jours, remplaçant Harvey Keitel qu’il ne trouvait pas bon par Martin Sheen, lequel fit un arrêt cardiaque peu après. Ajoutez à cela des hélicoptères empruntés au dictateur Ferdinand Marcos, qu’il fallait repeindre aux couleurs de l’armée américaine le matin et philippine le soir, un Marlon Brando qui débarque sur le tournage sans avoir jeté un œil sur le script et avec quelques kilos en trop, un typhon qui détruit les décors et un Dennis Hopper ingérable, bref tout était réuni pour que ce film reste à l’état d’ébauche. Le tournage dura 16 mois au lieu des 6 semaines prévues et le budget passa de 13 à 30 millions de dollars. La légende est à ce prix !
À travers le regard d’un personnage fictif, Sarah Evans, jeune attachée de production fraîchement diplômée et embauchée pour le film, Florent Silloray nous plonge au coeur de ce tournage dantesque montrant à quel point la folie n’était jamais loin de s’abattre sur toute l’équipe et bien sûr sur son réalisateur de génie, Francis Ford Coppola.
Bien évidemment, les cinéphiles avertis n’apprendront rien ici, tout ayant été dit et redit depuis des décennies, notamment dans le documentaire d’Eleanor Coppola, Au cœur des ténèbres, l’apocalypse d’un metteur en scène. Les autres y découvriront une foule d’anecdotes plus effarantes les unes que les autres et peut-être une autre époque, une autre façon de faire du cinéma. Enfin, tous pourront apprécier l’approche graphique de Florent, un mixe de crayons de couleur et d’aquarelle qui restitue parfaitement cette atmosphère oppressante, écrasante, de la jungle telle qu’on peut la retrouver dans le film. Il manque juste le son et notamment la fameuse rotation des pales d’hélicoptères. Mais elles tournent encore dans nos têtes…
Eric Guillaud
Un tournage en enfer, Au coeur d’Apocalypse now, de Florent Silloray. Casterman. 24€