13 Nov

Les Voyages d’Anna : une réédition augmentée du carnet de voyages d’Emmanuel Lepage

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Je vous présentais il y a quelques semaines ici-même Les Voyages d’Ulysse, un livre absolument somptueux d’Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet publié par le galeriste Daniel Maghen. Un livre de 272 pages qui nous embarquait à bord du navire L’Odysseus pour un voyage à la croisée de la mythologie grecque, de la peinture, de la littérature et de la bande dessinée. Ce nouvel album, Les Voyages d’Anna, n’en est pas la suite mais plus exactement le début du récit, il s’agit d’une réédition enrichie d’un ouvrage paru il y a une dizaine d’années…

Tout a commencé ici dans les pages de ce livre paru en 2005. Une histoire d’amour extraordinaire qui nous entraîne de Venise à l’Île de Pâques en passant par la Guinée espagnole, le Cameroun, le Mexique, le Pérou et même l’Antarctique. On y retrouve le peintre Jules Toulet et sa muse, Anna, par l’entremise de leur correspondance. 120 pages d’illustrations au crayon, à l’encre, à l’aquarelle, des esquisses aussi… et des lettres d’amour d’une beauté incroyable pur un carnet de voyages singulier.

Aux pinceaux et à la plume, deux Bretons, Emmanuel Lepage qui nous a déjà ébloui de son talent de dessinateur- voyageur avec des livres tels que Printemps à Tchernobyl ou Voyage aux îles de la désolation, et Sophie Michel, professeur de français. A noter également le remarquable travail sur l’album de Vincent Odin, conseiller artistique.

Si vous avez craqué récemment pour Les Voyages d’Ulysse, et apparemment vous êtes nombreux, alors il n’y a aucune raison pour que vous ne craquiez pas pour celui-ci. Les deux sont indissociables… et d’une très grande beauté !

Eric Guillaud

Les voyages d’Anna, d’Emmanuel Lepage, Sophie Michel et Vincent Odin. Editions Daniel Maghen. 29€

12 Nov

À tous les coups c’est Spirou! : Le retour du grand dessinateur Alec Severin chez Dupuis

Capture d’écran 2016-11-11 à 15.45.37Nous étions quelques-uns à nous demander où il était passé. Alec Severin, aka Al Severin, aka Al, était et est encore une référence dans le milieu de la BD malgré une production ultra-confidentielle et une absence du catalogue des grands éditeurs depuis une grosse vingtaine d’années. Mais, Alec Severin est finalement de retour chez Dupuis avec un album qui revisite l’univers de Spirou…

« Je ne veux pas faire de la BD comme on la conçoit aujourd’hui », avait-il déclaré en 2008 dans une interview accordée au site actuabd.com. Et d’annoncer sa décision d’arrêter la BD ! Ce qu’il ne fît heureusement pas. Depuis des années déjà, l’artiste se faisait rare, absorbé par son engagement religieux. Alec Severin est témoin de Jéhovah.

Absorbé par la religion et par l’édition, avec son propre label sous lequel il a publié  plus d’une vingtaine d’ouvrages aux tirages confidentiels et aux formats très variés, parfois fantaisistes comme Bill Rocket, de la taille d’un timbre poste, tiré à 26 exemplaires signés et dotés d’un ex-libris. Une BD à lire à la loupe.

L’édition. Un amusement, une passion, plus qu’un métier pour ce très grand dessinateur qui qualifie son style graphique d’académique.

Avant ses expérimentations éditoriales, Al Severin avait signé quelques albums clés comme Lisette chez Delcourt, A Story of War chez Michel Deligne, Big Cosmos chez Cosmos Comics, La Machine à explorer le temps et Harry sauve la planète aux éditions Lefrancq…

Un style, une marque, un esprit qui marqua pas mal de lecteurs et dessinateurs.

Et le revoici, donc, en très très grande forme avec ce magnifique album à l’italienne, À tous les coups, c’est Spirou!, réunissant quatre récits complets, des aventures humoristiques à l’atmosphère savoureusement rétro, au dessin d’une souplesse incroyable, aux visages d’une expressivité remarquable et aux personnages féminins d’une très grande sensualité. Il y a du génie dans l’air !

Eric Guillaud

À tous les coups, c’est Spirou!, de Al. Éditions Dupuis. 20,50€

© Dupuis / Al

© Dupuis / Al

11 Nov

13/11 reconstitution d’un attentat : la chronologie des événements du 13 novembre à Paris par Anne Giudicelli et Luc Brahy chez Delcourt

9782756083810_cgIl fallait s’en douter. À l’approche de la date anniversaire, les documentaires consacrés à la nuit tragique du 13 novembre 2015 allaient fleurir pareillement aux tombes des nombreuses victimes. À la télévision bien sûr mais aussi en bande dessinée, vecteur privilégié du reportage depuis quelques années maintenant. 13/11 Reconstitution d’un attentat est l’un d’entre-eux. Pas de révélations fracassantes mais un angle singulier que la BD permet peut-être plus facilement que tout autre, à la fois factuel et critique, chronologique et global…

Un an déjà. Et des images qui ne nous quittent pas, qui ne nous quitteront jamais. Le Bataclan, les terrasses, le Stade de France, tous ces morts, tous ces blessés, ces cris, ces pleurs. Un an déjà et le Bataclan rouvre ses portes avec un concert de Sting. Une victoire de la liberté sur l’obscurantisme, mais pour combien de temps ? Depuis Charlie Hebdo, nous savons tous très bien que les terroristes peuvent frapper n’importe où, n’importe quand, et surtout là où on les attend le moins.

Comme précisément cette nuit du 13 novembre. Pourquoi cette terrasse et pas celle d’à côté ? Pourquoi ce jeune-homme et pas cette femme ? Pourquoi le Stade de France et le Bataclan ? L’album 13/11 Reconstitution d’un attentat ne répond pas à ces questions directement mais décrit de façon très minutieuse la chronologie des attentats ainsi que leur préparation.

© Delcourt / Brahy & Giudicelli

© Delcourt / Brahy & Giudicelli

Mais le récit ne s’arrête pas là. Anne Giudicelli, éminente spécialiste française du terrorisme au Moyen-Orient et au Maghreb, auteure de plusieurs ouvrages sur la question, et Luc Brahy, dessinateur notamment de Zoltan, Cognac et de Complot, nous entraînent dans les coulisses du pouvoir, mettant en images la responsabilité de nos dirigeants dans cette situation de guerre, avec un François Hollande déterminé – ou fortement conseillé – à  poursuivre les frappes contre Daesh sur le sol Syrien, et un Bachar Al-Assad au jeu ambigu. « Je voulais montrer… », déclare Anne Giudicelli dans une interview accordée au site du Figaro, « que l’évolution des positions françaises sur le conflit syrien a contribué non pas à avancer dans la lutte contre le terrorisme mais au contraire à nous exposer davantage et à entraîner plus encore de pertes civiles ».

Les auteurs reviennent aussi sur une visite de parlementaires français en Syrie le jour même des attentats, une visite de fait un peu passée inaperçue ou volontairement tombée dans les oubliettes de l’histoire.

© Delcourt / Brahy & Giudicelli

© Delcourt / Brahy & Giudicelli

Confidences, témoignages, éléments d’enquête… 13//11 Reconstitution d’un attentat est le fruit d’un remarquable travail d’investigation et de documentation. De son côté, le graphisme de Luc Brahy, sobre et réaliste, apporte une force et une certaine forme de retenu au récit. 124 pages pour comprendre ce qui s’est passé ce 13 novembre. Un témoignage pour les générations futures!

Eric Guillaud

13/11 Reconstitution d’un attentat, de Anne Giudicelli et Luc Brahy. Editions Delcourt. 14,50€

08 Nov

ABBA cherche Frida : un album complètement pop de Maarten Vande Wiele aux éditions Vraoum!

Capture d’écran 2016-11-07 à 22.46.42Faut-il être complètement raide dingue du légendaire groupe de pop suédois pour apprécier ce livre de Maarten Vande Wiele? Non, absolument pas, même si ABBA cherche Frida raconte l’histoire d’une jeune femme pétillante et moderne qui répond à la petite annonce d’un groupe de reprises cherchant désespérément une chanteuse et nous plonge du même coup dans ce qu’on appelle l’ABBA Revival, un phénomène qui dure depuis des décennies en Europe et même au-delà…

Une petite annonce qui va tout de même changer la vie d’Anne-Lène. La jeune femme travaillait jusqu’ici dans la mode. Du moins, c’est ce qu’elle affirme en société. La vérité est qu’elle plie des fringues toute la journée. Rien de très sexy, un travail alimentaire bien loin du monde du show-biz. Alors forcément, lorsqu’elle découvre cette annonce « ABBA cherche Frida », Anne-Lène s’empresse d’y répondre. Frida, c’est Anni-Frid Lyngstad, la brune du groupe ABBA. Et ce sera elle dorénavant ! Après tout, elle a fait le conservatoire et a déjà chanté avec les Dizzy Jazzers dont la notoriété – il est vrai – n’a jamais dépassé les murs du local de répétition. Mais peu importe, cette fois, Anne-Lène est bien décidée à se donner à fond, à faire vivre ou plutôt revivre les chansons d’ABBA. Ring ring, Voulez vous, Dancing Queen, Money Money Money, Super Trouper, Waterloo, ou Honey Honey… autant de tubes qui tournent en boucle depuis les années 70, qui ont marqué sa jeunesse et – sans forcément le souhaiter – la nôtre.

Et la voici projetée dans cette nouvelle aventure. Le groupe s’appelle Honey Honeys, en référence à un titre du répertoire d’ABBA. Il rencontre très rapidement le succès. Comme ABBA ! Le succès ET les problèmes de coeur qui le mèneront aussi rapidement à sa chute. Comme ABBA !

À l’image de l’univers du groupe, cet album regorge de vie, de fraîcheur, d’humour et de couleurs, ABBA cherche Frida met du baume au cœur et c’est bien là le principal.

Eric Guillaud

Abba cherche Frida, de Maarten Vande Wiele. Éditions Vraoum!. 20€

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06 Nov

Carte blanche pour un bleu : la soixantième aventure des Tuniques Bleues signée Lambil et Cauvin

1507-1Oui, vous avez bien lu, Carte blanche pour un bleu est la soixantième aventure des Tuniques Bleues. Il fallait marquer le coup, les auteurs l’ont fait avec un récit qui nous invite à remonter le temps et les albums…

Soixante albums, ça en fait des balles et des batailles perdues, des morts au champ d’honneur et des gueules cassées. Et comme souvent, cette présente aventure s’ouvre par un plan large sur une nouvelle tragédie : des hommes à terre, des canons qui fument et des brancardiers affairés à sauver les rares survivants.

Blutch s’en est bien tiré, son cheval a fait un malaise au moment de charger. Classique ! Mais Chesterfield, lui, est dans un drôle d’état. Pas de blessure apparente mais un traumatisme crânien qui l’a rudement secoué. Depuis, il ne bouge plus, il est sourd et muet. Un légume quoi !  Pour le sortir de là et lui éviter l’exclusion de l’armée, une seule solution : provoquer un électrochoc en lui faisant revivre des situations qui l’auraient marqué dans le passé . Blutch, son complice de toujours, a 30 jours pour le rendre à la vie…

Soixante aventures, quarante-huit ans de vie commune pour le caporal Blutch et le sergent Chesterfield et 1507-1-1toujours ce même humour accompagné d’un soupçon d’antimilitarisme, la série des Tuniques Bleues est une référence dans le monde du Neuvième art. La preuve, dix-neuf auteurs et pas des moindres ont accepté de s’emparer des héros de Lambil et Cauvin le temps d’une histoire courte. Bodart, Clarke, Lapière, Munuera, Schwartz, Zidrou… et Blutch qui tire son nom de la série, sont au sommaire de ce véritable livre-hommage intitulé Des histoires courtes des Tuniques Bleues par.

Dix-neuf auteurs, autant de styles mais une passion identique pour ces deux personnages et cet univers créés en 1968. « Ce qui m’avait surtout saisi, dès la première lecture… » explique Blutch, « c’est que les personnages mourraient. Ça les plaçait sur une trajectoire fragile. Je me disais qu’il pouvait arriver n’importe quoi. J’étais vraiment attaché à Blutch et à Chesterfield, parce qu’il y avait justement une incertitude qui planait sur eux ». Une série patrimoniale et toujours dans la coup !

Eric Guillaud 

Carte blanche pour un bleu, Les Tuniques Bleues (tome 60), de Lambil et Cauvin. Editions Dupuis. 10,60€

Des histoires courtes des Tuniques Bleues par…, collectif. Editions Dupuis. 19€

04 Nov

Jamais je n’aurai 20 ans : Jaime Martin raconte la guerre d’Espagne et le franquisme à travers l’histoire de ses grands-parents

album-cover-large-31044Le Convoi, Dolorès, La Nueve, Nuit noire sur Brest, Le Recul du fusil, No pasarán… nombreux sont les albums qui, depuis quelques années, s’intéressent directement ou indirectement à la guerre civile espagnole. Mais jamais, je pense, récit n’avait été aussi fort que celui-ci, aussi fort et éclairant sur les divisions profondes qui ont entraîné le peuple espagnol dans la spirale de la guerre…

Et ce récit-là, Jamais je n’aurai 20 ans, est celui de Jaime Martin, basé sur la vie de ses grands-parents, Isabel et Jaime Benitez. Isabel aurait dû fêter ses 20 ans le 19 juillet 1936 mais la veille, le 18 juillet, les troupes du général Franco renversent le jeune gouvernement espagnol républicain. Isabel, qui fréquente alors une bande d’anarchistes, est obligée de quitter sa ville natale Melilla, ses parents, sa jeunesse, ses rêves. Jamais, elle n’aura 20 ans mais elle survivra, contrairement à beaucoup de ses amis, assassinés par les forces nationalistes.

Direction la banlieue de Barcelone encore sous le contrôle des Républicains. Plus pour très longtemps ! La guerre civile, longue de trois années, ne laissera rien ni personne intact. Les morts se comptent par centaines de milliers, les villes sont ravagées, les bombardements visent pour la première fois des civils… L’Espagne est devenu un champ de bataille où s’affrontent toutes les idéologies de l’époque, telle une répétition générale de la Seconde guerre mondiale.

© Dupuis / Martin

© Dupuis / Martin

Mais la guerre n’empêche pas l’amour. Isabel rencontre Jaime, un combattant républicain, avec qui elle choisira de partager sa vie à la fin de la guerre. Ensemble, ils tentent de survivre dans l’Espagne franquiste et de faire oublier leur passé en travaillant durement. Une vie de misère à recycler des bouteilles et flacons vides récupérés dans les poubelles des quartiers chics où on a encore la chance de boire du champagne et de se parfumer.

Dans une Espagne où on ne sait plus très bien qui était avec qui pendant la guerre, où le voisin de pallier, le boulanger du quartier, l’ami d’enfance, peut vous dénoncer, une Espagne où les familles se sont profondément déchirées, où les différents clans se sont haïs et entre-tués sauvagement, le traumatisme est abyssal. Et malheureusement, la fin de la guerre ne marque pas la fin des exactions. Dans cette atmosphère sinistre, Isabel et Jaime fondent un foyer, un refuge pour eux et leurs filles, et se concentrent sur le développement de leur activité…

Ce n’est pas la première fois que Jaime Martin aborde cette thématique du franquisme. Déjà, dans Les Guerres silencieuses, il raconte le service militaire de son père dans le Sahara espagnol et, au-delà, la jeunesse de ses parents dans l’Espagne des années 50, une Espagne tenue d’une main de fer par les institutions, l’armée, la religion. Avec Jamais je n’aurai 20 ans, l’auteur ne fait pas que montrer l’horreur de la guerre, il raconte la vie de ceux qui n’ont pas choisi l’exil au bout du compte et ont dû courber l’échine jusqu’à la mort de Franco en 1975. Un récit passionnant au trait réaliste simple et séduisant ! 

Eric Guillaud

Jamais je n’aurai 20 ans, de Jaime Martin. Éditions Dupuis. 24€

Extrait d’une interview de Jaime Benitez réalisée en 2004 par l’auteur et illustrée de ses dessins

02 Nov

Les Utopiales 2016 : le palmarès complet

© Bajram

© Bajram

Comme chaque année, les Utopiales ont décerné une quinzaine de prix, mentions et coups de coeur reflétant la grande richesse de la science-fiction et la multiplicité des talents, que ce soit en littérature, cinéma, jeu vidéo ou bande dessinée.

Prix du meilleur album de bande dessinée

Nefer, Chants & contes des premières terres, de Arnaud Boutle, Éd. Delcourt, 2015

Prix du meilleur scénario de jeu de rôle

« Un été en hiver » pour le jeu L’appel de Cthulhu/Delta Green de Jean-Marc Choserot et Cyril Puig

Prix du meilleur jeu vidéo réalisé à la Game Jam

Rémi Gourrierec, Raphaël Beuchot, Michel Belleperche, Louis Godart

Prix du jury – compétition internationale de courts-métrages

Ex-aequo Time Rodent de Ondrej Svadlena et Amo de Alex Gargot

Mention spéciale du jury – compétition internationale de courts-métrages

Decorado de Alberto Vásquez

nefer-chants-amp-contes-des-premieres-terresPrix du jury Canal+ – compétition internationale de courts-métrages

Planemo de Veljko Popovic

Prix du public – compétition internationale de courts-métrages

Automatic Fitness de Alejandra Tomei

Grand prix du jury – Compétition internationale de longs-métrages

Realive de Mateo Gil

Mention spéciale du jury – Compétition internationale de longs-métrages

Sam Was Here de Christophe Deroo

Prix du public – Compétition internationale de longs-métrages

Realive de Mateo Gil

Prix Joël-Champetier (prix hébergé par Les Utopiales)

Olivier Paquet pour Graine de fer

Prix Utopiales européen jeunesse

Empreinte Digitale de Patrice Favaro, Éd. Thierry Magnier, 2016

Prix Utopiales européen jeunesse – mention spécialerealive-1

Les copies de Jesper Wung-Sung, Éd. Le Rougue Jeunesse, 2015

Prix Utopiales européen

Le vivant de Anna Starobinets, Mirobole Éditions

Prix extraordinaire des Utopiales 2016 – Double prix

Gérard Klein et Denis Bajram

Prix Solo – concours de Cosplay

Mercy pour Overwatch

Prix de groupe – concours de cosplay

Yona et Son Hak pour Akatsuki no Yona

Prix Coup de coeur – concours de cosplay

Columbia pour Rocky Horror Picture Show

31 Oct

« Tsiganes » : une BD de Kkrist Mirror pour raconter l’histoire du camp d’internement de Montreuil-Bellay

Capture d’écran 2016-10-30 à 18.35.08« La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés ». Cette phrase ne date pas de l’après-guerre mais de 2016, du 29 octobre dernier pour être précis, une phrase extraite du discours de François Hollande sur le site même de l’ancien camp d’internement de Tsiganes de Montreuil-Bellay dans le Maine-et-loire. Il aura donc fallu 70 ans après la libération des derniers tsiganes internés pour que la France reconnaisse enfin leurs souffrances. 

Le camp de Montreuil-Bellay n’était pas le seul, il y en avait une trentaine en tout, mais il était le plus grand de France. Plus de 6500 hommes, femmes et enfants y ont été internés « pour le seul motif d’avoir été identifiés comme tsiganes par les autorités allemandes et françaises », précise l’archiviste-historienne Marie-Christine Hubert dans un dossier complet accompagnant l’album.

« On est pas des étrangers, ch’uis français comme toi, plus que toit p’têt ! », lâche un Tsigane au policier venu l’arrêter. Dans cet album en noir et blanc, au trait charbonneux et expressif, Kkrist Mirror raconte le quotidien de ces Tsiganes, la faim, le froid, les humiliations, la mort parfois. Il raconte aussi avec cette grande connaissance qu’il a de ces populations leur obstination à préserver leur identité et leur dignité. Et conserver l’espoir ! L’espoirs d’une libération qui n’interviendra finalement pas en 1945, comme on aurait pu s’y attendre, mais en 1946, quasiment un an après la fin de la guerre. Sous l’occupation comme à la Libération, les Tsiganes étaient encore considérés comme un danger pour la défense nationale et la sécurité publique !

Et ces scènes incroyables que Kkrist Mirror met en images dans sons livre, des collaborateurs et des soldats de l’armée allemande internés aux côtés des Tsiganes à la fin de la guerre.

Préfacé par Serge Klarsfeld, l’album de Kkrist Mirror est non seulement « exemplaire » comme l’écrit l’avocat et président des fils et des filles des déportés juifs de France, mais il est essentiel pour la mémoire collective, pour ce passé qu’on aurait aimé ne jamais voir et qu’on doit aujourd’hui assumer.

Eric Guillaud

Tsiganes, une mémoire française 1940 -1946, de Kkrist Mirror. Éditions Steinkis. 17€

© Steinkis / Kkrist

© Steinkis / Kkrist

29 Oct

Captain Tébo se fait un Mickey chez Glénat

Couv_288938Il faut quand même être sacrément balèze pour s’attaquer à Mickey. C’est du lourd. Du très très lourd. Mais Tébo n’est pas du genre à avoir peur d’une légende. Peut-être un peu des araignées et des fourmis mais jamais des légendes.  Ce beau et jeune Caennais – si si  –  est suffisamment musclé des doigts et du cerveau pour se jeter dans une aventure comme celle-ci et en revenir entier. A l’arrivée, même pas mal le Tébo et un bel album qui sent bon la postérité…

Un dos toilé bleu, un papier au grammage respectable, le Mickey de Tébo à des allures d’album à l’ancienne. Mais à l’intérieur, le ton est résolument moderne. Moderne dans le trait, moderne dans le texte et dans l’esprit. Une loufoquerie à la Tébo où l’on découvre un Mickey âgé, avec barbe blanche, rides sur le crâne et grosses lunettes sur le museau. Un Mickey retraité qui a la mémoire qui flanche et la vue qui baisse mais qui aime raconter à son arrière-petit-neveu, Norbert, ses aventures de jeune héros. Et de le découvrir dans l’Ouest sauvage à la recherche d’un trésor, prisonnier d’un chat psychopathe dans le Bayou, aviateur pendant la première guerre mondiale, astronaute et même trafiquant de chocolat pendant la prohibition.

Après Cosey, Keramidas, Trondheim, le papa de Captain Biceps, de Samson et Néon et de plein d’autres beaux albums nous offre un Mickey qui décoiffe, un Mickey bourré de légèreté, d’humour et d’aventure. Et ça fait du bien en ce moment !

Eric Guillaud 

La jeunesse de Mickey, par Tébo. Editions Glénat. 17 €

27 Oct

Autel California Face B : Nine Antico explore les années sexe, drogue, rock’n’roll & groupies

1507-1Nine Antico a toujours eu deux passions, le dessin et le rock, auxquelles on pourrait ajouter les parcours de femmes libérées dans un monde encore soumis au diktat des hommes. Après Coney Island Baby qui racontait la vie de la pin-up Betty Page et de l’actrice porno Linda Lovelace, Autel California Face A et maintenant Face B nous entraîne dans l’univers des Girls Together Outrageously, autrement dit les GTO’s, une bande de groupies qui sévit dans les années 60/70 aux Etats-Unis…

Une bande de groupies et l’un des premiers groupes purement féminin, produit par Frank Zappa ! Mais avant de monter sur scène, une anecdote dans l’histoire du rock, cette bande de filles fit ses armes en coulisses dans l’ombre et souvent dans les bras des plus grands musiciens rock de l’époque, de Brian Jones à Jim Morrison, en passant par Jimmy Page, Frank Zappa ou Jimi Hendrix.

Pour raconter cette histoire musicale en deux volumes, Face A et Face B comme il se doit, Nine Antico s’est inspirée de Confessions d’une groupie, l’autobiographie de Pamela Des Barres qu’elle appelle Bouclette dans son récit, une jeune Californienne considérée comme l’une des plus célèbres groupies de l’histoire du rock. Elle collectionnait les amants musiciens comme d’autres collectionnent les disques, avec une volonté farouche de vivre la musique au plus près, de l’intérieur, quitte à payer de son âme et de son corps.

© L'Association / Antico

© L’Association / Antico

Mais Nine Antico est allée bien au delà de cette autobiographie en racontant des événements qui en sont totalement absents, notamment l’assassinat de Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, par le gourou Charles Manson et ses sbires. Pamela n’était pas présente sur les lieux du crime mais, pour Nine Antico, cet événement est très important. Nous sommes en 1969, il marque en quelques sortes le début de la fin de la vague hippie en Californie, en tout cas la fin d’une certaine insouciance. La couverture de l’album est une photo de presse aérienne du 10050 Cielo Drive, le lieu du massacre.

Outre le meurtre en lui-même, Nine Antico met en scène la rencontre de son héroïne avec trois jeunes illuminées protestant contre l’arrestation de Charles Manson. « S’il est condamné à mort, nous nous immolerons », préviennent-elles. Une soumission absolue qui nous ramène à celle de Bouclette, à la fois muse et adulatrice des gourous de la musique.

© L'Association / Antico

© L’Association / Antico

Ces groupies étaient-elles des femmes libérées ou soumises ? C’est l’une des questions que pose ce récit. Peut-on être aux pieds d’un homme, le vénérer à l’extrême et conserver – voire gagner – sa liberté ? C’est toute l’ambiguïté de ces groupies qui comme Pamela sont prêtes à tout pour vivre leur passion amoureuse et musicale. « Ce qui m’intéresse… », confiait l’auteure dans une interview accordée aux Inrockuptibles au moment de la sortie du premier tome, « C’est que ça pose des questions : quelle féministe es-tu quand tu es amoureuse ? Quelle force as-tu quand l’amour te rend vulnérable ? Quelle est ton identité quand tu es dans l’adoration de ce que fait quelqu’un, mais que toi-même tu ne fais rien ? Es-tu muse, es-tu fan, as-tu le droit d’exister ? »

© L'Association / Antico

© L’Association / Antico

Les années passent et avec elles l’insouciance des toute une jeunesse. Bouclette finit par ranger ses posters, sa poupée Barbie, et rendre sa chambre d’enfant à ses parents. Elle doit se marier avec un musicien. Elle est amoureuse. Une autre vie commence…

Jimmy Page, Mick Jagger, Keith Moon, Gram Parsons, Waylon Jennings… autant de noms qui rythment la vie de Bouclette et les pages de cet album. Le rock vit alors ses plus belles et ses plus folles années. Nine Antico nous en fait partager toute l’exubérance, toute l’énergie créatrice. Un roman graphique d’une richesse incroyable pour tous ceux qui aiment le rock, l’amour, la vie…

Eric Guillaud

Autel California Face A, Treat me nice, de Nine Antico. Éditions L’Association. 19€

Autel California Face B, Blue moon, de Nine Antico. Éditions L’Association. 19€