25 Mar

Thor : le massacreur de dieux ou lorsque le héros de Marvel lutte pour sa survie et celle des siens avec une fougue wagnérienne

Déjà, rien que le titre et la couverture – où le fils d’Odin paraît menaçant avec du sang jusqu’aux genoux – tranchent avec les standards Marvel. Alors certes, cela fait déjà une bonne décennie (ou deux) que l’auguste super écurie à super-héros a décidé de prendre un ton plus ‘adulte’. Mais les sagas (c’est-à-dire une longue histoire qui s’est étalée initialement sur onze numéros) de l’acabit de ce Massacreur de Dieux impressionnant se comptent sur les doigts d’une main. Mais là, la barre est haute.

Ce qui fait la différence ici, c’est la présence de non pas un mais bien deux auteurs à part entière – on laisse de côté les quelques planches dessinées ici par Jackson Guice largement un créneau en dessous. Soit le scénariste Jason Aaron et surtout le dessinateur croate Esad Ribic : d’une cruauté et en même d’un mysticisme flamboyant, l’histoire inventée par le premier n’aurait jamais eu la même résonnance si elle n’avait pas été illustrée avec autant de maestria. Clairement influencé par les images viriles et épiques du grand Frank Frazetta mais aussi par Philippe Druillet, le trait étonnement fluide et en même temps puissant de Ribic, ainsi que son encrage très contrasté, est assez unique, successivement plein de couleurs puis très clair-obscur, où le mal sous-jacent est plus suggéré que montré.

Sous sa plume, les Dieux sont tour-à-tour suprêmes et pathétiquement humains, fragiles mêmes alors que le grand méchant Gorr apparaît aussi torturé qu’effrayant. C’est souvent dramatique mais jamais trop théâtral ou larmoyant. Alors certes, il y a du sang, beaucoup même, mais jamais la violence n’y paraît vraiment glorieuse, chaque personnage apparaissant presque comme désespéré car se battant pour une cause, semble t’il, perdue d’avance.

© Marvel/Panini Comics -Jason Aaron, Esad Ribic et Jackson Guice

Il faut dire que le point de départ est osé : Thor découvre qu’un être mystérieux décime avec sadisme à travers les galaxies et les âges les dieux de tous les mondes existants et part à sa recherche, bien décidé à l’empêcher de tuer tous les siens. Par la magie des paradoxes temporels, sa route finit par croiser celle de deux autres de ces incarnations, une première juvénile et bouillonnante, et l’autre vieille et usée mais bien décidée à relever une dernière fois la tête. C’est qu’il n’en faut pas moins de trois Thor pour oser affronter le massacreur de dieux…

© Marvel/Panini Comics -Jason Aaron, Esad Ribic et Jackson Guice

Au-delà du fait que le héros passe les trois quarts du volume à voir les autres se faire massacrer sans pouvoir rien faire et à douter de lui-même, la saga pose en filigrane une question quasi-philosophique : que serait un monde sans dieux, où l’homme serait seul responsable a priori de ses actes ? Ribic et Aaron ont leur réponse mais évitent d’être trop manichéens et n’oublient jamais de savamment doser l’intensité dramatique. Pour obtenir au final l’un des plus belles et meilleures sagas Marvel de ces dernières années, cruelle et terriblement belle qui révèle au passage un dessinateur qui avait déjà fait ses preuves, certes, sur Secret Wars ou Loki (avec, déjà, le dieu du tonnerre) mais qui gagne ici pour de bon ses galons de futur mégastar du genre.

Olivier Badin

Thor : le massacreur de dieux, de Jason Aaron, Esad Ribic et Jackson Guice, Marvel/Panini Comics, 30 euros

23 Mar

Mai 68 : La Veille du grand soir, une BD historique signée Rotman et Vassant

Quoi de mieux qu’un beau pavé pour célébrer les cinquante ans de mai 68, un beau pavé de 192 pages et d’un peu plus de 800 grammes signé Patrick Rotman et Sébastien Vassant, conjointement édité par les éditions Delcourt et Seuil. Retour sur des événements qui ont façonné la société française…

L’imagination au pouvoir, sous les pavés la plage, la beauté est dans la rue…

Que reste-t-il de mai 68 à part ces slogans que tout le monde connaît ? Pas mal de choses finalement. À l’instar des deux guerres mondiales, de la guerre d’Algérie ou encore de l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, les événements de mai 68 ont façonné la société française, ils ont même laissé dans la mémoire collective une onde de romantisme révolutionnaire encore vivace aujourd’hui.

Historien, auteur, réalisateur et scénariste, Patrick Rotman a  vécu les événements de 68 aux premières loges. Il était alors étudiant à la Sorbonne. Depuis, il les a racontés à plusieurs reprises dans des livres, des films et aujourd’hui, pour la première fois, en BD. Avec une double approche explique-t-il en ouverture du récit : « L’une faite de vécu, de souvenirs personnels, nourrie d’anecdotes et de dialogues pris sur le vif. L’autre relève d’une démarche distancée et historique. Le résultat est ce récit du mois de mai en bas et en haut, dans la rue et au sommet du pouvoir, dans la Sorbonne occupée et à l’Elysée aux abois, chez Renault en grève et à Matignon à la manoeuvre ».

La Veille du grand soir n’est pas un livre d’histoire au sens strict du terme, d’autant que Patrick Rotman a injecté une petite part de fiction en mêlant à la réalité des faits une poignée de personnages imaginaires. Mais il relève plutôt bien le mécanisme qui a poussé la jeunesse puis les ouvriers, les employés, les fonctionnaires… dans la rue. Plus qu’une révolte, Sire, c’est une crise existentielle qui secoue le pays.

De Gaulle, Pompidou, Cohn-Bendit, Krivine, Weber, les ouvriers de Renault… et les étudiants bien évidemment, Patrick Rotman et Sébastien Vassant dont on relèvera l’excellent travail graphique nous glissent aux côtés des principaux protagonistes des événements avec une seule volonté pour Rotman : offrir en BD « le récit des journées de mai à Paris, vues par les yeux d’un très jeune étudiant dont tout ressemblance avec l’auteur de ces lignes ne pourrait être qu’accidentelle ». Et de ce côté-là, c’est plutôt bien réussi !

Eric Guillaud

La Veille du grand soir, Mai 68, de Patrick Rotman et Sébastien Vassant. Delcourt. 24,95€

© Delcourt / Rotman & Vassant

18 Mar

La Ballade des dangereuses, journal d’une incarcération, une BD signée Delphine et Anaële Hermans d’après une histoire vécue par Valérie Zézé

À quelques lettres près, cette histoire-là aurait pu s’appeler La Balade des gens heureux. Encore aurait-il fallu des gens heureux parmi les protagonistes. Valérie Zézé, l’héroïne de Delphine et Anaële Hermans, appartiendrait plutôt à la catégorie dite des dangereuses, ces femmes qu’on enferme pour ne pas avoir respecter les règles de la société…

C’est une histoire vraie que nous racontent les soeurs Delphine et Anaële Hermans, l’histoire d’une femme, Valérie Zézé, professeur de français, qui se retrouve un beau jour embarquée dans une spirale infernale qui pourrait se résumer en trois mots : drogue, vols, prison.

Vingt-neuf flagrants délits de vol à son actif avec une méthode simple mais éprouvée : se laisser enfermer le soir venu dans un magasin et se servir. Parfois ça marche, parfois pas. Comme cette fois…

Deux policiers la surprennent dans un magasin, son butin dans une valise : des bouteilles de parfum.

Le récit commence le jour de son incarcération à la maison d’arrêt de Berkendael en Belgique. Valérie Zézé, numéro d’écrou 4827, n’y arrive pas en territoire inconnu. C’est la neuvième fois qu’elle y est incarcérée. Une habituée en somme… mais une habituée qui ne s’habitue pas ! Sur le trajet qui l’emmène vers le prison, Valérie photographie tout ce qu’elle voit…

Emmagasiner un maximum de belles images de l’extérieur, les mettre à l’abri dans ma mémoire. Ce sera mon petit palais, où je pourrais me réfugier

Si elle connaît les moindres recoins de la prison de Berkendael, chacun de ses séjours nécessite une lente et difficile réadaptation à l’atmosphère général, aux gardiennes et aux détenues, au bruit des clefs dans les serrures, à la promiscuité des cellules, il faut se refaire un masque, reprendre les attitudes qui la feront respecter des autres… et surtout faire face au manque.

Pas de coke en prison, juste quelques joints, pas de quoi en tout cas éviter les pétages de plomb !

Cela fait un mois et demi que je n’ai pas consommé de coke. Le manque me prend aux tripes. Ma seule manière de desserrer son emprise est de le transformer en colère

Et puis il y a ce fils resté dehors qui privilégie les visites au parloir à ses études, jusqu’à les arrêter totalement. Une douleur supplémentaire pour Valérie…

C’est le quotidien de cette incarcération que nous raconte La Ballade des Dangereuses, le quotidien et bien évidemment ce qui l’accompagne forcément mais ne se détecte pas, l’intime, les rêves et les angoisses, les joies et les blessures… Un témoignage tout en finesse et en humanité de ce que peut parfois nous réserver la vie. Une histoire touchante au graphisme aussi léger et fragile que la liberté !

Eric Guillaud

La Ballade des dangereuses, Journal d’une incarcération, de Delphine et Anaëlle Hermans d’après l’histoire vraie de Valérie Zézé. La Boîte à bulles. 20€

© La Boîte à Bulles / Delphine et Anaëlle Hermans – Valérie Zézé

11 Mar

La Dordogne, les grives, les chats… et le voisin Raymond : tout un univers rural décrit avec tendresse par Troubs

790613_01Troubs a l’oeil du poète voyageur. Que ce soit à des milliers de kilomètres de là ou au coeur de notre terroir, l’auteur sait voir et raconter comme personne les gens, la nature, la vie, le quotidien. Après Chemin de pierres et La longue marche des éléphants, il revient avec Mon voisin Raymond, une très belle histoire de proximité…

À l’heure où le monde rural se vide peu à peu de ses habitants et de ses services, Troubs nous invite à partager son amour pour la campagne dordognotte, une année à l’écoute de la nature, des saisons et surtout de son voisin, Raymond.

Raymond vit seul dans sa petite maison, entouré de ses terres, de son potager, de ses arbres et de ses chats. Une vie simple et agréable, parfois rendue un peu plus compliquée lorsqu’il s’agit pour lui de couper et charrier du bois pour son poêle ou de passer le motoculteur entre les rangées de fraisiers. Raymond a 80 ans. Dans ces moments-là, heureusement il y a Troubs qui n’est jamais très loin. « Il n’y a qu’un bout de bois à traverser… », et l’auteur est rendu chez Raymond.

Un café ? Une petite prune ? Et la conversation s’engage entre les deux hommes. Oh rien de bien profond mais tout d’essentiel. L’hiver trop froid, l’été trop sec, les palombes qui s’effraient d’un rien, les salades à semer, les arbres à tronçonner, les ronces qui envahissent les parcelles en friche et les maisons abandonnées…

Avec Troubs et Raymond, on découvre la nature autrement, avec sensibilité, avec respect, avec amour, ici un essaim d’abeilles posé sur un poteau électrique, là un renard chassant le mulot, plus loin une fourmi qui se réchauffe aux premiers rayons de soleil du mois de mars, des grues qui se sont égarées et se disputent. On les accompagne aux champignons, on prépare des bocaux de pêches, on cuisine… Les jours passent, les mois défilent, les saisons se succèdent, Troubs et Raymond continuent leur vie, leurs échanges comme deux voisins, deux amis de toujours.

C’est beau comme du Davodeau, c’est bon comme du Depardon, une balade au coeur de la campagne et du monde paysan avec une touche de poésie et une louche d’humanité. Adoré !

Eric Guillaud

Mon voisin Raymond, par Troubs. Futuropolis. 17€

© Futuropolis / Troubs

© Futuropolis / Troubs

10 Mar

Kill or be Killed : Brubaker et Phillips signent un thriller époustouflant chez Delcourt

killOrBeKilledT1Après Criminal, Incognito, Fatale, Scène de crime et Fondu au noir, le duo de choc Brubaker / Phillips se reforme autour d’un thriller à couper le souffle, noir et sans concession, Kill or be Killed. Tout est dans le titre… ou presque.

Vous payez un loyer pour avoir le droit d’abriter votre petite famille dans une belle maison ? Lui doit payer un loyer pour pouvoir vivre. Un meurtre par mois, au choix : un salopard, un enfoiré, un criminel, un pédophile, le genre de gars qu’on ne peut logiquement regretter.

Lui, c’est Dylan, 28 ans, éternel étudiant, vit en colocation avec sa meilleure amie Kyra dont il est fou amoureux, et affiche une certaine lassitude de la vie, de sa vie, une vie ratée, au point de se jeter un jour du haut d’un immeuble. Mais même son suicide est raté. Il se relève quasi-indemne, comprend que la vie vaut finalement le coup d’être vécue mais se prend un contrat sur le dos : tuer pour continuer à vivre !

Les secondes chances ne sont pas gratuites Dylan… tu dois payer pour la tienne…

Ça ressemble à un cauchemar, en pleine nuit, un démon se glisse dans sa chambre et lui intime l’ordre de tuer quelqu’un qui mérite de mourir, « un par mois, on va appeler ça ton loyer ». Ça ressemble à un cauchemar mais ce n’en est pas un et Dylan va très vite le comprendre. Alors, l’éternel étudiant se métamorphose en un justicier pur et dur…

Un justicier pur et dur mais avec des états d’âme tout de même. Le personnage de Brubaker et Phillips n’est pas un tueur classique, plutôt un tueur malgré lui, ce qui le rend bougrement intéressant à suivre et connaître. Le fait que ce récit soit écrit sous la forme d’un journal intime, avec Dylan comme narrateur, nous permet justement de pénétrer dans son âme.

Tous ceux qui apprécient le travail du tandem Brubaker/Phillips seront aux anges avec ce nouveau récit paru en janvier et dont le deuxième tome est annoncé pour juin 2018. Le scénario très carré, la narration ultra-fluide et inventive, le graphisme racé, les personnages de caractère et les couleurssublimes… tout concourt à en faire un sacré bon bouquin !

Eric Guillaud

Kill or be Killed, de Brubaker, Phillips et Breitweiser. Delcourt. 16,60€

 

© Delcourt / Brubaker, Phillips & Breitweiser

© Delcourt / Brubaker, Phillips & Breitweiser

08 Mar

Black Panther : lorsque Marvel se mettait aux coupes afro et au mysticisme africain

81wumDGGAzLAh, la magie d’Hollywood ! Entre deux méga blockbusters des ‘Avengers’, la désormais industrie bien installée des adaptations cinématographiques de comics tente de plus en plus de lancer des franchises peut-être moins connues du grand public, le carton monumental du premier ‘Deadpool’ prouvant qu’on avait pas forcément besoin d’être un héros connu de tous de 7 à 77 ans pour faire tourner la machine à billets verts à plein régime… Reste que le cas de la ‘Panthère Noire’ est assez atypique car on tient là le premier super-héros issu et à destination de la communauté afro-américaine. Et tant pis si on tient là la xième création du célèbre duo Stan Lee et Jack Kirby, deux blancs de chez blancs. 

Le contexte, ici, fait tout, la panthère noire (‘black panther’ en VO) étant apparue pour la première fois dans un épisode des ‘Quatre Fantastiques’ en 1966, un an après l’assassinat de Malcom X et alors que la lutte pour les droits civiques bat son plein aux Etats-Unis. Surtout, le prince T’Challa n’a pas ‘que’ la peau de couleur noire, il est avant tout non pas américain mais africain et à la tête d’une nation fictive (le Wakanda) dont les ressources minières lui assurent l’indépendance financière et lui permettent d’avoir accès à une technologie dont il se sert pour défendre de nobles causes. Même si initialement il n’est qu’un personnage secondaire un peu hautain et caricatural apparaissant surtout comme un simple faire-valoir, l’obtention de sa propre série en 1972 lui a alors permis de prendre une épaisseur insoupçonné.

© Marvel/Panin

© Marvel/Panini – Don McGregor, Rich Buckler, Billy Graham

Reste qu’en France, malgré le travail des éditions Lug (que tout bon quadra fan de comics connaît forcément), la panthère noire reste un héros très peu connu du public français, surtout avec un sous-texte social qui lui parle peu. Du moins, jusqu’à la sortie du film du même nom qui après seulement deux semaines d’exploitation dans l’hexagone dépassait déjà les deux millions d’entrées !

Ce volume de la série ‘intégrale’ de chez MARVEL France tombe donc à point nommé pour retourner aux sources de son histoire, surtout qu’il contient en plus de treize des dix-huit premiers épisodes la toute première aventure dans laquelle il est apparu dans la série des ‘Quatre Fantastiques’ et sous la houlette de Mister Jack Kirby himself s’il-vous-plaît !

Il permet aussi de rétablir une certaine vérité car passé cette première aventure un peu amidonnée (c’était les 60’s, rappelez-vous, quand les méchants étaient très méchants et les gentils très gentils), on se rend compte qu’une fois à la tête de sa propre série et sous la plume d’abord de Rich Buckler puis de Billy Graham, la panthère noire s’est détaché assez rapidement des standards établis des comics pour s’aventurer sur des terrains nettement plus proches de ceux de la fantasy pure où se bousculent extra-terrestres mais aussi animaux préhistoriques et autres légendes païennes. Et puis T’Challa est ‘black and proud’ comme le chantait James Brown avec coupes afro à gogo, rouflaquettes, bijoux et attitude grande gueule, reflet des bouillonnante 70’s et des héros d’alors de la communauté afro-américaine, tels ‘Shaft’. Une vraie redécouverte !

Olivier Badin

Black Panther, 1966-1975, Don McGregor, Rich Buckler, Billy Graham. Marvel/Panini Comics, 32€

© Marvel/Panini

© Marvel/Panini – Don McGregor, Rich Buckler, Billy Graham

Imastu : un récit sombre et oppressant signé Jérémie Horviller

imastu_WFIvMadBon, autant le concéder tout de suite, Imastu ne fait pas dans la comédie, encore moins dans l’humour. Il suffit de regarder la couverture pour comprendre qu’on ne va pas franchement rigoler, le propos est ailleurs, peut-être au fond de notre âme…

Que ce soit dans le trait ou dans l’histoire, Imastu n’explore effectivement pas la légèreté de l’être mais plus surement la profondeur de nos âmes. Aucun dialogue, très peu de textes, un univers graphique qui fait immédiatement penser à Munch et un décor où même la nature semble hostile, l’auteur Jérémie Horviller s’est inspiré ici d’une visite qu’il a eu l’occasion d’effectuer dans un orphelinat d’Estonie. Imastu, nom d’une bourgade de ce pays, raconte l’histoire d’Ulrica, une jeune orpheline enfermée avec d’autres enfants dans un endroit lugubre.

Ici, les enfants ne sortent pas… sinon par leurs songes

Pourquoi est-elle là ? D’où vient-elle ? Qu’a-t-elle vécu ? Jérémie Horviller nous l’apprend dans les dernières pages de l’album, déroulant forcément le fil d’une tragédie. « Nous pénétrons dans l’espace mental d’Ulrica où ses souffrances génèrent des formes… », explique l’auteur, « Elle est une figure de l’errance qui traverse des espaces hallucinés, des espaces à la dérive. Au XIXe, la représentation de l’hallucination est présente dans les arts visuels et la littérature où elle est invoquée comme un stimulant et un modèle de l’imagination poétique et artistique. Edvard Munch fait partie de ces artistes qui convoquent les forces de l’esprit à travers sa peinture ».

Imastu est un récit d’une noirceur absolue, il est angoissant, oppressant et douloureux. Même les rêves de la jeune fille semblent emprisonnés, attachés par des fils barbelés. L’abandon, la tristesse, la folie, suent à grosses gouttes de chaque case, de chaque dessin, de chaque personnages. Peut-on sortir intact de sa lecture ? Pas sûr !

Eric Guillaud

Imastu, de Jérémie Horviller. Editions Le Tripode. 17€ (parution le 22 mars)

© Le Tripode / Horviller

© Le Tripode / Horviller

04 Mar

Le 3e oeil : Didier Tronchet relance les aventures de Violine en compagnie de Baron Brumaire

9782203132412Il est heureux Didier Tronchet. Après dix ans de combat raconte-t-il sur son compte Facebook, il a enfin pu faire sortir Violine du catalogue Dupuis pour lui offrir de nouvelles aventures chez Casterman. La jeune héroïne a vieilli, elle a aujourd’hui seize ans et un fichu caractère, une vraie ado en somme avec toujours ce petit quelque chose en plus dans le regard…

Nous l’avions perdue de vue depuis 2007 et l’épisode La Maison piège. Violine est finalement de retour avec tout de même quelques changements de taille, à commencer par le nom, la série s’appelle dorénavant Le 3e Œil. Changement aussi d’éditeur, exit Dupuis, bonjour Casterman, mais l’affaire ne fût pas si simple nous explique Didier Tronchet : « Dupuis était propriétaire des droits du personnage de Violine mais ne voulait pas les céder. Ce qui bloquait tout le monde. Dupuis a finalement accepté de me les restituer dans un bon esprit de fair-play ».

Troisième changement visible dès la couverture, Violine à pris un coup de vieux, relatif certes, mais tout de même, quelques années qui suffisent à la faire glisser dans le monde des ados. « Pour ce nouveau cycle chez Casterman, il était intéressant de renouveler le personnage… », confie Didier Tronchet, « d’une part avec un autre dessinateur, d’autre part avec une Violine ado plus percutante, moins limitée par son âge. L’idée est d’en faire un personnage évolutif ».  

C’est le Nantais Baron Brumaire, dessinateur de la série Les Morin-Lourdel publiée chez Glénat de 1994 à 2005, qui prend la relève de Jean-Marc Krings et Fabrice Tarrin au dessin. Avec son trait plus réaliste et nerveux, Baron Brumaire offre aux aventures de Violine un caractère moins enfantin.

Pour le reste, Violine a toujours ses grands yeux violets dépourvus de pupilles et une faculté de lire dans les pensées des gens en les regardant simplement dans les yeux.

La plupart du temps, ce super pouvoir lui permet de tricher à l’école, de décrocher d’excellentes notes tout en passant son temps à dormir en classe. Mais sa rencontre avec Tsampa, un jeune indien mutique et sujet à des crises de terreur va changer la donne. Violine doit percer son secret… et tous les moyens sont bons.

De très belles retrouvailles !

Eric Guillaud

Le Sommeil empoisonné, Le 3e Œil (tome 1), de Tronchet et Brumaire. Editions Casterman. 11,50€

© Casterman / Tronchet & Brumaire

© Casterman / Tronchet & Brumaire

02 Mar

Les Louves : une histoire de femmes sous l’occupation allemande racontée par Flore Balthazar

9782800167787-couv-M800x1600 Cette histoire signée Flore Balthazar parue dans la prestigieuse collection Aire Libre des éditions Dupuis se déroule pendant la seconde guerre mondiale, mais elle ne raconte pas frontalement la guerre, elle raconte le quotidien d’une famille, et plus précisément encore le quotidien de femmes belges sous l’occupation, des femmes ordinaires… ou presque.

Des femmes ordinaires ou presque car oui, peut-on rester ordinaire lorsque le contexte ne l’est pas ? Pour la deuxième fois dans l’histoire du XXe siècle, l’Allemagne envahit la Belgique ignorant par la-même la neutralité déclarée du pays. Nous sommes le 10 mai 1940. Commencent dès lors pour les Belges, comme pour les Français, de longues années d’occupation avec leur lot de privations, d’humiliations, d’inquiétudes et de douleurs.

Dans la famille Balthazar qui n’est autre que la famille de l’auteure, la vie était plutôt douce avant cette invasion. Terminées les virées à Bruxelles en famille pour la Saint-Nicolas, terminées les gaufres et autres douceurs, l’heure est désormais aux restrictions et à la mobilisation générale. Le père ressort son vieil uniforme du placard et rejoint le front. La mère reste avec les cinq enfants et la grand-mère, obligée de trouver un deuxième emploi pour subvenir aux besoins de la famille et pallier l’absence du père. C’est ce quotidien effectivement ordinaire mais rythmé par les événements que nous permet de suivre Les Louves.© Dupuis / Balthazar

© Dupuis / Balthazar

« Je me pose souvent la question : comment vivent les gens ? », explique l’auteure, « La vie quotidienne constitue un sujet inépuisable, si on le raconte bien. En temps de guerre comme en temps de paix finalement. Dans le cas de ma famille, la question qui m’intéressait était de comprendre comment une femme ( son arrière grand-mère, ndlr) avec cinq enfants et un mari prisonnier en Allemagne a-t-elle tenu le coup durant le conflit ? C’était une personnalité peu commune, elle avait une grande force de caractère. »

Non seulement, les femmes font tourner la boutique mais elles se révoltent aussi contre l’occupant. Pas toujours de manière spectaculaire mais avec courage tout de même. Et là, on n’est plus tout à fait dans le quotidien. Des V de la victoire graffités ici, des insignes patriotiques arborés là pour commémorer la victoire de 1918, des journaux anti-Allemands distribués sous le manteau et même quelques actions de renseignement effectuées pour le compte des forces alliées, les femmes sont loin d’être restées inactives. Flore Balthazar l’illustre parfaitement dans son récit.

« Quelque part, je me mets dans une solution de facilité en faisant des femmes le centre de mon récit… », explique-t-elle, « car il m’est plus facile de m’y identifier. Je suis à l’aise pour manier des personnages féminins. Et leurs rôles dans la société belge occupée m’ouvraient pas mal de perspectives au point de vue du scénario »

© Dupuis / Balthazar

© Dupuis / Balthazar

Des faits réels, des personnages ayant existé, une histoire adaptée du journal de la grand-mère Marcelle Balthazar alors adolescente et – tout de même – une petite part de fiction pour lier le tout, c’est la recette magique de Flore Balthazar pour cet album.

« Le journal de Marcelle a été une référence, sa reconstitution a été minutieusement respectée, jusque dans les dialogues. Mais il y a tout de même un travail d’adaptation. Puisque l’on passe d’un format à l’autre, le langage est différent. Ma recette a donc été de mélanger des souvenirs de famille à des faits réels, transformés, comme le personnage de Marguerite Clauwaerts, inspiré de la résistante belge Marguerite Bervoets. Finalement, Les Louves est devenu une fresque qui montre toutes les possibilités d’une femme durant la Seconde guerre mondiale en Belgique ».

Avec une petite touche de féminisme, les femmes de Flore Balthazar travaillent, résistent, prennent leur autonomie et s’impliquent dans les affaires du monde avec l’espoir d’un juste retour des choses. « Tu vas voir qu’ils vont nous faire le coup de 14-18 : on va travailler dans leurs usines et après, ils nous renverront à la maison! », s’exclame une des protagonistes.

© Dupuis / Balthazar

© Dupuis / Balthazar

Et la guerre ? On ne la voit pas réellement finalement, on la devine, on la sent, on croise ici et là quelques uniformes français, belges, allemands, puis américains, on voit passer un camion rempli de cadavres. On en ressent surtout les effets, et c’est là où le travail de Flore Balthazar est exemplaire, l’auteure souhaitait rester pudique sur la violence, elle s’en tient à décrire le quotidien loin des champs de bataille, c’est l’absence des hommes, le règne de la débrouille, la peur au ventre, les sirènes, le froid, la colère, la révolte, la résistance et la mort parfois… Et puis il y a ce bombardement de mars 44 qui détruit le quartier du Parc de Louvière où habite justement la famille Balthazar et rappelle que la guerre n’épargne personne.

Trois ans de travail ont été nécessaires à Flore Balthazar pour mener à bien cette aventure graphique. L’auteure de Miss Annie (Dupuis) ou encore de Frida Kahlo (Delcourt) signe à l’arrivée un magnifique album de 180 pages au graphisme vivant et sensible, une petite histoire de la grande histoire, une fiction aussi essentielle pour la mémoire collective qu’un documentaire.

Eric Guillaud

Les Louves, de Flore Balthazar. Éditions Dupuis. 18€ ou 32€ pour l’édition spéciale

01 Mar

Le coin des mangas : Love under arrest, Sous le ciel de Tokyo, Timeless Romance et La Porte

love-under-arrest-1-delcourtOn commence par un véritable phénomène au Japon, une série vendue à plus de 2 millions d’exemplaires, couronnée du prix du meilleur shôjo manga 2017 au Prix annuel du meilleur manga, il s’agit de Love under arrest de Maki Miyoshi, une histoire d’amour née dans le mensonge entre une adolescente de 16 ans, Kako, qui se fait passer dans une soirée pour une étudiante de 22 ans, et un jeune garçon, Kôta, qui se révèlera être un policier. Le premier volet vient de sortir aux éditions Delcourt. Coup de foudre assuré. (Love under arrest, de Maki Miyoshi. Delcourt Tonkam. Sous-le-ciel-de-Tokyo-026,99€)

Le deuxième volet de Sous le ciel de Tokyo de Seiho Takizawa est sorti. Ce seinen manga qui s’adresse donc aux jeunes adultes de sexe masculin raconte le quotidien d’un couple pendant la seconde guerre mondiale. En 1943, le capitaine Shirakawa, pilote de chasse, rentre enfin au pays après avoir combattu un peu partout dans le monde, notamment dans le ciel birman. Il est désormais affecté à la division des essais aériens de l’armée impériale à proximité de sa maison et de sa femme. Bien que soulagé de s’éloigner des zones de combat à un moment où le Japon perd La-porte-daisuke-inoueen capacités face aux Américains, Shirakawa craint, après tant d’années, de se retrouver comme un étranger chez lui… (Sous le ciel de Tokyo tome 2, Delcourt Tonkam, 7,99€)

D’un côté l’écrivain japonais Sôseki, auteur de romans et nouvelles. De l’autre, le mangaka Inoue Daisuke, ancien assistant d’Osamu Tezuka (Bouddha, Dororo, Blackjack…). Au centre, l’adaptation en manga du roman La Porte paru en 1910 et racontant la vie d’un couple, Sôsuke et O-Yone, partageant un lourd secret qui culpabilise Sôsuke au point de l’empêcher de prendre toutes décisions. Dans un format plus proche du roman graphique que du manga, La Porte nous entraîne 19042dccb64d67304563b82dd4c07d8bdans le Japon du début du XXe siècle. Et rien que pour ça, ça vaut le détour. (La Porte, de Inoue Daisuke. Éditions Philippe Picquier. 15,50€)

On reste dans le Japon du début du XXe siècle avec Timeless Romance, une série de Saki Aikawa en trois volumes qui met en scène la jeune lycéenne Akari Shimotsuki. Celle-ci s’évanouit le jour où elle tente de déclarer sa flamme à Mamiya et se réveille dans le corps de Sayoko Shinonome, une princesse d’un autre monde. Il s’agit bien sûr d’un shojo manga, de la romance à la sauce fantastique. (Timeless Romance tome 2, de Saki Aikawa. Soleil manga, 6,99€)

Eric Guillaud