Après Saison des roses de Chloé Wary en 2020 et Anaïs Nin de Léonie Bischoff en 2021, le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions troisième du nom revient une nouvelle fois cette année à une autrice, Léa Murawiec, pour Le Grand vide paru aux éditions 2024, un premier album unanimement salué par les membres du jury pour sa singularité graphique et scénaristique. Une œuvre vertigineuse qui annonce le retour de la grande aventure au rayon BD !
On sait combien la vie tient parfois à un fil, dans cet album elle tiendrait plutôt à une pensée. Manel Naher est une jeune femme ordinaire, un peu trop peut-être, qui passe son temps à dénicher des récits d’aventure dans une vieille librairie pour s’évader du monde dans lequel elle vit, une espèce de mégalopole où chacun doit se battre contre l’anonymat en affichant son nom telle une publicité.
Plongée dans ses livres, Manel se fait oublier de tous, de quoi disparaître à jamais.
Car oui, dans le monde dystopique que nous dépeint Léa Murawiek, si personne ne pense à vous, alors vous n’avez plus de présence et vous mourez. C’est aussi simple que cela. Manel va l’apprendre à ses dépens. En pleine rue, une crise cardiaque, direction l’hôpital.
« Votre présence était quasiment nulle, votre cœur ne l’a pas supporté »
Pour les médecins, les choses sont claires. Seul un traitement intensif peut lui permettre de s’en sortir, d’autant qu’un homonyme, chanteuse très célèbre dont le tube Mon nom sur toutes les lèvres fait un carton, accapare les pensées de toutes et tous.
Et ce traitement intensif ? Boites de nuit, réunions de famille, déjeuners d’affaires… bref des sorties, des rencontres, de quoi faire du lien social… et retrouver un peu de présence, d’existence aux yeux des autres et donc d’espérance de vie.
Mais Manel ne rêve que d’une chose : rejoindre le grand vide, un espace où la popularité ne décide pas de votre vie ou de votre mort.
Paru en aout dernier, Le Grand vide a fait sensation dans le milieu du neuvième art et au-delà par la singularité et la force qui se dégagent du scénario, par la formidable élasticité du trait et le dynamisme des planches.
Passée par l’école Estienne à Paris puis l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, Léa Murawiek écrit cette première bande dessinée au cours d’une résidence de deux ans à la Cité de la Bande dessinée.
Elle y met toutes ses influences, le manga bien sûr, mais aussi la bande dessinée européenne expérimentale et alternative d’où elle est issue.
À l’heure où les bandes dessinées documentaires, reportages, biographiques, autobiographiques, scientifiques, pédagogiques… ont colonisé – parfois un peu trop – les rayons de nos librairies préférées, Léa Murawiek fait souffler un vent nouveau où l’aventure retrouve ses lettres de noblesse sans pour autant oublier de jeter un oeil critique sur notre société.
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https://www.youtube.com/watch?v=FmI-pSO0po4&feature=youtu.be« Ce que j’aime dans les fictions dystopiques… », explique Léa, « c’est qu’elles partent d’un constat sur le monde réel pour créer tout un univers parallèle à partir de ce détail ».
De fait, Le Grand vide interroge, nous interroge, sur l’hyper-concentration urbaine, l’anonymat qui y règne, le regard des autres, la solitude et la popularité comme seul signe d’existence, autant de sujets importants en ces temps de pandémie, de confinement, de distanciation.
Aucun doute, en l’espace d’un livre, Léa Murawiek s’est fait un sacré nom dans le neuvième art et nous ne sommes pas près de l’oublier…
Eric Guillaud
Le Grand vide, de Léa Murawiek. Éditions 2024. 25€