19 Mar

FIBD. Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2022 : Le Grand vide de Léa Murawiec

Après Saison des roses de Chloé Wary en 2020 et Anaïs Nin de Léonie Bischoff en 2021, le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions troisième du nom revient une nouvelle fois cette année à une autrice, Léa Murawiec, pour Le Grand vide paru aux éditions 2024, un premier album unanimement salué par les membres du jury pour sa singularité graphique et scénaristique. Une œuvre vertigineuse qui annonce le retour de la grande aventure au rayon BD !

On sait combien la vie tient parfois à un fil, dans cet album elle tiendrait plutôt à une pensée. Manel Naher est une jeune femme ordinaire, un peu trop peut-être, qui passe son temps à dénicher des récits d’aventure dans une vieille librairie pour s’évader du monde dans lequel elle vit, une espèce de mégalopole où chacun doit se battre contre l’anonymat en affichant son nom telle une publicité.

Plongée dans ses livres, Manel se fait oublier de tous, de quoi disparaître à jamais.

© 2024 / Murawiec

Car oui, dans le monde dystopique que nous dépeint Léa Murawiek, si personne ne pense à vous, alors vous n’avez plus de présence et vous mourez. C’est aussi simple que cela. Manel va l’apprendre à ses dépens. En pleine rue, une crise cardiaque, direction l’hôpital.

« Votre présence était quasiment nulle, votre cœur ne l’a pas supporté »

Pour les médecins, les choses sont claires. Seul un traitement intensif peut lui permettre de s’en sortir, d’autant qu’un homonyme, chanteuse très célèbre dont le tube Mon nom sur toutes les lèvres fait un carton, accapare les pensées de toutes et tous.

Et ce traitement intensif ? Boites de nuit, réunions de famille, déjeuners d’affaires… bref des sorties, des rencontres, de quoi faire du lien social… et retrouver un peu de présence, d’existence aux yeux des autres et donc d’espérance de vie.

Mais Manel ne rêve que d’une chose : rejoindre le grand vide, un espace où la popularité ne décide pas de votre vie ou de votre mort.

© 2024 / Murawiec

Paru en aout dernier, Le Grand vide a fait sensation dans le milieu du neuvième art et au-delà par la singularité et la force qui se dégagent du scénario, par la formidable élasticité du trait et le dynamisme des planches.

Passée par l’école Estienne à Paris puis l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, Léa Murawiek écrit cette première bande dessinée au cours d’une résidence de deux ans à la Cité de la Bande dessinée.

Elle y met toutes ses influences, le manga bien sûr, mais aussi la bande dessinée européenne expérimentale et alternative d’où elle est issue.

© 2024 / Murawiec

À l’heure où les bandes dessinées documentaires, reportages, biographiques, autobiographiques, scientifiques, pédagogiques… ont colonisé – parfois un peu trop – les rayons de nos librairies préférées, Léa Murawiek fait souffler un vent nouveau où l’aventure retrouve ses lettres de noblesse sans pour autant oublier de jeter un oeil critique sur notre société.

Module

https://www.youtube.com/watch?v=FmI-pSO0po4&feature=youtu.be

« Ce que j’aime dans les fictions dystopiques… », explique Léa, « c’est qu’elles partent d’un constat sur le monde réel pour créer tout un univers parallèle à partir de ce détail ». 

De fait, Le Grand vide interroge, nous interroge, sur l’hyper-concentration urbaine, l’anonymat qui y règne, le regard des autres, la solitude et la popularité comme seul signe d’existence, autant de sujets importants en ces temps de pandémie, de confinement, de distanciation.

Aucun doute, en l’espace d’un livre, Léa Murawiek s’est fait un sacré nom dans le neuvième art et nous ne sommes pas près de l’oublier…

Eric Guillaud

Le Grand vide, de Léa Murawiek. Éditions 2024. 25€

Les membres du jury du Prix du Public France Télévisions

27 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Sous les galets la plage, de Pascal Rabaté

Son parcours est jalonné de petits et grands chefs-d’œuvre, des albums qui ont marqué le neuvième art sans forcément faire d’éclats, plutôt insidieusement, comme une évidence. Il revient avec Sous les galets la plage, une histoire d’amour entre un jeune homme de très bonne famille et une voleuse de résidences secondaires, deux héros en révolte contre la France cadenassée des années 60…

Les Pieds dedans, Un Ver dans le fruit, Ibicus, La Marie en plastique, Les Petits ruisseaux ou encore La Déconfiture : en un peu plus de 30 ans de carrière, Pascal Rabaté a signé une bonne quarantaine d’albums qui, à l’instar d’un Davodeau ou d’un Prudhomme, s’intéressent le plus souvent aux gens vrais, aux gens ordinaires, dans un contexte lui-aussi souvent ordinaire. Parce que le quotidien, si on y regarde bien, est aussi source d’aventure humaine.

En détournant pour le titre de l’album un fameux slogan de mai 68, Pascal Rabaté donne le ton de son nouvel album dès la couverture. Sous les galets la plage est un gentil coup de pied dans la bienséance d’une société pré-soixante-huitarde, bloquée sur ses principes. La femme au foyer, l’homme au turbin ou à la guerre, les enfants dans le droit chemin, ni artistes, ni homos, les cheveux bien coupés, de belles études et un beau mariage.

Sous les galets la plage brise la chaîne. Les héros de Rabaté ont envie de vivre, d’être heureux, amoureux. D’un côté, Albert, jeune-homme bien sous tous rapports, promis à un bel avenir dans l’armée comme papa, de l’autre Odette, née de la collaboration horizontale, voleuse opportuniste.

Rien dans leurs gènes, dans leurs origines ne les rapproche, ils vont pourtant se croiser, s’aimer et se révolter contre l’ordre établi.

Nous sommes à Loctudy dans le sud du Finistère en 1962. C’est la fin de l’été, les résidences secondaires se vident de leurs occupants, une aubaine pour Odette et son gang qui se sont fait une spécialité de visiter les maisons inoccupées et d’en repartir avec meubles, bibelots et autres marchandises.

De son côté Albert profite avec ses amis de l’absence de ses parents pour vider la cave à vin de la maison et traîner tard sur la plage. C’est là qu’ils font la rencontre d’Odette, une rencontre qui aura pour Albert le parfum de la liberté, de l’amour et de la révolte…

À l’image des deux protagonistes représentés en couverture, ce nouvel opus de Pascal Rabaté ne peut que laisser le lecteur avec un incroyable sentiment de plénitude, comblé par le graphisme épuré, élégant, par les couleurs très légères qui ne font ici que mettre en valeur le trait précis en noir et blanc de l’auteur, par les ambiances sombres magnifiquement rendues, par les personnages forcément attachants, les dialogues exquis et bien évidemment l’histoire en elle-même qui laisse entrevoir un joli mois de mai 1968 entre les cases. Dans les esprits, dans les corps, déjà, la révolte gronde…

Eric Guillaud

Sous les galets la plage, de Pascal Rabaté. Éditions Rue de Sèvres. 25€

© Rue de Sèvres / Rabaté

23 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Les Fleurs de cimetière de Baudoin

Alors qu’il approche des 80 printemps, Edmond Baudoin revient avec un volumineux album de près de 300 pages à L’Association dans lequel il retrace sa vie, ses amours, ses emmerdes… Son chef-d’œuvre ? Peut-être bien, même si lui-même ne croit pas au chef-d’œuvre

« La vie elle-même est un brouillon de vie »; fait dire Edmond Baudoin à son personnage dans les pages de ce live. Il explique ainsi qu’il ne croit pas au chef-d’œuvre. Certes, sa vie n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, on en a connu des plus extraordinaires, des plus extravagantes, des plus flamboyantes, mais c’est sa vie, une vie d’homme, une vie d’auteur, figure importante du neuvième art même s’il reste peu connu du grand public, avec des livres souvent intimistes au trait noir épais, charbonneux, aux thèmes existentiels, à l’approche exigeante et poétique. Baudoin est un artiste, libre, un poète du trait et de l’écriture.

Dans ce nouvel opus, baptisé Les Fleurs du cimetière, du nom de ces fameuses tâches de peau qui apparaissent avec l’âge, Baudoin nous parle de sa jeunesse, de ses parents, de son frère Piero qu’il adorait, de sa famille, de ses amours, de l’amour en général, de ses voyages, de son travail d’auteur, de la vieillesse, du corps qui change, de la maladie, de la vie, de la mort. Des pensées, des confidences très intimes, parfois même un peu crues mais jamais déplacées.

Les 288 pages que comptent cet album paru en juin dernier peuvent effrayer par leur densité, par le mélange d’illustrations, de textes et de bandes dessinées, par les multiples typographies, les ratures qui parsèment les textes, mais passée la surprise, plus on avance dans les pages, plus il est difficile de décrocher tant ce que nous raconte Baudoin parle forcément à chacun de nous. Sa vie effectivement n’est pas un chef-d’œuvre, peut-être un brouillon, mais quel brouillon !

Eric Guillaud 

Les Fleurs de cimetière, de Baudoin. L’Association. 30€

© L’Association / Baudoin

20 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : L’Américain de Loïc Guyon

Abuser des séries américaines télévisées peut-il nuire à la santé ? À défaut d’avoir la réponse, Loïc Guyon a pris le parti de s’en amuser dans son nouvel album avec un personnage complètement accro à une série ringarde qui va littéralement faire irruption dans son quotidien de petit Français ordinaire..

« Un gros clown attardé qui casse la gueule aux méchants ennemis des Ricains … De la pâtée pour demeurés ». Oualid est formel, L’Américain est une série pour ceux qui n’ont par le cerveau arrivé à maturité.

Oui mais voilà, son pote Francis adore cette série. Il n’en loupe pas un épisode. Pire encore, lorsqu’il n’est pas scotché devant son téléviseur, il refait les épisodes précédents autour d’un verre avec Marvin, le troisième larron de la bande. De quoi exaspérer sa petite amie Claire qui travaille pour deux et le supplie tous les jours de chercher un boulot.

Mais non, Monsieur attend de trouver l’inspiration pour écrire son chef-d’oeuvre. Alors forcément, c’est un peu tendu à la maison.

« Je pensais emménager avec toi, Francis ! Pas avec L’Américain »

Sur l’oreiller, Francis promet à Claire de faire un effort. Mais L’Américain, comme par magie, sort du petit écran, sonne à la porte de l’appartement de Francis et lui confie une malette à protéger coûte que coûte pendant que lui continue à combattre les méchants ennemis des États-Unis, arabes, nazis et autres communistes…

© Sarbacane / Guyon

Avec cet album sorti en avril dernier, son premier en tant que dessinateur ET scénariste, Loïc Guyon s’amuse de l’addiction que provoquent certaines séries, notamment américaines, en confrontant deux univers, les super-héros d’un côté, défenseurs de la veuve et de l’orphelin, gardiens d’une certaine idée de l’Amérique, et les héros à l’européenne, plus proches de la réalité du monde. On rit beaucoup en suivant le super-héros et ses aventures explosives et surréalistes, on rit aussi avec Francis et son côté anti-héros, à côté de la plaque, sur son nuage.

On rit mais bien évidemment L’Américain est aussi une critique virulente de l’Amérique vendeuse de rêves et de fantasmes.

Coté graphisme, L’Américain surprend par sa mise en page ultra-dynamique avec des dessins façon illustrations, libérés du gaufrier et du carcan des vignettes, un style graphique ou plus exactement deux styles graphiques qui se répondent selon que l’on est dans les aventures du super-héros ou celles de Francis, un trait vif dans les deux cas. Un album largement recommandé à l’arrivée !

Eric Guillaud

L’Américain, ce Loïc Guyon. Éditions Sarbacane. 26€

© Sarbacane / Guyon

13 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Le Grand vide de Léa Murawiec

Attention jeune talent ! Pour son premier album de bande dessinée, Léa Murawiek bouscule les codes de la BD pour nous offrir un récit d’une très grande singularité tant au niveau du graphisme que du scénario. De quoi se jeter dans Le Grand vide avec elle…

On sait combien la vie tient parfois à un fil, dans cet album elle tiendrait plutôt à une pensée. Manel Naher est une jeune femme ordinaire, un peu trop peut-être, qui passe son temps à dénicher des récits d’aventure dans une vieille librairie pour s’évader du monde dans lequel elle vit, une espèce de mégalopole où chacun doit se battre contre l’anonymat en affichant son nom telle une publicité.

Plongée dans ses livres, Manel se fait oublier de tous, de quoi disparaître à jamais.

Car oui, dans le monde dystopique que nous dépeint Léa Murawiek, si personne ne pense à vous, alors vous n’avez plus de présence et vous mourez. C’est aussi simple que cela. Manel va l’apprendre à ses dépens. En pleine rue, une crise cardiaque, direction l’hôpital.

« Votre présence était quasiment nulle, votre cœur ne l’a pas supporté »

Pour les médecins, les choses sont claires. Seul un traitement intensif peut lui permettre de s’en sortir, d’autant qu’un homonyme, chanteuse très célèbre dont le tube Mon nom sur toutes les lèvres fait un carton, accapare les pensées de toutes et tous. Et ce traitement intensif ? Boites de nuit, réunions de famille, déjeuners d’affaires… bref des sorties, des rencontres, de quoi faire du lien social… et retrouver un peu de présence, d’existence aux yeux des autres et donc d’espérance de vie. Mais Manel ne rêve que d’une chose : rejoindre le grand vide, un espace où la popularité ne décide pas de votre vie ou de votre mort.

Paru en aout dernier, Le Grand vide a fait sensation dans le milieu du neuvième art et au-delà par la singularité et la force qui se dégagent du scénario, par la formidable élasticité du trait et le dynamisme des planches. Passée par l’école Estienne à Paris puis l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, Léa Murawiek écrit cette première bande dessinée au cours d’une résidence de deux ans à la Cité de la Bande dessinée. Elle y met toutes ses influences, le manga bien sûr, mais aussi la bande dessinée européenne expérimentale et alternative d’où elle est issue. Aucun doute, en l’espace d’un livre, Léa Murawiek s’est fait un sacré nom dans le neuvième art et on n’est pas près de l’oublier. Vertigineux !

Eric Guillaud

Le Grand vide, de Léa Murawiek. Editions 2024. 25€

© 2024 / Léa Murawiek

12 Déc

Fauve d’Or Angoulême 2022 : Écoute, jolie Márcia de Marcello Quintanilha

Né à proximité de Rio de Janeiro, installé depuis de nombreuses années à Barcelone, Marcello Quintanilha n’a jamais cessé de raconter à travers ses récits la société brésilienne et notamment les couches les plus populaires. C’est encore le cas aujourd’hui avec Écoute, jolie Márcia publié aux éditions ça et là, ce récit haut en couleur et en verbe nous emmène dans le monde des favelas à travers le quotidien d’une femme ordinaire ou presque …

Marcia est infirmière dans un hôpital près de Rio. Son salaire ne lui permet pas de vivre dans les somptueux appartements avec vue imprenable sur la mer qu’elle fréquente à l’occasion de soins à domicile mais Marcia n’est pas du genre à se plaindre, ni même à jalouser.

Avec son ami Aluisio et sa fille Jacqueline, née d’une précédente union, elle vit dans une favela, paisiblement, jusqu’au jour où sa fille commence à fréquenter les membres d’un gang. Entre la mère et la fille, la tension monte jusqu’à devenir explosive, envoyer Aluisio à l’hosto et Jacqueline en prison…

Autodidacte et de fait assez libre dans sa façon d’aborder les choses tant d’un point de vue narratif que graphique, Marcello Quintanilha signe ici une bande dessinée très colorée, pleine de vie et de frénésie autour d’une femme ordinairement héroïque ou héroïquement ordinaire qui n’hésite pas à affronter le danger par amour de sa fille.

L’album dépeint la société brésilienne dans sa réalité crue, les inégalités, la misère, la drogue, mais il offre surtout le très beau portrait d’une femme qui ne se laisse pas faire, forte, dévouée pour les autres, confrontée malgré elle à la violence du monde. C’est aussi l’histoire d’une relation intense entre une mère et sa fille comme on pourrait en connaître ailleurs, ce qui confère au récit son côté universel.

Un scénario très maîtrisé et rythmé, un graphisme vivant, des couleurs surréalistes, des personnages attachants, des dialogues très actuels et très fluides, Écoute, jolie Márcia est un album qui vous happe, vous transporte, vous retient du début à la fin, rien d’étonnant que Marcello Quintanilha soit considéré comme l’un des auteurs phares de la bande dessinée brésilienne. 

Lauréat du Prix du polar à Angoulême en 2016 pour l’album Tungstène, auteur de cinq autres ouvrages aux éditions çà et là, Marcello Quintanilha reçoit aujourd’hui le Fauve d’or 2022 à Angoulême. 

Eric Guillaud

Écoute, jolie Márcia, de Marcello Quintanilha. Éditions ça et là. 22€

© Ça et Là / Marcello Quintanilha

Sélection officielle Angoulême 2022 : Le Jeune acteur de Riad Sattouf

Alors oui, il a fait la Une des plus grands médias, il a été invité partout où il faut être invité, on en cause dans les meilleures soirées de la capitale, et pas seulement celles de l’ambassadeur, un peu comme si Riad Sattouf était L’AUTEUR de bande dessinée du moment, le seul, l’unique, celui qu’il faut avoir lu avant de mourir pour ne pas avoir l’air trop crétin ici-bas et tout là-haut. Est-ce mérité ? Réponse ici…

« J’adooooore Riad Sattouf ! « . Parlez bande dessinée avec quelqu’un qui ne s’y intéresse pas ou peu et vous pourriez bien obtenir cette réponse. Parlez bande dessinée avec quelqu’un qui est un passionné de la première heure, et vous pourriez bien obtenir la même réponse. On est bien obligé de le reconnaître, Riad Sattouf fait l’unanimité ou presque !

Ça peut en chatouiller certains mais c’est comme ça et ceux qui auraient eu tendance à résister à l’appel de L’Arabe du futur ou des Cahiers d’Esther devraient logiquement finir par craquer, peut-être cette fois avec Le Jeune acteur, dernier opus paru de la star du 7e et 9e art réunis.

Alors, justement, ce nouvel opus ? Franchement, c’est drôle, c’est fin, ça se lit sans fin et c’est même instructif. Parfaitement, oui, instructif. Derrière l’histoire du jeune Vincent Lacoste, un collégien de 14 ans à l’époque qui découvre la vie en même temps que le cinéma, Riad Sattouf nous invite dans les coulisses d’un film, en l’occurrence Les Beaux gosses, partageant les différentes étapes de son élaboration, depuis les castings jusqu’à la soirée des César où Les Beaux gosses reçut le Prix de meilleur premier film en 2010, en passant bien évidemment par le tournage en lui-même, la sortie en salles, les incontournables premières…

Et plutôt que de raconter tout ça de son seul point de vue à lui, Riad Sattouf sous sa casquette d’auteur BD a choisi de le faire du point de vue de Vincent Lacoste, un parti pris scénaristique judicieux qui rend la chose beaucoup plus légère, avec une bonne couche d’autodérision façon Vincent Lacoste, et qui permet surtout d’évoquer a vie privée de l’acteur, le collège, la famille, les filles… et sa réaction face à sa célébrité naissante.

Riad Sattouf rêvait de s’inscrire dans la filiation Truffaut / Léaud avec son égérie Vincent Lacoste, ce livre est une façon pour lui, comme il le déclare dans une interview accordée au magazine dBD, de continuer à le suivre et l’accompagner.

Le Jeune acteur n’est pas un album qui va révolutionner le neuvième art mais il n’en reste pas moins Incontournable pour les fans de BD, de cinéma et les autres…

Eric Guillaud

Le jene acteur 1, de Riad Sattouf. Les Livres du futur. 21,50€

© Les Livres du Futur / Sattouf

08 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Du Bruit dans le ciel de David Prudhomme

Raconter son enfance, c’est une bonne idée, très partagée dans le milieu de la bande dessinée depuis quelques années. Mais faut-il encore avoir quelque chose à raconter et mieux, une façon de le raconter. De ce côté-là, l’auteur David Prudhomme a tout bon…

Un goût d’éternité. Ou presque ! Juin 2021, David Prudhomme et son fils Joachim rendent visite aux grands-parents installés à Grangeroux près de Châteauroux. C’est ici dans ce petit bout de France un peu perdu que David passe sa jeunesse. À son fils, il raconte les années passées loin du bruit du monde, loin de la révolution permanente, dans un immobilisme d’apparence.

Car oui, même si tout se fait moins brutalement qu’ailleurs, les choses ici aussi évoluent, doucement, presque imperceptiblement. La campagne laisse place à un monde rurbain, avec sa rocade, ses ronds-points, ses lotissements, ses pavillons, ses rues aux noms de chanteurs de variété. Un vrai hit parade !

Même la fameuse base militaire avec son aérodrome, longtemps occupée par une armée américaine qui imprègne fortement le paysage et la géographie des environs, finit en partie par se reconvertir dans le civil.

Avec des avions, toujours, dans les airs et sur le tarmac, pour des transports de troupes ou de matériels, pour des essais ou, plus tard, pour y trouver un refuge le temps de la crise du coronavirus.

© Futuropolis / Prudhomme

Soudain, plus un atterrissage, plus un décollage, plus un avion en mouvement hormis l’Airbus de la Présidence française, à l’entrainement. Du bruit dans le ciel, malgré tout…

Dans ce récit autobiographique, David Prudhomme fait côtoyer l’intime et l’universel, le quotidien dans ce qu’il a de plus ordinaire et la grande histoire du monde, dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre, un monde où parfois le temps s’emballe, parfois semble se figer. Un moment. Un silence. Avant que le bruit ne reprenne…

À l’instar d’un Davodeau ou d’un Rabaté, avec qui d’ailleurs il a eu l’occasion de travailler, David Prudhomme appartient à cette catégorie d’auteurs qui manie aussi habilement la plume que le pinceau pour nous parler de la vie, de notre vie, de la société, ddu monde, avec intelligence et humanité, avec lucidité et délicatesse.

Au fil des 200 pages que compte ce livre, pas un moment d’essoufflement de la part de l’auteur, pas une once d’ennui pour le lecteur, David Prudhomme tient fermement les ficelles d’un scénario bâti autour du souvenir, de la nostalgie, un peu, de l’humour, pas mal, et de l’amour, beaucoup. L’amour pour ses proches, pour ceux qui les entourent, pour les gens d’une façon générale. Assurément l’un des plus beaux albums de l’année 2021.

Eric Guillaud

Du Bruit dans le ciel, de David Prudhomme. Editions Futuropolis. 25€

07 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Alerte 5 de Max de Radiguès

Après Orignal, La Cire moderne, Bâtard ou encore Simon et Louise, Max de Radiguès est de retour et s’attaque cette fois à la SF. Et sans surprise, avec un égal bonheur.

Alerte 5 raconte comment une attaque terroriste commise contre un vol habité déclenche le passage en alerte 5, le niveau maximum en matière de sécurité, sur tous les sites et dans toutes les missions en lien avec les agences spatiales.

Sur la base martienne, les cinq astronautes reçoivent les consignes face aux menaces extérieures mais aussi intérieures. L’un d’entre eux, Amir, est musulman et donc suspect aux yeux de l’administration…

De la SF comme vous n’en verrez pas beaucoup usant d’un contexte très contemporain, les attentats islamistes et les réflexes racistes. Une histoire singulière, un dessin simple, minimaliste, mais rudement efficace !

Eric Guillaud

Alerte 5, de Max de Radiguès. Casterman. 15€

© Casterman / Radiguès

10 Oct

FIBD. Fauve Prix de la série 2022 : Spirou L’Espoir malgré tout d’Émile Bravo

Spirou est de retour pour le troisième et avant-dernier volet d’une saga unanimement saluée par la presse et plébiscitée par le public, une fiction à haute valeur de témoignage sur les heures les plus sombres de notre histoire contemporaine…

Il a beau être de papier, le célèbre héros au costume de groom né en 1938 sous les crayons de Rob-Vel a vraiment connu la guerre, laissant en transparaître les prémices dans ses aventures de l’époque, avant d’être mis au repos par la censure en septembre 1943 et de finalement réapparaître plus vaillant que jamais à la Libération. Oui, Spirou a traversé la seconde guerre mondiale, comme Fantasio d’ailleurs, personnage créé en 1942.

Le fait de le retrouver, de les retrouver, au coeur de ces années noires pour un récit fleuve signé Émile Bravo n’a donc rien d’un illogisme. Grâce à un travail de documentation acharné et à la reconstitution d’un contexte au plus juste, l’auteur donne à cette fiction la force d’un témoignage sur ce que fût cette période, les privations de liberté, la peur, la faim, la haine, la mort…

© Dupuis / Bravo

C’est ce que souhaitait l’auteur en démarrant cette quadrilogie, plonger Spirou, personnage simple auquel tout le monde peut s’identifier, dans le quotidien atroce de la guerre, de l’occupation, de la shoah, et le transmettre aux jeunes générations pour qu’elles n’ignorent pas le monde d’hier et comprennent le monde d’aujourd’hui.

Mission remplie, ce troisième volet débute dans un train qui roule en direction d’Auschwitz. À son bord, beaucoup de femmes, enfants et vieillards, tous juifs, et Spirou venu sauver Suzanne et P’tit Louis… Un épisode encore plus sombre que les précédents, plus personnel aussi reconnaît l’auteur, magnifiquement mis en images et en couleurs. Et toujours très instructif.

Eric Guillaud

L’Espoir malgré tout, troisième partie, d’Émile Bravo. Editions Dupuis. 17,50€