13 Jan

Sélection officielle Angoulême 2021. Le Mystère de la maison brume : le polar énigmatique sans cadavre et sans meurtrier de Lisa Mouchet

C’est l’un des récits de bande dessinée les plus surprenants de la sélection officielle 2021, un récit entièrement réalisé en vue subjective avec le décor d’une maison pour unique personnage visible et un mystère aussi épais que la brume ambiante…

La couverture annonce la couleur. Et la forme. Le Mystère de la maison brume n’est pas un album ordinaire avec un découpage en forme de gaufrier, des bulles pour les dialogues, une belle galerie de personnages et une aventure à la Spirou et Fantasio, pleine de rebondissements, d’actions et d’humour.

Ici, pas de personnages. Ou plutôt si. Trois. Mais vous ne les verrez jamais. Ils portent des numéros, n°2, n°5 et n°8, ont en commun d’habiter le même lotissement d’un hameau perdu quelque part entre l’hémisphère sud et l’hémisphère nord, un hameau généralement noyé sous une brume épaisse jusqu’au jour où le soleil décide de faire une percée et dévoile la grande maison d’un certain Mr.zéro que vous ne verrez pas non plus. Et que les trois autres numéros n’ont jamais vu.

Une maison bien curieuse, immense, moderne, abandonnée, un personnage en soi, de quoi attiser la curiosité des voisins et notamment des n°2, n°5 et n°8 qui par une belle nuit d’été décident de franchir le pas et de s’aventurer dans la fameuse maison, au risque de s’y perdre ou de faire une mauvaise rencontre…

Surprenant par sa forme, ce premier livre de Lisa Mouchet se révèle franchement séduisant, l’autrice s’y autorisant une belle exploration des possibilités du médium, une expérimentation narrative et graphique tous azimuts avec une histoire entièrement en vue subjective, de quoi nous plonger corps et âme dans le récit. Il y a de l’Agatha Christie dans tout ça et bien plus encore… Captivant !

L’album figure dans la sélection officielle du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême 2021 et il est en compétition pour le Prix du Public France Télévisions

Eric Guillaud

Le Mystère de la maison brume, de Lisa Mouchet. Magnani. 24€

27 Déc

Prix spécial du Jury Angoulême 2021. Dragman, les aventures du super-héros travesti de Steven Appleby

Rien de plus classique que d’enfiler un costume quand on est super-héros. Mais enfiler des vêtements de femme quand on est un homme pour devenir l’un d’entre-eux est déjà moins courant. En bas, porte-jarretelles et robe, Dragman est le premier super-héros travesti de l’histoire de la bande dessinée…

Superman, Batman, Captain America, Wonder Woman, Supergirl, Elektra, Iron Man… Depuis la nuit des temps, les super-héros et surper-héroïnes sont costumés. Rien de bien surprenant à ce que Dragman le soit elle-aussi. Mais là où la super-héroïne de Steven Appleby se démarque, c’est que dans la vraie vie et pour l’état civil, Dragman est un homme et s’appelle August Crimp, qu’il est marié, a un enfant et tient son super-pouvoir, celui de voler, de son travestissement.

Pas de D géant ornant la poitrine, pas de collant moulant, pas de couleurs vives et tape-à-l’oeil mais une robe, des bas, un porte-jarretelles et des bottes, le tout dans des tons sobres, histoire peut-être de passer inaperçue car même dans le milieu des justiciers masqués, les travestis, les minorités sexuelles ont du mal à se faire accepter. Voilà pour le côté visible du personnage.

Pour le reste, Dragman est un bon père de famille qui s’était rangé un temps des super-héros avant de reprendre la robe pour voler au secours de  la veuve et de l’orphelin qui auraient vendu leur âme, contre menue monnaie, à une mystérieuse compagnie baptisée Black Mist…

Singulier par son propos, brillant par son traitement et son graphisme, drôle et sensible, ce premier roman graphique de Steven Appleby, plus connu jusqu’ici en Angleterre pour ses dessins de presse, est aussi en quelque sorte un coming-out littéraire pour l’auteur qui depuis sa plus tendre enfance se travestit et depuis le début des années 2000 vit habillé en femme.

« Me travestir en secret une ou deux fois par semaine… », écrit-il en postface de ce livre, « m’est apparu malhonnête et suffocant. J’avais appris à me sentir à l’aise avec l’idée d’être un travesti, j’étais à présent pressé d’apparaître au grand jour et de vivre en tant que tel… »

Avec Dragman qu’il aura mis 18 ans à finaliser, Steven Appleby nous interroge sur le genre, l’identité, la différence, la tolérance… avec beaucoup d’habilité et d’humour. Lecture chaudement recommandée !

Eric Guillaud

Dragman, de Steven Appleby. Denoël Graphic. 24,90€

© Denoël Graphic / Appleby

21 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Pucelle de Florence Dupré La Tour : une enfance sans éducation à la sexualité

Florence a 14 ans, l’âge des premières amours, des doux baisers et des milliards de questions sur le sexe. Sauf que dans sa famille, tout ce qui se passe au-dessous de la ceinture est absolument tabou….

Pour beaucoup de parents, aborder la sexualité avec ses propres enfants n’est pas facile, mais ne jamais en parler, faire l’impasse totale, est, on le sait aujourd’hui, pour le moins absurde et dangereux. C’est pourtant ce qui s’est passé pour Florence, héroïne et autrice de cette bande dessinée parue chez Dargaud. Dans sa famille, jamais un mot la-dessus, même lorsque la fillette devient une jeune adolescente, découvre – horrifiée – la puberté et assiste – abasourdie – à un accouplement canin.

On pourrait imaginer ce genre d’attitude remonter au Moyen-Âge, pourtant Florence Dupré la Tour raconte ici son enfance qui s’est jouée dans les années 80/90 du siècle dernier, le 20e, autant dire hier. Avec à sa décharge une famille chrétienne traditionnelle pour qui la femme est naturellement soumise à l’homme et tout ce qui touche à la chose, « la chose qui ne doit pas être dite », absolument tabou.

Pas de zizi, pas d’éducation sexuelle ! De quoi filer des angoisses à la jeune Florence qui doit vivre et grandir dans l’ignorance la plus absolue, s’inventer des réponses à ses tonnes de questions et bien sûr se tromper dans la majeure partie des cas. Non, la petite graine déposée par le papa dans le nombril de maman ne suffit pas pour enfanter !

Dans cet album, deuxième volet d’un triptyque autobiographique, Florence Dupré La Tour raconte sa jeunesse, depuis sa plus tendre enfance jusqu’à ses 14 ans. Le ton est souvent à l’amertume, parfois même à la rancune même si l’autrice reconnaît que sa famille n’est pas seule responsable. Mai 68 est passé par là, certes, mais la libération de la femme et des moeurs n’a pas encore atteint toutes les couches de la société dans les années 80, d’ailleurs l’a-elle atteint de nos jours ? Pas certain. Ce qui rend finalement le récit de Florence Dupré La Tour toujours très actuel.

Eric Guillaud

Pucelle tome 1, de Florence Dupré la Tour. Dargaud. 19,99€

20 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Pendant ce temps, une histoire ordinaire pour scruter l’âme humaine signée Pelle Forshed

Connu en Suède pour ses romans graphiques ancrés dans la vie sociale, Pelle Forshed raconte ici la disparition mystérieuse d’un père de famille sans histoire dans une banlieue elle aussi sans histoire, posant au passage un regard lucide sur notre monde…

C’est une banlieue comme tant d’autres, celle-ci se situe à proximité de Stockholm en Suède, une banlieue pavillonnaire triste mais paisible où Il ne se passe jamais rien de très sexy. Heureusement, Sten, un gamin quelque peu introverti, a trouvé dans cet océan d’ennui de quoi s’occuper avec le matériel de lépidoptériste hérité de son grand-père. Jour après jour, il épingle des papillons sur son tableau de chasse. C’est devenu une véritable passion, un refuge, presqu’une obsession. Pour son père, Henrik, c’est plutôt le vélo sa passion. Et pour sa mère, Anna, pas de papillons, pas de vélo, rien, juste la déprime pour occupation, couchée du matin au soir, du soir au matin, une couverture en permanence sur le dos, de quoi lui donner des allures de fantôme. Ce qu’elle est un peu, complètement incapable de toute vie sociale.

Mais la vie s’anime bientôt dans le quartier avec l’emménagement d’une nouvelle famille. Une famille sans histoire, elle aussi. Enfin jusqu’ici. Parce qu’au moment de l’emménagement, le mari disparait brutalement laissant femmes et enfants dans le désaroi. Plus aucune trace de lui. Alors que tout le monde commence à imaginer le pire, qu’une grande battue est organisée que sa femme cherche de potentielles images de lui sur le côté sombre du web, un accident ? un suicide ?, Sten, le chasseur de papillon, est soupçonné par ses camarades de classe d’être à l’origine de la disparition. Une rumeur évoque même qu’il aurait pu empailler, c’est une autre de ses passions, l’homme en question. De quoi renvoyer sa mère au fond du lit et son père à la limite du pétage de plomb…

Avec un graphisme minimaliste, visages inexpressifs et décors épurés, des couleurs en aplat, et un rythme narratif volontairement lent, Pelle Forshed prend le temps de nous raconter une histoire de l’ordinaire avec des gens ordinaires qui se dépatouillent comme ils peuvent de leurs angoisses, de leurs doutes et souvent de leur solitude. À chaque instant, à chaque nouvelle page, on imagine l’histoire basculer dans le polar ou même le thriller mais non, Pendant ce temps reste jusqu’au bout, jusqu’au dénouement, tout de même inattendu, un récit du quotidien, un regard sur la vie de la classe moyenne en Suède et partout ailleurs tant le propos de l’auteur est universel.

Eric Guillaud

Pendant ce temps, de Pelle Forshed. Editions L’Agrume. 20€

© Editions L’Agrume / Pelle Forshed

19 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. L’année exemplaire et hilarante de Lisa Mandel

365 jours pour se débarrasser de ses addictions, autant de pages de BD à réaliser au quotidien et à publier sur les réseaux sociaux avant d’en faire un livre : c’est le défi un peu fou et un peu réussi que Lisa Mandel s’est lancé un beau jour de juin 2019. Et le résultat est là : tordant.

« L’album le plus drôle de la rentrée, et peut-être de l’année » : ce n’est pas moi qui l’écrit mais Le Monde, c’est dire le sérieux de la chose, la gravité de la rigolade. Tout est parti d’un défi de l’autrice elle-même : se donner un an pour arrêter le sucre, le gras, l’alcool, les jeux vidéo, les séries télévisées, les écrans… bref tout ce qui est venu se superposer dans sa vie façon millefeuille et aurait tendance au bout du compte à peser un peu lourd. Et pas que sur l’estomac !

Une année pour vaincre mes addictions

Et pour témoigner de l’avancée de ce défi, Lisa Mandel promet de réaliser une page de bande dessinée quotidienne qu’elle postera sur les réseaux sociaux. Une petite demande de financement participatif via ulule, 16 000€ de récoltés au passage, et c’est parti pour 365 jours, même un peu plus puisque le recueil ci-présent commence quelques jours avant le démarrage du défi, histoire pour le lecteur de bien se mettre en condition, et pour l’actrice, de profiter un dernier moment de toutes les bonnes choses, comme une préparation au rôle de sa vie. Son objectif avant de se jeter corps et âme dans le défi : « être boudinée dans du 46 ».

Tout est véridique même cette histoire abracadabrante de coronavirus

Elle y arrive. Comme elle arrive à entretenir une bonne partie de ses addictions jusqu’au bout, le principal étant d’en rire. Elle en rit, nous aussi. Beaucoup. Chaque page est un gag à lui tout seul et se lit d’ailleurs tel quel, chronologiquement ou non, on y parle d’addictions, beaucoup, mais pas seulement, Lisa Mandel nous invite dans son intimité, dans son quotidien d’autrice BD, à partager ses déplacements professionnels, ses voyages, notamment au Liban ou au Niger, la vie quoi, la vie et la mort, celle de Marie Laforêt ou celle d’Uderzo, et puis bien sûr le coronavirus qui débarque dans les pages sans être invité.

Ne cherchez pas le nom de l’éditeur, il n’y en a pas, Lisa Mandel a souhaité publier son livre en autoédition. La tâche s’est avérée parfois difficile mais lui a donné l’idée d’une autre aventure : la création d’une maison d’édition pas comme les autres, baptisée Exemplaire, forcément. À suivre…

L’album figure dans la sélection officielle du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême 2021 et il est en compétition pour le Prix du Public France Télévisions

Eric Guillaud

Une Année exemplaire, de Lisa Mandel. Autoédition. 20€

18 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Coda ou la fantasy réinventée

Ce Coda ne ressemble pratiquement à aucun autre. Les douze épisodes de cette saga onirique sont réunis ici dans une intégrale conséquente, une fantasy débridée et visuellement flamboyante où une espèce d’ersatz de John Difool de l’Incal version mutique et mélancolique tente de retrouver sa bien-aimée dans un monde au bord du gouffre.

Ce n’est pas pour rien que dès les premières pages, on pense d’abord à Michael Moorcock et ses différentes représentations de ce qu’il a appelé ‘le champion éternel’ (Elric, Hawkmoon, Corum etc.). Comme l’auteur de fantasy britannique, le scénariste Simon Spurrier aime les chausse-trappes et les apparences trompeuses dans lesquelles il s’amuse à perdre ses lecteurs. Formé du côté du magazine ‘culte’ britannique 2000 AD, il sait également faire preuve d’un cynisme féroce, mais sans jamais que le tout tombe dans la guignolade. Non, au contraire, même si ici l’histoire baigne dans une espèce de mélancolie sourde – le décor est un monde fantastique peuplé de sorciers et de créatures bizarres mais où la magie a été pratiquement éradiquée – on reste dans le domaine du rêve. Un rêve psychédélique et parfois désorientant mais un rêve quand même, aux couleurs extravagantes et plein de vie.

Et c’est là toute la singularité de Coda. Bien sûr, il y a cette façon de dérouler le récit à part, raconté en partie en voix ‘off’ par un personnage principal limite mutique dans la vraie vie et d’ailleurs surnommé ‘Hum’ car c’est en général la première chose qu’il lâche à ceux qu’il rencontre. Mais c’est surtout le trait incroyablement coloré de l’uruguayen Matias Bergara, dont la carrière navigue entre les comics et le monde des jeux vidéo, qui fascine le plus.

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

Comme les adaptations d’Elric (on y revient, encore) par le alors futur papa d’Hellboy à la fin des années 80 Mike Mignola, jamais Bergara ne laisse l’habituel trait sombre et pessimiste de la fantasy moderne plomber l’ambiance malgré le fait qu’il décrive des âmes sombres et un monde en pleine déliquescence. Au contraire, grand fan des pleines pages débordant de vie où son trait très fin lui permet de semer quantités de petits détails, il entretient la richesse de la narration avec classe. Et malgré le poids du produit fini, on a envie de prendre son temps pour lire chaque page, histoire de ne rater aucun détail ou sous-entendu.

En même temps, il vaut mieux car Coda est du genre difficile à apprivoiser. Même si on part sur une quête a priori ‘classique’ dans le genre – un barde peu bavard part à la recherche, prisonnière d’une bande de barbare affirme-t-il – très vite, les frontières entre vérité et chimère se troublent au fur et à mesure que Spurrier s’amuse à bousculer nos acquis. Le fidèle destrier du héros ? Une licorne ( !) qui marmonne un langage que lui seul comprend et qui est régulièrement prise de frénésie meurtrière ? Le premier sorcier à la longue barbe blanche comme il se doit qu’on rencontre ? Un vieux gâteux cerné par les fantômes de son passé. Sa femme prisonnière que l’on imagine fragile et perdue ? Pas tout à fait…

En passant ainsi de l’introspectif aux décors XXL, en alternant le style entre pure fantasy, récit post-apocalyptique et quête initiatique et en multipliant les sous-intrigues, Coda est aussi déroutant qu’original. Un truc un peu fou mais d’une richesse dingue, une claque visuelle pas si assez accessible que ça mais qui emmènera le lecteur le plongeant complètement dans ce délire coloré presque pop par moments. Avec au dessin une révélation, une vraie, Matias Bergara.

Olivier Badin

Coda de Simon Spurrier & Matias Bergara. Glénat Comics. 29,95 euros

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

15 Déc

Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2021. Anaïs Nin sur la mer des mensonges, une biographie sensuelle de Léonie Bischoff

Pour raconter la vie de la sulfureuse écrivaine Anaïs Nin, il fallait trouver le ton juste. Plus de huit ans ont été nécessaires à l’autirce suisse Léonie Bischoff pour le trouver. Mais le résultat est là, Anaïs Nin sur la mer des mensonges est un roman graphique en tout point raffiné, à l’écriture aussi subtile que le trait est léger…

Comme chacun et chacune d’entre nous, l’écrivaine Anaïs Nin a eu une vie publique, une vie privée et une vie secrète, riches dans les trois cas. C’est à la dernière que s’est intéressée plus précisément Léonie Bischoff dans ce sublime roman graphique paru chez Casterman en août dernier, une vie secrète passée à la postérité grâce à la publication de ses journaux intimes et secrets tenus sur plusieurs décennies.

Vécu comme un événement sans équivalent dans la littérature au moment de leur publication, ces journaux intimes ont révélé une personnalité hors norme, une femme aux multiples vies et aux milles facettes qui avait choisi pour guider sa vie la création, la passion, l’amour, le sexe… et bien sûr la liberté. Nous sommes dans les années 30, Anaïs Nin est une féministe avant l’heure !

Ses journaux étaient à la fois son réconfort, son miroir, sa drogue. « J’y explore mon caractère et celui des autres… J’analyse, si j’ose dire!« , lui fait dire Léonie Bischoff.

D’un trait délicat, réalisé au crayon magique à mine multicolore, et d’une très belle écriture, Léonie Bischoff nous embarque corps et âme dans cette vie faite d’écriture, de rencontres, de liaisons amoureuses et de mensonges. Comme elle pouvait le faire elle-même à travers la rédaction de ses journaux, nous pouvons, nous lecteurs, contempler ici son âme, décortiquer sa complexité, et approcher d’un peu plus près le génie du personnage.

Chaque planche de ce roman graphique est un bijou en soi, d’une sensibilité et d’une finesse incroyable, d’une sensualité et parfois d’un érotisme habiles. Telle une ode à la femme, à l’amour, à la vie.

Eric Guillaud

Anaïs Nin sur la mer des mensonges, de Léonie Bischoff. Casterman. 23,50€

© Casterman / Bischoff

14 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Le taureau par les cornes, un récit autobiographique signé Morvandiau

En 2005, coup sur coup, Morvandiau apprend que sa mère est atteinte de démence précoce et que son fils Émile tout juste né est trisomique. De quoi perdre pied…

Perdre pied… et se relever, continuer de marcher en faisant si possible du bruit sur le gravier, comme une musique « rocailleuse et rassurante ». De tous ses souvenirs d’enfance, cette sonorité si particulier fait par un adulte marchant sur un chemin de gravier sera pour Morvandiau l’une des motivations premières à devenir grand.

Ça peut paraître anecdotique, voire dérisoire, ou incongru, mais ça a son importance dans l’histoire de l’auteur et dans ce récit. En 2005, Morvandiau ne fait peut-être pas encore tout à fait partie du monde des adultes, même s’il a dépassé les 30 ans, lorsqu’il est confronté coup sur coup à la maladie de sa mère et à la trisomie de son fils. Il aurait pu définitivement se liquéfier, s’effondrer, ne pas faire face. Par la fenêtre de son atelier, Morvandiau assiste à la démolition du quartier promis à un bel avenir immobilier. La fin d’une époque !

À partir de ce moment-là, Morvandiau connait bien évidemment des moments de désespoir profond, de trouilles, de questionnements, de doutes. Mais à chaque fois, il finit par attraper le taureau par les cornes et reprendre le dessus. Il le faut !

À travers ce petit livre – par le format – paru à L’Association, Morvandiau raconte cette vie intime bouleversée, il raconte aussi sa famille, sa mère, son enfance, sa ville, Rennes, avec une grande pudeur et une singularité dans le traitement narratif et graphique, insérant ici et là en images des références cinématographiques ou musicales. Le Taureau par les cornes figure dans la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2021.

Eric Guillaud

Le Taureau par les cornes, de Morvandiau. L’Association. 19€

© L’Association / Morvandiau

13 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Citéville et Citéruine de Jérôme Dubois ou la fin de l’utopie urbaine ?

La bande dessinée peut être divertissante, pédagogique, documentaire, critique, elle peut aussi parfois se révéler comme une expérience visuelle et narrative unique. C’est le cas avec ce diptyque qui ne fait qu’un, une oeuvre atypique signée Jérôme Dubois…

Citéville et Citéruine, deux albums qui sont chacun le miroir de l’autre, deux albums qui peuvent se lire indépendamment l’un après l’autre, l’un sans l’autre, mais qui prennent toute leur valeur respective par une lecture simultanée. C’est une véritable expérience, à la fois visuelle et narrative que nous offre son auteur, Jérôme Dubois, une expérience qui nous interroge sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur.

Aux images de Citéville, où l’absurde révèle la violence de la société, où l’on voit des SDF ramassés par une balayeuse de voirie, où l’on achète des enfants comme on achèterait un paquet de nouilles, où l’on prend la ligne de bus 67 pour aller directement en vacances, ou la 85 pour le chômage, répondent les images de ville désertée, abandonnée de Citéruine. Plus un humain ou ce qui pourrait y ressembler, les mêmes plans de la ville que dans Citéville mais dépourvus de protagonistes, une ville qui nous fait penser aux images qu’on a pu voir lors du premier confinement, une ville fantôme, post apocalyptique, en ruine ou presque.

La ville est-elle l’avenir de l’homme ? Et plus largement, quel est l’avenir de l’homme ? Ce sont les questions que pose, que nous pose Jérôme Dubois, dont on avait déjà pu apprécier le travail dans Bien normal et Tes Yeux ont vu également publiés chez Cornélius.

Eric Guillaud

Citéville, de Jérôme Dubois. Cornélius. 22,50€ et Citéruine, de Jérôme Dubois. Editions Matière. 19€

© Cornélius / Dubois

12 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Paul à la maison ou la vie presque ordinaire d’un auteur de bande dessinée québécois

Avec la série Paul, l’auteur Michel Rabagliati s’est fait remarquer au Québec mais aussi en France en remportant le Prix du public Fauve FNAC-SNCF au 37e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Il revient avec un neuvième volet qui nous interroge sur la maladie, la mort,  la solitude, la vie en somme…

Un oiseau, immobile, sur douze cases. Comme si rien ne bougeait. Mais c’est trompeur. Tout, autour de lui, est en mouvement, la nature vie, le temps s’écoule. C’est ainsi que débute ce nouvel album de Michel Rabagliati. Et c’est aussi comme ça qu’on peut voir la vie de son protagoniste, Paul, une vie plate et ennuyeuse, au milieu d’un monde en mouvement qui ne lui convient pas forcément, où la communication ne ne fait plus que par écrans interposés, où même l’amour n’est plus qu’une histoire de liaisons numériques. Paul Rifiorati a 51 ans, il est auteur de BD, s’occupe avec attention de sa vieille mère et de sa fille de 19 ans. Jusqu’au jour où la première lui annonce qu’elle est malade et refuse de se soigner, et la seconde, qu’elle va partir vivre à Londres. Pour Paul, le monde, son monde, s’écroule un peu plus…

Comme dans chacun de ses albums, Michel Rabagliati déroule ici un récit autobiographique empreint de sensibilité et de tendresse. Il ne s’y passe absolument rien d’extraordinaire, simplement la vie avec sa dose de petits bonheurs et de belles emmerdes. Paul à la maison est une aventure intime et nostalgique qui nous parle avec finesse de la maladie, de la mort et de la solitude.

L’album figure dans la sélection officielle du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême 2021 et il est en compétition pour le Prix du Public France Télévisions

Eric Guillaud

Paul à la Maison, de Michel Rabagliati. La Pastèque. 25€

© La pastèque / Rabagliati